La vie dans les régions métropolitaines
Un profil des perceptions des incivilités dans le paysage métropolitain

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par Leslie-Anne Keown

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
La grande majorité des résidents ne signalent pas d'incivilité dans leur quartier
Pour la plupart des résidents des régions métropolitaines, les incivilités physiques ne sont pas un gros problème
Un résident sur cinq des régions métropolitaines perçoit les incivilités sociales comme un problème
Dans les secteurs à densité élevée, on perçoit davantage d'incivilités
Qu'est-ce que l'effet seuil et pourquoi est-il important?
Les personnes vivant très près du centre-ville sont plus susceptibles de percevoir des incivilités
Les taux de perception des incivilités sont de deux à quatre fois plus élevés dans des quartiers à prédominance urbaine que dans des quartiers à prédominance suburbaine
Résumé

Peu de choses font aussi facilement les manchettes et préoccupent autant le public que la question de la criminalité dans nos quartiers. Même si seulement certains d'entre nous ont été victimes ou même été témoins d'un crime grave, nous sommes tous conscients des « signes de criminalité » autour de nous. Ces signes de criminalité, que les criminologues appellent souvent « les incivilités », vont de la constatation de la vente et de la consommation de drogues jusqu'aux ordures à la traîne dans le quartier1,2,3,4,5.

Ces incivilités nous rappellent que la criminalité pourrait être près de nous et potentiellement envahir nos vies. Par exemple, les déchets et les ordures qui jonchent les rues peuvent être un signe que le secteur n'est pas bien entretenu et qu'il peut inciter à des activités illégales comme la vente de drogues; l'endroit peut alors sembler menaçant et nous amener à nous préoccuper davantage de notre sécurité. Lorsque les gens sont suffisamment dérangés par des incivilités comme les ordures à la traîne, le tapage, la consommation de drogues et d'alcool en public, ils en viennent à penser que leur quartier est dangereux. Si cette opinion perdure, les résidents peuvent déménager ou modifier leur comportement — ne pas sortir le soir, éviter certains secteurs et refuser d'utiliser le transport en commun — ce qui peut modifier le rythme de vie de toute une collectivité6.

La perception qu'a une personne des incivilités dans son quartier provient d'une myriade d'influences, dont l'expérience personnelle, le ton des médias au sujet du « problème de criminalité » dans la ville ou dans le quartier et les anecdotes qu'elle entend de ses proches.

Quelle que soit l'origine de ces perceptions, elles jouent un rôle central dans la peur de la criminalité et, par conséquent, dans les demandes des citoyens pour que le gouvernement et le système de justice pénale résolvent le « problème de criminalité », particulièrement à l'échelon local7,8,9,10. La police sociopréventive et d'autres stratégies policières similaires ont souvent pour objectif de réduire les incivilités afin de modifier les perceptions des résidents au sujet de leur quartier, augmentant ainsi leur sentiment de sécurité11,12.

Toutefois, nous savons peu de choses au sujet de la prévalence de ces perceptions dans les quartiers canadiens. Le présent article puise aux données de l'Enquête sociale générale 2004 (ESG) sur la victimisation pour étudier les genres d'incivilités que les Canadiens des 12 plus grandes régions métropolitaines (RMR) de recensement ont cernés comme étant les problèmes les plus importants dans leur quartier. On examine aussi si ces perceptions varient par type de quartier.

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

Le présent article est fondé sur des données recueillies dans le cadre de l'Enquête sociale générale de 2004 (ESG). L'ESG est une enquête annuelle qui suit l'évolution et les nouvelles tendances de la société canadienne. En 2004, le Cycle 18 de l'ESG sur la victimisation a permis de recueillir des renseignements sur l'expérience de victimisation des Canadiens et les attitudes du public envers la criminalité, la police, les cours de justice, la prison et la libération conditionnelle.

La population cible de l'ESG 2004 incluait toutes les personnes âgées de 15 ans ou plus. Les données ont été recueillies chaque mois, de janvier à décembre 2004. Pendant cette période, environ 24 000 personnes ont été interviewées avec succès. Le présent article utilise les données des répondants qui résidaient dans les 12 plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR). L'échantillon d'analyse était composé de plus de 11 000 répondants représentant environ 13,9 millions de Canadiens.

