Migration entre municipalité centrale et municipalités avoisinantes à Toronto, Montréal et Vancouver

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par Martin Turcotte et Mireille Vézina

Introduction
Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
Pour chaque personne ayant quitté une municipalité avoisinante de Toronto vers cette dernière, 3,5 personnes avaient fait le trajet inverse
Les nouveaux parents comptent parmi les plus susceptibles de quitter la municipalité centrale
Les parents seuls sont plus portés à demeurer dans la municipalité centrale
Les personnes avec les revenus les moins et les plus élevés étaient moins susceptibles d'avoir migré vers les municipalités avoisinantes
Les titulaires d'un diplôme d'études collégiales, d'une école de métier ou d'un baccalauréat sont plus susceptibles de quitter la municipalité centrale
Les artistes et les professeurs d'université ont plus tendance à demeurer dans la municipalité centrale
Dans la RMR de Montréal, les francophones sont plus susceptibles de quitter la ville de Montréal que les anglophones et les allophones
Dans les RMR de Montréal et de Vancouver, les personnes nées au Canada sont les plus portées à quitter la municipalité centrale
Les couples sans enfants plus portés à migrer vers la municipalité centrale
Profil de la population des municipalités centrales et des municipalités avoisinantes dans les régions métropolitaines de Montréal, de Toronto et de Vancouver
Résumé

Introduction

Après la Deuxième Guerre mondiale et pendant plusieurs autres décennies, la croissance démographique des banlieues résidentielles nord-américaines a essentiellement été assurée par la migration des personnes et des familles venues des centres-villes et des régions. De nos jours, la croissance démographique des banlieues résulte aussi du fait que plusieurs personnes nées dans ce genre d'environnement ne quittent jamais leur lieu d'origine ou déménagent dans une autre banlieue pour y fonder leur propre famille1. Malgré tout, la migration de plusieurs jeunes adultes et familles des municipalités centrales vers les municipalités avoisinantes continue de se produire, alors que peu d'entre eux font le trajet inverse. Ces mouvements migratoires intramétropolitains sont l'une des raisons qui contribue à maintenir l'écart entre les villes et les banlieues en ce qui a trait à la représentation des familles. En fait, comme l'ont démontré les données du Recensement de 2006, les ménages composés d'un couple avec enfants demeurent plus fortement représentés dans les quartiers périphériques que dans les villes-centres2. Cet écart dans la répartition des familles est particulièrement prononcé entre les municipalités centrales et avoisinantes des régions métropolitaines de Toronto, de Montréal et de Vancouver. (Pour la définition des concepts de municipalités centrales et avoisinantes, consulter « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude ».)

Les municipalités des grandes régions métropolitaines rivalisent entre elles pour attirer de nouveaux résidants en vantant leurs attraits et services. En outre, plusieurs municipalités centrales tentent de renverser la tendance migratoire actuelle et encouragent les jeunes adultes et leurs familles, particulièrement celles avec enfants, à choisir de s'y établir. La Ville de Montréal a par exemple élaboré un « plan collectif d'action famille » à cet égard3. Les villes de Toronto et de Vancouver ont quant à elles mis l'accent sur des programmes axés sur les services de garde pour enfants4.

À l'heure actuelle, il existe peu de renseignements détaillés sur les caractéristiques sociales et économiques des jeunes adultes qui effectuent des migrations entre les municipalités centrales et les municipalités avoisinantes. Afin de pallier cette lacune, on s'intéresse, dans le présent article, aux mouvements migratoires intramétropolitains des personnes de 25 à 44 ans dans les trois plus grandes régions métropolitaines du pays, soit Toronto, Montréal et Vancouver5. Ces personnes sont d'un intérêt particulier puisqu'elles sont proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les autres à effectuer des migrations de la municipalité centrale vers les municipalités avoisinantes et qu'elles sont à l'âge de fonder une famille et d'acheter leur première maison. En ce sens, elles constituent une « clientèle » particulièrement recherchée par les municipalités, qu'elles soient centrales ou avoisinantes.

Cet article est basé sur les données du Recensement de la population de 2006 (pour plus de détails à propos des données et des concepts, consulter « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude »). Trois cartes géographiques sont incluses afin de clarifier, pour chacune des trois régions métropolitaines à l'étude, la distinction entre la municipalité centrale et les municipalités avoisinantes6.

 

Les données utilisées proviennent du questionnaire complet du Recensement de 2006 (rempli par 20 % de la population canadienne). Les personnes qui demeuraient dans des logements collectifs (hôtel, hôpital, bases militaires, etc.) en 2006 sont exclues de la présente étude.

Définitions
Région métropolitaine de recensement
Une région métropolitaine de recensement (RMR) est formée d'une ou de plusieurs municipalités adjacentes situées autour d'une grande région urbaine (appelée noyau urbain). Une RMR doit avoir une population d'au moins 100 000 habitants et le noyau urbain doit compter au moins 50 000 habitants.

Municipalité centrale et municipalités avoisinantes
La municipalité centrale ou la ville-centre est celle qui donne son nom à une région métropolitaine de recensement. C'est généralement la ville historique, celle autour de laquelle se sont développées les banlieues (dont certains villages plus éloignés qui ont été rejoints par l'urbanisation). Dans le cadre de cette étude, le territoire des municipalités centrales correspond aux limites administratives ou politiques des villes de Toronto, de Montréal ou de Vancouver. Le terme « municipalités avoisinantes » est utilisé en référence à toutes les autres municipalités faisant partie de la région métropolitaine (celles-ci sont parfois nommées, dans d'autres sources, municipalités de banlieue ou municipalités périphériques).

Migration et population à l'étude
On identifie les migrants en comparant leur lieu de résidence actuel à celui qu'ils avaient cinq ans auparavant (tel que rapporté dans le Recensement de 2006). Puisque la présente étude porte sur les migrations intramétropolitaines, seules les personnes qui résidaient dans la même région métropolitaine en 2001 et en 2006 ont été incluses.

Le principal groupe d'intérêt est celui des personnes qui résidaient, en 2001, dans la municipalité centrale de leur région métropolitaine (soit les villes de Toronto, de Montréal ou de Vancouver). Ces personnes sont considérées comme migrantes si, en 2006, elles résidaient dans l'une ou l'autre des municipalités avoisinantes de la région métropolitaine. Elles sont considérées comme non migrantes si elles résidaient toujours dans la municipalité centrale (un changement d'adresse au sein même de cette municipalité centrale n'est pas considéré comme une migration).

