Roulement des entreprises et croissance de la productivité dans le secteur canadien du commerce de détail 

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  1. Introduction
  2. Données
  3. Roulement des entreprises dans le secteur du commerce de détail
  4. Contribution du roulement des entreprises à la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail
  5. Résultats après entrée des nouveaux magasins de détail : rôle du processus de sélection et d'apprentissage
  6. Conclusion

1   Introduction

Les auteurs d'un grand nombre d'études empiriques récentes ont examiné la contribution apportée par la concurrence dans l'industrie et la réaffectation permanente de la production et de ses facteurs entre les entreprises à ce qu'on appelle la croissance globale de la productivité (voir, par exemple, Baldwin et Gorecki, 1991; Baldwin, 1995; Disney, Haskel et Heden, 2003; et Foster, Haltiwanger et Krizan, 2001).

Trois grandes constatations se dégagent de ces études. Premièrement, la réaffectation constante de la production et de ses facteurs est numériquement importante. Il y a roulement des entreprises par le transfert de ressources et de parts de marché d'un ensemble d'entreprises établies (en déclin) à un autre ensemble d'entreprises en croissance (en progression) et des entreprises sortantes aux entreprises entrantes. Deuxièmement, cette réaffectation permanente apporte une contribution positive et significative à la croissance globale de la productivité. Troisièmement, les nouvelles entreprises passent souvent par un processus tant de sélection que d'apprentissage. Les moins productives quittent et ont généralement une courte vie, alors que les plus productives survivent et améliorent leur productivité au fil des ans. Avec le temps, les entrées et sorties d'entreprises jouent un grand rôle dans la croissance globale de la productivité.

Bien que nous ayons beaucoup appris de cette documentation de plus en plus riche, la plupart des recherches ont ciblé le secteur de la fabrication, qui a été la source principale de la croissance de la productivité agrégée. Cependant, depuis le début des années 1990, les industries de services se sont révélées la source principale de la croissance de la productivité agrégée au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays développés (Triplett et Bosworth, 2004) 1  . Pakes et Erikson (1998) ont été les premiers à affirmer que les processus d'entrée devaient être très différents dans les secteurs du commerce de détail et de la fabrication. Pour mieux comprendre comment ces processus produisent des différences entre les sources de croissance de la productivité, plusieurs études portant sur les facteurs de la croissance de la productivité agrégée dans le secteur de la fabrication ont commencé à s'attarder à celui des services (Foster Haltiwanger et Krizan, 2006, pour le secteur du commerce de détail aux États-Unis; Haskel et Khawaja, 2003, pour celui du Royaume-Uni). La présente étude vient alimenter cette documentation en examinant le roulement des entreprises et les facteurs de la croissance de la productivité dans le secteur canadien du commerce de détail.

Au Canada, 15 % des heures travaillées et 8 % de la valeur ajoutée du secteur des entreprises étaient attribuables au commerce de détail dans les années 1990. La croissance de la productivité y a été rapide dans la dernière décennie. De 1990 à 2003, la productivité du travail chez les détaillants s'est élevée de 2,8 % par an; c'est bien plus que cette même croissance à un taux de 1,9 % dans tout le secteur canadien des entreprises (tableau 12  . De 1990 à 2003, le commerce de détail a contribué 0,64 point de pourcentage à la croissance globale de la productivité du travail dans le secteur des entreprises, ce qui représente 22 % de cette croissance 3  . Il est donc primordial de regarder ce qui se fait dans ce secteur pour comprendre la dynamique de la croissance de la productivité dans tout le secteur canadien des entreprises (Wölfl, 2003).

C'est là un secteur qui a subi d'importants changements au cours de la dernière décennie. D'abord, la concurrence s'est avivée avec l'avènement de grandes surfaces comme Wal-Mart en provenance des États-Unis. Le McKinsey Global Institute (2001) constate que le gros de la croissance de la productivité dans le sous-secteur des marchandises diverses est à mettre au compte d'une seule entreprise, Wal-Mart en l'occurrence 4  . L'intensification de la concurrence livrée par Wal-Mart semble avoir causé la fermeture des petits commerces locaux et forcé d'autres détaillants à adopter ses pratiques exemplaires en matière de technologie et de gestion (l'effet dit « Wal-Mart »).

Tableau 1 : Croissance annuelle de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail, 1990 à 2003

En deuxième lieu, le secteur du commerce de détail a abondamment investi en technologies de l'information et des communications (TIC). Plus de 30 % des services du capital dans ce secteur viennent des TIC (Gu et Wang, 2003). L'adoption de systèmes électroniques de suivi et de lecture des produits s'est généralisée chez les détaillants (Doms, Jarmin et Klimek, 2004). Les TIC et l'informatisation en général ont permis aux détaillants d'abaisser le coût des stocks. Les résultats des facteurs de la croissance de la productivité présentés dans notre étude font ressortir l'importance de l'effet Wal-Mart et confirment l'apport des technologies de l'information et des communications à la productivité du secteur du commerce de détail.

Troisièmement, le secteur du commerce de détail a vu se diluer sa concentration dans les années 1990 au gré du mouvement d'intensification de la concurrence (graphique 1). De 1990 à 1997, l'indice de concentration d'Herfindahl a baissé de 102 à 53 dans ce secteur 5  .

Graphique 1
Indice de concentration d'Herfindahl dans le secteur du commerce de détail

Dans deux études récentes, on a regardé le rapport entre le roulement des entreprises et la croissance de la productivité dans les industries de services. L'une et l'autre portent sur le secteur du commerce de détail, la première pour les États-Unis et la seconde pour le Royaume-Uni. Foster, Haltiwanger et Krizan (2006) indiquent que, aux États-Unis, la croissance de la productivité du travail dans le commerce de détail est attribuable à de nouveaux détaillants plus productifs qui chassent des entreprises bien moins productives plutôt que de s'expliquer par la montée de la productivité dans les entreprises établies pendant les années 1990. On a l'impression que le roulement des entreprises (entrées et sorties) a bien plus d'importance pour la croissance globale de la productivité dans le commerce de détail que dans la fabrication aux États-Unis. Dans le secteur de la fabrication, la progression de la productivité sur 10 ans s'explique dans une proportion approximative de 30 % par des établissements productifs qui chassent des établissements moins productifs du secteur 6  .

Haskel et Khawaja (2003) ont étudié la dynamique de la croissance de la productivité dans le commerce de détail au Royaume-Uni de 1997 à 2001. Ils concluent que les entrées et sorties d'entreprises ont beaucoup apporté à la progression de la productivité du commerce de détail, soit environ la moitié de sa montée globale.

Le reste du présent document est organisé de la façon suivante. Dans la section 2, nous décrivons les données et les mesures de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle. À la section 3, nous livrons des données empiriques sur le roulement des entreprises dans le secteur du commerce de détail; à la section 4, nous mesurons la contribution apportée par ce roulement à la croissance globale de la productivité dans ce même secteur; à la section 5, nous cernons le rôle du processus de sélection et d'apprentissage dans le cas des nouveaux détaillants et, à la section 6, nous faisons part de certaines observations en conclusion.

2   Données

À des fins d'analyse, nous nous reportons à la base de données longitudinales PALE-T2 au niveau des entreprises. C'est là une base de données expérimentales issue du couplage de deux bases de données administratives. Il s'agit du Programme d'analyse longitudinale de l'emploi (PALE), base d'information sur tous les employeurs canadiens, constitués ou non en société, qui ont un compte de retenues sur la paie auprès de l'Agence du revenu du Canada. Ce fichier n'était pas conçu au départ pour une description longitudinale se prêtant à des études des entrées et sorties, mais un suivi des travailleurs dans le temps nous a donné un fichier exploitable en analyse longitudinale. On y trouve un numéro d'identification longitudinale d'entreprise qui nous sert à juger du nombre des entrées et de sorties au fichier 7  . Nous décrivons une mesure de l'emploi en « unités moyennes de main-d'oeuvre » (UMM) à l'aide du PALE. Nous ajoutons cette mesure au fichier. On calcule l'UMM d'une entreprise comme le rapport entre la rémunération totale de l'entreprise et le revenu annuel moyen des travailleurs de l'industrie, de la catégorie de taille et de la province auxquelles appartient cette entreprise 8  . Les entreprises du fichier PALE ont été rattachées à des industries à trois chiffres de la Classification type des industries (CTI) de 1980 au moyen des données du Registre des entreprises.

