26 novembre 2018

Au cours d’une longue carrière couronnée de succès, Sylvia Ostry a laissé une marque indélébile dans la fonction publique canadienne, celle d’une véritable géante sur les épaules de laquelle nous continuons à nous tenir aujourd’hui.

Non seulement Sylvia Ostry a été la première et la seule statisticienne en chef de l’histoire du Canada, elle a aussi été la première femme sous ministre du pays. Née dans le nord de Winnipeg en 1927, Sylvia Ostry étudie l’économie à l’Université McGill, où elle obtient un baccalauréat en économie en 1948 et une maîtrise ès arts en 1950 ; elle décroche aussi un doctorat à l’Université de Cambridge et à l’Université McGill en 1954. Après avoir enseigné et fait de la recherche à l’Université McGill, à l’Université de Montréal et à l’Université d’Oxford, elle intègre Statistique Canada à titre de directrice adjointe de la recherche, puis occupe le poste de directrice au sein de la Division du travail de 1964 à 1969. Elle siège en tant que présidente du Conseil économique du Canada pendant trois ans, avant de retourner à Statistique Canada en 1972 en tant que statisticienne en chef.

Un regard fondamental sur nous mêmes

Pendant son premier mois à titre de statisticienne en chef, Sylvia Ostry demande à ses cadres supérieurs de réfléchir à certains des principaux enjeux auxquels l’organisme pourrait être confronté dans les années 1970, les invitant à présenter des propositions sur tous les aspects des activités de StatCan, y compris ses objectifs, sa stratégie, sa structure et ses enjeux. Elle souligne qu’il s’agira de porter un « regard fondamental sur nous mêmes », et indique que toutes les propositions, qui seront traitées de façon confidentielle, devront lui être adressées personnellement. Elle reçoit de nombreuses notes de service « bien senties », décrivant à quoi Statistique Canada devrait ressembler dans les années 1970 et de quelle façon l’organisme pourrait progresser en vue de répondre aux besoins de l’époque et faire face à certains problèmes d’actualité.

Centralisation

Un certain nombre de thèmes reviennent souvent, dont la frustration croissante face à la centralisation des fonctions. La centralisation est, à l’époque, un phénomène récent : Statistique Canada travaillait de façon extrêmement cloisonnée, chaque division fonctionnant en grande partie comme une entité distincte. La concurrence pour attirer l’attention des secteurs de service suscite alors de nombreuses frustrations, une note de service comparant même la difficulté d’obtenir des services au fait de « mener une charge de cavalerie dans un marécage ». La plupart des cadres supérieurs sont conscients des difficultés causées par la croissance phénoménale de l’organisme sous la direction de Walter Duffett, le prédécesseur de Sylvia Ostry en tant que statisticien en chef, certains d’entre eux indiquant, par voie de note de service, que Statistique Canada ne peut se permettre de croître beaucoup plus. Non seulement le personnel et la charge de travail ont ils connu une croissance phénoménale, mais la complexité du travail avait également augmenté, parallèlement à l’automatisation accrue des tâches. Cet enjeu va de pair avec un autre thème important soulevé dans les notes de service, soit la nécessité de mieux délimiter le rôle et l’objectif de l’organisme et de ses divisions ainsi que de mieux établir les priorités statistiques.

Ressources humaines

Pour ce qui est des ressources humaines, les notes de service indiquent que le moral du personnel est bas et que l’organisme est aux prises avec de graves problèmes de recrutement et de maintien en poste du personnel expérimenté. Certaines notes mentionnent la possibilité d’offrir davantage d’occasions de rotation du personnel afin que les employés puissent diversifier leurs compétences et cultiver leurs centres d’intérêt. Les cadres supérieurs estiment que la spécialisation étroite du personnel produit certes d’excellents statisticiens, mais pas nécessairement d’excellents gestionnaires, surtout dans un monde de plus en plus interconnecté. En 1974, un groupe de travail sur la rotation d’emplois est chargé d’examiner la possibilité d’un programme de rotation à Statistique Canada.