De la même manière, on s'intéresse aux personnes qui, en 2001, résidaient dans l'une ou l'autre des municipalités avoisinantes des municipalités centrales des trois régions métropolitaines.

En plus de la municipalité de résidence cinq ans auparavant, le recensement comprend des renseignements sur le lieu de résidence un an auparavant. Les analyses effectuées dans le cadre de cet article ont été reproduites en utilisant la mobilité sur une période de un an plutôt que de cinq. Il en résulte des proportions inférieures de personnes ayant quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante (car en utilisant cette méthodologie, les résidants sont soumis au « risque » de déménager durant une seule année plutôt que cinq). Cependant, les conclusions demeurent inchangées, que l'on utilise la période de référence de un an ou de cinq ans. Ainsi les sous-groupes au sein desquels on enregistrait les plus fortes probabilités de migrer de la municipalité centrale étaient essentiellement les mêmes dans les trois RMR. L'avantage d'utiliser une période de cinq ans est de pouvoir faire reposer l'analyse sur des échantillons plus grands, permettant ainsi de fournir plus de détails à propos des différentes caractéristiques des personnes qui migrent ou non (tableaux A.1, A.2 et A.3), ainsi que des destinations choisies par les migrants (tableau A.6).

Tableau A.1 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Toronto vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ansTableau A.1 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Toronto vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ans

Tableau A.2 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Montréal vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ansTableau A.2 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Montréal vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ans

Tableau A.3 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Vancouver vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ansTableau A.3 Caractéristiques associées aux chances d'avoir quitté la municipalité de Vancouver vers une municipalité avoisinante de la région métropolitaine entre 2001 et 2006 chez les personnes de 25 à 44 ans

Cela étant dit, que l'on utilise une référence de cinq ou de un an, il faut demeurer prudent dans l'interprétation de certains résultats. Les caractéristiques des personnes sont mesurées en 2006, alors que la décision de déménager (ou non) a eu lieu avant la date du recensement. De ce fait, il est possible que certaines caractéristiques des personnes aient changé, par exemple que leur revenu personnel ait été plus élevé ou plus faible au moment où elles ont quitté la municipalité centrale qu'au moment où le revenu a été mesuré en 2006.

Ratio d'échange
Le ratio d'échange (tableaux A.1, A.2 et A.3) correspond au nombre de personnes ayant quitté la municipalité centrale vers une municipalité avoisinante, divisé par le nombre de personnes ayant effectué le trajet inverse. Par exemple, si, pour un groupe de personnes donné, 5000 ont quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante et que 2500 autres ont effectué le trajet inverse, le ratio d'échange sera de 2 (5000/2500). Dans ce cas, le ratio d'échange peut être interprété comme suit : pour chaque personne ayant quitté une municipalité avoisinante en direction de la municipalité centrale, deux personnes ont effectué le trajet inverse.

Les ratios d'échange peuvent être affectés par la taille de la population des deux régions qui sont comparées (dans ce cas, la municipalité centrale des trois régions métropolitaines et les municipalités avoisinantes). Pour cette raison, ils doivent être interprétés avec précaution. En particulier, il n'est pas recommandé de comparer entre eux les ratios d'échange des trois régions métropolitaines.

Carte 1 Municipalité de Toronto et municipalités avoisinantesCarte 1 Municipalité de Toronto et municipalités avoisinantes

Carte 2 Municipalité de Montréal et municipalités avoisinantesCarte 2 Municipalité de Montréal et municipalités avoisinantes

Carte 3 Municipalité de Vancouver et municipalités avoisinantesCarte 3 Municipalité de Vancouver et municipalités avoisinantes

Pour chaque personne ayant quitté une municipalité avoisinante de Toronto vers cette dernière, 3,5 personnes avaient fait le trajet inverse

Les études démographiques ont plusieurs fois démontré que l'âge était l'un des facteurs les plus fortement associés à la probabilité de migrer; c'est en effet au début de l'âge adulte que les migrations sont les plus fréquentes et que les gens connaissent plusieurs transitions, dont la poursuite d'études postsecondaires, l'insertion sur le marché du travail ou la formation d'une famille7. La tendance à migrer diminue sensiblement lorsque ces étapes sont normalement franchies.

De façon peu étonnante, on a constaté que l'âge était fortement relié à la probabilité d'avoir quitté la municipalité de Toronto, de Montréal ou de Vancouver en direction d'une municipalité avoisinante. Chez la population adulte âgée de 20 ans et plus, la propension à déménager vers les municipalités avoisinantes augmentait jusqu'à 34 ans, puis diminuait dans les groupes d'âge plus avancés (graphique 1).

Dans les trois régions, les personnes âgées entre 25 et 44 ans étaient plus susceptibles que celles des autres groupes d'âge de quitter la municipalité centrale vers une municipalité avoisinante. Selon une enquête récente, les maisons individuelles, situées dans des quartiers à faible densité résidentielle, demeureraient les types de logement les plus recherchés par les personnes de 25 à 44 ans8. L'offre pour ce type de logement est plus forte dans les municipalités avoisinantes que centrales (voir, par exemple, le tableau A.4).

Tableau A.4 Profil de la population âgée entre 25 et 44 ans, selon le lieu de résidence, 2006Tableau A.4 Profil de la population âgée entre 25 et 44 ans, selon le lieu de résidence, 2006

Graphique 1 Les personnes de 30 à 34 ans étaient les plus susceptibles d'avoir quitté une des trois municipalités centrales en direction d'une municipalité avoisinanteGraphique 1 Les personnes de 30 à 34 ans étaient les plus susceptibles d'avoir quitté une des trois municipalités centrales en direction d'une municipalité avoisinante

Les trois RMR à l'étude diffèrent sensiblement l'une de l'autre du point de vue de leur géographie, de la taille de la population des 25 à 44 ans et de la répartition de cette population entre la municipalité centrale et les municipalités avoisinantes. En 2006, on a dénombré 1,6 million de personnes âgées de 25 à 44 ans dans la région métropolitaine de Toronto (dont 51 % d'entre elles résidaient dans la municipalité centrale), 1,1 million dans celle de Montréal (dont 48 %, dans la municipalité centrale) et 630 000 dans celle de Vancouver (dont 32 %, dans la municipalité centrale).

