La consommation éthique

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

par Martin Turcotte

[Article intégral en PDF]

Introduction
Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
La proportion de personnes qui achètent ou boycottent un produit pour des raisons éthiques est à la hausse
Les hommes sont aussi susceptibles que les femmes d'avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques
La consommation responsable est moins fréquente chez les 65 ans et plus
Les Québécois et les Britanno-Colombiens sont les plus portés à choisir ou à boycotter un produit pour des raisons éthiques
Les immigrants récents ont moins tendance à choisir ou à boycotter un produit pour des raisons éthiques
La consommation éthique est plus fréquente chez les personnes qui ont moins confiance dans les grandes entreprises
Les personnes impliquées dans les organismes sont plus portées à participer aux différentes formes d'activités
Un plus grand sentiment de contrôle est associé à une plus grande participation à la consommation responsable
Des opinions contrastées à propos de la consommation éthique
Résumé

Introduction

L'un des courants importants ayant marqué la dernière décennie est la plus grande prise de conscience des Canadiens face aux impacts que peuvent avoir leurs activités quotidiennes sur la qualité de l'environnement. Cette nouvelle conscientisation s'est d'ailleurs traduite par des gestes concrets et de nouvelles habitudes de vie, comme la participation aux programmes de recyclage, l'emploi de sacs réutilisables, l'achat de produits alimentaires biologiques ou l'utilisation d'articles écologiques à la maison.

En plus de se préoccuper de l'environnement, bon nombre de groupes et de personnes ont pris position sur des questions éthiques. C'est ainsi que certains d'entre eux ont dénoncé les conditions de travail et les salaires des travailleurs dans l'industrie du vêtement et dans l'industrie de l'alimentation (le café, en particulier). D'autres se sont opposés aux traitements réservés aux animaux de laboratoire, à certaines pratiques de marketing ou aux activités antisyndicales. 

Outre de nombreux appels au boycott de certaines entreprises1, de nouveaux produits ont fait leur apparition sous la bannière du commerce équitable. Il s'agit de produits issus d'un processus de production et de mise en marché considéré plus juste pour les travailleurs et moins nocif pour l'environnement (ou, du moins, ils sont présentés comme tels). Autrefois relégués à quelques commerces spécialisés, ces produits, portant le sceau « équitable » ou « responsable », sont maintenant offerts dans la plupart des supermarchés, sur les marchés boursiers, et même, dans les agences de voyages.

L'idée selon laquelle les citoyens peuvent changer les choses par leurs comportements individuels et leurs choix de consommation fait aujourd'hui partie intégrante du discours environnemental et militant. De ce fait, bon nombre de politologues considèrent que la consommation responsable, incluant le boycott, est une forme de participation politique parmi d'autres, puisque son objectif est de provoquer des changements sociaux2 (pour connaître des points de vue divergents quant à la pertinence et au niveau d'efficacité réelle de la consommation éthique ou responsable, consulter l'encadré « Des opinions contrastées à propos de la consommation éthique »).

Des données d'enquête portant sur un ensemble de pays industrialisés ont démontré que du milieu des années 1970 jusqu'au début des années 2000, le boycott a été la forme de participation politique non conventionnelle qui a connu la croissance la plus marquée3 (aucunes données n'existent sur l'évolution de l'achat éthique durant cette période).

Quelle est la propension des consommateurs à choisir des produits et à en boycotter d'autres en fonction de critères éthiques? Étaient-ils plus nombreux à le faire en 2008 qu'en 2003? Qui sont les personnes qui ont le plus tendance à choisir ou à boycotter un produit pour des raisons éthiques? Et comment se compare l'évolution de la consommation responsable par rapport à l'évolution d'autres formes de participation politique? À l'aide des données de l'Enquête sociale générale (ESG) de 2003 et de 2008, le présent article vise à répondre à toutes ces questions (voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude » pour obtenir plus de détails sur les données et les concepts).

 

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

La présente étude est fondée sur des données recueillies par Statistique Canada dans le cadre de l'Enquête sociale générale (ESG). En 2003 et 2008, l'enquête a permis de recueillir des données sur l'engagement politique, la participation sociale et les réseaux sociaux des Canadiens de 15 ans et plus vivant dans des ménages privés des 10 provinces.