À des fins de recherche, nous couplons le PALE et le Fichier de l'univers statistique de l'impôt des sociétés (FUST2), lequel comprend toutes les entreprises constituées en société qui produisent une déclaration de revenus T2 à l'intention de l'Agence du revenu du Canada. Ce fichier T2 renseigne sur le chiffre d'affaires, le bénéfice brut, l'avoir des actionnaires et l'actif de toutes les entreprises constituées en société au Canada 9  .

Les fichiers PALE et FUST2 n'ont pas d'identificateur commun d'entreprise et, par conséquent, nous avons conçu une méthode permettant d'apparier les entités des deux fichiers de manière à créer un fichier longitudinal PALE-T2 livrant des mesures de la production (revenus), du capital (actifs) et du travail (UMM). Comme il n'est question ici que de l'impôt des sociétés, le fichier de couplage ainsi obtenu appréhende toutes les entreprises constituées en société au Canada. Dans certains cas, il est possible d'opérer le couplage PALE-T2 dans des fichiers supplémentaires qui contiennent à la fois le numéro de société T2 et le numéro PALE de compte de retenues sur la paie. Dans d'autres cas, le couplage se fait par le nom et l'adresse des entreprises. Les unités résultantes sont des entités synthétiques par raccordement de données fiscales des personnes morales et de données salariales d'unités liées mais non identiques. L'intérêt d'un tel fichier ne réside pas dans un profilage d'unités, mais plutôt dans l'analyse des tendances générales des populations.

Les données PALE sur l'emploi se présentent par année civile. Dans le fichier T2, l'année d'attribution est celle de la fin d'un exercice. Dans le fichier PALE-T2, Statistique Canada a converti à l'année civile la valeur des variables financières du fichier T2.

Dans le calcul des UMM, le fichier PALE attribue la rémunération d'une entreprise à l'année civile, d'où une sous-estimation de l'UMM d'une entreprise qui n'est en exploitation que pendant une partie de l'année de sa création 10  . Il y aura donc surestimation de la croissance de l'UMM de l'entreprise dans cette année de création 11  . Pour tenir compte de cette description en partie d'année, nous définissons l'entreprise entrante comme celle qui n'existe pas dans l'année t-2 et qui existe dans les deux années t-1 et t. En d'autres termes, une entreprise doit figurer au fichier PALE-T2 deux années consécutives pour être considérée comme entreprise entrante.

Les données montrent des variations marquées au fil du temps pour trois secteurs du commerce de détail au niveau à trois chiffres de la CTI : les magasins de spiritueux, de vin et de bière; les magasins de médicaments sur ordonnance et de médicaments brevetés; et les magasins de vêtements pour hommes. Nous avons retranché ces industries de nos données, ainsi que les entreprises qui n'ont ni emplois ni ventes. Les données finalement retenues pour l'analyse portent sur les entreprises constituées en société appartenant à 16 industries du secteur du commerce de détail au niveau à 3 chiffres de la CTI.

Dans l'analyse empirique, nous examinerons la productivité du travail et la productivité multifactorielle. Par productivité du travail, on entend la valeur ajoutée réelle par travailleur. Pour le secteur du commerce de détail, la valeur ajoutée est la somme des marges brutes et de la valeur ajoutée provenant de divers revenus comme les commissions, la location à court et à long terme, et le travail de réparation et d'entretien. La productivité du travail est une mesure partielle. La croissance de la productivité du travail peut résulter de la substitution de capital par de la main-d'oeuvre ou d'une production globale plus efficiente. La productivité multifactorielle mesure l'efficacité de la production globale et correspond à la valeur ajoutée réelle par unité de capital et de travail combinés. La productivité multifactorielle est calculée comme suit : 

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Y désigne la valeur ajoutée réelle, K le capital réel, L les unités moyennes de main-d'oeuvre, les Image les parts de chaque catégorie de capital dans la production, i le commerce de détail et t l'année. Le stock de capital se mesure comme la valeur de l'actif après déflation par l'indice des prix des sorties du secteur du commerce de détail 12  . Les parts de facteur sont calculées au niveau du secteur du commerce de détail. Les données au niveau de l'industrie montrent que dans le secteur du commerce de détail, le revenu représente environ 20 % du capital et environ 80 % du travail. Ces pourcentages ont peu fluctué au cours des deux dernières décennies, et ils serviront pour notre calcul de la productivité multifactorielle de chaque magasin de détail. Foster, Haltiwanger et Krizan (2006) et Disney, Haskel et Heden (2003) ont eu recours à une méthode similaire pour établir la productivité multifactorielle d'entreprises individuelles.

La production à valeur ajoutée dans le secteur du commerce de détail est principalement constituée des marges commerciales. Les marges commerciales nominales doivent être déflatées afin d'obtenir le chiffre réel des marges qui peut servir à mesurer la croissance de la production et la croissance de la productivité dans ce secteur. Comme on ne dispose pas de déflateurs des marges commerciales, on avance souvent des hypothèses quant au lien existant entre les variations dans les services offerts par le secteur du commerce de détail et les variations des marges commerciales nominales, afin d'estimer les marges commerciales réelles.

Le U.S. Bureau of Economic Analysis considère que l'évolution du taux de marge nominal est entièrement attribuable aux fluctuations des prix de marge, les variations dans les services réels par unité de vente réelle fournis par les magasins de détail n'ayant aucune incidence sur le taux. Selon cette hypothèse, le taux de variation dans les services de détail est égal au taux de variation dans les ventes de détail en dollars constants (Triplett et Bosworth, 2004). Comme le taux de variation des marges commerciales réelles fournit une mesure des services de détail, il sera le même que celui des ventes réelles en fonction de cette hypothèse. Nous allons adopter cette hypothèse dans le présent document. En somme, nous pouvons remplacer la mesure de la valeur ajoutée réelle par celle des ventes réelles pour calculer la productivité du travail et la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail.

En 1984, le fichier T2-PALE renfermait environ 60 000 entreprises de détail constituées en société. Ce nombre a augmenté avec le temps. En 1998, le secteur comptait quelque 80 000 entreprises constituées en société. Le tableau 2 montre des statistiques sommaires de l'évolution des sorties, des entrées, de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle pour l'ensemble du secteur de détail, selon les calculs effectués à l'aide des données du fichier T2-PALE. La première colonne montre les variations annualisées de l'ensemble des données pour la période de 1984 à 1998. Les deux colonnes suivantes couvrent des périodes différentes.

Tableau 2 : Statistiques sommaires du secteur du commerce de détail

Nous avons comparé les estimations de croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail d'après le PALE-T2 aux estimations produites par Statistique Canada à l'aide d'autres sources de données jugées plus idéales pour l'élaboration des tableaux des entrées-sorties de la comptabilité nationale. Les dernières estimations portent sur les entreprises constituées en société et non constituées en société et elles font appel à une méthodologie qui diffère légèrement pour mesurer les entrées du travail 13  . Le PALE-T2 indique que la productivité du travail s'est élevée de 1,0 % par an dans ce secteur de 1984 à 1998. Quant à la productivité multifactorielle, elle a progressé annuellement de 0,7 %. Selon les estimations de Statistique Canada en matière de productivité industrielle, la productivité du travail a augmenté de 1,6 % par année et la productivité multifactorielle, de 0,4 % par année. Ces deux mesures de la croissance de la productivité sont très similaires, malgré des différences pour ce qui est de la méthodologie et de la couverture.

3   Roulement des entreprises dans le secteur du commerce dedétail

Le roulement des entreprises a lieu lorsque des parts de marché se déplacent vers les entreprises plus productives, en raison du processus concurrentiel. Il provient de l'entrée et de la sortie d'entreprises, ou de gains et de pertes de parts de marché par des entreprises existantes. Dans la présente section, nous présentons des données sur le roulement des entreprises dans le secteur du commerce de détail.

Le graphique 2 décrit l'importance relative des entreprises entrantes et sortantes dans le nombre total d'entreprises dans le secteur canadien du commerce de détail en une année. Pour éviter le problème des déclarations de partie d'année de création des nouvelles entreprises comme nous l'avons décrit, nous définissons les entreprises entrantes dans l'année t comme celles qui étaient absentes du secteur dans t-2, mais qui y étaient présentes dans t-1 et t. Nous définissons les entreprises sortantes dans l'année t comme celles qui étaient présentes dans t-2 et t-1, mais absentes dans t. De 1986 à 1998, les taux d'entrée dépassent les taux de sortie. Les nouvelles entreprises représentent environ 10 % du nombre d'entreprises en une année, et environ 8 % des entreprises présentes quittent dans l'année. Les taux d'entrée des entreprises ont été anticycliques alors que les taux de sortie ont été procycliques, les premiers ayant baissé alors que les seconds ont monté durant la récession du début des années 1990.