Malgré ces différences, la proportion des 25 à 44 ans ayant quitté la municipalité centrale pour une municipalité avoisinante était la même dans les trois régions (soit 14 %) (tableaux A.1, A.2 et A.3). La proportion des personnes de ce groupe d'âge ayant fait le trajet inverse, soit ayant quitté une municipalité avoisinante pour aller s'établir dans la municipalité centrale, était environ trois fois moins élevée : 5 % à Toronto et à Montréal et 4 % à Vancouver.

En comparant les entrées et les sorties, il en résultait, pour les trois municipalités centrales, une perte nette de population des 25 à 44 ans au profit des municipalités périphériques. Par exemple, dans la région de Toronto, pour chaque personne ayant quitté une municipalité périphérique (peu importe laquelle) pour s'établir dans la municipalité centrale, 3,5 personnes avaient fait le trajet inverse (voir ratio d'échange, tableau A.1).

Les nouveaux parents comptent parmi les plus susceptibles de quitter la municipalité centrale

Des études antérieures ont démontré l'importance cruciale de la structure familiale sur la décision de migrer9. Parmi les différents facteurs considérés dans la présente étude, la situation familiale était d'ailleurs un de ceux ayant la plus forte incidence sur la probabilité de quitter la municipalité centrale. La conclusion demeurait la même après avoir neutralisé l'effet de l'âge, du revenu et des autres facteurs (tableaux A.1, A.2 et A.3).

Dans les trois RMR, les personnes qui étaient devenues parents pour la première fois entre 2001 et 2006 comptaient parmi les plus susceptibles de toutes d'avoir quitté la municipalité centrale. Par exemple, dans la région de Vancouver, entre 27 % et 29 % des nouveaux parents ont quitté la ville de Vancouver pour aller s'établir dans une municipalité avoisinante au cours de cette période. En comparaison, c'était le cas de seulement 8 % des personnes qui vivaient seules, soit une proportion trois fois moindre. Dans la région de Montréal, l'écart était encore plus prononcé : 34 % des personnes devenues parents de 2 enfants ou plus durant la période ont quitté la municipalité centrale, comparativement à 7 % des personnes vivant seules (tableau A.2).

Plusieurs raisons peuvent aider à comprendre pourquoi les parents de jeunes enfants étaient plus portés à quitter les municipalités centrales. Par exemple, selon les études antérieures, c'est souvent le désir d'avoir plus d'espace, afin de s'adapter à la nouvelle donne familiale, qui pousse les nouveaux parents à déménager vers des milieux où des logements plus grands sont plus facilement disponibles et moins chers10. En plus du besoin d'espace, plusieurs nouveaux parents choisissent un quartier à vocation résidentielle plus éloigné du centre-ville parce qu'ils désirent vivre à proximité d'autres familles (qui ont des besoins similaires aux leurs)11 et parce qu'ils perçoivent ces secteurs comme étant plus sécuritaires, mieux structurés pour élever des enfants et, dans certains cas, moins bruyants12.

Les parents seuls sont plus portés à demeurer dans la municipalité centrale

Lorsque les enfants vieillissent et que la famille est complète, la probabilité de déménager, que ce soit sur une courte ou une longue distance, diminue sensiblement. Les résultats illustrent d'ailleurs que les personnes qui étaient déjà parents en 2001, mais qui n'ont pas eu de nouveaux enfants au cours de la période, étaient moins portées que les nouveaux parents à quitter la municipalité centrale vers une municipalité avoisinante (tableaux A.1, A.2 et A.3).

Une catégorie de familles se distingue cependant des autres : les familles monoparentales. Ces dernières avaient en effet moins tendance que la moyenne à quitter la municipalité centrale pour une municipalité avoisinante. Cette plus faible propension à migrer ne pouvait pas s'expliquer par des revenus plus faibles. En effet, même à niveau de revenu équivalent (et en tenant compte d'autres facteurs comme la scolarisation), les familles monoparentales demeuraient moins portées à avoir quitté la municipalité centrale (tableaux A.1, A.2 et A.3)13. Selon une étude menée dans les régions de Toronto, de Montréal et de Vancouver, les parents seuls se montraient plus intéressés que les parents en couple à résider dans des quartiers plus denses14. Ces parents seuls ont non seulement des revenus plus faibles, mais ils ont possiblement moins de temps à consacrer à faire la navette, l'entretien de la maison et du jardin, et ainsi de suite.

Selon une théorie économique classique, les personnes et les ménages « votent avec leurs pieds », c'est-à-dire qu'ils optent de vivre dans une municipalité qui offre pour eux le type d'environnement souhaité, mais aussi le meilleur rapport qualité-prix (un niveau et des types de services qui leur conviennent, à un coût jugé satisfaisant en taxes municipales)15. Différentes situations familiales peuvent engendrer différents besoins, d'où certains des contrastes observés entre les types de familles dans la propension à quitter la municipalité centrale.

Les personnes avec les revenus les moins et les plus élevés étaient moins susceptibles d'avoir migré vers les municipalités avoisinantes

Outre l'âge et la situation familiale, le revenu familial est certainement un facteur clé pouvant influer sur la décision d'avoir migré : des revenus supérieurs permettent aux ménages et aux familles de choisir le type de logement qu'ils préfèrent et le lieu où ils veulent vivre16. À l'inverse, le fait d'avoir des revenus trop faibles rend difficile l'achat d'un véhicule, souvent essentiel à la vie dans les secteurs de banlieue à faible densité17. Autant à Toronto qu'à Montréal ou à Vancouver, les personnes qui étaient les moins susceptibles de toutes d'avoir quitté la municipalité centrale vers une municipalité avoisinante étaient celles dont les revenus étaient les plus faibles (moins de 20 000 $ après impôts)18 (graphique 2). À Vancouver, par exemple, seulement 9 % des personnes qui se trouvaient dans cette catégorie de revenu avaient quitté la ville centrale. En comparaison, cette proportion était deux fois plus élevée, soit de 18 %, chez celles dont les revenus après impôts se situaient entre 80 000 $ et 99 999 $ (tableau A.3).