La présente étude porte sur les personnes âgées de 25 ans ou plus. Cela correspondait à un échantillon de 18 457 répondants représentant près de 23 millions de personnes en 2008 et à un échantillon totalisant 21 785 personnes en 2003. Les personnes de 15 à 24 ans ont été exclues parce que plusieurs d'entre elles étaient toujours aux études et qu'elles vivaient avec leurs parents et n'étaient pas nécessairement responsables des choix de consommation quotidiens.

Bien que l'étude ne porte pas sur les jeunes adultes, d'après les données de l'ESG, 17 % de ceux de 15 à 19 ans et 28 % de ceux de 20 à 24 ans ont déclaré avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques en 2008.

Définitions

Consommation éthique ou responsable : Les personnes ont été classées selon leur réponse affirmative ou négative à la question suivante : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous fait l'une des activités suivantes : […] boycotté un produit ou choisi un produit pour des raisons d'éthique? » La même formulation a été utilisée pour mesurer la participation aux huit autres types d'activités politiques énumérées au tableau 1.

Sens de contrôle personnel : Cette variable est construite à partir de sept questions avec le préambule suivant : « Veuillez me dire si vous êtes tout à fait d'accord, d'accord, ni en accord ni en désaccord, en désaccord ou entièrement en désaccord ». Les énoncés à propos desquels les répondants s'exprimaient étaient les suivants :

  • « vous avez peu de contrôle sur ce qui vous arrive »,
  • « […] vous ne pouvez vraiment rien faire pour résoudre certains de vos problèmes »,
  • « […] vous ne pouvez pas faire grand-chose pour changer bien des choses importantes dans votre vie »,
  • « vous vous sentez souvent impuissant/impuissante face aux problèmes de la vie »,
  • « vous trouvez parfois que vous vous faites malmener dans la vie »,
  • « ce que votre avenir vous réserve dépend surtout de vous »
  • « vous pouvez réaliser à peu près tout ce que vous décidez de faire ».

Les réponses ont été recodées de façon à ce que les réponses reflétant un plus grand sens de contrôle aient une valeur supérieure. Les répondants ont ensuite été classés en cinq catégories, en fonction de leur score sur l'échelle. Dans le modèle de régression logistique, cette variable est traitée de manière continue, prenant une valeur allant de 1 à 5.

Participation à des groupes organisés : On demandait aux répondants de dire s'ils avaient été membres ou participants, au cours des 12 mois précédant l'enquête, de ces différents organismes, réseaux ou organisations : syndicat ou association professionnelle; organisme politique; organisme sportif ou récréatif; organisme culturel, éducatif ou de loisirs; groupe d'appartenance religieuse; groupe scolaire, association de quartier, association de citoyens ou groupe communautaire; club social ou société fraternelle; autre groupe (et le nombre de groupes).

Fin de l'encadré

La proportion de personnes qui achètent ou boycottent un produit pour des raisons éthiques est à la hausse

En plus de pouvoir voter pour élire leurs représentants, les citoyens qui désirent participer à la vie publique et éventuellement influencer les décisions politiques ou la société en général peuvent aussi : faire du bénévolat pour un parti, signer une pétition, assister et participer à des réunions publiques, etc. Au cours des dernières années, certains analystes se sont inquiétés du déclin de la participation civique, notamment de la diminution de la participation électorale.

Les données de l'ESG montrent qu'en 2008 les taux de participation à la plupart des formes d'activités mesurées dans l'enquête étaient soit plus faibles, soit pratiquement identiques, à ceux enregistrés en 2003. Par exemple, la proportion de citoyens de 25 ans et plus ayant assisté à une réunion publique était de 19 %, en 2008, comparativement à 23 %, en 2003 (tableau 1). La proportion de ceux ayant fait du bénévolat pour un parti politique est quant à elle demeurée pratiquement inchangée, à environ 3 %. Les données officielles d'Élections Canada montrent un déclin appréciable du taux de participation aux élections fédérales depuis une vingtaine d'années : de 75 % en 1988, à 67 % en 1997 et à 59 % en 20084.

Deux types de comportements ont cependant connu une progression entre 2003 et 2008 : la recherche d'informations politiques (en hausse de 3 points de pourcentage) et la consommation responsable (en hausse de 7 points de pourcentage) (tableau 1).