Même si les niveaux d'incivilités physiques et sociales rapportés varient entre les RMR, le présent article se veut un portrait d'ensemble plutôt qu'une comparaison entre villes. Les variations entre les villes peuvent s'expliquer par des facteurs comme la tolérance culturelle envers la déviance, l'historique diversifié de leur construction et de leurs bâtiments, et d'autres éléments intangibles que les enquêtes-ménages ne permettent pas de saisir.

Définitions

Incivilités physiques : Le présent article examine deux questions de l'ESG de 2004 qui portaient sur les incivilités physiques :

   « Quelle importance a le problème… »
… des déchets ou des ordures qui traînent?
… du vandalisme, des graffitis et d'autres dommages volontairement causés à des biens ou des véhicules?

Les personnes qui ont répondu « C'est un très gros problème » ou « C'est un assez gros problème » à l'une ou l'autre des questions sont définies comme ayant perçu les incivilités physiques comme un problème dans leur quartier. (Celles qui ont répondu « Ce n'est pas un très gros problème » ou « Ce n'est pas un problème du tout » sont définies comme n'ayant perçu aucune incivilité physique dans leur quartier.)

Incivilités sociales : De même, six questions concernaient les incivilités sociales :

   « Quelle importance a le problème… »
... des soirées ou des voisins bruyants?
... des gens traînant dans les rues?
... des gens dormant dans les rues ou d'autres endroits publics?
... des gens qui consomment ou vendent des drogues?
... des gens en état d'ébriété ou faisant du tapage dans les endroits publics?
... de la prostitution?

Tout comme pour les incivilités physiques, les personnes qui ont répondu « C'est un très gros problème » ou « C'est un assez gros problème » à l'une ou l'autre des questions ont été définies comme percevant les incivilités sociales comme un problème dans leur quartier.

Région métropolitaine de recensement (RMR) : Une RMR est un territoire formé d'une ou de plusieurs municipalités adjacentes entourant un grand noyau urbain. Une RMR doit avoir une population d'au moins 100 000 habitants, et le noyau urbain doit compter au moins 50 000 habitants. Dans le présent article, les termes RMR et ville sont interchangeables.

Ville : Toute référence à une ou plusieurs villes dans l'article se rapporte aux RMR du même nom.

À prédominance urbaine : Les quartiers à prédominance urbaine sont des secteurs de recensement situés à proximité du centre-ville (à moins de cinq kilomètres du centre-ville) et ayant une densité élevée.

À prédominance suburbaine : Les quartiers à prédominance suburbaine sont des secteurs de recensement situés en périphérie (15 kilomètres ou plus du centre-ville) et ayant une faible densité.

Méthodologie

Dans cette étude, le centre-ville est le secteur de recensement où se trouve l'hôtel de ville de la municipalité centrale; la distance du centre-ville est donc la distance entre le quartier de résidence et le secteur de recensement où se trouve l'hôtel de ville de la municipalité centrale. Les quartiers centraux sont des quartiers situés à moins de cinq kilomètres du centre-ville. Les autres quartiers sont considérés comme des quartiers mi-urbains ou périphériques, et ils se différencient par la distance qui les sépare du centre-ville; par exemple, les quartiers situés entre 5 et 15 kilomètres du centre-ville sont considérés comme faisant partie d'un secteur mi-urbain.

La densité du quartier repose sur le type d'habitation du quartier. Des quartiers à faible densité comptent des maisons individuelles, jumelées et mobiles. De telles habitations sont considérées comme des habitations suburbaines traditionnelles. Plus spécifiquement, les quartiers à faible densité sont des quartiers comptant au moins 66,6 % d'habitations suburbaines traditionnelles. Les quartiers à densité élevée sont essentiellement composés d'immeubles à logements ou en copropriété (peu importe le nombre d'étages) et de maisons en rangée. De telles habitations sont caractéristiques des quartiers urbains traditionnels. Les quartiers à densité élevée sont des quartiers comptant moins de 33,3 % d'habitations suburbaines traditionnelles. Les quartiers à densité moyenne sont caractérisés par des habitations suburbaines traditionnelles dont la concentration se situe entre 33,3 % et 66,6 %.
• Pour plus de renseignements sur la façon de définir ces critères, voir « L'opposition ville/banlieue : comment la mesurer? » dans Tendances sociales canadiennes, no 85.


