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Les envois de fonds par les immigrants récents

par René Houle et Grant Schellenberg

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Les envois de fonds par les immigrants à l'intention des membres de leur famille restés dans leur pays d'origine s'inscrivent dans une longue tradition. Cependant, grâce aux réseaux unissant les établissements financiers de la planète et aux technologies des télécommunications de nos jours, le rythme et le volume des transferts de fonds à l'échelle mondiale se sont accrus comme jamais on n'aurait pu l'imaginer auparavant.

Bon nombre d'études sont entreprises au pays et ailleurs pour mesurer les mouvements des envois de fonds. La Banque mondiale estime à 167 milliards de dollars US les envois vers les pays en développement en 2005 (Banque mondiale, 2006). Il s'agit vraisemblablement d'une sous-estimation, car certains envois de fonds effectués par des voies structurées, comme les bureaux de poste ou les bureaux de change, et les envois de sommes inférieures à un seuil minimal ne figurent souvent pas dans les chiffres officiels. De plus, les envois de fonds empruntant des voies parallèles, comme la famille ou les amis, ne sont généralement pas déclarés. S'ils étaient pris en compte, ils pourraient grossir la somme des envois de fonds de 50 % ou davantage.

Les envois de fonds représentent une importante source de recettes pour les pays en développement. En termes absolus, l'Inde (21,7 milliards de dollars US), la Chine (21,4 milliards de dollars US) et le Mexique (18,1 milliards de dollars US) arrivent en tête de peloton (Banque mondiale, 2006). Toutes proportions gardées, la portée des envois de fonds vers de nombreux pays plus petits est manifeste. Par exemple, ils comptent pour environ 20 % à 30 % du PIB du Tonga, de la Moldavie, du Lesotho, d'Haïti, de la Bosnie-Herzégovine et de la Jordanie, et pour environ 10 % à 19 % de plusieurs autres pays, tels la Jamaïque, le Salvador, les Philippines, la République dominicaine, le Liban et le Népal.

Il est aussi possible de calculer la valeur des envois de fonds en fonction des industries nationales. Par exemple, au Mexique [traduction] « elle est supérieure aux revenus totaux de l'industrie touristique et équivaut à plus des deux tiers de la valeur des exportations de pétrole et à environ 180 % de la valeur des exportations agricoles du pays » (Banque interaméricaine de développement, 2004). Sous un angle plus vaste, dans 28 pays, la valeur des envois de fonds est [traduction] « supérieure à celle des gains tirés des exportations les plus importantes des produits de base » (Banque mondiale, 2006). En outre, les envois de fonds dépassent souvent l'aide au développement à l'étranger et les investissements directs étrangers.

Les estimations enregistrées des envois de fonds aux pays en développement ont augmenté de façon marquée ces dernières années, soit de 73 % de 2001 à 2005. Cette tendance a pu être constatée dans un vaste éventail de pays (Banque mondiale, 2006). De nombreux facteurs entrent probablement en jeu, y compris une meilleure collecte des données, la transition des réseaux non structurés à des réseaux officiels et divers faits nouveaux touchant le secteur des envois de fonds (Banque mondiale, 2006; Orozco, 2006).

Une part importante de la recherche canadienne continue de porter plus particulièrement sur les caractéristiques des immigrants récents par rapport au marché du travail et au revenu, mais on accorde peu d'attention à leurs dépenses, dont les envois de fonds constituent un volet1. Les obligations des immigrants ou leurs préférences en ce qui concerne l'envoi de fonds à des membres de la famille à l'étranger peuvent influer sur d'autres aspects de leur établissement, comme les décisions relatives au logement ou à l'emploi. De plus, bien que les taux élevés de faible revenu mettent en évidence les contraintes financières auxquelles se heurtent souvent les nouveaux Canadiens, de telles données ne tiennent pas compte de la part du revenu utilisée pour soutenir les membres de la famille à l'étranger.