Tableau 1 Participation aux activités politiques, 2003 et 2008Tableau 1 Participation aux activités politiques, 2003 et 2008

Cette croissance de la consom­mation responsable, entre 2003 et 2008, s'est fait sentir à la fois chez les hommes et chez les femmes, chez les personnes appartenant à des ménages aux revenus plus ou moins élevés, chez les personnes avec ou sans enfants, etc. Il existait cependant des variations régionales importantes. En effet, l'augmentation de la consommation éthique a été de 8 points de pourcentage au Québec, de 10 points à l'Île-du-Prince-Édouard, et de 1 point en Alberta (tableau 2).

Les hommes sont aussi susceptibles que les femmes d'avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques

En général, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes de participer à des activités politiques, comme assister à une réunion publique (tableau 2). Il s'agit d'un résultat conforme à plusieurs études sur la question5. Toutefois, d'après l'ESG, il n'existait pas de différence entre les sexes en ce qui a trait à la consommation éthique. Des études ont montré que les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d'avoir des valeurs et des comportements environnementalistes6 et qu'elles étaient plus portées, particulièrement dans les pays scandinaves, à acheter des produits en tenant compte de considérations éthiques ou sociales7. Parallèlement, d'autres sources de données montrent qu'au Canada les hommes étaient plus portés que les femmes à participer à un boycott8. Dans l'ESG, on mesure simultanément l'achat ou le boycott d'un produit pour des raisons éthiques, ce qui peut expliquer les similarités entre les hommes et les femmes à cet égard.

Il est bien reconnu que les personnes qui participent le plus à des activités politiques sont généralement plus scolarisées9. Les données de l'ESG confirment ces tendances. On trouve effectivement que la scolarisation est fortement et positivement associée à la participation politique et à la consommation responsable (graphique 1 et tableau 2). Spéci­fiquement, en 2008, la proportion de diplômés universitaires ayant choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques était de 41 %, comparativement à 8 % des personnes n'ayant pas obtenu leur diplôme d'études secondaires. Lorsque l'on tenait compte de l'impact d'autres facteurs (comme le revenu du ménage, le statut d'immigrant et le lieu de résidence), les diplômés universitaires et collégiaux demeuraient plus susceptibles que les personnes moins scolarisées d'avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques (tableau A.1)10.

Graphique 1 Les personnes plus fortement scolarisées sont plus portées à participer aux différentes activitésGraphique 1 Les personnes plus fortement scolarisées sont plus portées à participer aux différentes activités

Tableau 2 Pourcentage de personnes ayant choisi ou boycotté un produit pour une raison éthique et taux de participation à différentes formes d'activités politiques, selon certaines caractéristiques, 2008Tableau 2 Pourcentage de personnes ayant choisi ou boycotté un produit pour une raison éthique et taux de participation à différentes formes d'activités politiques, selon certaines caractéristiques, 2008

De façon générale, il faut disposer de certaines informations et de certains renseignements pour pouvoir intégrer des considérations éthiques ou politiques dans ses choix de consommation. Les personnes plus scolarisées ont plus tendance à lire les journaux et à utiliser Internet pour s'informer. Internet est une source de premier choix pour se renseigner sur l'existence de produits éthiques ou bien sur l'organisation de certains boycotts11. On a d'ailleurs constaté que les personnes qui disaient avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques étaient proportionnellement plus nombreuses à avoir utilisé Internet pour chercher de l'information à propos de produits ou de services en général (81 % comparativement à 60 % pour les autres) (résultats non montrés).

Une association similaire à celle observée entre la scolarisation et la consommation responsable existait pour le revenu : plus le revenu du ménage était élevé, plus la proportion de personnes disposées à acheter un produit pour des raisons éthiques était grande. Par exemple, 24 % des personnes vivant au sein d'un ménage dont le revenu annuel se situait entre 40 000 $ et 59 999 $ avaient choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques, comparativement à 40 % de celles ayant un revenu du ménage supérieur à 100 000 $ par année. Il en coûte souvent un peu plus cher pour se procurer des produits certifiés équitables et ce coût supplémentaire a moins d'impact sur les finances personnelles des particuliers ayant les revenus les plus élevés. En outre, les personnes ayant les revenus les plus élevés consomment et dépensent habituellement plus que les autres, que ce soit pour l'alimentation, les divertissements et les loisirs ou encore pour les rénovations résidentielles. Toutes choses étant égales par ailleurs, plus une personne a acheté une grande quantité de biens et de services, plus elle est susceptible d'en avoir acheté au moins quelques-uns pour des raisons éthiques.