Graphique 2
Taux d'entrée et de sortie des entreprises dans le secteur du commerce de détail

Le tableau 3 présente les moyennes annuelles de la période 1986 à 1998 pour la productivité du travail, la productivité multifactorielle et la taille des entreprises entrantes, sortantes et survivantes (établies) dans tout le secteur du commerce de détail, les entreprises survivantes étant normalisées à la valeur 100. La productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises entrantes sont légèrement plus élevées que celles des entreprises existantes, mais plus élevées que celles des entreprises sortantes. La productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises sortantes sont plus faibles que celles des entreprises survivantes et des entreprises entrantes. En moyenne, la productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises qui sont entrées dans le secteur du commerce de détail au cours de la période de 1986 à 1998 sont de 20 % supérieures à celles des entreprises sortantes durant cette période. Dans l'ensemble, ces résultats donnent à penser que les entreprises entrantes étaient avantagées par rapport aux entreprises sortantes, autant sur le plan de la productivité du travail que de la productivité multifactorielle.

Tableau 3 : Productivité du travail, productivité multifactorielle et taille des entreprises entrantes, sortantes et survivantes

D'après ces résultats, le roulement des entreprises (entreprises entrantes et sortantes) devrait constituer une grande source de productivité globale pour le secteur du commerce de détail. Les entreprises entrantes ont une productivité du travail et une productivité multifactorielle supérieures aux entreprises qu'elles supplantent. Selon la décomposition dont nous présenterons les données à la prochaine section, les entrées et les sorties hausseront la productivité globale tant que les entreprises entrantes seront plus productives que les entreprises qu'elles remplacent.

Les entreprises entrantes ont une productivité du travail et une productivité multifactorielle aussi élevées que celles des entreprises établies, mais leur taille est bien moindre (tableau 3, ligne 3). Leurs ventes ne représentent environ que 65 % de celles des entreprises survivantes. Les entreprises entrantes ont généralement des ventes supérieures à celles des entreprises sortantes, puisque les ventes des secondes ne représentent que 40 % de celles des entreprises survivantes.

Les différences moyennes au tableau 3 entre les entreprises entrantes, sortantes et survivantes subsistent pendant la majeure partie de la période considérée, comme on peut le voir aux graphiques 3, 4 et 5. La productivité du travail, la productivité multifactorielle et les ventes des nouvelles entreprises du secteur du commerce de détail sont supérieures à celles des entreprises sortantes pour chaque année de la période observée. La productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises entrantes sont aussi fortes que celles des entreprises existantes, mais les entreprises entrantes sont beaucoup plus petites pour une bonne partie de la période 14  .

Dans le tableau 4, nous présentons les valeurs relatives de la productivité du travail, de la productivité multifactorielle et de la taille des entreprises entrantes, sortantes et existantes du Canada et de celles qui sont sous contrôle étranger. Comme le fichier T2-PALE utilisé ici fournit l'information sur le pays de contrôle uniquement pour la période de 1984 à 1996, nous nous concentrerons sur cette période. Nous constatons que dans le secteur du commerce de détail, les différences moyennes dans la productivité et la taille des entreprises entrantes, sortantes et demeurant en activité existent autant pour les entreprises canadiennes que pour celles sous contrôle étranger. Par exemple, pour ce qui est des entreprises sous contrôle étranger, les entreprises entrantes sont plus productives que les entreprises sortantes et aussi productives que les entreprises existantes; les entreprises sortantes sont moins productives que les survivantes.

Les résultats du tableau 4 montrent aussi que la productivité du travail, la productivité multifactorielle et la taille des entreprises entrantes sous contrôle étranger sont généralement de beaucoup supérieures à celles des nouvelles entreprises canadiennes. Des différences similaires dans la productivité et la taille sont observées entre les entreprises sortantes canadiennes et celles sous contrôle étranger, ainsi qu'entre les entreprises canadiennes et sous contrôle étranger qui demeurent en activité.

Les taux d'entrée et de sortie dans le graphique 2 se calculent en valeur annuelle. Les taux à long terme différeront des taux à court terme si les entreprises entrantes ne survivent pas toutes. Si elles survivent toutes, le taux à long terme correspondra approximativement à la somme des taux annuels. Si toutes les entreprises entrantes durent un an, les taux à long terme seront une approximation des taux à court terme.

Graphique 3
Productivité relative du travail selon le type d'entreprises dans le secteur du commerce de détail

Graphique 4
Productivité multifactorielle relative selon le type d'entreprises dans le secteur du commerce de détail

Graphique 5
Production relative selon le type d'entreprises

Tableau 4 : Productivité du travail, productivité multifactorielle et taille des entreprises entrantes, sortantes et survivantes, par pays de contrôle

Nous calculons les taux d'entrée et de sortie des entreprises pour des périodes plus longues, de 1984 à 1998, de 1984 à 1990 et de 1990 à 1998 (tableau 5). Si nous considérons toute la période de 14 ans, 60 % des entreprises environ qui étaient présentes en 1984 n'étaient plus en exploitation en 1998. Ces entreprises sortantes rendent compte de 25 % des ventes totales et de 30 % de tout l'emploi dans le secteur du commerce de détail. Environ 70 % des entreprises en activité en 1998 étaient de nouvelles entreprises dans la période 1984 à 1998 avec 42 % de toutes les ventes et 41 % de tous les emplois. Nous calculons aussi les taux d'entrée et de sortie selon le pays de contrôle pour la période de 1984 à 1996. Les entreprises sous contrôle étranger entrées sur le marché au cours de la période représentent 0,2 % du total des entreprises entrantes et 19,7 % des ventes des entreprises entrantes leur sont attribuées. Les entreprises sortantes sous contrôle étranger représentent 0,2 % du total des entreprises sortantes et 4,1 % des ventes des entreprises sortantes leur sont attribués.

Notre mesure des taux d'entrée et de sortie des entreprises du secteur du commerce de détail augmente selon l'horizon de l'entreprise dont le roulement est mesuré. En une année, les proportions d'entreprises entrantes et sortantes sont respectivement de 10 % et de 8 % de toutes les entreprises sectorielles (graphique 2). Pour les 14 ans compris entre 1984 et 1998, les taux d'entrée et de sortie sont respectivement de 70 % et 60 % environ.

Les différences estimées de productivité entre les entreprises entrantes et sortantes peuvent aussi varier selon la période de constatation des entrées et des sorties. Les entreprises entrantes à la création auront sans doute une productivité moyenne inférieure à celle des entreprises correspondantes qui survivent pendant une certaine période à cause d'effets de sélection et d'apprentissage. Et la productivité d'une cohorte d'entreprises entrantes survivantes peut augmenter par rapport à celle de la population existante (Baldwin et Rafiquzzaman, 1995; Baldwin et Gu, 2004, 2006).

De même, la productivité d'année de référence des entreprises sortantes sur une période d'un an devrait être inférieure à celle des entreprises sortantes sur une plus longue période si les entreprises qui durent plus longtemps sont les plus productives.

Dans un relevé des entrées et des sorties sur une plus longue période, les entreprises entrantes se caractérisent toujours par une productivité du travail supérieure à celle des entreprises sortantes. Par les résultats au tableau 5, nous estimons que, pour cette productivité, les entreprises entrantes jouissent d'un avantage de 22 % sur les entreprises sortantes de 1984 à 1998, de 17 % de 1984 à 1990 et de 9 % de 1990 à 1998.

Tableau 5 : Roulement des entreprises dans le secteur du commerce de détail, 1984 à 1998, 1984 à 1990 et 1990 à 1998

La discussion qui précède a porté sur le roulement des entreprises résultant des entrées et des sorties. Le roulement des entreprises a aussi lieu lorsque des entreprises existantes gagnent ou perdent des parts de marché. Le tableau 6 présente des données sur le déplacement des parts de marché des entreprises sortantes et des entreprises existantes en déclin à la faveur des entreprises entrantes et des entreprises existantes. Nous répartissons les entreprises selon qu'elles sont sous contrôle national ou sous contrôle étranger. Nous nous intéressons surtout aux transferts de parts de marché pour la période de 1984 à 1996, pour laquelle les données sur le pays de contrôle sont fournies dans le fichier T2-PALE.

Durant la période de 1984 à 1996, environ 50 % des parts de marché sont passées des entreprises en déclin ou qui ont fermé leurs portes, aux nouvelles entreprises ou à celles qui ont pris de l'expansion. Les entreprises qui sont demeurées en activité et ont augmenté leur part de marché ont gagné 11 points de pourcentage pour cette période. Les entreprises entrantes ont acquis 36 points de pourcentage. Les entreprises qui sont demeurées en activité et ont perdu une part de marché ont perdu 22 points de pourcentage au total pour cette période, alors que les entreprises sortantes en ont perdu 25.