D'un point de vue macroéconomique, les données sur les envois de fonds par les ménages aident à mieux comprendre les flux financiers internationaux, en plus de contribuer à l'élaboration de concepts et de mesures se rapportant aux systèmes de comptabilité nationale et à la balance des paiements. À l'échelle internationale, des organismes comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID) s'intéressent aux caractéristiques institutionnelles des corridors bilatéraux utilisés pour les envois de fonds. En effet [traduction] « des efforts sont déployés pour inciter les utilisateurs [personnes à l'origine des envois de fonds] à préférer les voies officielles aux voies non structurées afin d'accroître la transparence des mouvements et de contribuer davantage au développement des pays destinataires » (Hernández-Coss, 2006). Le Fonds multilatéral d'investissement de la BID vise les principaux objectifs suivants : améliorer les sources de documentation sur la valeur des envois de fonds, réduire les coûts des transactions et mieux tirer parti des retombées de ces envois sur le développement (Orozco, 2002). Il faut obtenir de l'information sur l'ensemble du processus régissant les envois de fonds, des expéditeurs aux destinataires, pour rendre pleinement compte de ce phénomène complexe.

Malgré l'intérêt constant qu'elles suscitent, les caractéristiques des personnes qui envoient des fonds à partir du Canada font l'objet d'une recherche encore restreinte, surtout à cause de l'absence de données. De façon générale, les études sont souvent axées sur des groupes d'immigrants originaires de seulement un ou deux pays. La présente étude repose sur l'Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC) pour documenter la prévalence des envois de fonds et les montants expédiés par les immigrants d'un vaste éventail de pays (voir Source des données et méthodologie). La fréquence du phénomène chez les immigrants de la cohorte 2000-2001 variait de moins de 10 % à environ 60 %; la valeur moyenne des montants expédiés variait également d'environ 500 $ à presque 3 000 $ par année. Les facteurs liés à la situation financière et à la famille étaient toujours significatifs, quelle que soit la région d'origine, tandis que d'autres, tels le sexe et le niveau de scolarité, ne semblaient déterminants que pour certains groupes d'immigrants.

Résultats descriptifs

Une importante minorité d'immigrants de la cohorte 2000-2001 ont envoyé des fonds à des membres de leur famille ou à des amis à l'étranger au cours de leurs quatre premières années au Canada. De 6 à 24 mois après leur arrivée, 23 % des immigrants envoyaient des fonds, et cette proportion a monté à 29 % de 25 à 48 mois plus tard (tableau 1). La valeur moyenne des montants expédiés durant la première période de référence s'élevait à 2 500 $, alors qu'elle était de 2 900 $ durant la seconde4. En supposant une répartition égale de la somme des envois au cours de la période de référence, la valeur annuelle des montants expédiés durant les troisième et quatrième années au Canada était de 1 450 $, ce qui est comparable aux estimations des montants envoyés par les immigrants haïtiens et jamaïcains, d'approximativement 1 000 $ à 1 400 $ par année (Simmons et autres, 2005).

De toute évidence, les comportements à l'égard des envois de fonds varient en fonction de la région de naissance. Plus de la moitié des immigrants de l'Asie du Sud-Est, des Caraïbes et du Guyana expédiaient de l'argent de 25 à 48 mois après leur arrivée, par comparaison à environ 40 % de ceux de l'Afrique subsaharienne et de l'Europe de l'Est. Environ le quart des répondants de l'Asie du Sud, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud avaient envoyé des fonds pendant cette période, alors que c'était le cas d'environ le cinquième de ceux de l'Asie de l'Est, de l'Asie de l'Ouest, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. La valeur moyenne des montants expédiés différait également. Pour les immigrants de l'Asie de l'Est, elle était de 3 900 $, tandis que pour ceux des Caraïbes et du Guyana, elle était de 1 600 $.

La fréquence des envois de fonds était plus élevée parmi les immigrants originaires des pays aux PIB les plus faibles par habitant. De 25 à 48 mois après leur arrivée, environ 36 % des immigrants des pays dont le PIB par habitant était inférieur à 4 000 $ avaient envoyé des fonds, par comparaison à seulement 11 % des immigrants de pays dont le PIB par habitant s'élevait à 15 000 $ ou plus. Une interprétation possible tient au fait que leur famille ayant besoin d'un plus grand soutien financier, les immigrants des pays pauvres sont davantage portés à envoyer des fonds. Cela étant dit, la relation entre le PIB par habitant et la fréquence des envois de fonds est relativement stable entre ces deux extrêmes, variant entre environ 25 % et 30 %. Il n'a pas été possible d'établir une relation constante entre le PIB par habitant et la valeur moyenne des montants expédiés.