Relations avec les autres ministères

Les employés partagent le sentiment que les attitudes affichées au sein de l’organisme semblent souvent dénoter une absence de préoccupation ou d’intérêt à l’égard des autres ministères fédéraux et des enjeux auxquels ceux ci sont confrontés. L’organisme semble perçu uniquement comme une « usine à chiffres » dont le seul but est de produire des données, sans trop d’égard à ce que les statistiques permettent de mesurer. Davantage d’analyses de données ainsi qu’une meilleure commercialisation sont nécessaires afin que le monde puisse profiter de la richesse de l’information disponible.

Naissance d’un groupe de travail

À la lumière du déluge de longues notes de service rédigées en réponse à la demande de Sylvia Ostry, il semble évident que les cadres supérieurs sont partisans d’une réorganisation et d’un renouvellement de l’organisme. En août 1972, la statisticienne en chef constitue un groupe de travail chargé d’évaluer l’état du système statistique national et le rôle de Statistique Canada dans celui ci. Les principales constatations de l’étude et des enquêtes ultérieures permettent de fixer les objectifs suivants : améliorer les mécanismes de détermination des priorités pour l’utilisation des ressources statistiques ; rendre les produits et services statistiques de l’agence plus pertinents et plus accessibles, et promouvoir leur utilisation de manière plus dynamique ; assumer un rôle de coordination plus fort vis à vis des activités statistiques des autres ministères fédéraux ; et maintenir la confiance et le soutien du public.

La vie après StatCan

La carrière de Sylvia Ostry à Statistique Canada arrive à son terme en 1975, lorsqu’elle est affectée au ministère de la Consommation et des Affaires commerciales à titre de sous ministre, poste qu’elle occupera jusqu’en 1978.

À son époque, elle est une sorte de célébrité à Ottawa et connaît « tous ceux qui comptent » dans la capitale nationale. Un long article de George Bain sur Sylvia Ostry, publié dans la revue Saturday Night, rédigé pendant qu’elle travaillait pour l’OCDE à Paris en 1981, souligne : « À part Pierre Elliott et Margaret Trudeau, aucun couple n’était plus célèbre à Ottawa que Sylvia et Bernard Ostry dans les années 1970. » L’article mentionne également que « presque tout le monde, notamment Sylvia Ostry elle même, dit deux choses à son sujet : elle est extrêmement ambitieuse et elle travaille d’arrache pied dans tout ce qu’elle fait. »

Pendant sa carrière, Sylvia Ostry a également occupé les postes suivants : chef du Département des affaires économiques et statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sous ministre du Commerce international, ambassadrice pour les négociations commerciales multilatérales et sherpa du Canada — représentante personnelle du premier ministre Brian Mulroney — aux sommets du G7 de 1985 à 1988. Elle a reçu 19 grades honorifiques décernés par des universités canadiennes et étrangères. Sylvia Ostry a été intronisée à l’Ordre du Canada en 1978 avant d’être promue Compagnon de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction du Régime canadien de distinctions honorifiques, en 1990. Elle a également occupé les fonctions de chancelière de l’Université de Waterloo de 1991 à 1996, et a été nommée chancelière émérite en 1997.

En 2002, pour célébrer le 75e anniversaire de Sylvia Ostry, l’ancien statisticien en chef adjoint Jacob Ryten publie The Sterling Public Servant. Il s’agit d’un hommage sous la forme d’un recueil d’articles rédigés par d’éminents contributeurs sur des sujets liés à la carrière de Sylvia Ostry et reflétant la pertinence et l’importance de ses contributions universitaires et gouvernementales au Canada. Le recueil contient des lettres de félicitations envoyées par tous les premiers ministres vivants de l’époque.

Quatre décennies après son mandat de statisticienne en chef, l’empreinte laissée par Sylvia Ostry à Statistique Canada perdure, grâce à l’influence qu’elle a exercée sur les programmes de l’organisme et sur ses pratiques de gestion en matière de ressources humaines.

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