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Section 3 : Étude spéciale

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Changements cycliques dans la production et l'emploi

par Philip Cross

Une question qui revient sans cesse lors des contractions économiques est celle des relations entre la production et l’emploi. Les changements dans l’emploi accusent-ils du retard par rapport à la croissance de la production? Est-ce que les employeurs réduisent la production plus rapidement que les emplois durant les récessions? Et ces relations entre la production et l’emploi ont-elles changé au fil du temps? Nous tentons dans cette étude de répondre à ces questions en comparant les données mensuelles et trimestrielles du PIB et de l’emploi (à partir de l’Enquête sur la population active). Nous y comparons également les résultats canadiens avec ceux des États-Unis.

Quand on compare d’une année à l’autre la croissance mensuelle du PIB réel et de l’emploi depuis 1982, deux orientations ressortent, la plupart du temps en tandem (les données mensuelles sur le PIB en dollars constants commencent en 1981). Plus particulièrement, les points de renversement de la croissance de la production et de l’emploi semblent avoir été presque identiques pendant les trois dernières décennies.

Graphique 3.1

Points de renversement

Le graphique de la variation d’une année à l’autre de la production et de l’emploi présentent une vue d’ensemble du lien entre eux. Cependant, pour faire un examen détaillé du moment exact des points de renversement, il faut scruter à la loupe les données mensuelles et trimestrielles réelles (tout comme les dates des creux et des pics de l’économie ne peuvent être déterminées avec exactitude par un simple regard sur la variation d’une année à l’autre du PIB ou de l’emploi).

Depuis 1976, nous avons assisté à deux cycles complets lorsque le PIB et l’emploi se sont contractés en chiffres absolus 1 . Les points de renversement trimestriels de la production et de l’emploi ont été proches l’un de l’autre lors des récessions de 1981-1982 et de 1990-1991 (voir les figures 2a et 2b). La baisse initiale du PIB au troisième trimestre de 1981 n’a donné lieu à aucun changement de l’emploi, tandis que la diminution de production de 0,3 % au deuxième trimestre de 1990 a ralenti la croissance de l’emploi à 0,1 %. Il semble donc que l’emploi prend un léger retard par rapport à la production au début d’une récession. Par la suite, la production et l’emploi ont connu tous deux des replis dans chacun des trimestres de ces périodes récessionnaires avant de remonter ensemble (au premier trimestre de 1983 et au deuxième trimestre de 1991).

Même si les points de renversement ont été presque identiques, les premières contractions du PIB réel ont été plus prononcées que pour l’emploi. Dans les deux premiers trimestres de la récession de 1981, le PIB réel a chuté de 1,2 %, deux fois plus que la diminution de 0,6 % de l’emploi pendant la même période. De plus, dans les deux premiers trimestres du ralentissement de 1990, le PIB réel a régressé de 0,8 % alors que l’emploi ne perdait que 0,1 %. Cependant, l’emploi a accusé une diminution presque aussi rapide, voire plus rapide, que la production pour la durée de ces récessions. La même tendance semble se produire aujourd’hui, avec une chute plus vive du PIB que de l’emploi à la fin de 2008, mais la perte d’emplois a correspondu à la diminution de la production au début de 2009.

Le tableau 1 compare les points de renversement mensuels du PIB et de l’emploi. En moyenne, les points de renversement de la production et de l’emploi se sont produits à un mois l’un de l’autre pendant les récessions de 1981-1982 et 1990-1991.

Le comportement de l’emploi au début des années 1990 n’aide pas à trouver son point de dépression. Après avoir connu une baisse constante dans la seconde moitié des années 1990 et au premier trimestre de 1991, l’emploi a monté de 0,2 % au deuxième trimestre de 1991 et s’est accroché à ce gain au troisième trimestre. Une faible reprise du PIB réel est associée à cette hausse. Cependant, dès le début de 1992, la croissance du PIB a stagné et a été suivie de gains anémiques de 0,2 % et 0,4 % au deuxième et au troisième trimestres. De si faibles augmentations du PIB ne pourraient donner lieu à des gains de l’emploi même avec une croissance modeste de la productivité, si bien que l’emploi a accusé une diminution lente, mais régulière entre le quatrième trimestre de 1991 et le troisième trimestre de 1992 (elle est survenue presque entièrement en Ontario). Cela pourrait apparaître comme un retard, mais la faiblesse de l’emploi qui est revenue à la fin de 1991 représentait une diminution de la croissance du PIB à ce moment-là et non une réaction tardive à la baisse du PIB au début de 1991. Cela se vérifie par l’augmentation des emplois pendant près de six mois après le creux atteint par le PIB en mars 1991 (figure 3).