La consommation responsable est moins fréquente chez les 65 ans et plus

Les personnes de 65 ans et plus, qui sont les plus susceptibles de toutes de voter lors des élections12, étaient les moins susceptibles de choisir des produits pour des raisons éthiques (15 % d'entre elles, comparativement à 30 % de celles de 45 à 54 ans, par exemple). Elles étaient aussi moins portées à signer une pétition (tableau 2). Des études ont montré que les valeurs dites « postmatérialistes » étaient positivement associées à la consommation éthique13 et au boycott14. Il s'agit de valeurs d'extériorisation (c'est-à-dire de valorisation de l'autonomie, de la qualité de vie et de la liberté d'expression) et de valeurs de sécularisation (par exemple, de remise en question de l'autorité et de la religion). Au Canada, comme dans de nombreuses autres sociétés industrialisées, ces valeurs se sont développées au sein des générations nées après la Deuxième Guerre mondiale; par conséquent, elles sont moins prévalentes chez les personnes de 65 ans et plus15.

Les Québécois et les Britanno-Colombiens sont les plus portés à choisir ou à boycotter un produit pour des raisons éthiques

En général, la consommation responsable était plus répandue dans les plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR) que dans les agglomérations de recensement (AR) et à l'extérieur de ces régions (tableau 2). Il est possible que certains produits, facilement accessibles dans de grands centres comme Toronto, Montréal, Vancouver ou Ottawa–Gatineau soient plus difficiles à trouver dans les régions plus éloignées. Parmi l'ensemble des RMR de plus grande taille, c'est à Ottawa–Gatineau et à Québec que la consommation éthique était la plus élevée (respectivement 34 % et 35 % en 2008).

Autant en 2003 qu'en 2008, la consommation responsable variait sensiblement selon les provinces. En 2008, c'est en Colombie-Britannique (31 %), au Québec (29 %) et en Ontario (27 %) qu'on a enregistré les plus fortes proportions de citoyens ayant consommé ou boycotté certains produits pour des raisons éthiques. Les plus faibles proportions ont été observées à Terre-Neuve-et-Labrador et au Nouveau-Brunswick (14 % dans les deux cas).

Si la consommation éthique a été moins fréquente en dehors des RMR/AR et dans les provinces de l'Atlantique, il n'en a pas été de même quant à l'assistance à des réunions publiques, une activité qui demande un niveau de mobilisation plus élevé (en temps notamment). En effet, la participation à des réunions publiques était la plus élevée hors des RMR/AR (tableau 2). Les résidents des provinces de l'Atlantique, en particulier celles de Terre-Neuve-et-Labrador et de l'Île-du-Prince-Édouard, se montraient plus portés à participer à de telles réunions que ceux des autres provinces.

Les immigrants récents ont moins tendance à choisir ou à boycotter un produit pour des raisons éthiques

Certaines études ont démontré que les immigrants récents, en particulier ceux provenant de pays où les droits démocratiques étaient plus limités, avaient moins tendance que les autres à participer à des activités politiques non traditionnelles ou de « protestation », comme le boycott d'un produit16. Certaines études ont aussi montré une plus faible participation des immigrants récents à des activités politiques plus traditionnelles comme le fait de voter aux élections17. Selon l'ESG, en 2008, comparativement aux personnes nées au Canada, les immigrants récents étaient moins susceptibles d'avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques, d'avoir communiqué avec un journal ou un politicien, d'avoir signé une pétition et d'avoir participé à une réunion publique (tableau 2).

Des études antérieures ont aussi montré que plus la durée de résidence des immigrants au Canada était longue, plus ils avaient tendance à avoir des comportements similaires à ceux des non-immigrants du point de vue de la participation politique18. C'est aussi ce qui se produit en ce qui concerne la consommation responsable et les autres types de participation : en 2008, 29 % des personnes nées au Canada ont acheté ou boycotté un produit pour des raisons éthiques, comparativement à 24 % des immigrants qui sont arrivés au Canada avant 1990 et à 12 % de ceux arrivés entre 1990 et 2008 (tableau 2).

La consommation éthique est plus fréquente chez les personnes qui ont moins confiance dans les grandes entreprises

Des études de marché ont montré que certaines valeurs et attitudes étaient propres aux personnes faisant des achats en fonction de critères éthiques. Par exemple, une étude a trouvé que les amateurs de café équitable, en plus d'être davantage scolarisés que la moyenne, étaient plus idéalistes et moins conventionnels que les autres consommateurs19.