La grande majorité des résidents ne signalent pas d'incivilités dans leur quartier

Dans l'ensemble, les gens croient que le paysage métropolitain de leur ville est civil. Les trois quarts (75 %) des Canadiens âgés de 15 ans ou plus vivant dans les 12 plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR) ont dit que les incivilités ne posaient pas de problèmes dans leur quartier respectif. Seul un résident sur quatre a signalé qu'un certain genre d'incivilité posait un problème dans le secteur où il vivait. Toutefois, cette vue d'ensemble cache des différences substantielles de perception des incivilités dans chaque RMR : il y a un vaste continuum de perceptions parmi les 12 RMR et, comme nous le verrons, à l'intérieur des RMR elles-mêmes.

Pour la plupart des résidents des régions métropolitaines, les incivilités physiques ne sont pas un gros problème

Généralement, les chercheurs définissent deux types d'incivilités, soit les incivilités physiques et les incivilités sociales. On dit qu'il y a incivilités physiques lorsque des gens croient que des situations comme les ordures à la traîne, les bâtiments abandonnés, les graffitis, le vandalisme et les lots vacants représentent un problème dans le secteur où ils vivent. (Les incivilités sociales seront examinées dans la section suivante.)

Pour aborder la question des incivilités physiques, on a demandé aux répondants de l'ESG de 2004 de décrire la gravité des problèmes dans leur quartier concernant 1) les déchets ou ordures qui traînent, et 2) le vandalisme, les graffitis et les autres dommages volontairement causés à des biens ou à des véhicules. Les personnes qui ont répondu que c'était « Un très gros/un assez gros problème » ont été définies comme celles qui percevaient l'existence d'incivilités physiques. (Voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude » pour une description complète.)

Dans l'ensemble, 9 % des résidents vivant dans les 12 plus grandes RMR du Canada ont perçu que les déchets ou ordures à la traîne sont un problème dans leur quartier (tableau 1). Toutefois, on ne rapporte pas des taux similaires dans toutes les RMR. Dans la RMR de Québec,  4 % des résidents constataient un problème avec les déchets et ordures, tandis que dans celles d'Hamilton, de Regina et de Montréal, de 11 % à 12 % des résidents ont indiqué avoir le même problème.

Tableau 1 Un résident sur six vivant dans l'une des 12 plus grandes RMR perçoit les incivilités physiques comme étant un problème dans son quartier. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 1
Un résident sur six vivant dans l'une des 12 plus grandes RMR perçoit les incivilités physiques comme étant un problème dans son quartier

Dans les 12 RMR à l'étude, un peu plus de un Canadien sur dix, soit 11 %, a décrit le vandalisme et les graffitis comme étant un problème dans son quartier. À Québec, le taux était le plus faible (6 %), tandis qu'à Winnipeg et à Regina les taux de préoccupation étaient beaucoup plus élevés, 17 % des résidents y voyant un problème.

On obtient une image beaucoup plus claire de la situation lorsqu'on étudie les incivilités physiques en général. Dans l'ensemble, 16 % des résidents des 12 RMR ont trouvé problématique au moins un genre d'incivilité physique. Dans la plupart des RMR, le pourcentage des résidents qui pensent de la même façon au sujet de leur quartier se situait entre 12 % et 20 %. Toutefois, on note deux exceptions. Le niveau le plus bas de problèmes d'incivilités physiques perçus a été signalé à Québec (8 %); le niveau le plus élevé a été enregistré à Regina où les résidents ont déclaré qu'au moins un genre d'incivilité physique posait un problème.

Par conséquent, même si une personne sur six vivant dans les 12 plus grandes RMR du Canada a observé un problème d'incivilité physique dans son quartier, il y a des variations dans les niveaux indiqués. Ces différences ne s'expliquent pas facilement. Bien sûr, chaque RMR a sa dynamique propre comportant une multitude de facteurs, incluant des niveaux de tolérance face à des comportements spécifiques (voir « Qu'est-ce que l'effet seuil et pourquoi est-il important? » pour une explication de la tolérance). Les différences d'architecture, de climat, de composition démographique et d'infrastructures dans les RMR créent de nombreux paysages urbains qui ont une influence sur les perceptions des incivilités, et on ne peut saisir facilement les effets de chacun de ces éléments13,14,15.