La croissance relative du PIB et de l’emploi

La figure 4 compare la variation d’une année à l’autre du PIB trimestriel à partir des comptes des revenus et dépenses 2  et celle de l’emploi depuis 1977 (l’Enquête actuelle sur la population active a commencé en 1976). Comme on s’attend à ce que les données trimestrielles soient plus lisses que les données mensuelles, la relation sous-jacente entre les deux est plus apparente.

Tant pendant les périodes de récession que de ralentissement, la croissance de l’emploi a suivi de très près celle du PIB. Une séparation entre la croissance de la production et de l’emploi se produit surtout lorsque la croissance du PIB est égale ou supérieure à 3 %, c’est-à-dire lorsque les gains de productivité sont les plus faciles à obtenir. Les seules périodes où la croissance de l’emploi a dépassé celle de la production ont été lors du ralentissement de 1980 et de la première étape du fléchissement de 2008. Ces deux épisodes faisaient suite à une longue pénurie de main-d’oeuvre dans quelques régions du pays, qui a pu amener des employeurs à garder des effectifs plus longtemps en réserve, jusqu’à ce que la gravité du ralentissement devienne manifeste.

Le schéma régional de la croissance de l’emploi appuie l’idée que les pénuries de main-d’oeuvre ont fait hésiter les employeurs à mettre à pied des travailleurs pendant ces deux cycles. La réaction plus lente de l’emploi au Canada à la suite de l’affaiblissement de l’économie en 2008 est en grande partie survenue dans l’Ouest canadien. Dans le Centre du Canada, l’emploi a atteint un sommet au deuxième trimestre avant de lentement diminuer. Dans l’Ouest canadien, les emplois se sont accrus de 0,8 % et de 0,5 % pendant les deux premiers trimestres de 2008. Toutefois, la croissance a stagné au second semestre après le recul du prix des produits de base. Dès le premier trimestre de 2009, les emplois dans l’Ouest ont disparu presque aussi rapidement que ceux dans le Centre du Canada, où le taux de perte a atteint 1,5 %. Le ralentissement de 1980 a aussi coïncidé à une hausse du prix des produits de base et à des pénuries dans l’Ouest canadien.

La croissance étroite de la production et de l’emploi lors des diminutions cycliques pourrait surprendre quelques analystes. Pour une génération d’économistes, il était largement admis que les entreprises ont gardé des effectifs en réserve pendant les périodes de récession. 3  Autrement dit, les entreprises ne semblaient pas avoir sabré autant l’emploi que la production (que ces réductions aient succédé ou non à la production). Cette théorie se fondait sur les coûts de congédiement (comme l’indemnité de départ) et les coûts d’embauche et de formation de travailleurs dans la reprise qui suivrait. Une variante de cette théorie voulait qu’il y ait un moment optimal pour les entreprises de mettre en réserve avec profit les travailleurs, après lequel on les laisserait aller 4 .

Quand on compare la production et l’emploi à la figure 4, on remarque plutôt que, depuis 1977, les entreprises au Canada ne semblent pas avoir gardé d’effectifs en réserve pendant les récessions, pas même durant les légers ralentissements, ce qui correspond aux autres mesures que prennent les entreprises qui réussissent mieux à diminuer leurs coûts, comme en fait foi la diminution de longue date du ratio des stocks aux ventes qu’elles présentent depuis quelques décennies.

Le PIB et l’emploi aux États-Unis

La croissance de la production et de l’emploi aux États-Unis est révélatrice (figure 5). Les variations de la croissance de l’emploi non agricole aux États-Unis accusent manifestement un retard par rapport à la production. De plus, le retard des changements trimestriels accusés entre la production et l’emploi aux États-Unis a crû au fil du temps, étant passé de 1 trimestre avant 1973 à 4,1 trimestres depuis lors.

