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Les indicateurs permettant de suivre l’état de santé et le système de soins de santé au Canada peuvent être retracés dans des publications comme le Rapport fédéral sur les indicateurs comparables de la santé (2002, 2004 et 2006)1 et dans la série annuelle en ligne intitulée Indicateurs de santé, qui existe depuis 20022 . Ces sources proposent plus d’une centaine d’indicateurs selon le sexe, le groupe d’âge, la province et la région sociosanitaire, mais un seul d’entre eux, soit l’espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé, est couplé à une mesure socioéconomique, en l’occurrence le revenu moyen du quartier1. On ne s’étonne donc pas de la recommandation  issue d’une récente conférence3 voulant que les indicateurs de la santé tiennent compte de la notion d’équité, en considérant le statut socioéconomique et le lieu de résidence (région urbaine ou rurale) des personnes.

Les données provenant d’enquêtes nationales, telles que l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, peuvent servir à cette fin4 . Les bases de données administratives, comme celle des décès ou des hospitalisations, dont les données sont essentielles à l’observation de l’état de santé de la population ou de l’utilisation des services de santé, ont également leur utilité à cet égard. Étant donné toutefois que celles-ci ne contiennent aucune information à caractère socioéconomique sur les personnes, la surveillance des inégalités sociales en matière de santé exige qu’on ait recours aux indicateurs de type géographique.

Cette pratique soulève toutefois des questions quant à l’amplitude des inégalités mises en évidence, car celle-ci peut varier selon que les données socioéconomiques soient de nature individuelle ou géographique. Selon des études antérieures, la relation entre les indicateurs de la santé et les facteurs socioéconomiques est plus étroite lorsque ces facteurs sont mesurés à l’échelle de l’individu5-10. D’après d’autres études, les données individuelles et les données géographiques aboutissent à des inégalités comparables, que ce soit pour l’ensemble de la population11 ou pour un segment de celle-ci12,13. Ces conclusions divergentes ne semblent pas tant attribuables à la taille de l’unité géographique considérée qu’à l’indicateur de la santé sélectionné ainsi qu’à la nature et à la formulation des indicateurs socioéconomiques utilisés. Quoi qu’il en soit, les chercheurs s’entendent tous pour dire que les indicateurs socioéconomiques individuels et géographiques ne traduisent pas la même réalité, qu’ils reflètent des construits différents, et qu’ils contribuent de façon indépendante aux écarts de santé observés5,11-13.

À ce jour au Canada, une seule étude s’est livrée à une comparaison des deux types d’indicateurs14, en évaluant, pour un échantillon représentatif de Manitobains, la contribution du revenu du ménage et du revenu moyen du quartier (c.-à-d. du secteur de dénombrement) à plusieurs indicateurs de la santé, notamment la mortalité, l’incapacité, le placement en centre d’hébergement, la morbidité liée aux soins et à l’hospitalisation, la prévalence de troubles mentaux et la fertilité, pour la période 1986 à 1989. Pour tous ces indicateurs, mis à part l’incapacité et la prévalence de troubles mentaux, les variations selon le décile de revenu étaient comparables pour les deux types d’indicateurs. En ce qui a trait à l’incapacité et à la prévalence de troubles mentaux, les variations étaient plus importantes selon le revenu du ménage que selon le revenu du quartier. De plus, pour tous les indicateurs de la santé, sauf l’incapacité (chez les 15 à 59 ans) et les troubles mentaux, l’étude a fait ressortir des disparités comparables entre les milieux urbain et rural. Dans le cas de l’incapacité, l’effet du revenu était plus prononcé en milieu urbain, tant à l’échelle de l’individu qu’à l’échelle géographique.

Ces résultats montrent que le recours aux indicateurs de type géographique pour la surveillance de l’état de santé exige de reconnaître leur nature géographique, reflétant à la fois les caractéristiques de la population et celles de son environnement physique et social. L’étude des indicateurs de type géographique devant servir à la surveillance de l’état de santé au Canada est donc importante afin d’estimer leur contribution à l’état de santé et leurs variations selon le milieu de vie. Une équipe américaine a d’ailleurs entrepris des recherches en ce sens15.