Graphique 2 Les personnes ayant des revenus familiaux inférieurs à 40 000 $ sont les moins susceptibles de quitter la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinanteGraphique 2 Les personnes ayant des revenus familiaux inférieurs à 40 000 $ sont les moins susceptibles de quitter la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante

Dans chacune des trois RMR, c'est entre des revenus familiaux de 70 000 $ et de 99 999 $ après impôts que l'on enregistrait les plus fortes proportions de départs vers les municipalités avoisinantes. À Montréal, par exemple, les personnes dans cette fourchette de revenus étaient environ 5 fois plus susceptibles d'avoir déménagé vers une municipalité avoisinante que celles ayant des revenus après impôts de moins de 20 000 $.

Malgré la corrélation positive entre les revenus et la probabilité de quitter la municipalité centrale, cette tendance se renversait au sommet de l'échelle des revenus. En fait, les personnes ayant les revenus les plus élevés étaient moins susceptibles de déménager vers les municipalités avoisinantes. Par exemple, à Toronto et à Vancouver, celles ayant les revenus après impôts les plus élevés étaient moins susceptibles d'avoir migré vers une municipalité avoisinante que la moyenne de l'ensemble des 25 à 44 ans qui résidaient dans la municipalité centrale en 2001.

Ce renversement de tendance au sommet de l'échelle des revenus s'explique probablement par le fait que les personnes et les familles ayant les revenus les plus élevés sont plus susceptibles de pouvoir devenir propriétaires d'un logement situé dans les secteurs les plus centraux, où les propriétés sont, à grandeur équivalente, généralement plus chères19. Pour la plupart des ménages, un compromis doit être fait entre la distance du centre-ville et la grandeur de la résidence convoitée. Pour les familles plus nanties, ce compromis peut être évité puisqu'elles peuvent plus facilement devenir propriétaires d'une maison relativement spacieuse et à faible distance du centre-ville. Par ailleurs, les personnes dont les revenus se situent au sommet de l'échelle sont possiblement plus sensibles, dans le choix de leur lieu de résidence, à la possibilité d'avoir accès à certains services et biens de consommation « de luxe » (restaurants, vêtements, etc.), que les quartiers denses et centraux excellent à offrir20.

Si on limite l'analyse aux nouveaux parents (soit ceux qui ont eu un premier enfant ou plus entre 2001 et 2006), on constate à quel point l'impact de la « situation familiale » et du « revenu familial » sur la probabilité de quitter la municipalité centrale est important. Par exemple, à Montréal, parmi les nouveaux parents ayant eu leurs deux premiers enfants (ou plus) entre 2001 et 2006 et ayant des revenus familiaux après impôts se situant entre 50 000 $ et 99 999 $, c'est plus de 40 % d'entre eux qui avaient quitté la municipalité de Montréal en direction d'une municipalité avoisinante (graphique 3).

Graphique 3 Les nouveaux parents ayant un revenu supérieur à 50 000 $ sont particulièrement susceptibles d'avoir quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité voisineGraphique 3 Les nouveaux parents ayant un revenu supérieur à 50 000 $ sont particulièrement susceptibles d'avoir quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante

Les titulaires d'un diplôme d'études collégiales, d'une école de métier ou d'un baccalauréat sont plus susceptibles de quitter la municipalité centrale

Dans les trois régions métropolitaines, les personnes ayant terminé leurs études collégiales ou leur baccalauréat étaient plus susceptibles que les autres de quitter la municipalité centrale (tableaux A.1, A.2 et A.3). Cette constatation demeurait la même en neutralisant l'incidence des autres facteurs, dont le revenu, l'âge et la situation familiale. Les nombreux avantages de l'éducation postsecondaire sont bien connus : des gains plus élevés, une meilleure sécurité d'emploi, de meilleures conditions de travail et, de façon générale, une meilleure santé21. La plus grande propension des personnes ayant poursuivi des études postsecondaires vers les municipalités avoisinantes s'explique probablement par leurs revenus plus stables. En effet, bon nombre de logements disponibles dans les municipalités de banlieue nécessitent une bonne stabilité des revenus pour les acquérir22.

D'autre part, et ce, autant à Toronto qu'à Montréal et à Vancouver, les plus scolarisés de tous avaient un peu moins tendance à quitter la municipalité centrale. Par exemple, à Montréal, lorsque l'on maintenait les autres facteurs constants dans la régression logistique, la cote exprimant la possibilité d'avoir quitté vers une municipalité avoisinante était de 49 % inférieure pour les personnes ayant complété une maîtrise ou un doctorat que pour celles ayant obtenu un diplôme d'études collégiales. Il se peut que les personnes plus scolarisées soient plus sensibles à certains attraits que l'on retrouve typiquement dans les villes-centres, comme les musées, les restaurants variés et les salles de concert. Ils seraient donc prêts à payer plus cher ou accepteraient de vivre dans un logement de qualité moindre afin de demeurer à proximité de ceux-ci23.

Les artistes et les professeurs d'université sont plus susceptibles de demeurer dans la municipalité centrale

Selon quelques experts des questions urbaines, les grandes villes et régions métropolitaines devraient faire tout ce qu'elles peuvent pour former, attirer et retenir les membres d'une certaine « classe créative », soit des scientifiques, ingénieurs, artistes et travailleurs oeuvrant au sein de l'industrie du savoir, parce que leur présence contribuerait à la qualité de vie et, éventuellement, à une plus forte croissance de la richesse et du nombre d'emplois bien rémunérés24. Influencées par ce courant, plusieurs grandes métropoles ont d'ailleurs développé des stratégies de marketing visant à attirer ces travailleurs et leurs industries, vantant notamment la vitalité culturelle et l'aspect cosmopolite de leur ville25.