La variabilité en fonction du pays de naissance est particulièrement frappante (graphique A). Quelque 60 % des immigrants des Philippines et d'Haïti envoyaient des fonds de deux à quatre ans après leur arrivée, alors que c'était le cas d'environ 40 % à 50 % de ceux de la Jamaïque, du Nigeria, de la Roumanie, du Guyana et de l'Ukraine5. Manifestement, de nombreux nouveaux immigrants de diverses régions du monde envoient des fonds. La France, le Royaume-Uni et la Corée du Sud — tous des pays industrialisés — sont à l'extrémité inférieure de la répartition.

En ce qui concerne la valeur moyenne des montants, les auteurs d'envois originaires de 11 pays sur 24 avaient expédié de 1 700 $ à 2 200 $, alors que ceux de sept autres pays avaient expédié de 2 700 $ à 3 700 $ (graphique B). Moins de 20 % des immigrants des États-Unis avaient envoyé des fonds dans leur pays d'origine, mais la valeur moyenne de ceux-ci était assez élevée — un peu moins de 6 000 $. (Les intervalles de confiance relatifs à de nombreuses estimations sont toutefois assez grands.)

Sous l'angle des catégories d'admission, environ 30 % des immigrants des trois catégories avaient envoyé des fonds de 25 à 48 mois après leur arrivée (tableau 2). Parmi ceux-ci, les immigrants de la composante économique avaient envoyé des montants un peu plus élevés que les réfugiés (3 000 $ par rapport à 1 900 $). Cependant, les mesures relatives aux tendances centrales, comme les moyennes, en révèlent peu sur l'intervalle de variation des montants. À peine un peu plus du quart des immigrants qui avaient envoyé des fonds de 25 à 48 mois après leur arrivée avaient expédié moins de 500 $. C'était le cas de 21 % des immigrants de la composante économique, par comparaison à 45 % des réfugiés. Environ la moitié des immigrants de toutes les catégories avaient expédié de 500 $ à 2 500 $. À l'extrémité supérieure de la répartition, 12 % des immigrants de la composante économique avaient envoyé 5 000 $ ou plus, alors que c'était le cas de 5 % des réfugiés.

La mesure dans laquelle les envois de fonds imposent des fardeaux financiers aux nouveaux immigrants est une question importante à considérer. Plusieurs études ont mis en évidence les taux relativement élevés et à la hausse de faible revenu des immigrants récents (Heisz et McLeod, 2004; Picot et autres, 2007). Bien que les mesures de faible revenu tiennent compte du nombre de membres de la famille sous le même toit, elles ne prennent pas en considération le partage du revenu avec des membres résidant à l'étranger. Cela est vrai pour toutes les familles, sans égard au statut d'immigrant. Toutefois, compte tenu des taux de faible revenu relativement élevés des récents immigrants et du fait que presque le tiers d'entre ceux-ci envoient des fonds à l'étranger, leurs ressources financières peuvent être encore plus étirées que ce que les chiffres sur le revenu peuvent suggérer.

La circonspection est de mise lorsqu'on analyse cette question. Comme les comportements liés aux envois de fonds sont mesurés d'une personne à l'autre, plutôt que d'une famille ou d'un ménage à l'autre, les estimations des montants expédiés à l'étranger sont probablement prudentes. De plus, il est possible de calculer les envois de fonds proportionnellement au revenu en faisant du revenu personnel total ou du revenu total de la famille économique le dénominateur. Le revenu personnel produit un pourcentage plus élevé, mais ne tient compte d'aucun partage des ressources financières. Le revenu familial produit un pourcentage plus faible, mais combine des unités d'analyse (envois de fonds personnels et revenu familial). Les résultats de ces deux approches représentent des estimations prudentes des limites inférieures et supérieures des montants envoyés proportionnellement au revenu (tableau 3). Au cours de leur deuxième année au Canada, les immigrants envoyaient des fonds qui correspondaient à 7,5 % de leur revenu personnel et à 3,4 % du revenu familial, en taux annualisé moyen. Deux ans plus tard, les envois de fonds comptaient plutôt pour 5,9 % du revenu personnel et 2,9 % du revenu familial6.

