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Données et méthodes
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Discussion

La moins bonne santé physique des personnes  à faible revenu a fait l’objet de nombreuses études, et on observe également des différences marquées en ce qui concerne leur santé mentale1, 2. Cependant, ces études sont en grande partie transversales, de sorte qu’il est difficile de savoir si la situation de faible revenu précède les problèmes de santé mentale ou vice-versa. En outre, rares sont celles qui examinent cette relation dans le contexte canadien.

La présente analyse, qui porte sur une période de 12 ans, vise d’abord à déterminer si les personnes faisant partie des groupes à faible revenu sont plus susceptibles de connaître une grande détresse psychologique que celles dont le revenu est plus élevé. Un autre objectif de l’analyse consiste à établir si la relation entre le faible revenu et un degré élevé de détresse psychologique est expliquée en partie par la présence plus marquée de facteurs de stress. La détresse psychologique est un état psychologique non spécifique caractérisé par des sentiments traduisant une humeur dépressive ou anxieuse, tels que de la tristesse ou de la nervosité3. Un degré de détresse élevé peut être le signe de troubles plus graves, comme la dépression clinique4.

L’association entre le revenu et la santé mentale peut avoir deux directions : un mauvais état de santé mentale peut conduire à un revenu moins élevé, ou un revenu moins élevé peut entraîner un mauvais état de santé mentale5. La première hypothèse correspond à un processus de sélection lié à l’état de santé, suivant lequel la personne atteinte de problèmes de santé mentale est vraisemblablement moins à même de faire des études ou d’exercer une profession offrant une rémunération élevée. S’il en est ainsi, les interventions doivent viser à améliorer la santé mentale, afin que la personne puisse poursuivre des études et gagner un meilleur revenu. Des travaux de recherche antérieurs montrent toutefois que les processus de sélection liés à l’état de santé ne sont pas à l’origine d’une part importante de la relation entre le faible revenu et le mauvais état de santé mentale6.

Selon la seconde hypothèse, celle de la causalité sociale, le mauvais état de santé mentale des personnes ayant un faible revenu a pour origine l’environnement social négatif auquel ces personnes sont exposées. L’environnement social englobe [traduction] « les groupes auxquels nous appartenons, le quartier où nous habitons, l’organisation de notre milieu de travail et les politiques que nous instaurons pour codifier nos vies »7. L’une des caractéristiques d’un environnement social négatif est la plus forte prévalence des facteurs de stress, autrement dit des demandes découlant de l’environnement qui entament ou excèdent la capacité d’adaptation d’une personne8. Les difficultés conjugales en sont un exemple, tout comme la vie dans un quartier où la criminalité force à une plus grande vigilance ou de grandes demandes au travail sans offre de ressources adéquates pour y répondre.

Si l’hypothèse de causalité sociale est correcte, les interventions destinées à améliorer un environnement social négatif devraient, en principe, réduire les inégalités relatives à l’état de santé. Les personnes faisant partie des groupes à faible revenu sont non seulement exposées à un grand nombre de facteurs de stress, mais disposent aussi de moins de ressources, telles que le soutien social9, pour y faire face et pour en atténuer les effets négatifs. Un nombre plus élevé de facteurs de stress et peu de ressources pour composer avec eux peuvent accroître les sentiments de détresse, lesquels ont été associés à des problèmes de santé physique et mentale10.

Lors d’une étude réalisée antérieurement au Canada, Turner, Wheaton et Lloyd (1995) ont montré que le fardeau des facteurs de stress était plus lourd chez les personnes de faible statut socioéconomique à Toronto11. Selon ces auteurs, les événements de la vie (facteurs de stress aigu, comme le décès du conjoint ou la perte d’un emploi), les facteurs de stress chronique (qui, selon toute probabilité, demeureront présents pendant des mois ou des années) et les traumatismes subis durant l’enfance rendaient compte du tiers environ de la relation entre la profession et les symptômes de dépression.

