La situation récente du marché du travail au Canada et aux États-Unis

Par Vincent Ferrao

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Les Canadiens sont pleinement conscients de la tourmente économique causée par l'effondrement du marché de l'habitation aux États-Unis, et des problèmes subséquents liés aux marchés des capitaux. Comme il fallait s'y attendre, le marché du travail a été durement touché, les pertes d'emploi aux États-Unis se chiffrant dans les millions au cours de l'année dernière. Étant donné l'importance des échanges transfrontaliers, des répercussions étaient à prévoir au Canada. Toutefois, les différences entre les structures des deux économies influeront sur la gravité et la durée du repli. Le présent article permet d'examiner comment le marché du travail dans chacun des deux pays a réagi aux événements économiques récents, après ajustement des chiffres canadiens selon les définitions américaines (voir Données canadiennes, définitions américaines).

Les tendances contrastantes de plusieurs indicateurs clés ont été une caractéristique remarquable des marchés du travail au Canada et aux États-Unis en 2008. Au Canada, l'emploi a continué de croître jusqu'au troisième trimestre de l'année, avant de descendre brusquement au dernier trimestre (graphique A). Malgré tout, l'emploi au Canada a réussi à afficher une légère augmentation de 75 000 (0,4 %) pour l'ensemble de l'année, ce qui est toutefois beaucoup moins par rapport à la croissance de 355 000 emplois en 2007 (2,1 %). En revanche, l'emploi aux États-Unis a connu d'importantes pertes durant 2008, enregistrant un recul total de 2 956 000 (-2,0 %), après avoir affiché peu de changement l'année précédente. En outre, le taux d'emploi au Canada a atteint un sommet record de 64,5 % au début de 2008, mais à la fin de l'année, il s'établissait à 63,7 % (graphique B). Aux États-Unis, ce taux a affiché une diminution marquée et soutenue depuis la fin de 2007, se situant à 61,0 % à la fin de 2008, en baisse de presque deux points de pourcentage depuis décembre 2007.

Le taux de chômage au Canada, ajusté selon les définitions américaines, atteignait 5,2 % en décembre 2007, avant de s'établir à 5,1 % au début de 2008, soit son plus bas niveau depuis trois décennies. Cependant, il a terminé l'année à 5,8 % (graphique C). La plus grande part de cette augmentation résulte des pertes d'emploi au dernier trimestre de 2008. Aux États-Unis, le taux a crû de plus de deux points complets depuis la fin de 2007, passant de 4,9 % à 7,2 % en décembre 2008, son plus haut niveau depuis 1993. En fait, les pertes d'emploi marquées aux États-Unis ont fait grimper leur taux de chômage en 2008 au-dessus du taux canadien pour la première fois depuis la récession du début des années 1980. En outre, proportionnellement plus de Canadiens que d'Américains ont été actifs sur le marché du travail depuis janvier 2002 (graphique D).

Différence selon l'âge

Les pertes d'emploi aux États-Unis en 2008 ont été particulièrement marquées chez les jeunes âgés de 16 à 24 ans, se chiffrant à 985 000 (-5,0 %), tandis qu'au Canada, le recul a été beaucoup moindre, l'emploi diminuant de 47 000 (-1,9 %).

La situation des travailleurs âgés de 25 à 54 ans, soit le principal groupe d'âge actif, était également très différente. Au Canada, ce groupe a réussi à afficher une croissance de l'emploi au cours des dernières années et a même enregistré une hausse de 22 000 (0,2 %) en 2008. Cette situation contraste avec celle prévalant aux États-Unis, où le nombre de travailleurs du principal groupe d'âge actif a chuté de 2,9 % (-2 868 000) en 2008.