Lorsqu'on tient compte de l'ensemble des immigrants, qu'ils aient envoyé des fonds ou non deux années et quatre années après leur arrivée, les montants expédiés représentaient respectivement 3,7 % et 3,4 % du revenu personnel global, et 1,6 % et 1,3 % du revenu familial global. Sous cet angle, les envois de fonds comptent pour une part relativement faible du revenu des nouveaux immigrants. Néanmoins, pour certaines familles, ils peuvent constituer une dépense considérable — comme par exemple pour les réfugiés. Le revenu familial moyen des réfugiés qui ont envoyé des fonds au cours de leur quatrième année au Canada était de 36 100 $. À titre comparatif, en 2004, le seuil de faible revenu (SFR), avant impôt, s'élevait à un peu plus de 31 000 $ pour une famille de trois personnes et à un peu moins de 38 000 $ pour une famille de quatre personnes résidant dans un grand centre urbain. (Une famille dont le revenu est inférieur au SFR consacre probablement une plus grande part de son revenu aux biens de première nécessité, que sont la nourriture, le logement et l'habillement, que la moyenne des familles.) Dans le cas des réfugiés qui envoient des fonds, cela se traduit par une ponction de presque 1 000 $ dans un revenu familial plutôt modeste.

Résultats de l'analyse à plusieurs variables par modèle regroupé

La statistique descriptive démontre de grandes différences dans les comportements liés aux envois de fonds, qui reflètent en partie les caractéristiques et les expériences propres aux immigrants de différents pays. L'importance des divers facteurs a été examinée au moyen d'une régression logistique ainsi que d'une régression des moindres carrés ordinaires.

Caractéristiques démographiques

On a pu constater une légère corrélation entre le sexe et les comportements liés aux envois de fonds, qui annonçait une probabilité prévue d'expédier de l'argent (après avoir considéré les autres caractéristiques) de 26 % chez les hommes et de 23 % chez les femmes (tableau 4). Parmi les immigrants qui avaient envoyé des fonds, les femmes avaient expédié un montant inférieur d'environ 12 % à celui des hommes. L'âge est aussi un facteur important à considérer — la probabilité prévue était plus élevée chez les immigrants âgés de 25 à 44 ans (environ 30 %) que chez ceux moins âgés ou plus âgés (moins de 20 %). Les personnes âgées de 25 à 34 ans expédiaient des montants plus importants que celles de moins de 25 ans ou de plus de 54 ans.

Capacité financière

Conformément à la documentation, de fortes corrélations ont été établies entre les comportements liés aux envois de fonds et la capacité financière. Par exemple, la probabilité prévue d'envoyer des fonds augmentait monotonique-ment en fonction du revenu familial, de 10 % parmi les immigrants dont le revenu familial était inférieur à 10 000 $ à 36 % parmi ceux dont le revenu familial était de 70 000 $ ou plus. Les montants expédiés croissaient également monotoniquement. De fait, ceux envoyés par des immigrants dont le revenu familial était de 70 000 $ ou plus étaient supérieurs d'environ 45 % à ceux envoyés par des immigrants dont le revenu se situait de 25 000 $ à 44 999 $.

Par ailleurs, les immigrants qui possédaient des économies de 5 000 $ ou plus à l'étranger étaient beaucoup moins enclins à envoyer des fonds (environ 20 %) que les autres (26 %). Une interprétation possible tient au fait que les immigrants possédant des économies à l'étranger proviennent de familles plus aisées, ce qui les incite moins à envoyer des fonds. Parmi les personnes qui envoyaient des fonds, aucune corrélation n'a été établie entre les montants expédiés et les économies possédées.

Comme d'autres études l'avaient montré, les immigrants qui travaillaient à temps plein étaient beaucoup plus susceptibles d'envoyer des fonds que ceux qui travaillaient à temps partiel ou qui n'avaient pas d'emploi (probabilités prévues de 29 %, de 25 % et de 21 %, respectivement). Cependant, aucune corrélation n'a été établie entre le statut d'emploi et les montants expédiés.