En s’appuyant sur l’analyse des données du premier cycle de l’Enquête nationale sur la santé de la population (1994‑1995), Cairney et Krause ont examiné les déterminants de la détresse et de la dépression chez les personnes de 50 ans et plus9. Ils ont observé un degré de détresse plus élevé chez les personnes n’ayant pas fait d’études secondaires, mais n’ont relevé aucune différence significative selon le niveau de scolarité en ce qui concerne la prévalence sur douze mois d’un trouble dépressif majeur. Les facteurs de stress permettaient d’expliquer plus du tiers de la relation entre le niveau de scolarité et la détresse.

Ayant étudié la détresse psychologique chez les personnes de 33 ans parmi les membres de la cohorte de naissances britannique de 1958, Matthews et ses collaborateurs12 ont constaté que les facteurs liés au travail, plus précisément les tensions et contraintes au travail et la précarité de l’emploi, étaient des déterminants importants des différences quant à la détresse psychologique entre catégories professionnelles. Cet effet était plus prononcé chez les hommes que chez les femmes.

Enfin, Myer et ses collaborateurs ont observé que l’effet médiateur des événements de la vie entre une situation socioéconomique difficile et la détresse psychologique était significatif; ils n’ont toutefois pas précisé l’importance de cet effet13.

Ces diverses études soutiennent l’hypothèse selon laquelle la répartition sociale des facteurs de stress contribue au moins bon état de santé mentale des membres des groupes socioéconomiques défavorisés, mais elles présentent des limites. En raison de leur nature transversale, elles ne permettent pas vraiment de préciser la chronologie de la relation entre le revenu, les facteurs de stress et la détresse psychologique. Les données longitudinales conviennent mieux pour cerner les facteurs de risque de manifestation de problèmes de santé mentale et pour établir des cibles d’intervention appropriées.

Fondé sur les données de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) recueillies de 1994‑1995 à 2006‑2007, l’article porte sur le gradient de revenu associé aux nouveaux cas de grande détresse psychologique relevés chez un échantillon représentatif de Canadiens au cours de la période de 12 ans susmentionnée. Sont également examinés les facteurs de stress liés à l’environnement social, car l’on suppose qu’ils sont associés à un épisode subséquent de grande détresse et qu’ils expliquent partiellement la relation entre le faible revenu et le risque d’éprouver de la détresse. La présente étude fournit des données importantes et inédites, émanant d’une analyse longitudinale, sur la chronologie de la relation entre le revenu, les facteurs de stress et la détresse psychologique.

Données et méthodes

Source des données

La présente analyse est fondée sur les données des sept premiers cycles de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP) menée par Statistique Canada de 1994-1995 à 2006-2007. Tous les deux ans depuis 1994-1995, on recueille dans le cadre de l’ENSP des données sur l’état de santé, sur les comportements liés à la santé et sur d’autres déterminants de la santé. Cette enquête est représentative de la population à domicile des dix provinces en 1994‑1995, à l’exclusion des membres de la Force régulière des Forces canadiennes et des résidents des réserves indiennes, des terres de la Couronne, des établissements de soins de santé, des bases des Forces canadiennes (personnel civil et militaire) et de certaines régions éloignées au Québec et en Ontario. L’ENSP comporte aussi un volet Établissements de soins de santé, qui couvre les résidents d’établissements tels que les maisons de soins infirmiers, mais les données de ce volet n’ont pas été analysées ici.

En 1994-1995, 20 095 membres de la population à domicile ont été sélectionnés pour faire partie du panel longitudinal de l’ENSP. Au total, 86,0 % d’entre eux ont accepté de participer (17 276) et 83,6 % ont répondu au questionnaire détaillé sur la santé. Les taux de réponse lors des cycles subséquents ont été de 92,8 % en 1996‑1997, 88,3 % en 1998‑1999, 84,9 % en 2000‑2001, 80,8 % en 2002‑2003, 77,6 % en 2004‑2005 et 77,0 % en 2007‑2008. Une description plus détaillée du plan de sondage, de l’échantillon et des méthodes d’interview de l’ENSP peut être consultée dans d’autres documents14, 15. En 1994‑1995, les données ont été recueillies principalement par interview sur place assistée par ordinateur et, par la suite, par interview téléphonique assistée par ordinateur.