Un résident sur cinq des régions métropolitaines perçoit les incivilités sociales comme un problème

Le deuxième type d'incivilités que les résidents perçoivent comme un problème sont les incivilités sociales. On parle incivilités sociales lorsqu'une personne perçoit un comportement perturbateur, tel que des voisins bruyants et inconsidérés, des gens en état d'ébriété, des consommateurs et des vendeurs de drogues et des itinérants, comme étant un problème dans son quartier16,17,18.

Dans la présente étude, on examine six genres d'incivilités sociales perçus par les résidents comme étant un problème dans leur quartier. Selon l'interview de l'ESG 2004, il y a : 1) des soirées ou des voisins bruyants; 2) des gens traînant dans les rues; 3) des gens dormant dans les rues; 4) des gens qui consomment ou vendent des drogues; 5) des gens en état d'ébriété ou faisant du tapage dans les endroits publics; et 6) la prostitution. (Voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude » pour une description complète.)

Ces comportements ont été largement utilisés par les criminologues pour mesurer les incivilités sociales qui sont les signes visibles de la criminalité dans les lieux publics : parcs, boulevards, arrêts d'autobus, centres commerciaux, etc. On pense que les perceptions des incivilités sociales dans ces lieux publics sont les principaux facteurs contribuant aux sentiments d'insécurité et de peur de la criminalité chez les citoyens19,20.

Un résident sur cinq des régions métropolitaines trouvait au moins un genre d'incivilité sociale problématique dans son quartier (tableau 2). Toutefois, cela varie considérablement entre RMR. À Québec, Hamilton, Winnipeg, Regina et Calgary, environ une personne sur six a observé une incivilité sociale. Ottawa-Gatineau, Toronto, Saskatoon et Edmonton affichaient un taux légèrement plus élevé, un résident sur cinq environ ayant déclaré au moins un problème. Les RMR présentant les taux les plus élevés de perception des incivilités sociales — un résident sur quatre ayant observé un problème dans son quartier — ont été Halifax, Montréal et Vancouver.

Dans les 12 RMR (à l'exception de Regina), le problème le plus couramment perçu a été la consommation et la vente de drogues, le pourcentage des résidents ayant signalé un problème de drogues dans leur quartier se situant entre 9 % et 19 %. Les genres d'incivilités sociales le moins souvent observés ont été la prostitution et les personnes dormant dans les rues, à moins de 5 %. Vancouver est l'exception où de 6 % à 8 % des résidents considèrent qu'au moins un de ces comportements est une source de problèmes dans leur quartier.

Tableau 2 Un résident sur cinq déclare qu'au moins un genre de comportement crée un problème d'incivilité sociale dans son quartier. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 2
Un résident sur cinq déclare qu'au moins un genre de comportement crée un problème d'incivilités sociales dans son quartier

Dans les secteurs à densité élevée, on perçoit davantage d'incivilités

Même si les différences entre les grandes RMR sont intéressantes, le portrait demeure incomplet. Les données sur les incivilités étant colligées au niveau du quartier, on peut s'en servir pour comprendre comment les niveaux d'incivilités varient à l'intérieur d'une RMR.

Dans un article publié dans Tendances sociales canadiennes de janvier 2008, Martin Turcotte a montré que la densité et l'éloignement de l'hôtel de ville révèlent des aspects vitaux des quartiers à l'intérieur des villes21,22. En utilisant le système géographique de Turcotte, nous pouvons examiner deux archétypes de quartiers  — environnements à prédominance urbaine et environnements à prédominance suburbaine — et établir des liens entre ces archétypes et les perceptions des incivilités.

Voyons maintenant le lien entre le type de quartier et les perceptions des incivilités à Montréal, Toronto et Vancouver. (Seules ces trois RMR ont des échantillons suffisamment grands pour permettre l'examen des incivilités selon des caractéristiques urbaines et suburbaines.)