Aucun lien significatif n'a été établi entre la probabilité d'envoyer des fonds et le niveau de scolarité des immigrants à leur arrivée au pays. Toutefois, les montants expédiés par les immigrants qui n'avaient pas poursuivi d'études secondaires étaient inférieurs de 20 % à 25 % à ceux envoyés par des titulaires d'un diplôme universitaire.

Enfin, une corrélation positive est apparue entre le lieu de résidence et la fréquence des envois de fonds ainsi que la valeur des montants expédiés. La probabilité prévue d'envoyer des fonds variait entre 21 %, pour les immigrants à Montréal, et 34 %, pour ceux établis à Calgary ou à Edmonton. Au cours des années 2000, les marchés du travail de Calgary et d'Edmonton ont été particulièrement vigoureux, soutenus par les prix élevés du pétrole, du gaz et des produits de base mondiaux. Par exemple, en 2004, les taux de chômage des hommes âgés de 25 à 44 ans qui résidaient à Edmonton ou à Calgary (3,7 % et 4,4 %, respectivement) correspondaient à environ la moitié de celui enregistré à Montréal (8,7 %). La fréquence plus élevée des envois de fonds parmi les immigrants de ces villes témoigne probablement de conditions favorables sur le marché du travail et, peut-être, d'attentes positives à l'égard des gains futurs. Parmi les immigrants qui envoyaient des fonds, ceux de Calgary, d'Edmonton et de Vancouver expédiaient un montant supérieur d'environ 16 % à celui envoyé par les immigrants établis à Toronto.

Obligations envers la famille

Bien que l'information concernant la famille à l'étranger soit limitée dans l'ELIC, les données à notre disposition corroborent l'opinion selon laquelle les caractéristiques familiales influent sur les comportements liés aux envois de fonds. La propension à envoyer des fonds et la valeur des montants expédiés révélaient une corrélation négative avec le nombre d'enfants mineurs dans le ménage. La probabilité prévue d'envoyer des fonds était de 18 % dans les ménages comptant trois enfants ou plus, par comparaison à 27 % des ménages sans enfant. En outre, les montants expédiés par des immigrants avec un ou deux enfants étaient inférieurs de 17 % à 19 % à ceux envoyés par des immigrants sans enfant — et de 36 % dans le cas des immigrants avec trois enfants ou plus.

L'importance des caractéristiques familiales apparaît aussi nettement dans les intentions de parrainer des membres de la famille en vue d'un établissement au Canada. Les immigrants qui parrainaient un conjoint ou un enfant, ou qui avaient l'intention de le faire, étaient plus susceptibles d'envoyer des fonds que ceux qui ne parrainaient pas ou qui n'avaient pas l'intention de le faire (probabilités prévues de 36 % et de 23 %, respectivement). Les montants expédiés par les premiers étaient supérieurs d'environ 23 % à ceux envoyés par des immigrants qui ne parrainaient pas. Les mêmes tendances ont été relevées parmi les immigrants qui parrainaient un de leurs parents ou de leurs grands-parents. Dans leur cas, la probabilité prévue d'envoyer des fonds s'élevait à 30 %, et les montants expédiés étaient plus importants, d'environ 12 %. Ces résultats cadrent avec ceux d'autres études qui montrent que les immigrants qui envoient des fonds pour soutenir des enfants ou un conjoint tendent à envoyer davantage que ceux qui destinent leur aide à d'autres membres de la famille (Stanwix et Connell, 1995).

Catégorie d'immigrant

Les statistiques descriptives ont révélé peu de différence dans la fréquence des envois de fonds en fonction des catégories d'immigration, mais la situation change quelque peu lorsqu'on tient compte d'autres caractéristiques. De façon plus particulière, la probabilité prévue d'envoyer des fonds était un peu plus élevée dans la catégorie du regroupement familial (27 %) que chez les immigrants de la composante économique (23 %). De même, la probabilité prévue d'envoyer des fonds était de 28 % chez les réfugiés (cette estimation était cependant à peine plus élevée que le niveau de confiance de 0,1). Aucune corrélation n'a été établie entre la catégorie d'immigration et les montants expédiés.

