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Section 3 : Étude spéciale

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Les répercussions des récessions aux États-Unis sur le Canada

par Philip Cross 1 

Les États-Unis sont officiellement entrés en récession en décembre 2007 et la contraction observée a pris l’allure d’une récession profonde à l’automne de 2008. Nous allons regarder dans cette étude quelques-unes des grandes conséquences qu’ont eues les récessions passées aux États-Unis sur le Canada et certains des facteurs qui distinguent une forte contraction de l’économie de ses versions plus légères au Canada.

Les récessions aux États-Unis ont eu des incidences très variées au Canada. Les fortes contractions américaines de 1974-1975 et de 1981-1982 ont respectivement provoqué au Canada une récession légère et une récession profonde. Les faibles contractions de l’économie américaine en 1990-1991 et 2001 ont eu pour conséquence au Canada une profonde récession dans le premier cas et une absence de récession dans le second.

Notre propos sera de considérer certaines des raisons expliquant ces résultats différents. Nous allons évoquer à cette fin des études antérieures qui définissent la récession, le comportement des divers secteurs de l’économie en période de contraction et les relations entre le PIB et le marché du travail lorsqu’il y a récession. Il s’agit de donner un aperçu comparatif des récessions au Canada et aux États-Unis et d’écarter la notion selon laquelle l’évolution de l’économie américaine dicte à elle seule le sort de notre propre économie (c’est le mythe selon lequel le Canada attrape inévitablement un rhume lorsque l’économie américaine éternue). Il n’est cependant pas question d’étudier exhaustivement les liens entre les deux économies en période de contraction.

Comme le gros de notre analyse porte sur le comportement du PIB réel en cas de récession 2  , il convient de rappeler que ni Statistique Canada, ni le NBER, qui a été l’arbitre des récessions américaines depuis les années 1920 alors que Statistique Canada occupe ce rôle au Canada depuis 1981, se reportent exclusivement au PIB pour fixer les dates des récessions qui se produisent. Les deux organismes font expressément fi de la règle selon laquelle on conclut à une récession par deux reculs trimestriels consécutifs du PIB 3  . En 2001 comme en 2008 par exemple, le NBER a annoncé une récession sans qu’il y ait eu deux baisses trimestrielles consécutives du PIB, tout comme l’avait fait Statistique Canada en 1975 4  . En effet, le NBER a rapporté qu’un début de récession, à la fin de 2007, était présent dans tous les indicateurs, sauf pour le PIB réel dont on a dit qu’il était « ambigu » à peu près au moment où la contraction a commencé.

À Statistique Canada et au NBER, on s’attache à des variables autres que celle du PIB, notamment à celle de l’indicateur de l’emploi. Le NBER souligne qu’ « il n’existe pas de loi fixe en ce qui a trait aux autres mesures possibles pouvant faire apport d’information dans l’évaluation des dates du cycle économique » 5  . Le fait fondamental est que, comme nous l’avions dit en 1996, « les récessions sont un processus, et non un événement » (tout comme les baisses trimestrielles consécutives du PIB) 6  . Comme l’ont remarqué des chercheurs à l’Economic Cycle Research Institute en parlant de certains aspects de ce processus : « c’est le co-mouvement de ces variables (production, emploi, ventes et revenu) qui génère le cycle. Selon les circonstances, si les consommateurs réduisent leurs dépenses, les entreprises réagissent en produisant moins et en sabrant l’emploi, ce qui a pour effet de réduire le revenu personnel. C’est pour cette raison que, durant une récession, toutes ces mesures de l’activité baissent simultanément, se propageant et se répandant comme un feu incontrôlé » 7  . Un autre aspect important est celui de la diffusion des pertes dans l’économie.

Inévitablement, il faut user de jugement au moment de statuer sur les causes profondes de toute contraction de l’activité économique. Les cycles représentent une évolution de l’activité économique qui se perpétue elle-même. Ainsi, on ne se trouve pas à respecter ce critère si on observe successivement deux baisses trimestrielles du PIB, l’une causée par les intempéries et l’autre, par un conflit de travail. Le premier semestre de 2008 au Canada illustre bien une situation où la production a souffert davantage d’une insuffisance de l’offre que d’une contraction de la demande. Il peut y avoir insuffisance de l’offre en cas de précipitations records de neige, d’institution d’un nouveau jour férié en Ontario (qui ont eu pour effet de faire diminuer le PIB au premier trimestre) ou d’importantes relâches pour travaux d’entretien qui, dans le secteur pétrolier, ont amorti la croissance au deuxième trimestre.