Tel qu'illustré au tableau A.5, les artistes étaient particulièrement portés à rester dans la municipalité centrale lorsqu'ils y étaient. Autant à Toronto qu'à Montréal et à Vancouver, les professionnels des arts plastiques et des arts de la scène (musiciens, danseurs, acteurs) comptaient parmi les moins enclins à migrer vers une municipalité avoisinante (6 %). De façon intéressante, les directeurs des arts, de la culture, des sports et des loisirs se montraient eux aussi moins susceptibles de quitter la municipalité centrale (7 % à Montréal, par exemple), ce qui n'était pas le cas pour les cadres et directeurs des autres industries (19 % dans cette même région métropolitaine). Il est à noter que dans les trois régions métropolitaines, les artistes âgés de 25 à 44 ans étaient sensiblement plus nombreux à résider dans une municipalité centrale que dans une municipalité avoisinante; par exemple, en 2006, dans la RMR de Toronto, 76 % des professionnels des arts plastiques et des arts de la scène résidaient dans la municipalité centrale (résultats non montrés).

Tableau A.5 Sélection de professions et pourcentage de personnes de 25 à 44 ans ayant quitté ou rejoint la municipalité centrale entre 2001 et 2006Tableau A.5 Sélection de professions et pourcentage de personnes de 25 à 44 ans ayant quitté ou rejoint la municipalité centrale entre 2001 et 2006

Les professeurs d'université se démarquaient eux aussi des autres professions. En effet, dans les trois RMR, moins de 7 % d'entre eux avaient déménagé entre 2001 et 2006. En comparaison, leurs collègues professeurs aux niveaux collégial, secondaire et primaire étaient presque trois fois plus susceptibles qu'eux de d'avoir quitté vers la périphérie, possiblement en partie en raison de l'emplacement des établissements où ils travaillent (puisque plusieurs collèges et écoles secondaires se trouvent dans les municipalités avoisinantes, tandis que plusieurs universités sont dans la municipalité centrale).

Dans la RMR de Montréal, les francophones sont plus susceptibles de quitter la ville de Montréal que les anglophones et les allophones

Les francophones, c'est-à-dire les personnes dont la langue maternelle était le français, représentaient en 2006 environ les deux tiers de la population de l'ensemble de la région métropolitaine de Montréal (65,7 %)26. Leur poids relatif n'était cependant pas égal partout. Alors que les francophones sont légèrement minoritaires sur l'île de Montréal, ils sont nettement majoritaires sur les couronnes nord et sud.

Cette réalité s'explique en partie par le fait que les Montréalais francophones de 25 à 44 ans ont plus tendance que les anglophones et les allophones à quitter la ville de Montréal (17 % pour les francophones comparativement à 11 % pour les anglophones et les allophones, tableau A.2). De plus lorsqu'ils quittent la ville de Montréal, les francophones sont plus portés à se diriger vers les municipalités situées à l'extérieur de l'île de Montréal, comme Longueuil, Terrebonne ou Repentigny. Ainsi alors que seulement 3 % des personnes de langue maternelle française (et ayant quitté la ville de Montréal) avaient choisi une municipalité située sur l'île de Montréal, c'était le cas de 26 % des anglophones et de 11 % des allophones (données non montrées).

Lorsque la langue maternelle est prise en compte en conjonction avec la situation familiale et le revenu, les écarts entre les groupes sont encore plus prononcés. Ainsi, presque la moitié des nouveaux parents francophones ayant des revenus se situant entre 50 000 $ et 99 999 $ ont quitté la ville de Montréal pour une municipalité avoisinante entre 2001 et 2006 (45 %). Les proportions correspondantes étaient de 26 % pour les allophones et de 30 % pour les anglophones.

Dans les RMR de Montréal et de Vancouver, les personnes nées au Canada sont les plus portées à quitter la municipalité centrale

De façon générale, les raisons pour lesquelles les membres de certaines communautés immigrantes sont attirés par les secteurs de banlieues résidentielles sont très similaires à celles des non-immigrants : la possibilité de pouvoir devenir propriétaires, à des prix moins élevés et dans des secteurs perçus comme plus sécuritaires pour les enfants27. L'accès à la propriété est aussi considéré par plusieurs comme un marqueur d'intégration sociale et économique réussie à la société d'accueil28.

Historiquement, ce sont surtout les non-immigrants qui ont été les plus associés à l'exode vers les banlieues résidentielles. Cette perspective correspond encore relativement bien à la situation de Montréal, où les non-immigrants étaient plus susceptibles de quitter que les immigrants, peu importe leur lieu de naissance. Par exemple, dans cette RMR, 18 % des non-immigrants de 25 à 44 ans avaient quitté la municipalité centrale, contre seulement 6 % des immigrants provenant d'Asie du Sud.

À l'opposé, à Toronto, ce sont les immigrants, en particulier ceux d'Asie du Sud (22 %) et du Moyen-Orient (18 %) qui avaient les plus fortes propensions à quitter la ville de Toronto pour une municipalité avoisinante (seulement 11 % des Torontois nés au Canada étaient devenus des « ex-Torontois » en 2006).

À Vancouver, finalement, la propension à quitter des non-immigrants se rapprochait de celle d'immigrants nés dans certaines régions spécifiques (Amérique du Sud, Moyen-Orient, Asie du Sud) mais dépassait celle d'immigrants d'autres origines.

Dans les régions de Toronto et de Vancouver, plusieurs municipalités avoisinantes de la municipalité centrale comportent de nombreux immigrants (autant en nombre qu'en proportion)29. Cela a un effet sur la propension à déménager de la municipalité centrale, car les immigrants étaient plus susceptibles de choisir des municipalités au sein desquelles les groupes immigrants formaient déjà une part importante de la population.

Les données à propos des municipalités choisies par les personnes ayant quitté la municipalité centrale permettent d'ailleurs de mieux saisir cette réalité (tableau A.6). Par exemple, dans la RMR de Toronto, 21 % des immigrants ayant quitté la municipalité de Toronto vers une municipalité avoisinante avaient choisi la municipalité de Brampton (comparativement à seulement 9 % des non-immigrants). Le même genre d'écart existait pour la municipalité de Markham, choisie par 19 % des immigrants lors de leur déménagement de la ville de Toronto, par rapport à 7 % des non-immigrants.

Tableau A.6 Destination des personnes de 25 à 44 ans ayant quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante, selon le pays de naissance et le statut d'immigrant, 2006 Tableau A.6 Destination des personnes de 25 à 44 ans ayant quitté la municipalité centrale en direction d'une municipalité avoisinante, selon le pays de naissance et le statut d'immigrant, 2006

À Vancouver, on constatait que les immigrants étaient proportionnellement plus nombreux à choisir les municipalités de Richmond et de Burnaby, deux des municipalités où la population immigrante est la plus fortement représentée au Canada.