Les gains en parts de marché réalisés par les entreprises entrantes ont résulté des pertes subies par les entreprises sortantes et par les entreprises existantes. On peut donc caractériser le processus de remplacement dans le secteur du commerce de détail par le gain de parts de marché par les entreprises entrantes, au détriment des entreprises sortantes et des entreprises existantes en déclin. Cette situation est différente de celle observée dans le secteur de la fabrication : les entreprises entrantes remplacent les entreprises sortantes et les entreprises existantes en expansion prennent des parts de marché aux entreprises existantes en déclin.

Le groupe des entreprises demeurées en activité a vu ses parts de marché diminuer de 11 points de pourcentage pour la période de 1984 à 1996, ce qui est surtout attribuable à des pertes au sein des entreprises sous contrôle national. Au cours de cette période, celles-ci ont perdu 7 points de pourcentage en parts de marché. Les entreprises sous contrôle étranger demeurées en activité qui ont été acquises par des entreprises sous contrôle national ont perdu 3 points de pourcentage en parts de marché. La part de marché des entreprises sous contrôle étranger demeurées en activité ou acquises par des entreprises sous contrôle étranger est demeurée pratiquement inchangée.

Tableau 6 : Déplacements des parts de marché dans le secteur du commerce de détail, de 1984 à 1996

Nos résultats pour le secteur du commerce de détail et ceux des études antérieures consacrées au secteur de la fabrication démontrent des différences de roulement des entreprises entre ces deux secteurs (on trouvera des données sur le roulement des entreprises manufacturières dans Baldwin et Gu, 2003; et Baldwin, Beckstead et Girard, 2002). Tout d'abord, les taux d'entrée et de sortie des entreprises et les déplacements de parts de marché sont plus élevés dans le secteur du commerce de détail que dans celui de la fabrication Baldwin, Beckstead et Girard (2002) indiquent qu'environ 8 % de toutes les entreprises sont nouvelles dans le secteur de la fabrication de 1989 à 1997 dans un calcul en valeur annuelle. Par comparaison, nous constatons que, d'année en année, 10 % environ de toutes les entreprises sont nouvelles dans le secteur du commerce de détail de 1986 à 1998. Dans un calcul sur une plus longue période, les différences s'accentuent nettement. Selon Baldwin et Gu (2006), de 1979 à 1999, les taux d'entrée et de sortie des entreprises étaient tous deux de 12 % pour le secteur de la fabrication. Bien que la période utilisée pour mesurer les taux d'entrée et de sortie des entreprises ait été plus longue de 6 ans pour le secteur de la fabrication que pour celui du détail, les taux d'entrée et de sortie sont beaucoup plus faibles pour le secteur de la fabrication que ceux présentés ici sur une période de 14 ans pour le secteur du commerce de détail.

En second lieu, si on compare les entreprises entrantes aux entreprises survivantes, on constate qu'elles sont bien plus productives et bien plus grandes dans le secteur du commerce de détail que dans celui de la fabrication. Les études antérieurement consacrées au secteur manufacturier indiquent que les entreprises entrantes sont généralement moins productives et bien plus petites que les entreprises établies dans leur première année d'existence. Parmi ces nouvelles entreprises, les moins productives quittent le secteur, alors que les entreprises qui survivent améliorent leur productivité. Le processus de sélection et d'apprentissage permet aux nouvelles entreprises de rattraper les entreprises existantes dans le secteur de la fabrication (Baldwin et Rafiquzzaman, 1995, Baldwin et Gu, 2006).

Par ailleurs, les nouvelles entreprises de commerce de détail ont déjà à la création une productivité du travail et une productivité multifactorielle semblables à celles des entreprises survivantes ou établies. Les entreprises entrantes dans le commerce de détail sont plus petites que ces dernières, mais leur taille relative est bien plus grande que celle des entreprises en fabrication.

4   Contribution du roulement des entreprises à la croissancede la productivité dans le secteur du commerce de détail

Dans la présente section, nous étudions l'apport du roulement des entreprises à la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail. Nous présentons d'abord la méthodologie employée pour décomposer la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail, en un effet intra-entreprise et un effet inter-entreprises résultant du roulement des entreprises. L'effet intra-entreprise mesure la contribution, à la croissance de la productivité globale, de la croissance interne des entreprises survivantes, leurs parts d'entrées et de sorties étant maintenues constantes. L'incidence du roulement des entreprises sur la productivité agrégée se compose de l'effet inter-entreprises, soit l'incidence de la redistribution de la production parmi les entreprises survivantes, ainsi que de l'incidence des entrées et des sorties d'entreprises. Pour étayer nos calculs, nous utilisons deux méthodes qui prennent en compte l'incidence du roulement des entreprises sur la croissance de la productivité; l'une est proposée par Griliches et Regev (1995) et l'autre, par Baldwin et Gu (2006). Baldwin et Gu (2006) se sont penchés sur les différences entre les deux méthodes de décomposition et sur les hypothèses sous-jacentes employées par d'autres formules.

On peut calculer la productivité d'une industrie comme la somme pondérée de la productivité des entreprises individuelles, les parts de la production ou de l'emploi de ces entreprises servant alors de poids : 

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sit est la part de l'entreprise i dans l'ensemble de la production ou de l'emploi de l'industrie et où Pt et pit sont la productivité du travail ou ln PTF 15 . Griliches et Regev (1995) proposent la décomposition suivante de la variation de la productivité globale entre t – k et t : 

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où le trait supérieur indique une moyenne temporelle pour l'année de référence et l'année de fin de période et où C désigne l'ensemble des entreprises survivantes dans la même période, N l'ensemble des entreprises entrantes et X l'ensemble des entreprises sortantes. Le premier terme est celui de l'effet « dans les entreprises », c'est-à-dire la contribution de la croissance individuelle des entreprises survivantes à la croissance globale de la productivité. Le deuxième terme mesure l'effet « entre les entreprises », qui s'interprète souvent comme la contribution apportée par la réaffectation de la production et de ses facteurs entre les entreprises survivantes. Les troisième et quatrième termes correspondent respectivement à la contribution des entreprises entrantes et sortantes. Collectivement, les trois derniers termes mesurent la contribution du roulement des entreprises établies et de celui des entreprises entrantes et sortantes à la croissance globale de la productivité.

Dans un tel exercice, on mesure la contribution des entreprises entrantes et sortantes à la croissance globale de la productivité par comparaison avec une entreprise moyenne dans la période considérée. La contribution des entreprises entrantes sera positive si celles-ci sont plus productives que l'entreprise moyenne. La contribution des entreprises sortantes le sera si celles-ci sont moins productives que l'entreprise moyenne 16  .

Baldwin (1995) et Baldwin et Gu (2006) soutiennent que la valeur d'une formule déterminée dépend du bien-fondé des hypothèses implicites du scénario à la base de chacune. Dans la formule de Griliches et Regev, l'hypothèse implicite est qu'une entreprise entrante vient remplacer l'entreprise moyenne dans la répartition. De même, une entreprise sortante est remplacée par l'entreprise moyenne. Toutefois, pour pouvoir évaluer l'incidence propre à un groupe, il faut connaître le processus de remplacement ou formuler des hypothèses à cet égard. Par exemple, le calcul de l'incidence d'une entrée reposera sur la productivité de l'entreprise ainsi remplacée.

Il conviendrait peut-être mieux de recourir à une autre hypothèse. Dans le secteur de la fabrication, les entreprises entrantes sont bien plus petites et bien moins productives que les entreprises établies, mais les entreprises qui sortent ressemblent fort aux entreprises qui entrent. De même, la proportion d'entreprises entrantes correspond en gros à celle des entreprises sortantes. Baldwin (1995) et Baldwin et Gu (2006) soutiennent que de petites entreprises entrantes sont en concurrence avec d'autres petites entreprises dans la partie plus en marge du secteur de la fabrication et que des entreprises entrantes se substituent à des entreprises sortantes. De plus, les données révèlent que les premières se trouvent essentiellement à chasser les secondes du secteur de la fabrication 17  . Il convient mieux en pareil cas de comparer les entrées et les sorties dans la mesure de la contribution de ce va-et-vient à la croissance de la productivité. Ensuite, Baldwin et Gu (2006) ont recours à la méthode de décomposition suivante pour calculer l'incidence des entreprises entrantes et de celles qui demeurent en activité : 

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Px est la productivité de l'année de référence dans le cas des entreprises sortantes. Par construction, le quatrième terme de la décomposition est nul. Le troisième mesure la contribution des entrées et des sorties à la croissance globale de la productivité.