Enfin, la contribution de Statistique Canada à la recherche sur les cycles conjoncturels a été d’assigner des dates aux périodes d’expansion et de récession. Ce document n’aborde pas la question de savoir si le Canada est présentement en période de récession, puisqu’il est encore trop tôt pour déterminer si le retournement sera assez prolongé pour le qualifier de récession, ni quand elle a exactement débuté. Ces questions seront abordées lorsque les données justifieront l’établissement définitif d’une date. Notre étude se concentre plutôt sur les conséquences qu’ont eues les récessions passées aux États-Unis sur la croissance au Canada.

Récessions profondes aux États-Unis

Les États-Unis ont vu leur économie se contracter profondément tant en 1974-1975 qu’en 1981-1982. Dans les années 1970, la contraction a été un peu plus forte en réalité, mais moins longue. Le PIB réel a perdu 3,1 % de crête à creux en 1974; c’est un peu plus que son recul de 2,9 % dans les premières années de la décennie 1980.

La récession de 1974 aux États-Unis a débuté par un léger recul de l’économie, mais la production et l’emploi ont chuté précipitamment durant la deuxième moitié de 1974. La soudaine détérioration de l’économie après septembre 1974, « lorsqu’il semblait que l’économie était sur le point de connaître une grande dépression : comme si le ciel allait nous tomber sur la tête », s’explique selon Minsky par l’insolvabilité de la Franklin National Bank le 8 octobre 1974 8  . Il y a là une certaine ressemblance avec les répercussions de la faillite de Lehman Brothers survenue en septembre 2008. La récession américaine du milieu de la décennie 1970 a eu pour épicentre le marché de l’habitation et l’industrie de l’automobile. On continue à se demander si ce phénomène était uniquement dû au renchérissement de l’essence et à la montée des taux d’intérêt ou aussi à l’embargo pétrolier des pays arabes 9  . L’important pour le Canada est que ses exportations ont chuté de plus de 12 % en situation de tarissement des principaux débouchés s’offrant à notre bois d’oeuvre et à nos automobiles (qui représentaient alors près du tiers de la masse des exportations comparativement à 13 % seulement en 2008) 10  . Il s’agit là de l’effet de loin le plus considérable d’une récession américaine sur les exportations canadiennes depuis la Seconde Guerre mondiale. Les répercussions ont été plus du double de l’effet de décroissance des exportations en 1981-1982. La chute prolongée des exportations canadiennes dans la deuxième année de récession, en 1975, s’était concentrée dans les produits forestiers. Le marasme persistant de l’immobilier aux États-Unis reflétait en partie le phénomène de la « bulle spéculative classique » qui avait pris son origine dans l’industrie du Real Estate Investment Trust (REIT), laquelle avait financé la construction d’immeubles à logements, de logements en copropriété et d’immeubles commerciaux 11  .

Malgré les importantes conséquences de la récession américaine sur nos exportations en 1974-1975, l’économie canadienne en est sortie relativement indemne. Le PIB réel n’a connu qu’un trimestre de légère contraction. En revanche, la récession de 1981-1982 a été bien plus profonde au Canada et le PIB réel s’est enfoncé de 4,9 %.

Au Canada, la contraction légère de 1975 et sa forme aggravée en 1981-1982 s’expliquent par l’évolution des dépenses intérieures, et non par les exportations. En 1981-1982, la demande intérieure a fléchi de 5 % en volume, surtout en raison de fortes baisses dans les investissements des entreprises et dans les dépenses d’habitation et de consommation. À l’inverse, la demande intérieure a monté de près de 3 % dans l’année qui a suivi le début de la récession américaine en 1974. Il existe néanmoins nombre de facteurs qui lient notre économie à l’économie américaine en dehors des exportations directes. Mentionnons entre autres les facteurs des marchés financiers et de la confiance qui semblent être tout particulièrement le fait de la conjoncture qui est actuellement la nôtre.

