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    Une diversité qui perdure : le mode de vie des enfants au Canada selon les recensements des 100 dernières années

    La première moitié du 20e siècle

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    Au cours de la première moitié du 20e siècle, le portrait social du Canada s’est complètement métamorphosé. La progression de l’urbanisation et de l’industrialisation, les innovations médicales et sanitaires, la Grande Crise et deux guerres mondiales figurent parmi les facteurs qui ont influencé le quotidien des enfants au sein des familles canadiennes. 

    Au tournant du 20e siècle, le Canada était au milieu d’une transition démographique, passant d’une période caractérisée par une mortalité et une fécondité relativement élevées à une période caractérisée par une amélioration de la santé de la population, une espérance de vie accrue et un plus grand contrôle ou limitation des naissances. Au même moment, le Canada est devenu un important pays d’accueil d’immigrants internationaux, ce qui a eu un effet sur la répartition régionale et ethnique de la populationNote 2. Lorsque l’on jette un coup d’œil sur les premiers recensements, on constate qu’à cette époque de grands changements, bon nombre d’enfants avaient une enfance fort différente de celle de leurs homologues d’aujourd’hui.

    On distingue depuis peu à l’aide des recensements les différentes formes de familles, comme par exemple les familles reconstituées, les familles caractérisées par l’absence d’une génération et les ménages multigénérationnels. Toutefois, le mode de vie des enfants a toujours été diversifié jusqu’à un certain point. Au tournant du 20e siècle, les familles de recensement (couple avec ou sans enfants ou parent seul ayant un enfant ou plus) étaient beaucoup plus enclines à accueillir des personnes autres que les membres de la famille immédiate dans leur foyer, que ce soit pour gagner un supplément de revenu ou pour donner ou recevoir des soins ou de l’aide financière. Dans cette « culture de partage du ménage »Note 3, on estime qu’environ un ménage avec famille de recensement sur trois (30,8 %Note 4) en 1901 comptait des personnes supplémentaires (personnes ne faisant pas partie d’une famille de recensement et/ou autres familles de recensement) comparativement à 9,2 % en 2011Note 5. La plupart de ces autres membres du ménage en 1901 étaient d’autres personnes apparentées, des chambreurs, des pensionnaires ou des employés du chef de famileNote 6. Un large éventail de personnes apparentées de la famille élargie, comme des « belle-filles par alliance », des « demi-sœurs », des « petit-neveux » et des « filleules » figuraient parmi les relations entre personnes d’un même ménage enregistrées par les agents recenseurs en 1901Note 7. Ces diverses situations familiales des personnes dans les ménages découlaient dans bien des cas du décès d’un ou de plusieurs membres de la famille.

    La mortalité au sein de la famille—par exemple, frères et sœurs, mères pendant l’accouchement ou des suites de complications lors de l’accouchement et pères servant dans la guerre— était une expérience bien plus fréquente pour les jeunes enfants au début du 20e siècle qu’aujourd’hui. En 1921, environ un enfant sur 11 (8,9 %) de 15 ans et moins avait vécu le décès d’au moins un parent, tandis que 4,1 % avaient perdu leurs deux parentsNote 8, Note 9. En outre, les enfants eux-mêmes avaient un risque de mortalité beaucoup plus élevé au siècle dernier comparativement à aujourd’hui (encadré 1).

    Au début du 20e siècle, le décès d’un parent ou des deux parents amenait souvent les enfants à vivre avec des personnes leur étant apparentées ou non. Les parents pouvaient également envoyer leurs enfants vivre ailleurs pour aller à l’école (encadré 2), devenir un apprenti, gagner de l’argent (encadré 3) ou tout simplement réduire le fardeau économique imposé aux familles éprouvant des difficultés financièresNote 10. On estime à environ 55 000 le nombre d’enfants de 14 ans et moins qui avaient un tuteur autre que leurs parents en 1901Note 11, représentant 3,0 % de la population totale de ce groupe d’âge. En comparaison, il y avait 29 600 enfants de 14 ans et moins en famille d’accueil dénombrés dans le Recensement de 2011, ce qui constitue 0,5 % de cette populationNote 12.