La disponibilité récente au Canada d’un fichier jumelant le recensement de 1991 et la mortalité de 1991 à 2001 offre une occasion unique d’explorer la contribution respective de variables individuelles et de variables géographiques à certains indicateurs de la santé10. Dans la présente étude, nous examinons la façon dont les versions individuelle et géographique d’un indice de défavorisation contribuent à l’espérance de vie et à l’espérance de vie sans incapacité16. Pour ce faire, nous procédons d’abord à une comparaison des deux versions de l’indice en ce qui a trait à l’amplitude des écarts observés, pour ensuite vérifier si chacune d’elle contribue de manière indépendante à ces écarts.

Données et méthodes

Les données sont issues d’un jumelage entre les données du recensement de 1991 et celles tirées des enregistrements de décès pour la période allant du 4 juin 1991 au 31 décembre 200110. Elles portent sur un échantillon de 15 % de la population de 25 ans et plus ne vivant pas en établissement. La présente étude porte sur 99 % de cette population (n = 2 708 300), soit sur les personnes auxquelles il a été possible d’attribuer un indice de défavorisation.

Le découpage territorial

L’étude vise la population canadienne dans son ensemble ainsi que quatre zones géographiques, telles qu’elles sont délimitées dans la Classification des secteurs statistiques de Statistique Canada17. Reflet du continuum urbain-rural, celles-ci englobent : 1) les grandes RMR (régions métropolitaines de recensement), à savoir Toronto, Montréal et Vancouver; 2) les autres RMR (celles comptant plus de 100 000 habitants); 3) les AR (agglomérations de recensement, des collectivités comptant entre 10 000 et 100 000 habitants); et 4) les zones d’influence métropolitaine,   dénommées ci-après « petites villes et régions rurales » (municipalités comptant moins de 10 000 habitants).

L’indice de défavorisation

L’indice de défavorisation est la version canadienne d’un indice développé au Québec18-20. Il s’agit d’un indice géographique construit sur la base du secteur de dénombrement (SD) de 1991 (un SD est une unité territoriale constituée d’îlots d’habitation contigus comptant chacun en moyenne 700 habitants)21. L’indice de défavorisation s’inspire des propositions de Peter Townsend22 et considère deux formes de défavorisation, l’une matérielle et l’autre sociale. La défavorisation matérielle  se reflète par des privations au niveau des biens et commodités de la vie moderne, tandis que la défavorisation sociale renvoie à la fragilité du réseau social, lequel s’étend de la famille jusqu’à la communauté. L’indice de défavorisation sur lequel repose notre analyse intègre six indicateurs socioéconomiques23-28, à savoir, être sans diplôme d’études secondaires, avoir un emploi, le revenu personnel, être veuf(ve), séparé(e) ou divorcé(e), vivre seul(e), et vivre dans une famille monoparentale.

Dans la version géographique de l’indice, ces indicateurs sont exprimés sous forme de proportion ou, dans le cas du revenu, sous forme de moyenne, selon le SD.  Ils sont groupés en fonction des deux dimensions de la défavorisation (matérielle et sociale), d’après les résultats d’analyses en composante principale (il s’agit d’une forme d’analyse factorielle). La dimension matérielle de la défavorisation se reflète principalement dans la scolarité, l’emploi et le revenu, alors que l’état matrimonial et la structure du ménage ou de la famille sont davantage représentatifs de la dimension sociale de la défavorisation. Dans l’un et l’autre cas, les SD ont été groupés en quintiles de population, où le quintile 1 correspond au quintile le plus favorisé et le quintile 5, au moins favorisé, en fonction de la note factorielle (factor score), représentant la valeur de chaque composante dans chaque SD. Ce regroupement a été réalisé pour l’ensemble du Canada et dans chaque zone géographique à partir de l’analyse en composante principale (et des notes factorielles) effectuée pour chaque zone.