Récessions légères aux États-Unis

Les États-Unis ont connu des récessions légères en 1990-1991 et 2001. La première a débuté lorsque les prix des hydrocarbures ont monté en flèche à la suite de l’invasion irakienne du Koweït et à une époque où les tensions inflationnistes étaient déjà vives. D’aucuns incriminent aussi la crise de l’épargne et du crédit, mais cela n’explique en rien le moment précis où a eu lieu la récession aux États-Unis, ni les répercussions plus graves subies par le Canada 12  . Il y a eu contraction en 2001 après l’éclatement de la bulle des technologies de l’information et des communications (TIC) tant en bourse que dans les investissements des entreprises (dans ce dernier cas, une explication partielle est que les entreprises avaient remis leurs systèmes informatiques à niveau dans bien des cas devant les éventuels problèmes de conversion au début du nouveau millénaire).

L’une et l’autre de ces récessions ont été relativement légères aux États-Unis, durant environ un an et accusant respectivement des variations à la baisse crête à creux du PIB de 1,3 % et de 0,4 % en 1990 et 2001 respectivement. La réaction de l’économie canadienne a été nettement différente. La récession qui a débuté en 1990 a été plus prononcée : le PIB réel a perdu 3,4 % au début de 1991, et l’emploi a constamment évolué en baisse jusqu’en 1992. Par ailleurs, il n’y a pas eu de récession à proprement parler au Canada en 2001 malgré les pertes cuisantes essuyées par certaines industries de premier plan du domaine des TIC (ainsi, les fabricants de TIC ont sabré leur production presque de moitié, bien que les services de TIC aient été en croissance soutenue). En effet, même à son creux le plus bas à la fin de 2001, la baisse annuelle de 10,5 % dans la production manufacturière a été comparable à celle de 11,8 % au sommet de la contraction de 1991. Toutefois, la faiblesse a été largement le fait du secteur de la fabrication en 2001, ce qui explique pourquoi l’économie globale a évité une récession. Comme les exportations de TIC ont diminué, la masse des exportations canadiennes a été amputée de 5 % en 2001, contraction caractéristique des exportations en période de récession américaine.

Là encore, la réaction différente de l’économie du Canada à ces contractions légères de l’économie américaine traduit les tendances de la demande intérieure. Au début de 1990, l’inflation était plus enracinée au Canada qu’aux États-Unis et, par conséquent, les taux d’intérêt y étaient déjà bien supérieurs en début d’année. Ces mêmes taux ont progressivement évolué vers le bas aux États-Unis en 1990, mais se sont élevés au Canada même en situation de ralentissement économique, en partie parce qu’on craignait que l’institution de la TPS (qui a reporté le fardeau fiscal des exportations et des biens d’équipement sur les biens et services de consommation) ne pousse les demandes salariales en hausse.

L’avènement de la TPS le 1er janvier 1991 au paroxysme de la guerre du Golfe a concouru à une contraction de 2,3 % des dépenses de consommation au premier trimestre de 1991. On avait là le recul trimestriel le plus marqué qui ait été observé depuis 1947. La perspective d’un allégement de l’impôt sur les biens d’équipement devait aussi inciter les entreprises à remettre au début de 1991 les achats prévus en 1990. Cela devait faire cesser pour un temps le dérapage général des investissements des entreprises. Il reste que, pour toute la période allant de 1990 à 1992, les investissements des entreprises ont diminué de près de 10 %, accusant une de leurs pires baisses en période de récession.

Le Canada a échappé à la récession en 2001 en partie parce que le secteur des TIC était d’une moindre importance relative dans notre économie que dans l’économie américaine. L’investissement des entreprises en équipement et en logiciels a atteint un record de 9,4 % du PIB aux États-Unis en 2000 (avant de reculer à 7 %) par comparaison à un sommet de 8,1 % au Canada (d’où il s’est vu retomber juste au-dessous de 7 %). La production et l’investissement en TIC ont eu beau fortement se contracter dans les deux pays, l’effet a été moindre sur le PIB global du Canada. Ajoutons que les ménages américains ont vu leurs avoirs fondre beaucoup plus en 2001. C’est que les valeurs boursières logent plus à l’enseigne du revenu des ménages aux États-Unis qu’au Canada. En 2001, les dépenses des ménages en articles chers et les investissements des entreprises ont crû sans cesse sauf pour une brève interruption causée par les attentats terroristes du 11 septembre.