Les données de l'ESG démontrent, conformément à ces conclusions, que les personnes qui exprimaient le moins de confiance dans les grandes entreprises ont eu plus tendance que les autres à être des consommatrices éthiques (37 % d'entre elles, comparativement à 13 % de celles ayant dit avoir une grande confiance dans les grandes entreprises). De façon peu surprenante les personnes ayant un faible niveau de confiance dans les grandes entreprises ont été aussi nettement plus portées à signer des pétitions (tableau 2).

Les personnes actives sur le plan religieux sont plus susceptibles de voter aux élections20 et de faire du bénévolat et des dons à des organismes21. Lorsqu'elles font des dons, elles ont tendance à donner des montants plus élevés. Cependant, les personnes qui ont déclaré une appartenance religieuse étaient moins portées à choisir leurs produits en fonction de critères éthiques que celles qui n'en ont déclaré aucune (tableau 2). Par ailleurs, on constate que les personnes mariées étaient moins susceptibles d'avoir choisi un produit pour des raisons éthiques que les célibataires ou celles vivant en union libre (tableaux 2 et A.1).

Tableau A.1 Régressions logistiques des facteurs associés à la consommation responsableTableau A.1 Régressions logistiques des facteurs associés à la consommation responsable

Les personnes impliquées dans les organismes sont plus portées à participer aux différentes formes d'activités

Les experts en science politique ont montré que la participation des citoyens, au sein d'associations et d'organismes de toutes sortes (de nature politique ou non), encourageait la participation citoyenne et politique. En effet, les personnes qui participent à la vie politique le font souvent parce qu'elles ont été en contact avec des personnes qui les ont convaincues de le faire ou qui les ont mobilisées. Les résultats démontrent de façon assez claire que les personnes qui participaient au plus grand nombre de groupes organisés étaient aussi les plus portées à choisir ou à boycotter des produits pour des raisons éthiques (42 % des personnes faisant partie de 5 organismes ou plus avaient consommé éthiquement contre 16 % de celles ne faisant partie d'aucune organisation).

Un plus grand sentiment de contrôle est associé à une plus grande participation à la consommation responsable

Il va sans dire que les personnes qui choisissent des produits en fonction de critères éthiques le font parce qu'elles croient que leurs actions, combinées à celles d'autres personnes qui agissent comme elles, pourront avoir un impact social quelconque. Conformément à cette idée, on a constaté que les personnes qui avaient un plus grand sentiment de contrôle sur leur destinée avaient aussi plus tendance à consommer éthiquement (43 %) que celles dont le sentiment de contrôle était moindre (18 %). De façon générale, les personnes qui ont un grand sentiment de contrôle personnel croient, entre autres, qu'elles ont une influence sur ce qui leur arrive, qu'elles possèdent des ressources pour faire face à différents problèmes, et que leur avenir dépend surtout de leurs actions.

 

Des opinions contrastées à propos de la consommation éthique

Les opinions à propos de la consommation éthique ou responsable varient. Selon certains critiques, cette forme d'action politique individualisée et demandant relativement peu d'efforts, bien qu'elle soit attrayante par sa relative simplicité, ne sera jamais aussi efficace que la législation et la réglementation pour « changer les choses »1. Un des problèmes serait que les consommateurs ne sont pas en mesure d'assimiler la multitude d'informations qui seraient nécessaires à des prises de décisions d'achats toujours éclairées. D'autres auteurs soulignent que certains produits vantés comme « socialement acceptables » ou « verts » ne le sont pas autant qu'on le croit, surtout lorsque ce sont les fabricants eux-mêmes qui les désignent ainsi2. Finalement, les plus cyniques croient que la consommation éthique n'est qu'un moyen utilisé par les plus fortunés pour se distinguer socialement sans autre préoccupation que leur prestige personnel et leur réputation, par exemple, pour paraître verts ou moralement supérieurs aux autres3.

À l'opposé, d'autres croient, exemples historiques à l'appui, que les consommateurs peuvent avoir beaucoup de pouvoir et d'influence sur les comportements des entreprises et sur les politiques des gouvernements4. Les mouvements organisés de dénonciation des sweatshops dans l'industrie du vêtement auraient, par exemple, amené certaines grandes entreprises à changer véritablement leurs pratiques (en ouvrant leurs portes à une surveillance indépendante, en haussant les salaires minimums et en améliorant les conditions de santé et de sécurité dans leurs usines)5. Certains spécialistes soulignent aussi que la consommation responsable constitue, pour plusieurs jeunes citoyens, un moyen nouveau et important de s'engager politiquement6. Finalement, les organismes de certifications équitables reconnus, comme TransFair Canada, vantent l'amélioration réelle des conditions de travail lorsque les produits sont issus de ce processus de production.