    Ce mode de vie pour les enfants a perduré pendant les moments difficiles de la Grande Crise, comme l’a démontré une monographie du Recensement de 1931, qui analysait les « enfants placés sous tutelle », définis comme les « personnes autres que les propres enfants » du chef du ménageNote 13. Ce genre de tutelle était plus répandu que le placement en institution à l’époque, le nombre d’enfants placés au sein de familles d’accueil au sein de ménages privés dépassant  celui des enfants placés en institution dans une proportion de 4,3 contre 1 en 1931Note 14. La plupart des enfants en tutelle vivait avec un membre de leur famille immédiate ou élargie : environ le tiers (34,4 %) vivaient avec un grand-parent, 28,5 % vivaient avec un oncle ou une tante et 8,2 % vivaient avec un frère ou une sœurNote 15.

    Malgré l’importance du nombre d’enfants confiés dans des familles autres que celle de leurs parents pendant cette période, bien des enfants demeuraient avec un parent dans une famille monoparentale. On estime que plus de 100 000 enfants de 14 ans et moins vivaient dans un ménage avec un parent seul en 1901, et que plus de 60 % d’entre eux habitaient avec une mère seuleNote 16, Note 17. En effet, la proportion d’enfants qui demeuraient avec un parent seul était presque aussi élevée en 1931 (11,9 %) qu’en 1981 (12,7 %), comme on peut le voir à la figure 1. Les familles monoparentales au début du 20e siècle étaient réparties dans toutes les strates socioéconomiques du pays, ce qui fait que l’expérience des enfants élevés dans de telles familles était très diversifiée. Toutefois, le remariage se produisait également, et par conséquent de nombreux enfants expérimentaient plusieurs structures de famille différentes au cours de leur enfance. Il convient d’ajouter qu’une proportion plus importante encore d’enfants pourraient avoir vécu des transitions entre familles biparentales et monoparentales que ne l’indiquent les données du recensement qui demeurent une « photo » de la population à un moment précis dans le temps.

    Figure 1 Répartition (en pourcentage) du mode de vie des enfants de 24 ans et moins dans les familles de recensement au Canada de 1931 à 2011

    Description de la figure 1

    Pendant les premières décennies du 20e siècle, la taille des familles est demeurée relativement élevée en raison de l’incidence de la religion sur la vie familiale, de l’efficacité toute relative des moyens de contraception et de la valeur des enfants dans un contexte encore très rural. Ce n’est qu’en 1931 que la proportion de la population canadienne vivant en régions urbaines a surpassé celle de la population vivant en régions rurales au CanadaNote 18. D’environ 6,56 enfants par femme en 1851Note 19, l’indice synthétique de fécondité est tombé à 3,48Note 20 enfants par femme en 1931; ce niveau demeurait encore bien au-dessus du niveau de remplacement des générations estimé à 2,40 enfants par femme à l’époqueNote 21, mais était bien en deçà de celui atteint par les générations précédentes de femmes. Plusieurs changements de l’époque pourraient avoir joué un rôle dans la baisse de la fécondité, notamment les circonstances économiques difficiles de l’époque, les incertitudes attribuables à la guerre, la progression de l’urbanisation conjointement à l’évolution des modes de production et des techniques agricoles, la dépendance grandissante des ménages aux salaires pour subvenir à leurs besoins, le changement des attitudes à l’égard des femmes et aux coûts croissants de l’éducation des enfants. Un manuscrit de 1938 basé sur les données du Recensement de 1931 avançait certaines raisons expliquant la baisse de la fécondité :

    Les premiers pionniers canadiens étaient de grands individualistes… Dans cette société, les familles nombreuses étaient courantes, et les enfants étaient généralement perçus comme un avantage et une bénédiction… Au cours des 70 dernières années, la production s’est centralisée et l’activité des producteurs individuels s’est limitée à un travail précis. Par conséquent, la famille est devenue beaucoup moins autosuffisanteNote 22.

    À mesure que la vie devient plus confortable… on accorde de plus en plus d’importance aux sacrifices que les femmes doivent faire pour avoir des enfants. Sans égard aux autres facteurs, une amélioration des conditions de vie pour la race humaine en tant que telle rend les femmes plus réticentes à assumer le travail et les inconvénients associés aux grossesses répétéesNote 23.

    Le même manuscrit comprenait une série de recommandations à l’égard de politiques pour inverser ces tendances croissantes et pour stimuler le taux de natalité, notamment l’instauration de l’assurance-chômage et des allocations familiales— deux propositions relativement novatrices à l’époque. Le rôle de plus en plus important de l’immigration en matière de croissance démographique n’était pas encore reconnu, et l’on estimait que « si la tendance actuelle quant à la baisse de l’accroissement naturel de la population continuait, il était fort possible que la croissance démographique stagne ou diminue »Note 24.