Dépenses intérieures en période de récession

Comme la demande intérieure est un important facteur qui vient déterminer si le Canada connaîtra une récession légère ou profonde (ou encore aucune), il est bon de regarder certaines des composantes de cette demande. Avec une classification présentée dans notre étude de 2001 sur les cycles économiques qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale 13  , les figures 7 et 8 montrent que les dépenses de consommation résistent remarquablement bien dans les récessions légères tout comme dans les autres récessions sauf dans les récessions les plus profondes. En fait, les dépenses de consommation ont constamment progressé dans toutes les récessions légères sauf en 1951 (à cause du rationnement décrété au début de la guerre de Corée). Ces dépenses ont même augmenté dans une majorité de récessions profondes (3 sur 5). Les deux seules exceptions sont la récession de 1981-1982, où les taux d’intérêt ont monté en flèche pour franchir la barre des 20 %, et celle de 1990-1991, où l’institution de la TPS et la guerre du Golfe ont provoqué une vive contraction des dépenses à l’hiver de 1991 (ces phénomènes mis à part, la demande de consommation n’aura guère changé pendant cette récession). Le marché de l’habitation est toujours plus sensible aux contractions de l’économie : il faiblit même dans les récessions légères, mais il se rétablit vite aussi.

Les investissements des entreprises sont normalement une des composantes qui détermine avant tout la gravité des récessions au Canada. L’investissement a été en croissance lente mais soutenue dans presque toutes les récessions légères qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale (figure 9). Les investissements des entreprises en installations et en outillage ont diminué de près de 10 % ou de plus encore dans les récessions plus profondes de 1954, 1957, 1981-1982 et 1990-1991 (bien que la dernière de ces périodes ait été interrompue par une flambée des dépenses d’investissement, les entreprises ayant reporté les acquisitions prévues en 1990 pour tirer parti de la baisse des prix des biens d’équipement amenée par l’institution de la TPS après le 1er janvier 1991).

Le rôle clé que jouent les investissements des entreprises en vue d’établir la gravité d’une récession est attribuable à un certain nombre de facteurs. La décision d’investissement d’une entreprise est bien plus complexe que la décision que prend un ménage d’acheter une maison ou une voiture, car on se doit d’évaluer dans le premier cas l’état et l’évolution future de la demande, les stocks, l’offre de crédit, les prix et les bénéfices. Une fois adoptées, les décisions d’investissement sont plus difficiles à annuler.

Ce n’est pas dire que la demande intérieure n’est pas touchée par les événements qui se produisent en dehors du Canada. Les entreprises canadiennes mobilisent une grande partie de leurs capitaux sur les marchés financiers américains, qui sont plus profonds et plus liquides 14  . Au Canada, les investissements des entreprises sont fortement influencés par les cours des produits de base qui s’établissent sur les marchés internationaux. Cette constatation vaut particulièrement pour le cycle en cours, puisque l’énergie et l’extraction minière ont fini par représenter près de la moitié de toutes les dépenses d’investissement dans la période récente d’expansion. Les dépenses des fabricants sont aussi toujours très sensibles à la demande à l’exportation. Les dépenses en investissements dans les secteurs de l’énergie et de la fabrication (les secteurs les plus exposés à la demande à l’exportation) ont représenté ensemble plus de la moitié des investissements en 2008, et expliquent presque à eux seuls la baisse dans les projets d’investissement des entreprises pour 2009. Par ailleurs, les licenciements qui ont eu lieu dans le secteur des ressources et dans le secteur de la fabrication pourraient être de nature à nuire aux dépenses de consommation. La crise financière internationale en 2008 révèle l’interdépendance croissante qui marque l’économie moderne; par exemple, déjà vers la fin de 2008, des ménages canadiens gagnés par la nervosité avaient largement freiné leurs achats de maisons et d’automobiles.

Cycle en cours

Chaque cycle économique présente ses particularités. L’une des différences les plus nettes entre le cycle en cours et les deux précédents au Canada réside dans l’évolution des taux d’intérêt. Tant en 1981-1982 qu’en 1990-1991, ces taux se situaient bien avant dans la tranche des dizaines au moment où l’économie fléchissait. Qui plus est, les taux d’intérêt à court terme devaient encore augmenter même au moment où l’économie commençait à se contracter (au printemps de 1982, ils devaient réévoluer en hausse pour ensuite interrompre les premiers signes de reprise aux États-Unis) 15  .

Le contraste avec la situation en 2007-2008 est frappant. Au Canada, le taux de base a été d’environ 6 % pendant le plus clair de 2007, soit deux points de pourcentage de moins que le taux américain. C’est l’inverse de ce qui s’était produit dans les deux cycles de récession qui avaient précédé. Lorsqu’a éclaté la crise internationale du crédit en août 2007, les taux d’intérêt gouvernementaux ont fortement diminué tant au Canada qu’aux États-Unis et le taux directeur est tombé à 4 % dans les deux pays après l’intensification de cette crise en septembre 2008 à la suite du dépôt de bilan de Lehman Brothers.