La version individuelle de l’indice reprend les six caractéristiques socioéconomiques retenues pour la version géographique de l’indice, mais sous une forme binaire (p. ex. : avoir ou non un emploi) ou, dans le cas du revenu, une forme continue. Seule la mesure du revenu diffère légèrement d’une version à l’autre. Dans le cas des personnes vivant seules ou dans un ménage non familial, on a utilisé le revenu personnel. Dans le cas des autres personnes, on a utilisé le revenu familial, ajusté par la taille de la famille. Les six indicateurs ont été groupés sous les dimensions matérielle et sociale de la défavorisation, d’après les poids factoriels (standardized scoring coefficients) issus des différentes analyses en composante principale géographiques. Par la suite, les personnes ont été réparties en quintiles de population – le quintile 1 correspondant au quintile le plus favorisé et le quintile 5, au plus défavorisé –, sur l’une et l’autre dimension de la défavorisation, en fonction de la note factorielle. Cette opération a été réalisée pour l’ensemble du Canada et pour chaque zone géographique.

Quant à la dimension sociale de la défavorisation, elle n’offrait pas la possibilité de répartir les personnes en quintiles. Les indicateurs classés sous cette dimension, à savoir être veuf(ve), séparé(e) ou divorcé(e), vivre seul(e), et vivre dans une famille monoparentale, n’ont permis d’isoler que deux groupes de personnes, soit celles dont la majorité n’avaient pas ces caractéristiques (environ 80 % de la population) et celles dont la plupart présentaient l’une ou l’autre de ces caractéristiques (20 %). Ainsi, au niveau de la dimension sociale de l’indice, la comparaison des versions individuelle et géographique porte sur ces deux groupes, l’un représentant le groupe le plus favorisé (quintiles 1, 2, 3 et 4), et l’autre, le plus défavorisé (quintile 5). On trouve plus de détails sur la construction de l’indice en annexe.

Les indicateurs de la santé

L’analyse fait appel à deux indicateurs de la santé10, à savoir la mortalité et l’incapacité21. Un indice de défavorisation a pu être attribué à 98 % des personnes qui étaient décédées (= 255 780) ou qui avaient déclaré une incapacité (n = 352 400) au recensement de 1991.

Pour les besoins de l’étude, nous avons calculé l’espérance de vie à 25 ans et l’espérance de vie sans incapacité à 25 ans16. Cette dernière exprime le nombre d’années qu’une personne âgée de 25 ans (au cours de la période 1991 à 2001) peut s’attendre à vivre sans limitation d’activités ou incapacité. Les calculs s’appuient respectivement sur les méthodes de Chiang29 et de Sullivan30, adaptées pour la survie10. Des intervalles de confiance à 95 % ont été calculés dans chaque cas29,31.

Afin de vérifier si les versions individuelle et géographique de l’indice contribuent toutes deux aux écarts de santé entre les quintiles, et ce de façon indépendante, nous avons utilisé deux mesures associées au calcul de l’espérance de vie sans incapacité, à savoir le risque proportionnel de mortalité (proportional hazards ratio) survenue de 1991 à 2001 et le risque relatif d’incapacité en 1991. Ces risques sont modélisés à l’aide de la régression de Cox32 (mortalité) et de la régression binomiale négative33 (incapacité). Nous avons produit des modèles distincts pour la dimension matérielle et la dimension sociale de la défavorisation et ajusté les résultats pour tenir compte des effets de l’âge et du sexe, ainsi que de la zone géographique et de l’autre forme de défavorisation. Un premier modèle établit la contribution de la version individuelle de l’indice de défavorisation, seule d’abord, puis en présence de la version géographique de l’indice. À l’inverse, un second modèle estime la contribution de la version géographique de l’indice, seule d’abord, puis en présence de la version individuelle de l’indice. Nous avons calculé les risques de mortalité et d’incapacité pour les quintiles extrêmes de défavorisation matérielle (quintile 1 contre quintile 5) et de défavorisation sociale (quintiles 1, 2, 3, 4 contre quintile 5). Ainsi, une valeur de 2,00 signifie que le risque de mortalité ou d’incapacité chez le groupe le plus défavorisé est deux fois plus élevé que chez le groupe le plus favorisé. Les calculs ont été effectués à l’aide des procédures PHREG et GENMOD de SAS.