Finalement, dans la région de Montréal, la municipalité de Laval était nettement plus populaire auprès des immigrants ayant déménagé de la ville de Montréal (le choix de 41 % d'entre eux) qu'elle ne l'était auprès des non-immigrants ayant eux aussi décidé de quitter la municipalité centrale (16 % ayant choisi de s'établir à Laval).

Bien que les nouveaux immigrants (ceux arrivés au Canada entre 2001 et 2006) ne fassent pas partie de la présente analyse, il faut noter qu'environ 7 nouveaux immigrants sur 10 choisissent de s'établir dans les RMR de Toronto, de Montréal et de Vancouver. En outre, une majorité d'entre eux s'établissent dans la municipalité centrale de ces RMR, et ce, malgré la popularité croissante des autres municipalités30. Ces nouveaux arrivants contribuent d'ailleurs grandement à maintenir positive la croissance démographique dans ces municipalités centrales.

Les couples sans enfants plus portés à migrer vers la municipalité centrale

Jusqu'ici, l'accent a été mis sur les caractéristiques des personnes qui étaient plus ou moins susceptibles de quitter la municipalité centrale vers une municipalité avoisinante. Mais qui sont ceux qui, plus rares, effectuent le trajet inverse, c'est-à-dire qui quittent les municipalités avoisinantes au profit de la municipalité centrale?

Dans les trois RMR à l'étude, entre 4 % et 5 % seulement des personnes qui demeuraient dans une municipalité avoisinante en 2001 vivaient dans la municipalité centrale en 2006 (tableaux A.1, A.2 et A.3). De façon générale, les personnes les moins portées à quitter leur municipalité vers la municipalité centrale étaient les personnes de 40 à 44 ans, celles qui étaient déjà parents en 2001 (et avaient donc des enfants de 5 ans ou plus en 2006) et celles qui travaillaient aussi dans une municipalité non centrale.

Les nouveaux parents qui vivaient dans une municipalité avoisinante en 2001 étaient eux aussi moins enclins que la moyenne à migrer dans la municipalité centrale. De ce fait, pour les municipalités centrales, les nombreux départs des nouveaux parents étaient loin d'être compensés par l'arrivée de parents venus des municipalités périphériques. Les ratios d'échange (dernières colonnes des tableaux A.1, A.2 et A.3) l'illustrent bien. Dans la région de Montréal, par exemple, pour chaque nouveau parent d'un deuxième enfant ou plus ayant quitté une municipalité périphérique pour s'établir dans la ville-centre, il y en avait 17 qui avaient quitté en direction des banlieues.

Ce sont les personnes hors famille (la plupart vivant seules), les personnes plus jeunes et les couples sans enfants qui se montraient les plus portés à déménager d'une municipalité périphérique vers la municipalité centrale. Après avoir quitté le domicile parental, mais avant de devenir parents, plusieurs choisissent d'habiter près du centre-ville afin de compléter des études ou de commencer un premier emploi; pour ces derniers, la ville peut constituer un lieu de transition31. Pour les célibataires, la vie dans les quartiers centraux peut être privilégiée pour toutes sortes de raisons, mais entre autres parce que cet environnement permet de faire des rencontres plus facilement et éventuellement de trouver un conjoint32. Aussi, les personnes vivant seules peuvent possiblement trouver plus facilement un type de logement qui convient à leur situation financière et à leur mode de vie dans les municipalités centrales, l'offre en logement locatif étant plus forte que dans la plupart des municipalités voisines (tableau A.4).

Dans les trois RMR, les personnes qui avaient les revenus les plus faibles (moins de 20 000 $) étaient plus susceptibles que les autres de déménager d'une municipalité avoisinante vers la municipalité centrale. À Montréal et à Vancouver, le nombre de personnes ayant des revenus inférieurs à 20 000 $ et étant venus s'installer dans la municipalité centrale en provenance d'une municipalité périphérique était même un peu supérieur au nombre de personnes ayant fait le trajet inverse (ratio d'échange inférieur à 1).

De façon plus générale, plusieurs autres raisons peuvent encourager des résidents des municipalités avoisinantes à déménager dans la municipalité centrale, par exemple, une réduction des distances de navettage ou un désir de changer de mode de vie. En effet, bon nombre de gens apprécient la vie urbaine et son offre culturelle, de même que la culture de rue qu'on y trouve dans certains quartiers, avec ses espaces publics, ses cafés et la grande diversité de sa population33. Ces éléments peuvent contribuer à attirer de nouveaux résidants mais peuvent aussi contribuer à retenir les personnes qui sont déjà établies dans les quartiers les plus cosmopolites de la municipalité centrale.

 

Profil de la population des municipalités centrales et des municipalités avoisinantes dans les régions métropolitaines de Montréal, de Toronto et de Vancouver

Il a été démontré à plusieurs reprises que la population des banlieues résidentielles nord-américaines n'avait jamais été véritablement aussi homogène qu'on a parfois tendance à le croire1. Cette homogénéité est encore moins grande depuis quelques décennies, puisqu'une importante diversification de cette population est en cours, et ce, autant des points de vue démographiques, économiques que culturels2. Le portrait stéréotypé des résidents des banlieues souvent mis de l'avant, soit celui de jeunes familles non immigrantes, appartenant à la classe moyenne et supérieure et formées d'un couple marié avec deux enfants, correspond de moins en moins adéquatement à la réalité. En dépit de cette diversification, certains clivages typiques persistent en ce qui a trait au profil démographique et socioéconomique de la population des municipalités centrales et de leurs municipalités avoisinantes.

Tout d'abord, dans les trois régions métropolitaines, la population des 0 à 19 ans est légèrement sous-représentée dans la municipalité centrale par rapport à son poids dans les municipalités avoisinantes. Par exemple, en 2006, 22 % des résidents de la municipalité de Toronto étaient âgés de moins de 20 ans, comparativement à 28 % dans les municipalités avoisinantes (résultats non montrés).