Toutefois, les banques centrales n’ont pas haussé leurs taux d’intérêt dans la présente période de ralentissement, mais l’agitation des marchés du crédit n’en a pas moins été synonyme de larges majorations des taux pour un grand nombre d’emprunteurs. La situation américaine en témoigne éloquemment. La figure 11 compare le taux des fonds fédéraux fixé par la Réserve fédérale américaine au LIBOR (London Interbank Offered Rate) à trois mois en dollars américains. Cela nous dit en gros ce que la Réserve fédérale voulait comme taux d’intérêt et ce que plusieurs emprunteurs ont eu en réalité à payer. En temps normal, les deux taux sont très proches l’un de l’autre. Un écart est apparu en août 2007 lorsque l’éclatement de la crise du crédit (avec l’interruption des remboursements dans trois fonds d’investissement de BNP Paribas) a fait monter le LIBOR, ce à quoi la Réserve fédérale a opposé des réductions de son propre taux. Les deux taux étaient en réalignement en mars 2008 quand l’effondrement de la banque d’investissement Bear Stearns a gardé le LIBOR à un niveau élevé même au moment où la Réserve fédérale abaissait son taux à nouveau.

Signalons enfin que la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a fait monter le LIBOR en flèche malgré des baisses considérables du taux des fonds fédéraux. La majoration du premier s’est accompagnée d’augmentations encore plus abruptes des autres taux payés par les emprunteurs (dans le cas extrême des obligations de classe C ou obligations de pacotille, les taux ont atteint les 30 %) ou d’un gel complet des marchés comme pour les effets de commerce à 90 jours 16  . Le résultat net a été un sérieux resserrement des conditions sur le marché du crédit, et ce, au creux d’une récession qui avait débuté aux États-Unis neuf mois auparavant.

Une autre particularité potentiellement importante dans le cycle en cours est la chute prononcée des termes de l’échange (le ratio des prix à l’importation et ceux à l’exportation) depuis leur niveau record atteint en juin. Déjà, les termes de l’échange se sont contractés de 11 % jusqu’en décembre, alors que les prix des produits de base continuaient de fléchir jusqu’à la fin de l’année. Lors des récessions qui ont débuté en 1974, 1981 et 1990, les termes de l’échange étaient relativement stables, affichant un recul moyen de 4,9 %, 3,8 % et 3,7 % respectivement. Cela indique que les termes de l’échange joueront un rôle plus important dans le retournement actuel, comme on a pu déjà le constater dans les projets d’investissement pour 2009.

PIB et marché du travail en période de récession

Certains lecteurs pourraient s’étonner des maux économiques subis lors d’une récession même légère. Après tout, une faible diminution de la production de moins de 1 % ne semble pas si grave. Mais, le plus grand coût des récessions légères se présente sous la forme non d’un recul effectif du PIB, mais d’une perte d’éventuels gains de production. Au lieu de progresser de 3 % (ce qui est le gain effectif moyen de la production réelle de 2003 à 2007), l’absence de croissance a représenté 49 milliards de dollars de pertes de revenu en 2008. En comparaison, la différence entre une croissance nulle et une baisse de 0,5 % équivaut à 8,2 milliards de dollars seulement 17  . De ce point de vue, si on continue à se demander si l’économie canadienne était en récession au premier semestre de 2008, on oublie le point le plus fondamental, à savoir que la croissance a ralenti, étant passée d’un taux de 3 % à un taux presque nul. Bien sûr, une récession profonde, où le PIB recule de 3 % (ou plus), entraîne une contraction réelle de plus de 49 milliards de dollars du niveau actuel du PIB, en plus des 49 milliards de dollars de production potentielle à laquelle on a renoncé.