Mesures

Revenu du ménage

Le revenu a été déterminé à partir du revenu autodéclaré du ménage. Pour tenir compte de l’inflation, de la taille du ménage et du coût de la vie dans différentes régions urbaines et rurales, on a divisé le revenu autodéclaré du ménage par le seuil de faible revenu (SFR) établi en fonction du lieu de résidence et de la taille du ménage de la personne. (Des renseignements détaillés sur cette variable de revenu figurent dans la documentation concernant les variables dérivées du septième cycle de l’ENSP.)

On a d’abord créé une variable représentant le ratio du revenu du ménage au seuil de faible revenu correspondant. Un ratio inférieur à 1 signifie que le ménage est plus susceptible d’éprouver des difficultés financières parce que ses dépenses pour les nécessités de la vie ont tendance à représenter une proportion plus élevée de son revenu. Si le ratio est supérieur à 1, la situation financière du ménage est meilleure, car il consacre une plus petite proportion de son revenu aux produits de première nécessité.

Une variable catégorique a ensuite été créée à partir de ce ratio afin de représenter une situation de faible revenu ou de revenu élevé. Un ratio de 1,5 ou moins correspond à un faible revenu, tandis qu’un ratio supérieur à 1,5 représente un revenu élevé. Par exemple, dans un grand centre urbain, les membres d’un ménage de quatre personnes dont le revenu total en 1994‑1995 était de 46 400 $ ou moins ont été considérés comme ayant un faible revenu, de même que, dans une région rurale, les personnes vivant seules dont le revenu était de 17 200 $ ou moins. Les personnes pour lesquelles les données sur le revenu manquaient ont été incluses dans un groupe de revenu distinct, afin de retenir dans l’analyse le plus grand nombre possible de sujets. Des analyses fondées sur trois catégories de revenu ont produit des résultats similaires (données non présentées), les personnes à revenu moyen courant un risque relatif (RR) de vivre un épisode de détresse plus faible que celles faisant partie du groupe à faible revenu, mais plus élevé que les membres du groupe à revenu élevé.

Lors des cycles subséquents, les mêmes seuils ont été utilisés pour établir les catégories de revenu du ménage. Naturellement, au fil de l’enquête et donc du vieillissement des participants, la proportion de ceux faisant partie du groupe à faible revenu a diminué tandis que celle de personnes appartenant au groupe à revenu élevé a augmenté.

Cette méthode de mesure du revenu rend compte de différents facteurs ayant une incidence sur la signification concrète du revenu du ménage, c’est‑à‑dire la capacité qu’a celui‑ci de se procurer des biens et des services dans sa région. Bien que cette variable repose sur un seuil de faible revenu, elle n’a pas pour but de déterminer la pauvreté, de mesurer la suffisance du revenu ni d’estimer le nombre de Canadiens vivant dans un ménage dont le revenu total est inférieur ou supérieur au seuil de faible revenu.

Facteurs de stress

Les événements récents de la vie, les facteurs de stress chronique et les tensions et contraintes au travail ont été évalués à l’occasion des premier et quatrième cycles de l’ENSP, ainsi que des cycles subséquents. Comme les facteurs de stress n’ont pas été mesurés lors des deuxième et troisième cycles, les résultats enregistrés pour 1994‑1995 ont été imputés à ces deux cycles. Des analyses s’appuyant sur différentes méthodes d’imputation ont donné des résultats similaires; l’imputation par la valeur précédente a donc été retenue parce qu’elle réduit au minimum la possibilité de causalité inverse. Les événements récents de la vie et les facteurs de stress chronique ont été mesurés au moyen des questions élaborées par Turner, Wheaton et Llyod11, et les tensions et contraintes au travail, à l’aide d’une version abrégée du questionnaire sur les spécifications de l’emploi (Job Content Questionnaire)16.

L’échelle des facteurs de stress chronique se composait d’un ensemble de 18 questions sur des situations que les participants à l’enquête ont dit avoir vécues. Validée par Wheaton17, cette échelle offre une bonne validité convergente dans le cas des indicateurs de situations sociales difficiles, ainsi qu’une bonne validité discriminante dans le cas des mesures de la détresse psychologique. Les questions portaient sur plusieurs domaines, à savoir le stress personnel, par exemple le fait d’essayer d’accomplir trop de choses en même temps, les problèmes relationnels avec l’époux ou le conjoint, les problèmes avec les enfants, les problèmes de santé dans la famille, le fait de résider dans un quartier peu sûr et les problèmes financiers. Une variable dichotomique a été créée pour chaque domaine correspondant à un facteur de stress, une valeur de 1 indiquant une réponse positive à n’importe quelle question de la sous‑échelle et une valeur de 0, une réponse négative à toutes les questions de la sous‑échelle.

