5 Pourquoi y a-t-il une baisse des gains initiaux relatifs des nouveaux immigrants?

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Même si nous ne comprenons pas tout à fait les mécanismes qui expliquent la baisse des gains, les auteurs de plusieurs études récentes menées à Statistique Canada (et ailleurs) conviennent de façon générale que certains facteurs ont une forte incidence tandis que d'autres sont moins importants.

5.1 Changements touchant les pays d'origine des nouveaux immigrants et les caractéristiques de ces derniers

Par rapport aux années 1970, les pays d'origine des immigrants sont aujourd'hui très différents. De 1981 à 2001, la proportion d'immigrants originaires de l'Europe orientale, de l'Asie méridionale (Inde, Pakistan), de l'Asie orientale (Chine, Corée, Japon), de l'Asie occidentale (Iraq, Iran, Afghanistan) et de l'Afrique a grimpé de 35 % à 72 %. Il se peut que le capital humain des immigrants originaires de ces régions soit initialement moins transférable à cause de problèmes possibles liés à la langue, aux différences culturelles, à la qualité de l'éducation et à la discrimination.

Un moins grand nombre d'immigrants ont, à leur entrée au pays, le français ou l'anglais comme langue maternelle ou langue parlée à la maison. La compétence linguistique et l'aptitude à communiquer sont liées à la productivité et, par conséquent, aux salaires que reçoivent les travailleurs. Des études comme celles de Frenette et Morissette (2003) et d'Aydemir et Skuterud (2004) 7 semblent indiquer que, pour peut-être un tiers, la décroissance des gains initiaux est imputable à cette évolution des caractéristiques des immigrants, particulièrement les régions d'origine et la langue parlée à la maison. Il s'agit d'un important ensemble de facteurs qu'il est très difficile de démêler, étant donné la grande interrelation de facteurs tels que la capacité linguistique, l'appartenance à une minorité visible, la culture et le pays d'origine.

5.2 Diplômanie

Les chercheurs qui étudient la « diplômanie » se demandent ce que vaut, après prise en compte des années de scolarité, l'acquisition même d'un titre universitaire (diplôme) pour un immigrant. C'est ce qu'on appelle l'effet « parchemin ». L'avantage salarial lié au fait d'avoir un titre universitaire en poche (par rapport à l'absence d'un tel titre) est-il en train de changer? Pour concourir nettement à la décroissance des gains initiaux, il aurait fallu que l'avantage que procure un diplôme (d'études secondaires, disons) ait diminué.

Ferrer et Riddel (2003) montrent que, du moins jusqu'en 2000, la simple détention d'un diplôme faisait augmenter les gains des immigrants de façon importante (par rapport à l'absence de diplôme) et que cet effet était au moins aussi marqué, sinon plus, dans la population immigrante que dans la population née au Canada. Ils concluent que l'avantage que procurent les titres scolaires n'a guère changé depuis le début des années 1980 dans le cas des immigrants, du moins jusqu'en 2000. Cet avantage peut avoir diminué depuis 2000.

La « diplômanie » ne semble pas s'être aggravée au cours des deux dernières décennies, et il est probable qu'elle ait peu contribué à la baisse des gains initiaux. Il s'agit sans aucun doute d'un phénomène important en tout temps, mais qui semble n'avoir que peu contribué à la baisse des gains des immigrants, du moins jusqu'en 2000, soit pendant la période visée par la présente étude.

5.3 Baisse du rendement de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger

Le capital humain est formé dans une large mesure de l'instruction, de la formation et des compétences acquises par l'expérience professionnelle. On s'attend d'ordinaire à un rendement quelconque de ce capital humain lorsqu'on entre sur le marché du travail mais, pour les immigrants provenant de pays non traditionnels, les avantages économiques de l'expérience professionnelle acquise avant leur arrivée au Canada sont quasi nuls.

Des études récentes indiquent que l'expérience professionnelle acquise à l'étranger par les nouveaux immigrants est de plus en plus négligée sur le marché du travail canadien (Schaafsma et Sweetman, 2001; Green et Worswick, 2002; Frenette et Morissette, 2003; Aydemir et Skuterud, 2004). Les immigrants plus âgés qui, à la fin des années 1970 ou au début des années 1980, gagnaient nettement plus que les immigrants plus jeunes, jouissent beaucoup moins de cet avantage aujourd'hui. L'expérience qu'ils ont acquise à l'étranger semble entrer nettement moins en ligne de compte de nos jours qu'il y a 20 ans. C'est particulièrement le cas pour les immigrants originaires de régions non traditionnelles telles que l'Asie et l'Afrique. Les immigrants originaires de l'Europe occidentale et des États-Unis ne subissent pas cet effet.