    Notes

    1. McInnis, M. 2000. « Canada’s population in the 20th Century », A Population History of North America, M.R. Haines et R.H. Steckel éditeurs, Cambridge University Press, pages 371 à 432.
    2. Burke, S.D.A. 2007. « Transitions in household and family structure: Canada in 1901 and 1991 », Household Counts: Canadian Households and Families in 1901, E.W. Sager et P. Baskerville éditeurs, University of Toronto Press, page 32.
    3. Calculé à partir de Burke (2007), tableaux 1.1 et 1.2.
    4. Recensement de la population de 2011.
    5. Dans le Recensement de 1971 et les recensements antérieurs de la population, dans une famille époux-épouse, l’époux éventuel était automatiquement désigné chef de famille. Dans une famille monoparentale, le père ou la mère était toujours le chef de famille. Dans le Recensement de 1976, le terme « chef de famille » a été éliminé. Source : Wargon, S.T. 1979. L’enfant dans la famille canadienne, 98-810 au catalogue de Statistique Canada.
    6. The Canadian Families Project. 2002. The National Sample of the 1901 Census of Canada: User’s GuideLe Canadian Families Project a créé un échantillon national informatisé d’information au niveau des personnes du Recensement du Canada de 1901. La base de données renferme un échantillon aléatoire de logements à 5 %, stratifié par bobine de microfilm.
    7. Recensement du Canada de 1921, volume III, 98-1921 au catalogue de Statistique Canada, tableau 31.
    8. En comparaison, en 2011, moins de 1 % des enfants âgés de 0 à 14 ans vivaient dans une famille monoparentale dans laquelle le parent était veuf.
    9. Darroch, G. 2001. « Home and away: Patterns of residence, schooling and work among children and never married young adults, Canada, 1871 et 1901 », Journal of Family History, volume 26, pages 220 à 250.
    10. Darroch, G. 2007. « Families, Fostering and Flying the Coop: Lessons in Liberal cultural Formation, 1871-1901 », Household Counts: Canadian Households and Families in 1901, E.W. Sager et P. Baskerville éditeurs,  University of Toronto Press, pages 197 à 246.
    11. Milan, A. et  N. Bohnert. 2012. Portrait des familles et situation des particuliers dans les ménages au Canada, 98-312-X-2011001 au catalogue de Statistique Canada.
    12. Pelletier, A.J., F.D. Thompson et A. Rochon. 1938. La famille canadienne, Recensement de 1931, monographie 7, 98-1931CM-7 au catalogue de Statistique Canada.
    13. Pelletier et coll. 1938, page 94.
    14. La proportion restante de 28,9 % vivait avec un tuteur légal ou une autre personne. Source : Pelletier et coll. 1938, tableau LXVII.
    15. Bradbury, B. 2007. « Canadian Children Who Lived with One Parent in 1901 », Household Counts: Canadian Households and Families in 1901, E.W. Sager et P. Baskerville éditeurs, University of Toronto Press, pages 247 à 301.
    16. Bradbury fait remarquer qu’en raison des difficultés associées à l’éducation d’un enfant, bien des pères, lorsqu’ils perdaient leur conjointe, confiaient leurs enfants à des personnes apparentées ou pour adoption. Par conséquent, les enfants des pères survivants étaient plus susceptibles d’apparaître dans les données du recensement comme vivant dans des ménages sans aucun parent.
    17. Martel, L. et J. Chagnon. 2013. « La population rurale du Canada depuis 1851 », Recensement en bref, 98-310-X-2011003 au catalogue de Statistique Canada, figure 1.
    18. Gee, E.M. 1987. « Historical Change in the Family Life Course of Canadian Men and Women », Aging in Canada: Social Perspectives, V.W. Marshall éditeur, Fitzhenry et Whiteside, tableau 4.
    19. Statistique Canada, Statistique de l'état civil - Base de données sur les naissances, 1926 à 2011, enquête 3231 et Division de la démographie, Programme des estimations démographiques.
    20. Le seuil de remplacement des générations fluctue au fil du temps en fonction de l’âge moyen des mères à la maternité et de leur mortalité. Le seuil de remplacement en 1931 était 2,40 enfants par femme et est calculé selon la formule 1/(r*m), où r représente la proportion de femmes à la naissance (0,488) et m désigne la probabilité de survie des femmes de la naissance à l’âge moyen à la maternité, ce dernier se situant aux alentours de 30 ans en 1931 (0,8536).
    21. Pelletier et coll. 1938, page 193.
    22. Pelletier et coll. 1938, page 195.
    23. Pelletier et coll. 1938, page 195.
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