Participation à une organisation

Des deux variables du modèle qui étaient liées à la participation ou à l'intégration à une organisation, une seule s'est avérée importante. Ainsi, les immigrants qui appartenaient à une organisation religieuse étaient plus susceptibles d'envoyer des fonds que les autres (probabilités prévues de 28 % et de 24 %, respectivement). Aucune corrélation n'a été établie entre la participation à une organisation et les montants expédiés.

Région de naissance

Des variables nominales se rapportant aux immigrants de neuf régions ont permis de cerner des différences dans les comportements liés aux envois de fonds en fonction des pays d'origine, sans égard aux autres caractéristiques. Encore une fois, les différences étaient marquées. La probabilité prévue d'envoyer des fonds était plus élevée parmi les immigrants de l'Asie du Sud-Est, des Caraïbes et du Guyana (52 %), suivis de ceux de l'Europe de l'Est et de l'Afrique subsaharienne (35 % et 32 %). La vraisemblance du phénomène était plus faible parmi les immigrants de l'Asie occidentale, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (16 %), de l'Amérique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et de l'Océanie (17 %) ainsi que de l'Asie orientale (18 %). Les immigrants de l'Asie orientale ont expédié les montants les plus importants.

Enfin, les comportements liés aux envois de fonds variaient fortement en fonction du PIB par habitant des pays de naissance. La probabilité prévue d'envoyer des fonds était plus élevée chez les immigrants de pays dont le PIB par habitant était inférieur à 2 000 $ (38 %), et moindre chez ceux qui provenaient de pays dont le PIB par habitant variait de 8 000 $ à 14 999 $ (18 %) ou était de 15 000 $ ou plus (12 %).

Résultats de l'analyse à plusieurs variables – comparaisons régionales

Compte tenu des variations considérables des comportements liés aux envois de fonds entre les immigrants de différentes régions, il y a lieu de se demander si les facteurs liés à cette pratique sont généraux ou régionaux. Pour répondre à cette question, des modèles de régression distincts ont été utilisés pour les estimations relatives aux immigrants de neuf régions. Comme trois de ces modèles sont basés sur des échantillons de moins de 800 unités, la vraisemblance des coefficients de régression statistiquement significatifs s'est trouvée réduite. Par conséquent, ces modèles reposaient sur des spécifications simplifiées — certaines covariables ont été exclues, car elles étaient en corrélation avec la région (p. ex. la catégorie d'immigrants), alors que d'autres, comme le nombre d'enfants, ont été regroupées en un moins grand nombre de catégories.

Plusieurs caractéristiques affichaient une corrélation constante des comportements liés aux envois de fonds (tableaux 5 et 6). Cette tendance était tout à fait évidente par rapport à la capacité financière. Une corrélation à la fois positive et importante a été établie entre, d'une part, la probabilité d'envoyer des fonds et la valeur des montants expédiés et, d'autre part, le revenu familial dans le cas des immigrants originaires de sept régions sur neuf7. Une corrélation a été établie entre le statut d'emploi et la vraisemblance des envois de fonds pour les immigrants originaires de six régions, mais il en a été de même par rapport à la valeur des montants expédiés que pour ceux originaires de deux régions. Enfin, la corrélation entre la probabilité d'envoyer des fonds et les économies possédées à l'étranger s'est avérée négative pour les immigrants de cinq régions, et aucune corrélation n'a été établie à cet égard par rapport à la valeur des montants expédiés.

La corrélation entre la présence d'enfants et la probabilité d'envoyer des fonds ainsi que la valeur des montants était importante pour les immigrants de quatre régions, et était presque considérée comme telle pour ceux d'une autre région. Une corrélation positive marquée a été établie entre le parrainage d'un membre de la famille et la probabilité d'envoyer des fonds pour les immigrants de cinq régions, mais seulement pour ceux de deux régions par rapport à la valeur du montant expédié.

La corrélation négative entre les personnes plus âgées et la probabilité d'envoyer des fonds était importante pour les immigrants de six régions sur neuf, mais seulement pour ceux d'une région par rapport à la valeur des montants expédiés.

Dans l'ensemble, l'importance des caractéristiques financières et familiales était beaucoup plus manifeste en ce qui avait trait à la décision d'envoyer des fonds qu'à la valeur du montant expédié. De plus, les résultats tendent à indiquer une constance considérable entre les régions pour certains facteurs en corrélation avec les comportements liés aux envois de fonds, plus particulièrement les caractéristiques financières et familiales.