Bien que la décomposition dans l'équation (4) concorde avec le processus de remplacement pour le secteur de la fabrication, cette méthode ne convient pas au processus de remplacement pour le secteur du commerce de détail. Comme l'indique le tableau 6, dans le secteur du commerce de détail, la part des entreprises entrantes est beaucoup plus importante que celle des entreprises sortantes — les entreprises entrantes s'approprient aussi une part de marché des entreprises existantes. Dans ce secteur, le processus de remplacement se caractérise donc par le déplacement des parts de marché des entreprises sortantes et des entreprises existantes en déclin vers les entreprises entrantes.

Afin de concorder avec ce processus de remplacement, la décomposition de l'équation (4) devrait être modifiée comme suit : 

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PD représente la productivité pendant l'année de base des entreprises restantes qui ont décliné pendant une période donnée. Les troisième et quatrième termes mesurent collectivement la contribution à la croissance globale de la productivité des entreprises entrantes qui ont remplacé les entreprises sortantes et les entreprises existantes en déclin. Pour prouver que c'est le cas, nous pouvons reformuler l'équation (5) en réorganisant les deux derniers termes : 

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PN est la productivité des entreprises entrantes pour la dernière année de la période, SN est la part des entreprises entrantes à la fin de la période et SX est la part des entreprises sortantes au début de la période. Le troisième terme de l'équation est la différence entre la productivité des entreprises entrantes et celle des entreprises sortantes, multipliée par la part des entreprises sortantes. Il mesure la contribution du remplacement des entreprises sortantes par les entrantes à la croissance de la productivité globale. Le quatrième terme de l'équation est la différence entre la productivité des entreprises entrantes et celle des entreprises existantes en déclin, multipliée par les parts de production et d'emploi que les entreprises entrantes ont gagnées aux dépens des entreprises existantes en déclin. Il reflète la contribution du remplacement des entreprises existantes en déclin par les entreprises entrantes à la croissance de la productivité globale.

Si la part des entreprises entrantes (SN) est égale à celle des entreprises sortantes (SX), comme c'est le cas dans le secteur de la fabrication, la décomposition (6) devient la décomposition (4) qui a servi à évaluer la contribution des entreprises entrantes à la croissance de la productivité du secteur de la fabrication, dans l'étude de Baldwin et Gu (2006).

Dans la section empirique, nous utiliserons les deux décompositions : celle de Griliches et Regev (équation (3)) et celle de Baldwin et Gu (équation (6)), et nous constaterons dans quelle mesure nos réponses varient l'une de l'autre.

4.1  Résultats de tout le secteur du commerce de détail

Au moment d'appliquer nos formules, il a fallu juger s'il fallait calculer les effets du roulement des entreprises dans chaque industrie pour ensuite agréger les résultats ou s'il fallait plutôt considérer que toutes les industries à quatre chiffres visées devaient être regroupées en un même secteur. Dans le premier cas, les entreprises entrantes n'influent que sur les entreprises (sortantes ou survivantes) de leur secteur. Dans le second cas, l'hypothèse implicite est que les entreprises dans une industrie ont une incidence sur les entreprises (sortantes ou survivantes) dans d'autres secteurs.

On a fait valoir que la concurrence qui règne dans le secteur du commerce de détail concerne la plupart de ses sous-secteurs. Basker (2003) et le McKinsey Global Institute (2001) parviennent à la conclusion que les pressions concurrentielles exercées par Wal-Mart se sont fait sentir à l'échelle du secteur du commerce de détail. Cette société et d'autres grandes surfaces font concurrence aux détaillants dans un grand nombre de catégories : marchandises diverses, médicaments, vêtements, aliments, etc. D'entrée de jeu, nous procédons donc à la décomposition de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle pour tout le secteur du commerce de détail.

Les décompositions de la productivité du travail se trouvent dans le tableau 7, et celles de la productivité multifactorielle, dans le tableau 8. Chaque cellule des tableaux montre la contribution à la croissance globale en points de pourcentage, pour chacune des composantes de la décomposition.

Tableau 7 : Décomposition de la croissance de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail

Le message livré par les deux formules de décomposition est le même : ce sont les entrées et les sorties qui rendent compte du gros de la croissance de la productivité du travail de 1984 à 1998 dans le secteur du commerce de détail. Ces formules font intervenir des hypothèses différentes, mais elles offrent les mêmes résultats pour ce qui est de l'incidence mixte des entrées et des sorties. Les résultats des deux méthodes de décomposition montrent qu'environ 12 points de pourcentage (autour de 70 %) de la croissance de la productivité du travail sont attribuables aux entrées et aux sorties d'entreprises.. C'est bien plus que l'importance des entrées et des sorties au tableau 5. Au cours de la période, les entrées ont contribué pour 40 % au plus de l'emploi.

Selon la méthode de décomposition de Baldwin et Gu, l'incidence des entrées d'entreprise sur la productivité, pour la période comprise entre 1984 et 1998, résulte en grande partie du remplacement des entreprises sortantes par les entreprises entrantes, le remplacement des entreprises existantes en déclin par les entreprises entrantes ayant une faible incidence positive. Ces résultats indiquent que les entreprises entrantes sont beaucoup plus productives que les entreprises sortantes et que leur productivité se rapproche davantage de celle des entreprises existantes en déclin.

Les deux termes qui appréhendent l'incidence des entreprises établies sont de signes différents. L'apport « entre les entreprises » à la croissance de la productivité est positif pendant la période 1984 à 1998. Il s'agit là de l'incidence du passage de ressources d'entreprises établies en déclin à des entreprises établies en progression. Que le signe soit positif indique que l'emploi est passé d'entreprises établies moins productives à des entreprises plus productives de 1984 à 1998. Cette redistribution de l'emploi entre les entreprises survivantes représente environ 6 points de pourcentage, soit 35 % de la croissance de la productivité globale dans le secteur du commerce de détail.

La somme de la contribution de l'effet des entrées nettes et de l'effet inter-entreprises est un peu plus élevée que la variation totale de la productivité du travail, vu que l'effet intra-entreprise est faible et légèrement négatif 18  . La faiblesse de l'effet intra-enreprise indique que dans une entreprise moyenne demeurée en activité dans le secteur du commerce de détail, la productivité ne s'est accrue que légèrement de 1984 à 1998. La croissance de la productivité dans le secteur était entièrement attribuable au roulement des entreprises, entraîné par les entrées et les sorties d'entreprises et par le déplacement des parts de marché entre les entreprises survivantes.

Les parties inférieures du tableau présentent les résultats de décomposition pour la productivité du travail de 1984 à 1990 et de 1990 à 1998. La croissance de la productivité était entièrement attribuable au roulement des entreprises pour les deux périodes. Mais l'importance relative de l'effet inter-entreprises et de l'incidence des entrées nettes pour ce qui est de leur contribution globale au roulement des entreprises n'est pas la même dans les deux périodes. De 1984 à 1990, le roulement des entreprises provient de la redistribution des entrées et des sorties entre les entreprises existantes, la contribution des entrées et des sorties d'entreprises étant très faible. De 1990 à 1998, le roulement provient autant de la redistribution entre les entreprises existantes que de l'incidence des entrées et des sorties d'entreprise.

Il convient de noter que la composante « dans les entreprises » est négative dans les deux périodes, indice que les entreprises moyennes encore en exploitation dans ce secteur ont vu leur productivité du travail décroître très peu de 1984 à 1990 et de 1990 à 1998. Des études canadiennes antérieures nous disent que le gros de la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail est lié à l'utilisation accrue de technologies de l'information et des communications (TIC) et à l'innovation organisationnelle. Nos résultats de décomposition semblent indiquer que cette croissance de la productivité par les TIC vient des entreprises entrantes ou existantes plus productives, qui exploitent les TIC et adoptent des pratiques organisationnelles novatrices, gagnant ainsi la part de marché des entreprises sortantes et des entreprises existantes moins productives. Les résultats portent aussi à croire que l'effet « Wal-Mart » sur la productivité du secteur de détail, dont on a tant parlé, résulte surtout des pressions concurrentielles et des restructurations qui entraînent un déplacement des parts de marché des entreprises sortantes et existantes en déclin vers les entreprises entrantes et existantes en expansion.