En fait, au cours des deux cycles précédents en 1991 et 2001, les emplois n’ont pas commencé à regagner le terrain perdu avant l’année ayant suivi la remontée du PIB, bien qu’ils aient commencé à fléchir juste après que le PIB ait diminué (figures 6a et 6b). Ici encore, l’expérience des États-Unis est différente de celle du Canada qui, eux, présentent peu ou aucun retard. L’écart plus important dans les données des États-Unis, qui est largement étudié, pourrait expliquer pourquoi certains analystes persistent à croire à l’existence d’un retard important au Canada.

Tout comme elles ont constitué une réserve de main-d'oeuvre, depuis le marasme survenu aux États-Unis en 1982, les entreprises ont davantage sabré les emplois que la production pendant les récessions et au cours des premières étapes de la reprise. Pour 1991, 2001 et 2008, l’écart entre les pertes de production et d’emploi ne cesse de s’agrandir. Cela semble traduire la capacité des États-Unis d’augmenter leur productivité en périodes de récession et particulièrement au début des reprises, ce qui contredit carrément le principe de garder en réserve des effectifs lors de périodes de ralentissement. En revanche, les employeurs au Canada ont été en mesure de stabiliser leur productivité au cours des périodes de ralentissement, mais non de l’augmenter aussi rapidement au cours de la première année de la reprise qu’aux États-Unis. En contrepartie, la croissance de la productivité à la fin des périodes d’expansion a été habituellement plus élevée au Canada qu’aux États-Unis (mais ce n’est pas le cas pour la décennie actuelle). Cela aide à comprendre pourquoi la croissance de la productivité au Canada et aux États-Unis est comparable sur de longues périodes 5 .

Le lien entre la production et l’emploi a-t-il changé sur de longues périodes? Alors que l’Enquête remaniée sur la population active au Canada n’a commencé qu’en 1976, les données sur la rémunération aux États-Unis remontent à la Seconde Guerre mondiale. Une comparaison du PIB et de l’emploi révèle manifestement que les entreprises aux États-Unis n’ont pas gardé de main-d’oeuvre en réserve durant les contractions pendant les années 1950 et 1960. Durant les six récessions survenues entre 1949 et 1969, la baisse de l’emploi a chaque fois sans exception dépassé la diminution du PIB réel (tableau 2). Les deux ont accusé une baisse en tandem en 1974-1975, en partie parce que le souvenir des pénuries a maintenu l’emploi en croissance au début de la récession avant que ne surviennent les immenses pertes d’emploi après septembre 1974. La récession douce de 1980 a été la seule de la période d’après-guerre où la baisse de la production a manifestement dépassé la diminution de l’emploi.

Le plus récent repli laisse entendre que la relation entre l’emploi et le PIB aux États-Unis continue de varier. L’emploi a chuté en décembre 2007 (et tous les mois depuis cette date), six mois avant que le PIB ne commence à se contracter dans la seconde moitié de 2008. Comme le faisait remarquer Barry Bosworth, un spécialiste de la productivité au Brookings Institute, « Aujourd’hui, [les entreprises] semblent prévoir une diminution de la production et congédient leurs travailleurs avant le temps. » 6  De plus, la baisse de l’emploi a été plus importante que celle de la production, poursuivant ainsi la tendance amorcée dans les récessions précédentes.

Conclusion

Les revirements cycliques de la production et de l’emploi semblent se produire souvent à peu près au même moment au Canada. Il y a bien un léger retard de l’emploi au début d’une récession, surtout après que les employeurs ont connu une pénurie de main-d’oeuvre. Il y a eu un retard entre la production et l’emploi aux États-Unis, surtout au cours des reprises, mais l’emploi a mené la production au cours du présent cycle de récession. Les points de retournement tant du PIB que de l’emploi sont synchronisés de près aux cycles du PIB aux États-Unis, mais pas aux cycles de l’emploi dans ce pays. Rien dans les cycles précédents ne nous indique que l’emploi stagnera si et quand la production amorcera une forte reprise au Canada. Toutefois, l’expérience des États-Unis laisse à penser que le comportement devrait être différent durant le présent cycle.

Au cours des périodes de contractions après 1980, l’emploi a diminué essentiellement au même rythme que la production au Canada. Aux États-Unis, les entreprises ont toujours sabré plus rapidement l’emploi que la production à la suite des contractions depuis la Seconde Guerre mondiale. Rien ne nous indique clairement dans ces deux pays que les entreprises gardent de la main-d’oeuvre en réserve pendant les périodes de repli.

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