Chez le groupe des 25 à 44 ans, auquel on s'intéresse particulièrement, on constatait une présence moins importante des parents dans les municipalités centrales que dans leurs municipalités avoisinantes. Par exemple, à Toronto, 38 % des personnes de 25 à 44 ans vivaient en couple avec des enfants; la proportion correspondante était de 57 % dans les municipalités avoisinantes (tableau A.4). À l'opposé, les personnes vivant hors famille (soit seules ou en colocation, mais sans enfants) étaient proportionnellement plus nombreuses à habiter dans les municipalités centrales. Par exemple, en 2006, 29 % des personnes de 25 à 44 ans résidant dans la ville de Montréal vivaient seules ou en colocation, comparativement à seulement 13 % dans les municipalités avoisinantes.

Dans les trois régions métropolitaines, les personnes nées au Canada de parents également nés au Canada (les non-immigrants) étaient moins représentées dans la municipalité centrale que dans les municipalités avoisinantes. L'écart était particulièrement important dans la région de Montréal, où les non-immigrants représentaient moins de la moitié de la population de la municipalité centrale (45 %). En comparaison, les non-immigrants représentaient 74 % de la population des municipalités avoisinantes de Montréal. Les proportions correspondantes étaient de 29 % dans la municipalité centrale et de 34 % dans les municipalités avoisinantes de la RMR de Vancouver.

Les résidants des municipalités centrales étaient plus susceptibles d'avoir complété des études universitaires (mais ils étaient un peu moins portés à avoir complété des études collégiales et à peu près aussi susceptibles d'avoir terminé leurs études secondaires) (tableau A.4). Paradoxalement cependant, les résidents des municipalités centrales étaient plus susceptibles d'avoir un faible revenu après impôts que ceux des municipalités avoisinantes.

En ce qui a trait au logement, les résidents des municipalités centrales étaient beaucoup plus susceptibles d'être locataires, plus portés à habiter dans un immeuble à logements et avaient plus tendance à vivre dans un logement comptant deux chambres ou moins. Ils étaient finalement proportionnellement plus nombreux à travailler dans la municipalité centrale et étaient beaucoup plus susceptibles d'utiliser le transport en commun ou de marcher pour se rendre à leur lieu de travail (tableau A.4).


1. Par exemple, Jackson, K. T. (1985). Crabgrass Frontier: The Suburbanization of the United States. New York: Oxford University Press.
2. Smith, P. J. (2007). "Suburbs". Canadian Cities in Transition – Third Edition. Don Mills: Oxford University Press.
Katz, B., et Lang, R. E. (2003). Redefining urban and suburban America: evidence from the Census 2000. Washington: Brookings Institution Press.
Jackson, K. T. (1985). Crabgrass Frontier: The Suburbanization of the United States. New York: Oxford University Press.

Résumé

La migration des personnes et des familles des municipalités centrales vers les municipalités avoisinantes suscite beaucoup d'intérêt de la part des planificateurs urbains. Du point de vue des municipalités centrales, bien connaître les caractéristiques des personnes qui quittent vers les municipalités avoisinantes est important afin de mieux cibler les interventions visant à contrer leur départ. Du côté des municipalités avoisinantes, il est utile de connaître les caractéristiques des résidants afin de mieux planifier le genre d'infrastructures et de services qui répondront à leurs besoins.

À Toronto, Montréal et Vancouver, on a montré dans la présente étude, que parmi les personnes qui demeuraient dans une municipalité centrale en 2001, les personnes âgées de 25 à 44 ans étaient particulièrement portées à quitter vers une municipalité avoisinante. Dans les trois régions métropolitaines, c'est près de 1 personne sur 6 de ce groupe d'âge qui avait quitté la ville-centre en direction d'une municipalité avoisinante. L'inverse était beaucoup moins susceptible de se produire, la proportion de personnes ayant quitté une municipalité avoisinante vers une municipalité centrale n'ayant pas dépassé 5 % dans les trois régions métropolitaines étudiées.

La propension à quitter vers une municipalité avoisinante variait sensiblement selon les caractéristiques sociales et économiques des gens. Les plus sujets à partir étaient les nouveaux parents, ceux possédant un diplôme d'études collégiales ou d'une école de métiers et ceux ayant des revenus après impôts se situant entre 70 000 $ et 99 999 $. À Montréal, les non-immigrants étaient plus susceptibles que les immigrants de quitter la municipalité centrale, alors que c'était l'inverse à Toronto. À Montréal, plus de francophones que d'anglophones et d'allophones ont quitté la ville de Montréal pour l'une ou l'autre des municipalités avoisinantes.

Les personnes les plus enclines à venir s'établir dans une municipalité centrale étaient plus susceptibles d'être plus jeunes, de vivre seules ou d'avoir des colocataires ou d'avoir de faibles revenus.

Martin Turcotte et Mireille Vézina sont analystes à la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.