Enfin, nous avons vérifié si l’absence d’un indice de défavorisation pour 1 % de l’ensemble de la population et pour 2 % des personnes décédées ou ayant une incapacité pouvait biaiser les estimations d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité. Pour ce faire, nous avons considéré les personnes auxquelles il n’a pas été possible d’attribuer un indice de défavorisation comme appartenant au groupe le plus défavorisé (quintile 5) et produit de nouvelles estimations d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité. Celles-ci se sont révélées similaires aux estimations obtenues précédemment.

Résultats

Espérance de vie

Les versions individuelle et géographique de l’indice de défavorisation dégagent des écarts variables d’espérance de vie à 25 ans (figure 1). Ainsi, sur le plan matériel, les estimations obtenues à partir des données au niveau individuel passent de 61,2 ans pour le groupe le plus favorisé (quintile 1) à 52,4 ans pour le groupe le moins favorisé (quintile 5), soit une différence de 8,8 ans  (IC : 8,0; 9,6). Calculées à partir de données au niveau du SD, les valeurs correspondantes sont de 57,5 ans et 54,0 ans, soit une différence de 3,5 ans (IC : 3,7; 4,2).

figure 1
Espérance de vie à 25 ans, selon le quintile de défavorisation matérielle et de défavorisation sociale et la version de l’indice de défavorisation, Canada, 1991 à 2001

Sur le plan social de la défavorisation, la différence d’espérance de vie observée entre les groupes le plus favorisé (quintiles 1, 2, 3 et 4) et le moins favorisé (quintile 5) est de 3,9 ans (IC : 3,7; 4,2) selon les données au niveau individuel et de 2,0 ans (IC : 1,8; 2,0) selon celles au niveau du SD.

Espérance de vie sans incapacité

Les écarts persistent en ce qui a trait à l’espérance de vie sans incapacité à 25 ans (figure 2). Ainsi, selon la dimension matérielle de la défavorisation, les données au niveau individuel montrent un écart d’espérance de vie sans incapacité à 25 ans de 14 ans (IC : 13,2; 14,8) entre les groupes le plus et le moins favorisés et les données au niveau du SD, un écart de 5,1 ans (IC : 4,9; 5,3).

figure 2
Espérance de vie sans incapacité à 25 ans, selon le quintile de défavorisation matérielle et de défavorisation sociale et la version de l’indice de défavorisation, Canada, 1991 à 2001

Sur le plan socialde la défavorisation, l’écart entre les groupes le plus et le moins favorisés se fixe à 5,3 ans (IC : 5,1; 5,5) selon les données individuelles et à 2,8 ans (IC : 2,6; 3,0) d’après les données géographiques.

Différences entre les hommes et les femmes

Que l’on s’appuie sur des données individuelles ou géographiques, les inégalités d’espérance de vie à 25 ans et d’espérance de vie sans incapacité à 25 ans selon la défavorisation sont plus prononcées chez les hommes que chez les femmes (tableau 1). Les différences d’amplitude notées plus haut entre les deux versions de l’indice se maintiennent. En ce qui concerne l’espérance de vie, cependant, ces différences sont plus importantes chez les femmes. Ainsi, sur le plan matériel de la défavorisation, les femmes affichent un écart d’espérance de vie de 8,1 ans lorsque celui-ci est calculé à partir de données individuelles et de 2,8 ans, si on se sert de données géographiques, comparativement à 9,5 ans et 4,2 ans, respectivement, chez les hommes.

tableau 1
Espérance de vie à 25 ans et espérance de vie sans incapacité à 25 ans, selon la version de l’indice de défavorisation, les quintiles supérieur et inférieur de défavorisation matérielle et de défavorisation sociale et le sexe, Canada, 1991 à 2001

Différences selon la zone géographique

Peu importe que l’on fonde nos calculs sur des données individuelles ou géographiques, on observe des différences d’espérance de vie à 25 ans et d’espérance de vie sans incapacité à 25 ans selon la défavorisation pour toutes les zones géographiques. L’ampleur des inégalités observées sur le plan matériel varie cependant selon la version de l’indice.