Sept questions ont servi à mesurer le concept de tensions et contraintes au travail, qui découle des travaux de Karasek portant sur le modèle de contrôle de la demande et les Quality of Employment Surveys (États‑Unis)16. Un emploi est considéré comme une source de stress si le titulaire doit satisfaire à des demandes élevées sans disposer de ressources ou de pouvoirs décisionnels suffisants. Cinq questions servent à mesurer la latitude décisionnelle et deux, la demande psychologique. Aux personnes qui, en 1994‑1995, se classaient à la fois dans le tiers supérieur de la distribution selon le niveau des demandes de l’emploi et dans le tiers inférieur de celle selon le niveau de latitude décisionnelle, on a attribué un code indiquant qu’elles subissaient des tensions et contraintes au travail.

Détresse

L’évaluation de la détresse est fondée sur les scores obtenus par les participants à l’enquête sur l’échelle K6. Cette dernière, qui est une mesure non spécifique de la détresse psychologique conçue par Kessler3, 18, a été utilisée dans de nombreuses enquêtes représentatives de la population. La détresse est évaluée au moyen de six questions de type Likert cotées sur une échelle de 0 à 6 et dont les scores sont additionnés pour obtenir un score global variant de 0 à 24. Selon le seuil proposé par Kessler en fonction des critères de la Substance Abuse and Mental Health Services Administration des États‑Unis, un score égal ou supérieur à 13 indique la probabilité d’une maladie mentale grave18. Toutefois, des analyses psychométriques ont été effectuées afin de définir un seuil moins restrictif sur l’échelle K6 lorsque le résultat d’intérêt est l’existence d’un trouble dépressif majeur ou d’un trouble anxieux. D’après ces analyses, un score égal ou supérieur à 9 dénote une grande détresse psychologique, ainsi que la possibilité d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble anxieux. Des analyses récentes menées par Cairney et ses collaborateurs montrent que l’échelle K6 constitue un bon outil de dépistage de la dépression, et que l’application d’un seuil de 9 et plus donne un rapport de vraisemblance par strate supérieur à 6 en ce qui concerne l’incidence sur douze mois d’un trouble dépressif majeur4. Pour tenir compte de l’effet du caractère gradué des scores de détresse sous le seuil de 9, une variable de faible score de détresse a été incluse dans l’analyse.

Les variables sociodémographiques utilisées sont l’âge, l’état matrimonial (marié/vit avec un conjoint, comparativement à célibataire ou veuf/séparé/divorcé), la résidence en région urbaine ou rurale, le lieu de naissance, la situation d’activité (occupé comparativement à chômeur ou inactif) et la présence d’enfants dans le ménage. Étant donné l’association entre les problèmes de santé physique et les problèmes de santé mentale, l’autoévaluation de la santé (sur une échelle de cinq points allant de mauvaise à excellente) a été incluse dans les modèles de prévision de la détresse.

Analyse

Pour faire partie de l’ensemble de données analysé, les participants à l’enquête devaient avoir obtenu un faible score de détresse (voir la section Mesures) en 1994‑1995 et être âgés de 18 à 75 ans. Les personnes sélectionnées ont fourni une nouvelle observation à l’ensemble de données lors de chaque cycle qu’elles ont traversé sans éprouver de grande détresse. Si le score de détresse d’une personne manquait à la fin d’un intervalle étudié, cet intervalle devenait la dernière période observée et une valeur nulle était attribuée à la variable d’événement.