Notes

  1. LOW, William, et Eileen DAVENPORT. 2007. «  To boldly go… exploring ethical spaces to re-politicise ethical consumption and fair trade », Journal of Consumer Behaviour, vol.  6, no 5, p. 336 à 348.
  2. CARRIER, James G. 2007. « Ethical consumption », Anthropology Today,vol. 23, n4, p. 1 à 2.
  3. Pour les diverses motivations des consommateurs responsables, voir FREESTONE, Oliver M., et Peter J. MCGOLDRICK. 2008. « Motivations of the ethical consumer », Journal of Business Ethics,vol. 79, no 4, p. 445 à 467. Certains soulignent que, d'une certaine façon, la recherche de bénéfices personnels caractérise tous les types de comportements ayant une portée sociale et politique; voir, par exemple, DOWNS, Anthony. 1957. An Economic Theory of Democracy. New York: Harper; OLSON, M. 1965. The Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups. Cambridge MA: Harvard University Press; RIKER, William H., et Peter C. ORDESHOOK. 1968. « A theory of the calculus of voting », American Political Science Review,vol. 62, no 1, p. 25 à 42.
  4. STOLLE, Dietlind, Marc HOOGHE et Michele MICHELETTI. 2005. « Politics in the supermarket: Political consumerism as a form of political participation », International Political Science Review,vol. 26, no 3, p. 245 à 269.
  5. MICHELETTI, Michele, et Dietlind STOLLE. 2007. « Mobilizing consumers for global social justice responsibility-taking », The Annals of the American Academy of Political and Social Science,vol. 611, no 1, p. 157 à 175.
  6. MICHELETTI, Michele, et Dietlind STOLLE. 2006a. « Political consumerism », Youth Activism: An International Encyclopedia, publié sous la direction de Lonnie R. Sherrod, Constance A. Flanagan et Ron Kassimir. New York: Greenwood Publishing Group.

Fin de l'encadré

Résumé

Au Canada, entre 2003 et 2008, la participation à la consommation responsable a progressé alors que les taux de participation à la plupart des autres formes de participation politique sont demeurés stables ou ont diminué. En 2008, la proportion de gens ayant acheté ou boycotté un produit pour des raisons éthiques atteignait 27 %, comparativement à 20 % en 2003.

Le niveau de scolarité et le revenu avaient un effet sur la probabilité d'avoir choisi ou boycotté un produit pour des raisons éthiques. Par exemple, en 2008, 41 % des personnes ayant un diplôme universitaire avaient acheté ou boycotté un produit pour des raisons éthiques, comparativement à 22 % de celles dont le plus haut niveau de scolarité était le diplôme d'études secondaires.  Aussi, les personnes ayant les revenus les plus élevés étaient beaucoup plus portées à avoir consommé ou boycotté un produit pour des raisons éthiques que celles ayant des revenus plus faibles.

Les autres facteurs associés à une participation plus élevée à la consommation responsable étaient : le fait d'être né au Canada, de vivre en union libre ou d'être célibataire, de vivre dans une région métropolitaine, de faire peu confiance aux grandes entreprises, de n'avoir aucune appartenance religieuse, d'avoir un grand sens de contrôle personnel et de participer activement à plusieurs groupes organisés.

Martin Turcotte est analyste principal à la revue Tendances sociales canadiennes de la Division de la statistique sociale et autochtone de Statistique Canada.