Le nombre de travailleurs âgés de 55 ans ou plus a continué de s'accroître dans les deux pays en 2008, en hausse de 101 000 (3,9 %) au Canada et de 878 000 (3,3 %) aux États-Unis. Bien que la population vieillisse dans les deux pays, la croissance de l'emploi est beaucoup plus rapide que l'accroissement démographique pour ce groupe d'âge, ce qui traduit une participation accrue des travailleurs âgés au marché du travail dans chacun des deux pays.

En 2008, le marché du travail canadien n'a pas été touché aussi défavorablement que le marché américain. Les deux économies ont enregistré certaines différences marquées en ce qui concerne leur rendement à diverses périodes de l'année. Au Canada, l'activité économique a diminué à un taux annualisé de 0,9 % au premier trimestre mais a augmenté subséquemment de 0,6 % au deuxième trimestre, puis de 0,9 % au troisième (graphique E). Cependant, au cours du quatrième trimestre, le produit intérieur brut (PIB) a fléchi à un taux annualisé de 3,4 %. Par contre, aux États-Unis, l'activité économique a augmenté de 0,9 % et de 2,8 % respectivement aux premier et deuxième trimestres, mais a reculé de 0,5 % au troisième. De plus, les estimations provisoires du PIB montrent que l'économie américaine a ralenti de 6,2 % au dernier trimestre. En fait, vers la fin de 2008, le National Bureau of Economic Research a annoncé que le sommet de l'activité économique aux États-Unis avait été atteint en décembre 2007 et que l'économie était par la suite entrée en récession au début de 2008, l'emploi entamant alors une forte décroissance.

Économie forte dans l'Ouest canadien, déclin des secteurs immobilier et financier américains

Le marché du travail au Canada, particulièrement dans les provinces de l'Ouest, a connu les effets du boom des ressources naturelles pendant plusieurs années, puisqu'il a profité de l'augmentation des prix des produits de base, du pétrole et du gaz naturel. Les pénuries de main-d'œuvre ont été particulièrement prononcées dans les provinces de l'Ouest, qui ont affiché les hausses du taux de rémunération les plus rapides au pays. Toutefois, au cours de la dernière moitié de 2008, les prix des produits de base, y compris les prix du pétrole dans le monde, ont commencé à dégringoler.

Les États-Unis, au cœur du bouleversement de leur marché hypothécaire et de leur secteur financier, ont subi des pertes d'emploi marquées, d'abord dans les activités liées à la construction et à la finance, ensuite dans plusieurs autres secteurs, y compris le commerce de détail (tableau). En fait, peu d'industries aux États-Unis ont enregistré une croissance de l'emploi récemment, à l'exception de celles ayant trait à l'éducation, aux services de soins de santé, à l'extraction minière et à l'extraction de pétrole et de gaz.

Les pertes d'emploi dans la fabrication, qui se sont amorcées plus tôt au cours de la décennie, constituent un aspect qui s'est dégradé dans les deux pays. Le Canada et les États-Unis, ainsi que d'autres pays ayant des coûts de production plus élevés, ont subi les effets de la concurrence mondiale des pays où l'on produit à faible coût. Jusqu'à récemment, la montée en flèche du dollar canadien par rapport au dollar américain a posé un défi supplémentaire aux fabricants canadiens. Les pertes d'emploi ont été prononcées dans le centre manufacturier du Québec et de l'Ontario.

En plus de la fabrication, le secteur canadien de la foresterie a aussi réduit ses effectifs au cours des dernières années. Ce secteur a dû affronter plusieurs défis, y compris les différends commerciaux avec les États-Unis, un dollar à la hausse et l'effondrement récent du marché américain de la construction d'habitations (graphique F). Ces facteurs ont été quelque peu contrebalancés par la force du marché intérieur, en raison de la montée en flèche des activités liées à la construction au Canada au cours des dernières années, une montée qui a été stimulée par de faibles taux d'intérêt. Cependant, la construction résidentielle au Canada a commencé à fléchir à la fin de 2008 (graphique G).