Nous avons spécifié des modèles à risque proportionnels pour étudier l’association entre le faible revenu du ménage et un risque plus élevé de connaître un épisode de grande détresse. Le premier modèle (modèle 1) a servi à examiner la relation entre le revenu et les cas de grande détresse, en neutralisant l’effet des prédicteurs sociodémographiques (âge, état matrimonial, résidence en région urbaine ou rurale, lieu de naissance, situation d’activité, présence d’enfants dans le ménage), de l’autoévaluation de la santé et d’un faible score de détresse de référence. Les prédicteurs du modèle étaient des covariables variant en fonction du temps, qui reflétaient la valeur applicable à la personne deux ans avant l’observation de l’événement (c’est‑à‑dire ressentir de la détresse). Le deuxième modèle (modèle 2) comprenait les facteurs de stress, qui variaient aussi en fonction du temps. Comme les facteurs de stress n’ont pas été mesurés lors des deuxième et troisième cycles, les valeurs du premier cycle ont été imputées à ces deux cycles. Nous avons exécuté l’analyse en SAS en utilisant les poids bootstrap élaborés par Statistique Canada19, 20. Étant donné la nature discrète du moment de la mesure, nous avons effectué une régression logistique avec une fonction de lien log‑log complémentaire, en excluant l’ordonnée à l’origine et en incluant une variable indicatrice du moment où avait eu lieu l’observation.

Puisque l’un des objectifs était de déterminer si les facteurs de stress jouent un rôle médiateur dans la relation entre le faible revenu et une plus grande détresse, nous avons procédé à une analyse de médiation21. Le but d’une telle analyse consiste à déterminer si un médiateur donné (dans ce cas, les facteurs de stress) peut expliquer une partie de la relation entre la variable indépendante (revenu) et la variable dépendante (grande détresse psychologique). L’existence d’un effet médiateur est mise en lumière par la réduction de la relation entre la variable indépendante et la variable dépendante lorsque l’on prend en compte le médiateur envisagé. Baron et Kenny21 fournissent une explication détaillée à cet égard. Afin d’assurer la cohérence entre les modèles, nous avons tenu compte uniquement des personnes pour lesquelles nous possédions des données complètes concernant toutes les variables, de sorte que nous avons exclu 1 077 enregistrements, soit un peu plus de 2 % des observations.

Nous avons calculé le pourcentage de réduction du risque relatif (RR) associé au revenu entre le modèle excluant les facteurs de stress (modèle 1) et celui les incluant (modèle 2), soit (RR1‑RR2)/(RR1‑1).

Résultats

Prévalence d’une grande détresse et des facteurs de stress

Au sein d’une cohorte initiale de 11 058 personnes de 18 à 75 ans dont le score de détresse était faible en 1994‑1995, nous avons observé 1 191 cas de premier épisode de grande détresse psychologique au cours de la période allant jusqu’en 2006‑2007. Autrement dit, 11 % des membres de la cohorte ont éprouvé une grande détresse à un moment donné au cours de ces douze années. Parmi l’échantillon de personnes pour lesquelles aucune donnée ne manquait (n=10 948), nous avons relevé 47 379 personnes-périodes d’exposition au risque, ainsi que 1 152 épisodes de grande détresse psychologique. Le nombre de cas de grande détresse était moins élevé chez les hommes que chez les femmes (407 comparativement à 745).

En 1994‑1995, certains facteurs de stress étaient plus fréquents que d’autres (tableau 1). Le stress personnel, par exemple à cause d’attentes trop nombreuses de la part d’autres personnes, constituait le facteur de stress le plus courant, celui-ci ayant été mentionné par une majorité d’hommes (56 %) et de femmes (61 %). Le quart des hommes et des femmes ont signalé des problèmes associés à leur quartier. Les problèmes relationnels étaient relativement peu fréquents (11 % chez les hommes et 14 % chez les femmes). La prévalence des tensions et contraintes au travail était encore plus faible, se chiffrant à 7 % dans le cas des hommes et à 9 % dans celui des femmes faisant partie de l’échantillon.