Green et Worswick (2002), Aydemir et Skuterud (2004) ainsi que Frenette et Morissette (2003) ont conclu que pendant les années 1980 et 1990, la baisse du rendement de l'expérience acquise est un des principaux facteurs, sinon le plus important, qui sont liés à la décroissance des gains chez les nouveaux immigrants. Aydemir et Skuterud en viennent à la conclusion que, chez les nouveaux immigrants, le moindre rendement de l'expérience acquise à l'étranger rend compte en gros du tiers de la décroissance des gains initiaux dont nous avons parlée.


5.4 Détérioration de la situation sur le marché du travail des nouveaux actifs en général, dont font partie les immigrants

La situation sur le marché du travail des jeunes actifs, plus particulièrement les hommes, s'est dégradée au Canada tout au long des années 1980 et 1990 (Picot, 1998; Beaudry et Green, 2000). Comme les nouveaux immigrants font eux aussi leur entrée sur le marché du travail, il se peut que ce qui fait baisser les gains des jeunes en général (et que nous comprenons mal) ait le même effet sur les gains des nouveaux immigrants. Green et Worswick (2002), Frenette et Morissette (2003) ainsi qu'Aydemir et Skuterud (2004) constatent que, chez les hommes récemment issus de l'immigration, ce phénomène pourrait expliquer 40 % de la décroissance des gains initiaux. Toutefois, ils constatent aussi que cet effet était concentré dans les années 1980 et qu'il a perdu de son importance dans les années 1990.

5.5 Forte concurrence de la part de la population née au Canada, qui est de plus en plus instruite

L'offre de main-d'œuvre hautement qualifiée au Canada s'est accrue à un rythme très rapide. Le nombre de femmes actives titulaires d'un titre universitaire a quadruplé en 20 ans seulement, tandis que le nombre d'hommes a plus que doublé.

Reitz (2001) soutient que, même si le niveau d'instruction des immigrants augmente, leur avantage relatif a diminué à cause de la hausse plus rapide du niveau d'instruction de la population née au Canada. Il maintient en outre que la population immigrante n'a pas profité autant de l'élévation des niveaux de scolarité, peut-être pour la raison susmentionnée.

5.6 Une explication différente pour la baisse des gains des cohortes arrivées après 2000

Les cohortes d'immigrants arrivés au Canada de 2000 à 2005 ont également connu une décroissance de leurs gains initiaux, mais dont les causes sont probablement très différentes de celles relevées dans les recherches ayant porté sur les années 1980 et 1990 8.

Picot et Hou (à paraître) ont observé que la diminution des gains initiaux a touché particulièrement (pour environ les deux tiers) les nouveaux immigrants désireux d'exercer une profession dans le domaine de la technologie de l'information (TI) ou du génie. Cette baisse coïncide avec le ralentissement du secteur de la TI au Canada, qui semble avoir nui considérablement à la situation de ces immigrants, particulièrement les hommes. Les nouveaux immigrants étaient proportionnellement beaucoup plus nombreux que les personnes nées au Canada dans les secteurs de la TI et du génie. Ils ont donc ressenti davantage le ralentissement du secteur de la TI. Après la réponse très vigoureuse du système de sélection des immigrants à la demande de travailleurs de la haute technologie à la fin des années 1990, qui s'est traduite par une hausse rapide de l'offre grâce à l'immigration, les nombreux nouveaux immigrants ont dû faire face au ralentissement du secteur de la TI.

En résumé, les études portant sur les années 1980 et 1990 montraient que la baisse des gains initiaux pouvait être attribuée quasi intégralement aux changements touchant les pays d'origine et la langue, à la baisse du rendement de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger et à la dégradation générale de la situation des nouveaux venus sur le marché du travail. D'après les études portant sur le début des années 2000, la baisse observée récemment est surtout causée par le repli du secteur des hautes technologies, combiné à la concentration grandissante des immigrants dans les professions de la TI et du génie.

7. Il convient de prendre note que la première de ces études est plus détaillée, mais ne porte que sur les hommes, tandis que la deuxième présente des résultats pour les deux sexes.

8. Ainsi, la baisse du rendement de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger n'était plus une explication convaincante puisque ce rendement était déjà devenu nul (pour les immigrants originaires des pays non traditionnels); il aurait fallu qu'il devienne fortement négatif pour influer davantage sur les gains des immigrants au cours des années suivant leur arrivée. De même, le fait que les pays d'origine des immigrants aient changé ne constitue plus une explication valable, puisque ce changement s'est produit surtout au cours des années 1970 et 1980 et s'est atténué ces dernières années. La baisse générale des résultats des nouveaux venus sur le marché du travail n'est plus une explication possible, étant donné que les expériences de ces derniers à la fin des années 1990 et au début des années 2000 étaient généralement positives. Bref, il faut chercher ailleurs les causes possibles de la diminution des gains initiaux.