Les premiers types de quartiers étudiés dans le paysage métropolitain sont caractérisés par la densité. « Secteur à densité élevée » est un raccourci pour dire « un grand nombre de personnes vivant dans un espace géographique restreint ». On croit que ce type de quartier a une double incidence sur les perceptions des incivilités. Premièrement, la présence d'un grand nombre d'étrangers et le nombre élevé d'interactions variées dans les secteurs à densité élevée pourraient amener les résidents à observer davantage de comportements perturbateurs. Deuxièmement, et faisant paradoxalement contrepoids à ce qui vient d'être dit, les résidents peuvent être tolérants face à divers comportements. C'est pourquoi, par exemple, pour que l'état d'ébriété soit perçu comme un problème, il faudrait un plus grand nombre de situations plus graves pour que les résidents délaissent leur acceptation de l'ébriété « habituelle » et deviennent plus sensibles à l'état d'ébriété publique comme un problème de quartier. Par contre, des personnes vivant dans un secteur à faible densité pourraient percevoir un seul étranger perturbateur comme un problème de quartier parce que les étrangers et les comportements perturbateurs sont plus visibles et alarmants quand ils ne cadrent pas avec la vie habituelle d'un endroit spécifique23,24,25. Ces perceptions divergentes de ce qu'est un comportement inacceptable ou perturbateur, dépendamment du lieu où il est perçu, pourraient être appelées un effet seuil. (Voir « Qu'est-ce que l'effet seuil et pourquoi est-il important? » pour une explication de la tolérance.)

À Toronto, Montréal et Vancouver, le profil des perceptions des incivilités selon la densité est relativement semblable : les incivilités physiques et sociales s'accentuent à mesure que s'accroît la densité (tableau 3). Dans des secteurs à faible densité, comme la banlieue de Toronto, par exemple, 15 % des résidents ont vu  les incivilités sociales comme un problème. Toutefois, dans des secteurs à densité élevée, plus du double des résidents (34 %) les ont considérées comme un problème. Ce profil semble indiquer que, malgré l'effet seuil, la présence d'étrangers et la gamme des comportements jugés problématiques sont beaucoup plus marquées dans les secteurs à densité élevée.

Tableau 3a et 3b Les perceptions des incivilités physiques sont significativement plus élevées dans les quartiers centraux. … De même, les incivilités sociales sont plus couramment déclarées dans les quartiers centraux. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 3a et 3b
Les perceptions des incivilités physiques sont significativement plus élevées dans les quartiers centraux
… De même, les incivilités sociales sont plus couramment déclarées dans les quartiers centraux

Qu'est-ce que l'effet seuil et pourquoi est-il important?

La tolérance des gens varie selon les comportements, et le niveau de tolérance face à un comportement non encore problématique peut varier en fonction des circonstances. Par exemple, le seuil de tolérance d'un parent face à une musique qui devient dérangeante est probablement beaucoup moins élevé que chez son adolescent. C'est pourquoi les parents percevront la musique forte comme un problème bien avant leur adolescent. De plus, le seuil où le parent la perçoit comme inacceptable peut être moins élevé en fin de soirée qu'en début d'après-midi.

On croit que les perceptions des incivilités sont du même ordre, et cette influence s'appelle l'effet seuil. Dans les quartiers centraux, une « bande » de personnes peut être perçue comme une situation banale et ne causer aucun problème; mais dans une banlieue, l'observateur du même comportement peut y voir un signe d'un problème très sérieux. Toutefois, même en plein centre-ville, celui qui observe des personnes traîner continuellement dans la rue ou dans des circonstances inhabituelles peut en venir à juger ce comportement comme étant problématique.

Par conséquent, l'effet seuil est important parce qu'ils nous aide à comprendre que la perception d'une chose comme étant problématique ne dépend pas uniquement du nombre ou de la fréquence des comportements d'incivilité observés, mais aussi de la personnalité des individus, du lieu et du moment de la journée. De plus, il est important que le répondant signale des comportements qui ont eu lieu dans un endroit spécifique. L'ESG parle spécifiquement d'un comportement d'incivilité observé dans le quartier du répondant, ce qui établit un cadre de référence clair pour répondre à la question.
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Innes, M. (2004). Signal crimes and signal disorders: Notes on deviance as communicative action. The British Journal of Sociology, 55(3), 335-355.
Regoeczi, W. (2002). The impact of density: The importance of non-linearity and selection on flight and fight responses. Social Forces, 81(2), 505-530.
Sampson, R. J. et Raudenbush, S. W. (2004). Seeing disorder: Neighbourhood stigma and the social construction of "broken windows". Social Psychology Quarterly, 67(4), 319-342.


Les personnes vivant très près du centre-ville sont plus susceptibles de percevoir des incivilités

Souvent, la densité élevée, associée aux étrangers, aux comportements dérangeants et aux incivilités sociales ou physiques, est liée à la distance physique du centre-ville. Les résidents de quartiers situés plus près du centre-ville peuvent observer plus de signes de criminalité que ceux qui résident en périphérie.