La plupart des coûts associés à une récession légère sont engagés en raison du ralentissement de la croissance plutôt que de la franche contraction de l’économie, ce qui se reflète dans les emplois et le taux de chômage. Avec un taux d’accroissement de moins de 1 %, l’emploi ne croît plus assez pour se tenir à la hauteur de la progression normale de la population active, d’où une montée du chômage. La figure 12 révèle que les récessions s’accompagnent invariablement de hausses marquées du taux de chômage, habituellement de plus d’un point de pourcentage. En fait, l’avènement d’une récession se constate plus facilement dans les graphiques du taux de chômage que dans les courbes du PIB réel. Précisons cependant que le taux de chômage a tendance à retarder sur l’évolution du cycle économique en début de reprise. Si l’emploi et le chômage réagissent rapidement à une contraction du PIB, le premier de ces indicateurs marque seulement un léger retard lorsqu’on revient à l’expansion. Par contre, le redressement du taux de chômage est décalé par l’arrivée de gens sur le marché du travail à la recherche d’un emploi au moment où s’amorce la reprise. C’est pourquoi tant Statistique Canada que le NBER regardent l’emploi, et non le chômage, lorsqu’ils fixent les dates des récessions.

En période de récession profonde, la progression d’une année à l’autre du taux de chômage a été de 5 points de pourcentage en 1982 au Canada et moins de la moitié au cours de la même année aux États-Unis, et en 1991 au Canada. Dans les récessions plus légères, elle a été de 1 à 2 points de pourcentage (comme en 1980 et en 2001 aux États-Unis). Que le taux de chômage ait fortement monté de plus de 3 points jusqu’au début de 2009 aux États-Unis est typique d’une récession profonde.

La corrélation étroite entre l’emploi et les récessions dans les cycles économiques récents est aussi étayée dans des études récentes selon lesquelles les récessions agissent autant sur l’emploi que sur la production. Le président du comité du NBER qui date les récessions aux États-Unis, Robert Hall 18  , s’exprime ainsi : « Un des traits marquants de la récession moderne est que la productivité ne diminue pas comme elle l’a fait dans les récessions antérieures [traduction] 19  . » L’idée que les employeurs se constituent une réserve de travailleurs en période de contraction ne semble plus se vérifier 20  . Cette constatation a conforté Statistique Canada dans la décision prise en 1996 de regarder à la fois le PIB et l’emploi au moment de dater les récessions.

Conclusion

Les récessions qui ont eu lieu au Canada et aux États-Unis sont souvent, mais pas toujours, très synchronisées. De plus, il y a un grand écart d’ordre de grandeur entre les contractions, puisque la gravité d’une récession au Canada est habituellement déterminée par l’évolution de la demande intérieure et non par les exportations. Bien sûr, les dépenses intérieures subissent l’influence des tendances internationales, plus particulièrement l’impact des prix des produits de base sur les investissements des entreprises. La baisse sans précédent de nos termes de l’échange à la fin de 2008 suggère que la récession mondiale jouera un rôle déterminant dans les dépenses intérieures.

Chaque cycle économique présente ses particularités. La contraction actuelle de l’économie américaine offre déjà plusieurs traits remarquables, en particulier l’importance du choc sur le système financier mondial, ainsi que la rapidité et l’étendue de ses répercussions qui ont étés ressenties dans toute l’économie mondiale. Une autre caractéristique est le relâchement marqué de la politique monétaire dès le tout début de la crise du crédit. En ce qui concerne le Canada, on y a déjà noté la chute la plus prononcée des termes de l’échange à avoir jamais été enregistrée, alors que les prix des produits de base ont changé de cap. Il y a ensuite la réaction très rapide des entreprises aux États-Unis qui ont éliminé des emplois dès le début de la récession, même avant que le PIB ne commence à se contracter réellement. Au Canada, l’emploi s’est mis à baisser presque toute une année après l’avoir fait aux États-Unis. Il reste à voir si les voies des deux économies continueront à converger en 2009.

Dates mensuelles des récessions au Canada et aux États-Unis

Canada

Septembre 1947 à mars 1948

Février 1949 à juillet 1949

Juin 1951 à décembre 1951

Avril 1953 à avril 1954

Avril 1957 à janvier 1958

Février 1960 à mars 1961

Mars 1970 à juin 1970

Janvier 1975 à mars 1975

Février 1980 à juin 1980

Juillet 1981 à octobre 1982

Avril 1990 à avril 1992

États-Unis

Février 1945 à octobre 1945

Novembre 1948 à octobre 1949

Juillet 1953 à mai 1954

Août 1957 à avril 1958

Avril 1960 à février 1961

Décembre 1969 à novembre 1970

Novembre 1973 à mars 1975

Janvier 1980 à juillet 1980

Juillet 1981 à novembre 1982

Juillet 1990 à mars 1991

Mars 2001 à novembre 2001

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