La construction non résidentielle a été animée par des mégaprojets comme les sables bitumineux en Alberta et la préparation des Jeux olympiques de 2010 en Colombie-Britannique. La croissance démographique en Alberta a aussi contribué de façon importante à la hausse de l'emploi dans la construction.

Conclusion

Pendant la plus grande partie de 2008, l'emploi a poursuivi sa croissance au Canada, bien qu'à un rythme plus lent que l'année précédente. Toutefois, le dernier trimestre de l'année témoigne de pertes. Aux États-Unis, l'emploi a affiché des diminutions mensuelles prononcées durant toute l'année 2008. En fait, d'autres indicateurs importants du marché du travail, comme le taux d'emploi, le taux de chômage et le taux d'activité au Canada, étaient tous plus prometteurs que les taux américains correspondants. Au Canada, l'emploi dans la construction a augmenté de façon soutenue en 2008, à l'exception d'un recul considérable à la fin de l'année, alors que le secteur financier n'a pas connu le bouleversement observé au sud de la frontière. Cependant, l'emploi dans la fabrication a démontré une faiblesse continue.

Dans l'ensemble, en 2008, le marché du travail canadien a tenu le coup beaucoup mieux que le marché américain. Tous les regards convergent maintenant sur le marché du travail en 2009, des deux côtés de la frontière. Les premiers signes au début de l'année 2009 n'étaient pas très encourageants pour l'un ou l'autre pays, puisque les deux ont subi d'importantes pertes d'emploi. Le taux de chômage au Canada, ajusté en fonction des définitions américaines, est passé de 5,8 % en décembre 2008 à 6,7 % en février 2009, alors qu'aux États-Unis, il a augmenté de 0,9 point de pourcentage pour s'établir à 8,1 %.

Données canadiennes, définitions américaines

Le présent article permet de comparer l'emploi total et les taux de chômage, d'emploi et d'activité tirés de l'Enquête sur la population active (EPA) au Canada et de la Current Population Survey (CPS) aux États-Unis. Les deux enquêtes sont fondées sur des questionnaires ayant une conception et une formulation semblables. Les données canadiennes ont été ajustées pour se rapprocher des définitions utilisées aux fins de la CPS :

Ajustement relatif à l'emploi

  • Retirer les personnes âgées de 15 ans parce qu'elles ne sont pas sondées dans la CPS.

Ajustements relatifs au chômage

  • Retirer les personnes âgées de 15 ans.
  • Retirer les personnes qui ont cherché un emploi uniquement en consultant des offres d'emploi. Les États-Unis n'incluent pas ces « chercheurs d'emploi passifs » parmi les chômeurs.
  • Retirer les personnes qui n'ont pas cherché de travail, mais qui devaient commencer un emploi dans un délai de quatre semaines ou moins. Au Canada, ces « débuts d'emploi à venir » font partie du compte des chômeurs.
  • Retirer les personnes qui n'étaient pas disponibles pour travailler en raison d'obligations personnelles ou familiales. Au Canada, elles sont considérées comme faisant partie des chômeurs; les États-Unis ne font pas cette exception.
  • Ajouter les étudiants à plein temps qui cherchent un emploi à plein temps. Au Canada, ils ne font pas partie des chômeurs; aux États-Unis, ils en font partie.

Pour un mois donné, ces ajustements retranchent habituellement presque un point de pourcentage complet du taux de chômage canadien.

Les données sur l'effectif total, le taux de chômage, le taux d'emploi et le taux d'activité sont des estimations désaisonnalisées mensuelles.

Pour l'emploi se rapportant à une industrie donnée, des moyennes de 12 mois sont utilisées pour veiller à la robustesse des données, parce que les chiffres mensuels de la CPS ne sont pas désaisonnalisés.

Auteur

Vincent Ferrao est au service de la Division de la statistique du travail. On peut le joindre au 613-951-4750 ou à perspective@statcan.gc.ca.

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