Tableau 1
Prévalence de certaines caractéristiques dans l’échantillon, selon le sexe, Canada, 1994-1995

Faible revenu et risque d’éprouver de la détresse

Tant chez les hommes que chez les femmes, une association significative se dégage entre le faible revenu du ménage et un risque plus élevé d’éprouver de la détresse (tableau 2, modèle 1). Les hommes à faible revenu étaient 1,58 fois plus susceptibles d’éprouver de la détresse que ceux ayant un revenu élevé, même après avoir tenu compte des effets de facteurs tels que l’âge, la résidence en région urbaine ou rurale, le statut d’immigrant, le fait d’avoir des enfants et la situation d’activité. Le risque d’éprouver de la détresse était de 25 % plus élevé chez les femmes à faible revenu que chez celles à revenu élevé.

Tableau 2
Risque relatif d’éprouver de la détresse, selon le groupe de revenu du ménage, les caractéristiques sociodémographiques, les facteurs de stress et le sexe, population à domicile, Canada, territoires non compris, 1994-1995 à 2006-2007

Autres facteurs de risque

Aussi bien chez les hommes que chez les femmes, les autres caractéristiques associées de manière significative à un risque accru d’éprouver de la détresse étaient une moins bonne autoévaluation de l’état de santé et un score de détresse de référence plus élevé. Chez les hommes, la présence d’enfants dans le ménage était associée à un risque significativement plus faible d’éprouver de la détresse comparativement à l’absence d’enfants. Dans le cas des femmes, le risque d’éprouver de la détresse était significativement plus élevé chez les jeunes et celles au chômage (plutôt qu’occupées).

Facteurs de stress et risque de détresse

Examinés séparément (tableau 3), la plupart des facteurs de stress étaient associés à un risque de détresse significativement plus élevé. Les hommes subissant des tensions et des contraintes au travail étaient deux fois plus susceptibles de finir par éprouver de la détresse que ceux ayant un emploi peu stressant; chez les femmes, les tensions et contraintes au travail accroissaient ce risque de 44 %. Les problèmes financiers, le stress personnel et les problèmes relationnels étaient tous associés de façon significative au risque d’éprouver de la détresse, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Dans le cas des hommes, les problèmes liés au quartier faisaient augmenter le risque de 41 %. Par contre, ceux liés aux enfants étaient associés à la détresse chez les femmes mais non chez les hommes : ainsi, les femmes déclarant avoir des problèmes avec leurs enfants couraient un risque de ressentir de la détresse supérieur de 39 % à celui des femmes ne subissant pas ce facteur de stress. De même, les événements récents de la vie avaient un effet significatif chez les femmes, mais pas chez les hommes. À peu près tous les événements de la vie mentionnés faisaient augmenter de 20 % environ la probabilité pour les femmes de ressentir de la détresse. Les problèmes de santé dans la famille ne constituaient un facteur de risque significatif ni chez les hommes, ni chez les femmes.

Tableau 3
Risque relatif d’éprouver de la détresse, selon les facteurs de stress et le sexe, après prise en compte des facteurs sociodémographiques, Canada, 1994-1995 à 2006-2007

Les facteurs de stress sont des médiateurs de la relation entre le revenu et la détresse

L’intégration des facteurs de stress dans le modèle atténue la relation entre le revenu du ménage et la détresse. La réduction de la statistique ­2 log‑vraisemblance lorsqu’on passe du modèle 1 au modèle 2 est significative pour les deux sexes, ce qui indique que la prise en compte des facteurs de stress améliore l’ajustement du modèle. La réduction du risque relatif associé au faible revenu était de 22 % pour les hommes et de 36 % pour les femmes.

Discussion

La présente étude établit que le faible revenu est associé à un plus grand risque de détresse, mais que ce risque est attribuable en partie à la plus forte prévalence des facteurs de stress dans la vie des personnes ayant un faible revenu. Les résultats de l’étude appuient l’hypothèse de causalité sociale du gradient de revenu dans la santé mentale, car elle montre qu’un faible revenu précédait l’apparition d’une grande détresse psychologique.