Dans d'autres cas, les corrélations établies des comportements liés aux envois de fonds apparaissaient plus évidentes dans certaines régions. Par exemple, une corrélation négative a été établie avec la probabilité d'envoyer des fonds pour les femmes de l'Asie du Sud, de l'Asie occidentale, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. De telles corrélations n'ont pas été établies en ce qui concerne les autres régions.

Dans la documentation, les données sur l'importance et le sens des corrélations entre le niveau de scolarité et la propension à envoyer des fonds sont variables. C'est aussi le cas dans la présente étude. Parmi les immigrants de l'Europe de l'Est, ceux qui n'avaient pas complété d'études secondaires étaient moins enclins à envoyer des fonds que ceux qui possédaient un diplôme universitaire. Parmi les immigrants des Caraïbes et du Guyana, ceux qui possédaient un certificat ou un diplôme d'études postsecondaires étaient moins enclins à envoyer des fonds que les titulaires d'un diplôme universitaire. Cette corrélation va dans le sens contraire pour les immigrants de l'Amérique centrale, de l'Amérique du Sud et de l'Asie de l'Est, puisque ceux dont le niveau de scolarité était moins élevé avaient davantage tendance à envoyer des fonds. Cependant, les immigrants dont le niveau de scolarité était moins élevé expédiaient moins d'argent que ceux possédant une formation universitaire, dans trois des neuf régions.

Enfin, une corrélation forte et positive a été établie entre le fait de participer à une organisation et la probabilité d'envoyer des fonds pour les immigrants de l'Afrique subsaharienne, de l'Asie occidentale, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.

Résumé

Au cours de leurs premières années au Canada, une minorité importante de nouveaux immigrants envoient des fonds à des membres de leur famille ou à des amis à l'étranger. La valeur moyenne des montants expédiés chaque année était d'approximativement 1 450 $, ce qui comptait pour environ 6 % du revenu personnel et 3 % du revenu familial, avant impôt.

Les comportements liés aux envois de fonds varient considérablement. À l'intérieur d'une seule cohorte, la probabilité d'envoyer des fonds pouvait varier de moins de 10 % à environ 60 % pour les immigrants de différents pays, alors que la valeur annuelle des montants fluctuait entre environ 500 $ et presque 3 000 $. Les caractéristiques financières et familiales entraient toujours en jeu, et ce, pour toutes les régions d'origine. En revanche, d'autres facteurs, comme le sexe et le niveau de scolarité, ne revêtaient de l'importance que dans certaines régions. Les différences importantes entre les pays et les régions demeuraient lorsqu'on tenait compte des caractéristiques socioéconomiques et de la composition des groupes.

Source des données et méthodologie

L'Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (ELIC), réalisée conjointement par Statistique Canada et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), portait sur tous les immigrants arrivés entre le 1er octobre 2000 et le 30 septembre 2001 qui étaient âgés de 15 ans ou plus au moment de leur arrivée et qui avaient présenté une demande par l'entremise d'une mission canadienne à l'étranger. La base de sondage consistait en une base de données administrative, gérée par CIC. Le plan d'échantillonnage de l'ELIC était stratifié à deux degrés. Le premier correspondait à certaines unités d'immigrants (UI), dont la probabilité était proportionnelle à la taille, et le second était une sélection aléatoire d'un membre à l'intérieur de chaque UI. Seul le membre sélectionné a été suivi tout au long de l'enquête. Une première entrevue a été réalisée environ six mois après l'arrivée des répondants, et deux autres ont eu lieu après deux et quatre ans. Au cours de la première entrevue, on a demandé aux répondants si, depuis leur arrivée, ils avaient envoyé de l'argent à des proches ou à des amis à l'extérieur du Canada — sans avoir à préciser les montants. On a cependant demandé aux répondants de préciser les montants expédiés au cours des deuxième et troisième entrevues. L'analyse à plusieurs variables comprenait une régression logistique de la vraisemblance des envois de fonds ainsi qu'une régression des moindres carrés ordinaires du logarithme naturel des montants expédiés. Les coefficients de la régression logistique ont été présentés sous forme de probabilités prévues pour en faciliter l'interprétation2. Les coefficients du logarithme naturel des montants expédiés se rapprochent des différences en pourcentage et sont communiqués en ces termes pour en faciliter la présentation. Tous les modèles sont calculés à l'aide de poids bootstrap pour corriger les estimations de variance découlant du plan d'échantillonnage (méthode dite de l'estimation de la variance fondée sur le plan d'échantillonnage)3.