Notes

  1. Fortin, A., Després, C., et Vachon, G. (2002). La banlieue revisitée. Québec : Éditions Nota Bene.
  2. Statistique Canada. (2008a). Portrait de famille : continuité et changement dans les familles et les ménages du Canada en 2006, Recensement de 2006. No 97-553 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : ministre de l'Industrie.
  3. Ville de Montréal. (2007). Plan d'action famille 2008-2009. Parmi les stratégies adoptées pour retenir et attirer les familles, mentionnons certains avantages fiscaux qui peuvent être consentis aux jeunes couples lorsqu'ils deviennent propriétaires pour la première fois, la gratuité du transport collectif pour les enfants ou des mesures pour favoriser un sentiment de sécurité accru des résidents, en particulier des jeunes parents.
  4. Pour la ville de Vancouver, voir
    http://vancouver.ca/commsvcs/socialplanning/initiatives/childcare/ccgrants1.htm.
    Pour la ville de Toronto, voir http://www.toronto.ca/children/subsidy.htm.
  5. Dans  les autres grandes régions métropolitaines du pays, comme Ottawa-Gatineau, Calgary ou Edmonton, les municipalités périphériques sont beaucoup moins nombreuses et peuplées que dans les trois plus grandes RMR du pays. Conséquemment, la question des départs de la municipalité centrale vers les municipalités périphériques y est un peu moins pertinente.
  6. Il est à noter que cet article ne porte pas directement sur le thème de l'étalement urbain. En effet, les frontières entre la municipalité centrale et les municipalités avoisinantes ne permettent pas de mesurer adéquatement les différents éléments à prendre en compte dans les études portant sur l'étalement urbain (densité de population, mixité des usages, etc.)
  7. Dion, P., et Coulombe, S. (2008). Portrait de la mobilité des Canadiens en 2006 : trajectoires et caractéristiques des migrants. No 91-209 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : ministre de l'Industrie
  8. Société canadienne d'hypothèques et de logement. (2009). Rapport sur la rénovation et l'achat de logements.
    Myers, D., et Gearin, E. (2001). Current preferences and future demand for denser residential environments. Housing Policy Debate, 12(4), 633-659.
  9. Michielin, F., et Mulder, C. H. (2008). Family events and the residential mobility of couples. Environment and Planning A. 40, 2770-2790.
  10. Freitjen, P., et Mulder, C. H. (2002). The timing of household events and housing events in the Netherlands: A longitudinal perspective. Housing Studies, 76(5), 773-792.
  11. Karsten, L. (2007). Housing as a way of life: towards an understanding of middle-class families' preference for an urban residential location. Housing Studies, 22(1), 83-98.
    Mazanti, B. (2007). Choosing residence, community and neighbours – Theorizing families' motives for moving, Geographiska Annaler: Series B, human geography, 89(1), 53-68.
  12. Wagner, F. W., Joder, T. E., Mumphrey, A. J., Akundi, K. M., et Artibise, A. F. J. (2005). Revitalizing the city –Strategies to Contain Sprawl and Revive the Core. Armonk: ME Sharpe.
    Thorkild, A. (2006). Residential choice from a lifestyle perspective, Housing, Theory and Society, 23(2), 109-130.
  13. Par exemple, si on s'intéresse uniquement aux parents dont les revenus étaient de 50,000 $ ou plus, la proportion des parents seuls ou chefs de famille monoparentales qui ont quitté la municipalité centrale, dans la région de Montréal était de seulement 12 %. La proportion correspondante, pour les nouveaux parents d'un seul enfant était de 36 %. Des écarts similaires existaient dans les régions de Toronto et de Vancouver.
  14. Société canadienne d'hypothèques et de logement. (1996). Loger la famille nouvelle : réinventer le logement des familles. Le point en recherche, Série socio-économique, 23.
  15. Thiebout, C. (1956). A Pure Theory of Local Expenditures. Journal of Political Economy,64, 416-424.
  16. Wagner et al. (2005).
  17. Downs, A. 1997. The challenge of our declining big cities. Housing Policy Debate,8(2), 359-408.
  18. Les revenus familiaux peuvent varier sensiblement d'une année à l'autre. De ce fait, il faut demeurer prudent dans l'interprétation des données puisque le revenu de 2005 est utilisé comme facteur permettant de caractériser une plus ou moins forte propension à avoir migré entre 2001 et 2006. Cela étant dit, on peut être confiant de la validité des résultats puisque les relations observées aux tableaux A.1, A.2 et A.3 suivent des tendances identiques à celles que l'on obtient si on se concentre uniquement sur les migrations entre municipalités centrales et périphériques entre 2005 et 2006 (résultats non présentés).
  19. Par exemple, selon le Recensement de 2006, la valeur moyenne d'une maison individuelle, dans la ville de Toronto, était d'un peu plus de un demi-million de dollars (506 000 $). Dans la ville de Brampton, une municipalité située à l'ouest de Toronto et connaissant une forte croissance démographique (+ 33 % entre 2001 et 2006), la valeur moyenne pour ce type de logement était d'environ 375 000 $. Il existe certaines municipalités non centrales où la valeur moyenne des maisons individuelles est encore plus élevée que dans la municipalité centrale, par exemple, Richmond Hill, dans la région de Toronto, Westmount, dans la région de Montréal et West Vancouver, dans la région de Vancouver. De façon générale, cependant, les prix sont nettement inférieurs dans la périphérie que dans le centre.
  20. Glaeser, E, L., Kolko, J., et Saiz, A. (2001). Consumer City. Journal of Economic Geography1, 27-50.
  21. Shaienks, D., Gluszynski, T., et Bayard, J. (2008). Les études postsecondaires – participation et décrochage : différences entre l'université, le collège et les autres types d'établissements postsecondaires. No 81-595-M au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : ministre de l'Industrie.
  22. Dielman, F. M., et Evaraers, P. C. J. (1994). From renting to owning : life course and housing market circumstances. Housing Studies, 27(3), 11-25.
  23. Glaeser, E. L., et Gottlieb, J. D. (2006). Urban Resurgence and the Consumer City. Urban Studies, 43(8).
  24. Florida, R. (2005). Cities and the Creative Class. New York: Routledge.
  25. Storper, M., et Manville, M. (2006). Behaviour, preferences and cities: urban theory and urban resurgence. Urban Studies, 43(8), 1247-1274.
  26. Pour plus de détails, consulter Statistique Canada. (2007). Le portrait linguistique en évolution, Recensement de 2006. No 97-555 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : ministre de l'Industrie. Les réponses multiples sont réparties également entre les langues déclarées.
  27. Teixeira, C. (2007). Residential experiences and the culture of suburbanization: a case study of Portuguese homebuyers in Mississauga. Housing Studies, 22(4), 495-521.
  28. Haan, M. (2005). Les immigrants achètent-ils pour s'intégrer? : Le rôle du regroupement ethnique dans la propension à devenir propriétaire chez douze groupes d'immigrants à Toronto, 1996 à 2001. No 11F0019MIF au catalogue de Statistique Canada. Ottawa : ministre de l'Industrie.
  29. Statistique Canada. (2008). Immigration au Canada : un portrait de la population née à l'étranger, Recensement de 2006, No 97-557-XIF au catalogue. Ottawa : ministre de l'Industrie.
  30. Statistique Canada. (2008).
  31. Fréchette, L., Desmarais, D., Assogba, Y., et Paré, J.-L.(2004). « L'intégration des jeunes à la ville : une dynamique de repérage spatial et social », chapitre 2, p. 81 à 105 dans La migration des jeunes. Aux frontières de l'espace et du temps, publié sour la direction de P. Leblanc et M. Molgat.
  32. Glaeser et al. (2001).
  33. Zukin, S. (1998). Urban lifestyles : Diversity and standardisation in spaces of consumption. Urban Studies, 35(5), 825-839. 
    Glaeser et al. (2001);
    Karsten, L. (2007).