Bien qu'on puisse s'attendre à trouver moins de tolérance face à des comportements spécifiques en périphérie que dans les quartiers centraux, les perceptions des incivilités dans les trois RMR suivent le même profil que celles associées à la densité : les taux les plus élevés sont rapportés dans les quartiers centraux et les taux les plus faibles, en périphérie, soit au moins à 15 kilomètres du centre-ville. Par exemple, 39 % des résidents de Vancouver vivant à proximité du centre-ville ont perçu les incivilités physiques comme un problème de quartier, contre seulement 16 % de ceux qui vivent en périphérie, quelle que soit l'influence de l'effet seuil.

Les taux de perception des incivilités sont de deux à quatre fois plus élevés dans des quartiers à prédominance urbaine que dans des quartiers à prédominance suburbaine

Même si ces profils des incivilités perçues sont intéressants, le vrai contraste apparaît lorsqu'on réunit la densité et l'éloignement du centre-ville. Combiner ces deux mesures nous permet d'étudier deux archétypes du paysage urbain contemporain : 1) paysages à prédominance urbaine caractérisés par une densité élevée dans les quartiers centraux; et 2) paysages à prédominance suburbaine, caractérisés par une faible densité dans les quartiers en périphérie éloignée du centre-ville.

Dans les quartiers à prédominance urbaine des RMR de Montréal, Toronto et Vancouver, les résidents sont de deux à quatre fois plus susceptibles de signaler des incivilités dans leur quartier que ceux qui vivent dans des quartiers à prédominance suburbaine. Cela demeure vrai quel que soit le type d'incivilités. Par exemple, à Montréal, 13 % des résidents en périphérie ont indiqué au moins une incivilité sociale comme étant problématique dans leur quartier, par comparaison à 43 % des Montréalais vivant dans un environnement à prédominance urbaine.

On comprend beaucoup mieux la variation entre les quartiers à prédominance urbaine et suburbaine lorsqu'on étudie si les deux types d'incivilités — physiques et sociales — sont perçus comme étant problématiques, si un seul d'entre eux l'est ou si aucun ne pose de problèmes.

D'abord, dans les trois RMR, 80 % ou plus des résidents dans un environnement à prédominance suburbaine ne perçoivent pas de problèmes d'incivilités (tableau 4). Par contre, 47 % des personnes vivant dans un environnement à prédominance urbaine ne perçoivent pas de problèmes d'incivilités dans leur quartier.

Tableau 4 Comparativement aux personnes vivant dans les quartiers centraux, les résidents vivant en périphérie sont 20 % à 30 % moins susceptibles de déclarer que l'incivilité est un problème. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 4
Comparativement aux personnes vivant dans les quartiers centraux, les résidents vivant en périphérie sont 20 % à 30 % moins susceptibles de déclarer que l'incivilité est un problème

Lorsque nous examinons les résidents qui ont perçu les incivilités physiques et sociales comme étant problématiques, nous découvrons un profil similaire. Dans des environnements à prédominance suburbaine, de 4 % à 8 % des résidents ont perçu les deux types d'incivilités. Par contre, dans des quartiers à prédominance urbaine, de 25 % à 37 % des résidents ont constaté des problèmes d'incivilités des deux types. Clairement, les environnements à prédominance urbaine et à prédominance suburbaine sont très différents quant aux perceptions des résidents face aux incivilités et à l'expérience qu'ils en ont dans leur vie quotidienne.

C'est pourquoi, malgré l'effet seuil, les résidents des quartiers urbains au Canada vivent dans un environnement social très différent de celui de leurs concitoyens vivant dans des quartiers suburbains. Cette expérience divergente invite les chercheurs à étudier davantage ces paysages métropolitains tout en reconnaissant clairement qu'ils sont aussi des environnements sociaux distincts.

Résumé

Pour la plupart des résidents des grandes villes du Canada, les incivilités sociales ou physiques ne posent pas de problèmes dans leur quartier. Toutefois, le pourcentage de résidents déclarant un problème varie considérablement d'une RMR à l'autre et par type d'incivilités. Généralement, les résidents des 12 plus grandes RMR du Canada ont indiqué plus souvent les incivilités sociales comme problème que les incivilités physiques. Toutefois, les résultats varient beaucoup d'une RMR à l'autre.