Notes

  1. NEWHOLM, Terry, et Deidre SHAW. 2007. « Studying the ethical consumer: A review of research », Journal of Consumer Behaviour,vol. 6, no 5, p. 253 à 270.
  2. STOLLE, Dietlind, et Michele MICHELETTI. 2006b. « The gender gap reversed: political consumerism as a women-friendly form of civic and political engagement », Gender and Social Capital, publié sous la direction de Brenda O'Neil et Elisabeth Gidgengil, New York: Routledge.
  3. STOLLE, Dietlind, Marc HOOGHE et Michele MICHELETTI. 2005. « Politics in the supermarket: political consumerism as a form of political participation », International Political Science Review,vol. 26, no 3, p. 245 à 269.
  4. ÉLECTIONS CANADA. Taux de participation aux élections et aux référendums fédéraux, 1867-2008. (consulté le 24 novembre 2010). Les taux de participations officiels sont préférés aux taux de participation aux élections obtenus dans le cadre de l'Enquête sociale générale. En effet, les experts de la question considèrent que les sondages ont tendance à surestimer la participation électorale par rapport aux données administratives.
  5. Voir, par exemple, BURNS, Nancy, Kay LEHMAN SCHLOZMAN et Sidney VERBA. 2001. The Private Roots of Public Action: Gender, Equality, and Political Participation. Cambridge: Harvard University Press.
  6. GRØNHØJ, Alice, et Folke ÖLANDER. 2007. « A gender perspective on environmentally related family consumption », Journal of Consumer Behaviour,vol. 6, no 4, p. 218 à 235.
  7. STOLLE et MICHELETTI. 2006b.
  8. WORLD VALUES SURVEY. 2006. Outil d'analyse de données en ligne (online data analysis). Données pour le Canada.
  9. VERBA, Sidney, Kay LEHMAN SCHLOZMAN et Henry E. BRADY. 1995. Voice and Equality: Civic Voluntarism in American Politics, Cambridge: Harvard University Press.
  10. L'incidence de la scolarité était cependant un peu moindre dans le modèle complet où toutes les variables étaient maintenues constantes. Cela laisse supposer que la plus grande tendance des personnes plus scolarisées à être des consommateurs éthiques s'explique en partie par leur sens de contrôle personnel en moyenne plus élevé, par le fait qu'ils participent à un plus grand nombre d'organisations et parce qu'ils ont plus tendance à résider dans des régions métropolitaines.
  11. CARRIGAN, Marylyn, et Ahmad ATTALLA. 2001. « The myth of the ethical consumer: do ethics matter in purchase behaviour? », Journal of Consumer Marketing,vol. 18, no 7, p. 560 à 578; MICHELETTI, Michele, et Dietlind STOLLE. 2007. « Mobilizing consumers for global social justice responsibility-taking », The Annals of the American Academy of Political and Social Science,vol. 611, no 1, p. 157 à 175.
  12. Élections Canada. 2008. Estimation du taux de participation par groupes d'âge à la 39e élection générale fédérale du 23 janvier 2006. Document de travail.
  13. BROOKER, George. 1976. « The self-actualizing socially conscious consumer », Journal of Consumer Research,vol. 3, no 2, p. 107 à 112; Stolle et Micheletti. 2006b.
  14. INGLEHART, Ronald. 2008. « Changing values among western publics from 1970 to 2006 », West European Politics,vol. 31, no 1 et 2, p. 130 à 146; Inglehart, Ronald. 1997. Modernization and Postmodernization: Cultural, Economic and Political Change in 43 Societies, Princeton: Princeton University Press.
  15. INGLEHART. 1997. NEVITTE, Neil. 1996. The Decline of Deference: Canadian Value Change in Cross-National Perspective. Peterborough: Broadview Press.
  16. BILODEAU, Antoine. 2008. « Immigrants' voice through protest politics in Canada and Australia: assessing the impact of pre-migration political repression », Journal of Ethnic and Migration Studies,vol. 34, no 6, p. 975 à 1002.
  17. Pour une revue de littérature récente, consulter : NAKHAIE, Reza M. 2008. « Social capital and political participation of Canadians », Canadian Journal of Political Science/ Revue canadienne de science politique, vol. 41, no 4, p. 835 à 860.
  18. NAKHAIE. 2008.
  19. DE PELSMACKER, Patrick, et Glenn RAYP. 2005. «  Do consumers care about ethics? Willingness to pay for fair-trade coffee », The Journal of Consumer Affairs, vol.  39, no  2, p. 363 à 385.
  20. BLAIS, André, Elisabeth GIDGENGIL, Neil NEVITTE et Richard NADEAU. 2004. « Where does turnout decline come from? », European Journal of Political Research, vol.  43, no 2, p. 221 à 236. Les données de l'Enquête sociale générale tendent à confirmer les résultats de ces études; en 2008, 79 % des personnes ayant déclaré une appartenance religieuse ont dit avoir voté aux dernières élections fédérales, contre 70 % des personnes sans appartenance religieuse.
  21. STATISTIQUE CANADA. 2009. Canadiens dévoués, Canadiens engagés : points saillants de l'Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participationno 71-542 au catalogue de Statistique Canada.