Le tableau 8 présente les résultats de la décomposition de la croissance de la productivité multifactorielle. Dans l'ensemble, les résultats de la productivité multifactorielle se rapprochent de ceux obtenus pour la croissance de la productivité du travail. Le roulement des entreprises entraîné par les entrées et les sorties d'entreprises et par la restructuration d'entreprises existantes compte pour pratiquement toute la croissance de la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail pour la période de 1984 à 1998. L'effet intra-entreprise, légèrement négatif, montre une faible baisse de la productivité multifactorielle des entreprises survivantes pour cette période. Il convient de souligner que l'incidence des entrées nettes sur la croissance de la productivité multifactorielle est négative pour les années 1990, ce qui indique que la productivité multifactorielle était plus élevée pour les entreprises sorties du marché pendant la récession du début des années 1990 que pour celles qui y sont entrées pendant la même période. La différence entre les résultats de la productivité du travail et ceux de la productivité multifactorielle portent aussi à croire que presque tous les gains en productivité du travail pour la période plus récente sont attribuables à l'accroissement de l'intensité de capital des entreprises entrantes comparativement aux entreprises qu'elles ont remplacées.

Tableau 8 : Décomposition de la croissance de la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail

Ces résultats contrastent vivement avec les résultats de nos études antérieures pour le secteur canadien de la fabrication. Dans le secteur de la fabrication, environ la moitié de la croissance globale de la productivité du travail est attribuable au roulement des entreprises provenant des entrées et des sorties et de la restructuration d'entreprises existantes sur une période de 10 ans (Baldwin et Gu, 2004). Par ailleurs, dans le secteur du commerce de détail, la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle est entièrement attribuable au roulement des entreprises sur une période de 10 ans. Ce que nous disons de l'importance de ce roulement dans le secteur du commerce de détail par rapport au secteur de la fabrication concorde avec les constatations de Foster, Haltiwanger et Krizan (2006) pour les États-Unis. Selon ces auteurs, les entrées et les sorties rendent compte de la totalité de la progression de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail aux États-Unis pendant les années 1990. Dans le secteur américain de la fabrication, l'apport des entrées et des sorties est d'environ 30 % de la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle sur une période de 10 ans.

Tableau 9 : Décomposition de la croissance de la productivité du travail et de la croissance de la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail, par pays de contrôle

Dans le tableau 9, nous présentons les données recueillies sur la contribution des entreprises sous contrôle étranger et de celles sous contrôle national à la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail. Les résultats reposent sur la méthode de décomposition illustrée dans l'équation (6) présentée dans notre étude. Les résultats obtenus avec la méthode de Griliches et Regev sont similaires. Nous nous concentrerons sur la période de 1984 à 1996 pour laquelle l'information sur le contrôle du droit de propriété est disponible dans le fichier T2-PALE. Pour cette période, 5,7 points de pourcentage, ou 30 % de la croissance de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail sont attribuables aux entreprises sous contrôle étranger. Celles-ci ont contribué pour 4,7 points de pourcentage, soit 45 %, à la croissance de la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail. La contribution des entreprises sous contrôle étranger à la croissance de la productivité surpasse dans une mesure disproportionnée leur contribution aux ventes. Environ 20 % des ventes totales pour cette période sont attribuables aux entreprises sous contrôle étranger.

La contribution des entreprises sous contrôle étranger à la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle provient surtout de l'entrée des entreprises sous contrôle étranger et de la restructuration des entreprises sous contrôle étranger existantes. Chez les entreprises sous contrôle étranger, l'effet inter-entreprises est positif mais faible, ce qui indique que tout comme pour l'ensemble de la population, la productivité s'est peu accrue dans une entreprise moyenne sous contrôle étranger qui est demeurée en activité.

4.2  Résultats des diverses industries de commerce de détail

Les résultats décrits à la section précédente sont ceux de la contribution du roulement des entreprises à la croissance globale de la productivité dans tout le secteur du commerce de détail. Nous examinerons ici cet apport pour 16 industries du secteur du commerce de détail au Canada en supposant que les entreprises entrantes en remplacent d'autres dans chaque industrie plutôt qu'à l'échelle interindustrielle. Nous avons exclu de notre analyse trois industries de commerce de détail à cause des erreurs de mesure dont sont entachées les données qui s'y rapportent. Il s'agit des catégories spiritueux, vin et bière; médicaments d'ordonnance et médicaments brevetés; et vêtements pour hommes.

Les décompositions de la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle de 1984 à 1998 sont respectivement décrites aux tableaux 10 et 11. Les résultats reposent sur la méthode de décomposition dans l'équation (6) présentée dans notre étude. Dans l'ensemble, les résultats des industries individuelles concordent avec les résultats collectifs du secteur du commerce de détail. Premièrement, les entrées et les sorties apportent une contribution positive à la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle dans 12 de ces 16 industries.

Deuxièmement, la restructuration et la redistribution des sorties et des entrées entre les entreprises survivantes entraînent un taux élevé de croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle dans la plupart des secteurs d'activité. Cependant, leur contribution à la croissance de la productivité du travail est inférieure à celle des entrées et des sorties d'entreprises dans la plupart des industries, mais leur contribution à la croissance de la productivité multifactorielle est supérieure à celle des entrées et des sorties d'entreprises pour environ la moitié des industries.

Troisièmement, la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle dans presque toutes les industries du commerce de détail est presque entièrement attribuable au roulement des entreprises provenant des entrées et des sorties et de la restructuration des entreprises existantes.

Quatrièmement, conformément aux résultats obtenus pour l'ensemble du secteur du commerce de détail, l'effet intra-entreprise est faible et négatif dans la plupart des industries. Pour la période de 1984 à 1998, dans le secteur du commerce du détail, la productivité du travail et la productivité multifactorielle sont demeurées pratiquement inchangées pour une entreprise existante moyenne.

Tableau 10 : Décomposition de la croissance de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail, par catégorie à trois chiffres de la Classification type des industries, de 1984 à 1998

Tableau 11 : Décomposition de la croissance de la productivité multifactorielle dans le secteur du commerce de détail, par catégorie à trois chiffres de la Classification type des industries, de 1984 à 1998

5   Résultats après entrée des nouveauxmagasins de détail : rôle du processus de sélectionet d'apprentissage

Dans cette section, nous examinons la survie et le rendement après entrée des entreprises ayant nouvellement accédé au secteur du commerce de détail. C'est là un important facteur qui influe sur la contribution apportée par les entreprises entrantes à la croissance globale de la productivité pendant leur cycle de vie.

Des études antérieures (portant surtout sur les entreprises et les établissements du secteur de la fabrication) semblent indiquer que les entreprises entrantes subissent un processus tant de sélection que d'apprentissage (Baldwin et Rafiquzzaman, 1995; Baldwin et Gu, 2003). Il y a sélection naturelle quand les entreprises nouvelles qui sont le moins productives disparaissent et que les entreprises plus productives survivent. Il y a apprentissage lorsque les entreprises entrantes qui survivent apprennent ce que sont les meilleures pratiques et les meilleurs modes de service à la clientèle là où elles se trouvent et améliorent donc leurs chances de survie et leur rendement. En fabrication, les entreprises entrantes sont relativement petites au début et sont largement distancées par les entreprises établies tant pour la taille que pour la productivité. Par un processus de sélection et d'apprentissage, une cohorte d'entreprises entrantes qui survivent parvient progressivement au rendement des entreprises établies, mais le rattrapage est lent.

D'après nos résultats, le processus serait fort différent dans le commerce de détail. Dans ce secteur, les entreprises entrantes sont relativement grandes au début et, souvent, elles sont tout aussi productives que les entreprises en place. Là, une cohorte n'a pas à faire son rattrapage en productivité et elle se met presque immédiatement à décroître sur ce plan. La concurrence vient non pas tant des autres entreprises établies, mais plutôt de l'arrivée constante de nouvelles entreprises qui ont trouvé le moyen d'améliorer les méthodes de vente. La productivité se met à diminuer dans les entreprises entrantes presque immédiatement après leur création.

Dans cette section, nous étudions le profil de croissance des cohortes d'entreprises entrantes. Nous nous demandons si les taux de sortie sont dans un même rapport de dépendance avec la durée que pour les entreprises manufacturières. La taille relative est-elle un important facteur de réussite tant dans le commerce de détail que dans la fabrication ou le fait que les entreprises entrantes soient relativement plus grandes au début a-t-il de l'importance? Avec quelle rapidité la taille des entreprises entrantes qui survivent s'accroît-elle? Nous nous demanderons en particulier quand celles-ci approchent de la taille des entreprises établies.