Notes

  1. On a beaucoup mis l'accent sur la trajectoire des gains après l'arrivée au Canada, les retombées économiques de l'expérience et des titres de compétence acquis à l'étranger, la capacité de trouver un emploi dans son domaine de spécialisation et l'incidence des faibles revenus. Pour un examen de ces questions, voir Picot, 2004.
  2. Les probabilités prévues de chacune des variables indépendantes ont été estimées après avoir établi les autres variables indépendantes en fonction de leur valeur moyenne.
  3. Certains chercheurs ont recouru au modèle de sélection de Heckman (1976) pour vérifier si l'échantillon d'immigrants envoyant des fonds est un échantillon représentatif des immigrants susceptibles d'avoir envoyé des fonds (Funkhouser, 1995; Brown et Piorine, 2005). Plusieurs modèles de Heckman, basés sur différentes spécifications, ont été utilisés pour répondre à cette question, mais aucune preuve de sélectivité n'a été trouvée. Nos résultats concordent avec ceux de plusieurs études, qui font aussi état du fait que les effets de la sélection sont minimes ou ne sont pas statistiquement significatifs (Menjivar et autres, 1998; Funkhouser, 1995).
  4. Tous les montants exprimés en dollars ont été arrondis à la centaine de dollars près. Les montants déclarés deux ans et quatre ans après l'arrivée n'ont pas été corrigés en fonction de l'inflation. Les questions au sujet de l'envoi de fonds et des montants expédiés figuraient dans la section du questionnaire de l'ELIC sur le revenu. Cette section comprend de nombreuses questions au sujet du revenu du répondant et celui de sa famille – toutes se rapportant à la période de 12 mois avant l'entrevue. À la fin de cette section, les répondants devaient indiquer s'ils avaient envoyé des fonds depuis leur dernière entrevue et, si oui, préciser les montants expédiés. La période de référence ne correspondait alors plus aux 12 mois avant l'enquête, mais aux 18 ou 24 mois précédant l'enquête (la durée variait entre les vagues 2 et 3). Compte tenu de la modification soudaine aux périodes de référence, on ignore si les répondants qui ont déclaré avoir envoyé des fonds faisaient référence à une période de 12, 18 ou 24 mois.
  5. Les estimations du graphique A ont été obtenues à partir de la fréquence moyenne des envois de fonds dans la vague 2 de l'ELIC (c.-à-d. 24 mois après l'arrivée au pays) et dans la vague 3 de l'ELIC (c.-à-d. 48 mois après l'arrivée au pays). Cette approche permet de diminuer les erreurs types liées aux estimations (qui demeurent importantes dans bien des cas) et de simplifier la présentation des données. La même approche est utilisée au graphique B.
  6. Dans le cas des immigrants qui avaient envoyé des fonds, le revenu familial moyen après les dépenses liées au logement (le loyer ou l'hypothèque, les taxes et les services publics) a aussi été calculé et utilisé pour estimer les montants expédiés proportionnellement au revenu familial après les dépenses liées au logement. Les montants expédiés comptaient pour environ 4,0 à 4,9 % du revenu familial après les dépenses liées au logement, et ce, pour les immigrants des trois catégories d'admission.
  7. Dans cette section, les corrélations à l'intérieur d'une région ayant une valeur prédictive de 0,1 ou mieux sont désignées comme étant statistiquement significatives. Le seuil habituel de 0,05 a été assoupli en raison du petit nombre de cas dans plusieurs des modèles.

Documents consultés

Auteurs

René Houle est au service du Centre de données de recherche de Statistique Canada à l'Université du Nouveau-Brunswick. On peut le joindre au 506-458-7240 ou à rhoule@unb.ca. Grant Schellenberg est au service de la Division de l'analyse des entreprises et du marché du travail. On peut le joindre au 613-951-9580 ou à grant.schellenberg@statcan.gc.ca.


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