L’environnement social semble aussi jouer un rôle dans cette relation. Comme le seuil de revenu du ménage choisi pour déterminer le groupe à faible revenu était relativement élevé (1,5 fois le seuil de faible revenu ou moins), une forte proportion de participants à l’enquête n’étaient pas en situation de privation matérielle. Nous concluons donc que d’autres facteurs que la privation matérielle contribuent aux variations de l’état de santé mentale selon le revenu. Alors que les problèmes financiers et les problèmes liés au quartier sont associés plus étroitement aux ressources matérielles, des facteurs de stress comme les problèmes avec les enfants et les problèmes relationnels sont davantage de nature sociale. Étant donné que l’association entre le revenu et l’apparition de la détresse psychologique diminue lorsque l’on prend en compte les facteurs de stress, notre étude corrobore le rôle médiateur joué par les facteurs de stress de nature sociale dans les inégalités en matière de santé liées au revenu.

Les résultats de cette analyse sont analogues à ceux des études portant sur les facteurs de stress à titre de médiateurs de la relation entre le revenu et l’état de santé physique qui sont réalisées au moyen d’analyses transversales22 et longitudinales23. D’autres travaux de recherche ont permis d’établir le rôle des facteurs de stress en ce qui concerne le gradient de revenu dans la santé mentale9, 11, 12, mais la nature longitudinale des données analysées ici fournit des preuves de la chronologie de la relation entre le revenu et la détresse. En effet, il ressort de l’analyse qu’ensemble, une mauvaise autoévaluation de la santé et la présence d’une  détresse, même faible, lors de l’entrevue de référence étaient des prédicteurs d’épisodes de grande détresse psychologique, ce qui vient corroborer les résultats d’analyses transversales. En outre, chez les sujets de l’étude, le faible revenu et la présence de facteurs de stress ont précédé l’apparition de la détresse.

Limites

Notre analyse présente certaines limites. D’abord, toutes les données ont été autodéclarées. Or, il est bien connu qu’une affectivité négative est associée à la déclaration de facteurs de stress, d’un mauvais état de santé et d’un état de détresse, si bien que les résultats pourraient refléter l’effet confusionnel de cette variable non mesurée24. Néanmoins, une autre étude a montré que l’affectivité négative peut s’inscrire dans le rapport de causalité entre les facteurs de stress et la mauvaise santé, de sorte qu’il pourrait s’agir, non de confusion, mais de médiation25.

Les participants à l’enquête ont été interviewés à intervalle de deux ans et on ne dispose d’aucun renseignement sur ce qui leur est arrivé entre ces interviews. Il se peut qu’ils aient connu, entre deux de ces observations, un épisode de grande détresse qui n’a pas été mesuré.

En outre, les facteurs de stress ont été mesurés uniquement lors des premier, quatrième, cinquième et sixième cycles; les résultats du premier cycle ont été imputés aux deuxième et troisième cycles. Or, il se peut que les facteurs de stress aient été résolus entre les premier et quatrième cycles, ou que de nouveaux facteurs de stress soient apparus mais n’aient pas été pris en compte.

Enfin, les participants à l’enquête n’ont pas tous fait l’objet d’un suivi lors de tous les cycles. Bien que le taux d’attrition soit assez bas dans le cas de l’ENSP comparativement à d’autres enquêtes, un nombre important de participants ont été perdus de vue durant l’étude. Si les personnes qui ont continué de participer à l’enquête différaient systématiquement de celles qui ont cessé de le faire, il se peut que les résultats présentent un biais systématique. Toutefois, d’autres analyses des données de l’ENSP ont établi que les personnes perdues en raison de l’attrition n’étaient ni plus ni moins susceptibles que les autres de connaître des épisodes de détresse26. Il est donc peu probable que l’attrition introduise un biais dans les résultats.

Conclusion

Les études futures devraient porter sur les prédicteurs d’épisodes multiples de détresse ainsi que sur la chronicité de la détresse, deux points qui n’ont pas été analysés ici. Les changements touchant le revenu pourraient aussi constituer un important prédicteur de détresse et devraient être étudiés plus à fond. Enfin, l’ajout d’autres composantes d’un modèle de processus de stress, comme le sentiment de contrôle, l’estime de soi et le soutien social, dans un modèle élargi pourraient aider à mettre en lumière les cheminements complexes entre le revenu, les facteurs de stress et un mauvais état de santé mentale. Il est certain que d’autres travaux de recherche sont requis, mais il ressort des résultats présentés ici qu’il faut examiner l’environnement social en le considérant comme l’un des déterminants des inégalités de la santé mentale liées au revenu au Canada.