5.1  Survie après entrée

Pour examiner les chances de survie après entrée des nouvelles entreprises dans le secteur canadien du commerce de détail, nous emploierons le modèle des risques proportionnels et à vraisemblance partielle de Cox. Nous désignerons le taux de risque de l'entreprise i par Image. Il s'agit de la probabilité que l'entreprise soit en sortie dans l'intervalle de t à t + 1 si elle a survécu jusqu'à la période t. Nous modélisons le taux de risque de cette entreprise en fonction de sa productivité du travail et de sa productivité multifactorielle (expression logarithmique) par rapport aux niveaux industriels moyens, de sa taille par rapport à la taille de l'entreprise moyenne et enfin d'un jeu de variables binaires pour les industries à trois chiffres de la Classification type des industries (CTI) et les cohortes : 

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Image est le taux de risque de base prodreli, la productivité du travail et la productivité multifactorielle initiales de l'entreprise i par rapport aux niveaux industriels moyens respectifs, taillereli, l'emploi initial en expression logarithmique par rapport à la taille moyenne de l'entreprise de l'industrie correspondante, et les variables binaires, les différentes cohortes et industries visées. Comme les variables prodreli et taillereli se mesurent en écarts par rapport à la moyenne, le taux de risque de base peut s'interpréter comme le risque de l'entreprise moyenne.

Nous estimons ce modèle pour toutes les cohortes d'entreprises nées de 1986 à 1996. Pour corriger les déclarations de partie d'année de création, nous définissons les entreprises entrantes dans la période t comme celles qui étaient absentes du secteur dans la période t–2, mais présentes dans les périodes t–1 et t. Il y a troncation dans ces estimations par limitation à droite de la durée de vie des entreprises entrantes qui ont survécu jusqu'en 1998.

Le graphique 6 trace la courbe Kaplan-Meier de survie de tous les magasins de détail nés entre 1986 et 1996. Cette courbe décrit les probabilités de survie après une certaine période. Le taux de sortie des nouvelles entreprises est élevé dans le secteur du commerce de détail. Le quart des entreprises entrantes sortent dans les trois premières années qui suivent leur création et la moitié seulement survivent jusqu'à leur huitième année 19  .

Graphique 6
Survie des nouvelles entreprises dans le secteur du commerce de détail

Les résultats de la modélisation de risques proportionnels de Cox (7) figurent au tableau 12. Les coefficients de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle en valeur relative sont négatifs et statistiquement significatifs au niveau de 1 %. Les entreprises entrantes qui sont hautement productives sur ce double plan ont plus de chances de survivre. Nos estimations indiquent qu'une augmentation de 10 points de pourcentage de la productivité du travail à la création est liée à une hausse de 2,5 points de pourcentage du taux de survie. Une augmentation de 10 points de pourcentage de la productivité multifactorielle détermine une hausse de 2,4 points de pourcentage du taux de survie. On peut également constater que la taille à la création est relative à la survie de l'entreprise. Une augmentation de 10 points de pourcentage de la taille de l'emploi dans l'entreprise est liée à une hausse de 3,5 points de pourcentage du taux de survie.

Les coefficients des variables binaires des diverses cohortes d'entrée indiquent que les entreprises en entrée dans la récession du début des années 1990 (de 1990 à 1994) ont présenté des taux supérieurs de probabilité de sortie. Ce sont les entreprises nées pendant la période d'expansion de 1995 et 1996 qui se caractérisent par les taux les plus bas. Les conditions macroéconomiques influent sur le taux de sortie des nouvelles entreprises.

Le graphique 7 décrit les risques de bases dans l'estimation du modèle de risques proportionnels de Cox (7). Elle décrit le taux de probabilité de sortie des entreprises moyennes créées en 1986 dans l'industrie des magasins d'alimentation 20  . Ce taux diminue avec le temps sauf dans la première année où il est en hausse, d'où l'impression que les risques d'échec s'accroissent dans cette première année et que, par la suite, ils s'atténuent à mesure que s'allonge la période de survie. Que l'on constate que la fonction de probabilité de sortie des entreprises soit dans un rapport négatif de dépendance avec la durée va dans le sens de ce que nous disent la plupart des études antérieures (Baldwin, 1995; Baldwin et coll., 2000; Boeri et Cramer, 1992; Mata et Portugal, 1994; et McCloughan et Stone, 1998). Une valeur négative de dépendance à l'égard de la durée s'interprète souvent comme témoignant des effets de l'apprentissage, puisque les nouvelles entreprises qui apprennent ce que sont les meilleures pratiques en affaires risquent moins de disparaître.

Tableau 12 : Analyse du taux de risque des sorties d'entreprise dans le secteur canadien du commerce de détail

Graphique 7
Survie des nouvelles entreprises dans le secteur du commerce de détail

5.2  Rendement après entrée

Pour juger du rendement après entrée des nouveaux magasins de détail au Canada, nous estimons une équation de régression qui relie le rendement de l'entreprise à des variables binaires d'âge d'entreprise, de cohorte et d'industrie : 

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Yit représente les diverses mesures (productivité du travail, productivité multifactorielle, production, capital et travail) du rendement de l'entreprise i dans la période t. Cette spécification s'applique à toutes les cohortes d'entreprises nées entre 1986 et 1996 qui ont survécu jusqu'en 1998. Par les variables binaires de l'industrie, nous tenons compte des différences de rendement moyen d'entreprise entre les industries à trois chiffres du commerce de détail. Avec les variables binaires des cohortes d'années, nous tenons compte des différences de rendement d'entreprise entre cohortes qui tiennent à des différences de conditions macroéconomiques à la création. Nous estimons l'équation (8) par des techniques de régression en moindres carrés ordinaires (MCO) non pondérés et en moindres carrés pondérés (MCP). Les résultats MCO décrivent le rendement après entrée de l'entreprise entrante moyenne et les résultats MCP peuvent s'interpréter comme le rendement de toutes les entreprises entrantes comme cohorte.

Le tableau 13 livre les résultats de régression pour la croissance tant de la productivité du travail que de la productivité multifactorielle dans les nouvelles entreprises du secteur canadien de commerce de détail. Les valeurs des deux premières colonnes sont issues de la régression MCO. Dans le graphique 8, nous nous reportons à ces résultats pour tracer la courbe de productivité de l'entreprise entrante moyenne au cours de sa vie. Nous constatons que cette entreprise présente un taux négatif de croissance aussi bien pour la productivité du travail que pour la productivité multifactorielle. La productivité du travail des entreprises entrantes a décru à un taux annuel de 1,6 % dans les 13 ans ayant suivi leur entrée. La décroissance est semblable pour la productivité multifactorielle. La productivité du travail et la productivité multifactorielle diminuent rapidement dans les trois premières années qui suivent la création. Dans ces années initiales, la première a reculé de 3,1 % par année et la seconde, de 2,4 % par année.

Tableau 13 : Croissance après entrée de la productivité des nouvelles entreprises du secteur canadien du commerce de détail

Graphique 8
Productivité après entrée des nouvelles entreprises du secteur du commerce de détail

Les résultats de la régression MCP dans les deux dernières colonnes nous permettent de suivre le rendement après entrée des nouvelles entreprises comme groupe 21  . Nous constatons que, collectivement, celles-ci améliorent leur productivité du travail après l'entrée, mais que cette amélioration a lieu sept ans seulement après leur création. Dans les sept premières années, cette productivité ne s'accroît guère dans les entreprises entrantes.

La progression s'explique par une intensification du capital et du travail. Pour les entreprises entrantes, la productivité multifactorielle ne présente aucune variation significative dans les 13 ans qui suivent leur création.

La divergence entre les résultats de régression MCO et MCP révèle des écarts de rendement après entrée entre les entreprises grandes et petites. Les grandes entreprises entrantes améliorent leur productivité du travail et gagnent en intensité de capital avec le temps, contrairement aux petites entreprises entrantes.

Aux tableaux 14 et 15, nous regardons la croissance après entrée de la production, du stock de capital et du travail dans les nouvelles entreprises du secteur du commerce de détail. Les résultats des régressions sans pondération qui sont décrits au tableau 14 et mis en graphique dans le graphique 9 montrent que la production, le capital et le travail de l'entreprise entrante moyenne augmentent dans les neuf premières années de sa vie. Cette croissance culmine dans la neuvième année pour les entreprises entrantes qui survivent. Après cette neuvième année, la production se met à décroître, alors que le capital et le travail n'évoluent guère.

Tableau 14 : Croissance après entrée de la production, du capital et du travail des nouvelles entreprises du secteur canadien du commerce de détail

Tableau 15 : Croissance après entrée de la production du capital et du travail des nouvelles entreprises du secteur canadien du commerce de détail

Graphique 9
Production, capital et travail après entrée des nouvelles entreprises du secteur du commerce de détail

Lorsqu'elle culmine dans la neuvième année suivant la création dans le cas du magasin de détail moyen, la production est d'environ 22 % supérieure à ce qu'elle était à la création de l'entreprise, d'où l'impression que la nouvelle entreprise moyenne qui survit ne parviendra jamais à la taille moyenne des entreprises établies. La production moyenne est moins élevée de 67 % dans les entreprises entrantes à la création que dans les entreprises établies.