On découvre des profils encore plus clairs lorsqu'on tient compte du paysage urbain des trois plus grandes villes du Canada (Montréal, Toronto et Vancouver). Dans ces RMR, les résidents de régions à densité élevée ou vivant près du centre-ville ont mentionné plus de problèmes liés aux incivilités dans leur quartier que ceux vivant dans d'autres secteurs du paysage métropolitain. Les contrastes les plus marqués ont été observés entre les quartiers à prédominance urbaine et les quartiers à prédominance suburbaine.

La grande majorité des résidents vivant dans un environnement à prédominance suburbaine n'ont pas perçu que les incivilités physiques ou sociales posaient des problèmes dans leur quartier; c'était vrai pour moins de la moitié des personnes vivant dans des environnements à prédominance urbaine.

Bien que les perceptions des incivilités varient d'une RMR à l'autre, le contraste le plus frappant se trouve entre les environnements à prédominance urbaine et suburbaine dans les RMR. Les perceptions des incivilités au Canada sont fortement tributaires du lieu de résidence au sein même de la RMR, et ces différences de perception semblent refléter davantage le caractère d'environnements urbains types plutôt que de RMR distinctes.

Leslie-Anne Keown est analyste en sciences sociales à Tendances sociales canadiennes.

Tableau A.1 Grille comparative des incivilités physiques entre les différentes RMR, selon l'écart en points de pourcentage. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau A.1
Grille comparative des incivilités physiques entre les différentes RMR, selon l'écart en points de pourcentage

Tableau A.2 Grille comparative des incivilités sociales entre les différentes RMR, selon l'écart en points de pourcentage. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau A.2
Grille comparative des incivilités sociales entre les différentes RMR, selon l'écart en points de pourcentage

Notes

  1. Ferraro, K. F. (1995). Fear of crime: Interpreting victimization risk. Albany, N.Y.: State University of New York Press.
  2. Keown, L. A. (2001). Perceived risk of victimization: A Canadian perspective. Mémoire de maîtrise ès arts non publié,  University of Calgary, Calgary, Alberta.
  3. Keown, L. A. (2007a). Incorporating place into research: An example using personal crime precautions in Canada, Conférence socioéconomique 2007 de Statistique Canada. Ottawa.
  4. Keown, L. A. (2007b). Personal crime precautions in Canada (1993-2004): An exploration. Thèse doctorale non publiée, University of Calgary, Calgary, Alberta.
  5. Wilson, J. Q. et Kelling, G. L. (1982). Broken windows: The police and neighbourhood safety. The Atlantic Monthly, (mars), 29-38.
  6. Miethe, T. D. (1995). Fear and withdrawal from urban life. Annals of the AmericanAcademy of Political and Social Science, 539(mai), 14-27.
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  9. Sampson, R. J. et Raudenbush, S. W. (2004). Seeing disorder: Neighbourhood stigma and the social construction of "broken windows". Social Psychology Quarterly, 67(4), 319-342.
  10. Wyant, B. (2008). Multilevel impacts of perceived incivilities and perceptions of crime risk on fear of crime: Isolating endogenous impacts. Journal of Research in Crime & Delinquency, 45, 39-64.
  11. Skogan, W. et Maxfield, M. (1981). Coping with crime: Individual and Neighborhood reactions. Beverly Hills: Sage Publications.
  12. Wilson, J. Q. et Kelling, G. L. (1982).
  13. Kilburn, J. C. Jr. et Shrum, W. (1998). Private and collective protection in urban areas. Urban Affairs Review, 33(6), 790-812.
  14. Skogan, W. (1990). Disorder and decline. New York: The Free Press.
  15. Wyant, B. (2008).
  16. Ferraro, K. F. (1995).
  17. Keown, L. A. (2001).
  18. Keown, L. A. (2007b).
  19. Furedi, F. (1997). Culture of fear: Risk-taking and the morality of low expectation. London: Cassell.
  20. Garland, D. (2001). The culture of control: Crime and social order in contemporary society. Chicago: University of Chicago Press.
  21. Turcotte, M. (2008a). L'opposition ville/banlieue : comment la mesurer? Tendances sociales canadiennes (85) 2-20. No 11-008-XWF au catalogue de Statistique Canada.
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