Les résultats de régression en pondération au tableau 15 nous permettent de suivre la croissance après entrée de la production, du capital et du travail dans toute la cohorte d'entrée qui survit 22  . Cette croissance à l'échelle collective est de deux à quatre fois plus élevée que celle de l'entreprise entrante moyenne. En conséquence, les grandes entreprises entrantes ont généralement une croissance supérieure à celles des entreprises correspondantes de moindre taille pour la production, le capital et le travail. La cohorte survivante réalise encore des gains de croissance après la neuvième année. À la différence de l'entreprise entrante moyenne qui ne parvient pas à la taille des entreprises établies, la cohorte d'entrée y arrive dans sa neuvième année. La production de la cohorte d'entrée survivante jusqu'à sa neuvième année est d'environ 2,2 fois supérieure à la production à la création; c'est un peu plus que la différence de production entre les entreprises entrantes à leur création et les entreprises établies.

En somme, nous constatons que les entreprises font l'objet d'une sélection et d'un apprentissage après leur création. Dans une cohorte d'entrée, les entreprises les moins productives disparaissent, tandis que les plus productives survivent. Les entreprises de la cohorte d'entrée qui survivent affichent des taux d'échec en baisse, et leur rendement s'améliore à mesure qu'elles se familiarisent avec les pratiques opérationnelles exemplaires.

Pour évaluer l'importance relative de la sélection et de l'apprentissage pour le rendement après la création, nous examinons la variation de la productivité du travail d'une cohorte de toutes les entreprises créées en 1985 pendant la période subséquente de 1985 à 1998. L'évolution de la productivité du travail de la cohorte d'entreprises au cours de la période de 1985 à 1998 correspond à la différence entre la productivité du travail de la cohorte en 1985 et la productivité du travail de la cohorte d'entreprises toujours en activité en 1998 : 

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si est la proportion d'emplois de l'établissement i dans la cohorte d'entreprises créées pendant l'année, pi est la productivité de l'établissement i, N indique l'ensemble de toutes les entreprises créées en 1985, et S renvoie à l'ensemble de toutes les entreprises qui ont survécu pendant la période de 1985 à 1998. La variation de la productivité du travail de la cohorte d'entreprises peut être décomposée en deux parties : l'effet de l'apprentissage et l'effet de la sélection : 

Le premier terme représente l'effet de l'apprentissage sur le rendement après la création d'une cohorte d'entrée, tandis que le deuxième indique l'effet de la sélection. L'effet de l'apprentissage est positif lorsque les entreprises qui survivent améliorent leur productivité. L'effet de la sélection est positif lorsque les établissements moins productifs disparaissent et que les plus productifs survivent.

Au moyen des données sur le secteur du commerce de détail du fichier T2-PALE, nous constatons que la productivité du travail de la cohorte d'entrée de 1985 a augmenté de 61 % pendant la période de 1985 à 1998, et que 7 points de pourcentage de cette hausse sont attribuables à l'effet de l'apprentissage, tandis que les 53 points de pourcentage restants peuvent être imputés à l'effet de la sélection 23  . Nous en concluons que l'effet de la sélection et l'effet de l'apprentissage ont tous deux une incidence sur le rendement après la création, mais que l'effet de la sélection est beaucoup plus important pour la croissance globale d'une cohorte.

6   Conclusion

La présente étude vient enrichir la documentation récente, de plus en plus exhaustive, qui examine les facteurs de la croissance de la productivité dans le secteur des services en s'intéressant davantage au secteur du commerce de détail au Canada. Contrairement à la plupart des études précédentes portant sur le roulement des entreprises et sur la croissance de la productivité qui se sont penchées sur le secteur de la fabrication, la présente étude s'est intéressée aux facteurs de la croissance de la productivité dans le secteur du commerce de détail au Canada. Les données recueillies indiquent que la croissance de la productivité du secteur du commerce de détail au Canada est presque entièrement attribuable au roulement des entreprises et au processus concurrentiel qui déplace les entrées et les sorties des entreprises sortantes et des entreprises existantes en déclin vers les entreprises entrantes plus productives et vers les entreprises existantes en expansion, également plus productives. Nos principales conclusions peuvent se résumer comme suit.

Premièrement, le secteur canadien du commerce de détail est marqué par un fort roulement des entreprises. Environ 60 % des entreprises qui y étaient présentes en 1984 n'étaient plus en activité en 1998. Les entreprises sortantes rendent compte de 25 % des ventes et de 30 % de l'emploi global du secteur. Environ 70 % des entreprises exploitées en 1998 sont de nouvelles entreprises en entrée pendant la période 1984 à 1998 qui représentent 42 % de toutes les ventes et 41 % de tous les emplois.

Deuxièmement, les entreprises entrantes sont bien plus productives que les entreprises sortantes. En moyenne, la productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises qui sont entrées dans le secteur du commerce de détail durant la période de 1986 à 1998 était de 20 % supérieure à celle des entreprises qui en sont sorties durant la même période. Nous avons observé que les entreprises nouvellement créées avaient une productivité du travail et une productivité multifactorielle similaires à celles des entreprises existantes. La productivité du travail et la productivité multifactorielle des entreprises sortantes étaient plus faibles que celles des entreprises existantes.

Troisièmement, la croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle dans le secteur canadien du commerce de détail découle du roulement et de la restructuration des entreprises pour la période de 1984 à 1998. Au Canada, les résultats obtenus par le secteur du commerce de détail contrastent fortement avec ceux du secteur de la fabrication, où l'entrée, la sortie et le roulement des entreprises représentent environ 50 % de la croissance de la productivité du travail sur une période de 10 ans.

Quatrièmement, 5,7 points de pourcentage ou 30 % de la croissance de la productivité du travail dans le secteur du commerce de détail étaient attribuables aux entreprises sous contrôle étranger pour la période de 1984 à 1998. Celles-ci ont aussi contribué 4,7 points de pourcentage (45 %) à la croissance de la productivité multifactorielle de ce secteur. La contribution des entreprises sous contrôle étranger à la croissance de la productivité est beaucoup plus élevée que leur contribution aux ventes, qui était d'environ 20 % pour cette période.

Cinquièmement, les entreprises entrantes subissent un processus de sélection et d'apprentissage après leur création. Dans une cohorte d'entrée, les entreprises les moins productives quittent et les plus productives survivent. Les entreprises survivantes de la cohorte présentent des taux d'échec décroissants et améliorent leur rendement à mesure qu'elles apprennent ce que sont les meilleures pratiques en affaires. Nous constatons que le quart des entreprises entrantes sortent du secteur dans les trois premières années qui suivent leur création et que la moitié environ survivent jusqu'à leur huitième année. Les entreprises survivantes de taille moyenne d'une cohorte d'entrée parviennent à la taille moyenne des entreprises établies dans la neuvième année de la cohorte. Les entreprises entrantes qui réussissent voient leur production s'accroître rapidement après la cinquième année, tout comme leur productivité du travail après la septième. Plus tôt dans leur vie, les entreprises entrantes ont une production et une productivité du travail qui n'accusent guère de variations significatives.

Sixièmement, il y a apprentissage dans les grandes entreprises entrantes. Dans les petites, les taux de croissance de la productivité du travail et de la productivité multifactorielle sont négatifs après la création. La croissance de la production, du capital et du travail est également plus faible parmi les petites entreprises que parmi les grandes. L'entreprise entrante moyenne verrait sa production culminer vers la neuvième année et ne parviendrait pas à la taille des entreprises établies.

Les données recueillies sur l'importance du roulement des entreprises et du processus concurrentiel dans la croissance de la productivité du secteur du commerce de détail appuient les études antérieures qui montrent que la croissance de la productivité de ce secteur au Canada est liée à l'utilisation des technologies de l'information et des communications (TIC) et à l'innovation organisationnelle. Les résultats de la présente étude indiquent que la croissance de la productivité entraînée par les TIC est observée dans les entreprises entrantes et existantes plus productives qui ont recours aux TIC et adoptent des pratiques organisationnelles novatrices, s'appropriant ainsi la part de marché des entreprises sortantes et des entreprises existantes moins productives. Les données recueillies donnent aussi à penser que l'effet dit « Wal-Mart » sur la productivité du secteur du commerce de détail est surtout attribuable aux pressions concurrentielles et à la restructuration, qui déplacent les parts de marché des entreprises sortantes et des entreprises existantes en déclin vers les entreprises entrantes et les entreprises existantes en expansion.