Les écarts d’espérance de vie à 25 ans reposant sur des données individuelles sont plus importants dans les AR (8,6 ans) et dans les petites villes et régions rurales (7,4 ans) que dans les grandes RMR (5,4 ans) et les « autres RMR » (6,4 ans) (figure 3). En revanche, d’après les données géographiques (SD), seules les « autres RMR » affichent un écart d’espérance de vie à 25 ans plus grand, soit de 4 ans. Pour ce qui est de l’espérance de vie sans incapacité, le recours aux données individuelles pour évaluer la défavorisation matérielle mène à des écarts plus prononcés entre les quintiles dans les AR (13,7 ans) que dans les autres zones géographiques (figure 4). Aussi, selon la version individuelle de l’indice, l’écart noté entre les quintiles dans le cas des petites villes et régions rurales (11,4 ans) excède celui observé dans le cas des grandes RMR (10,2 ans). Inversement, les données au niveau du SD révèlent un écart plus marqué entre les quintiles dans les « autres RMR » (6,7 ans) qu’ailleurs et un écart plus faible dans les petites villes et régions rurales (3,1 ans) que dans les grandes RMR (4,5 ans).

figure 3
Écart d’espérance de vie à 25 ans entre les quintiles supérieur et inférieur de défavorisation matérielle† et de défavorisation sociale‡, selon la zone géographique et la version de l’indice de défavorisation, Canada, 1991 à 2001

figure 4
Écart d’espérance de vie sans incapacité à 25 ans entre les quintiles supérieur et inférieur de défavorisation matérielle† et de défavorisation sociale‡, selon la zone géographique et la version de l’indice de défavorisation, Canada, 1991 à 2001

Associations indépendantes

Quoi qu’il en soit, l’une et l’autre versions de l’indice de défavorisation contribuent de manière significative aux écarts d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité. Ainsi, le risque proportionnel de mortalité de 1991 à 2001 et le risque relatif d’incapacité en 1991 entre les quintiles le plus et le moins favorisés sont associés de manière indépendante à la défavorisation matérielle et à la défavorisation sociale (tableau 2). Dans le cas de la défavorisation matérielle, l’effet de la version individuelle est beaucoup plus marqué que celui de la version géographique. Par exemple, le risque relatif d’incapacité calculé pour le groupe le moins favorisé par opposition au groupe le plus favorisé est 211 % plus élevé lorsqu’on s’appuie sur des données individuelles, mais 6 % plus élevé si on utilise des données géographiques.

tableau 2
Risque proportionnel de mortalité (1991 à 2001) et risque relatif d’incapacité (1991), selon la forme de défavorisation et la version de l’indice de défavorisation, Canada

En ce qui a trait à la défavorisation sociale, les deux versions de l’indice produisent des estimations similaires.

Discussion

Les versions individuelle et géographique de l’indice de défavorisation retracent d’importantes disparités d’espérance de vie à 25 ans et d’espérance de vie sans incapacité à 25 ans pour les dimensions matérielle et sociale de la défavorisation, disparités qui, en outre, vont dans le même sens. Ainsi, un accroissement de la défavorisation s’accompagne d’une diminution de l’espérance de vie, avec ou sans incapacité. On note cependant une divergence en ce qui a trait à l’ampleur des disparités. En effet,  les écarts d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité entre les quintiles extrêmes de défavorisation sont nettement plus importants lorsque mesurés à l’échelle de l’individu. Cette observation vaut pour l’ensemble de la population canadienne, pour les hommes et pour les femmes, et pour chaque zone géographique.

À l’instar de la littérature, ces résultats suggèrent que la relation entre la santé et les caractéristiques socioéconomiques est plus étroite lorsque celles-ci sont mesurées à l’échelle de l’individu plutôt qu’à l’échelle géographique5-9. En effet, en examinant les six indicateurs qui forment l’indice de défavorisation, on remarque que la version individuelle de l’indice se prête mieux à l’identification des populations vulnérables ou favorisées (tableau 3). Par ailleurs, nos résultats viennent corroborer les conclusions d’une étude manitobaine14 sur l’incapacité ainsi que celles de l’étude canadienne10 relative à l’espérance de vie à 25 ans.

tableau 3
Caractéristiques socioéconomiques de la population, selon le quintile de défavorisation matérielle et de défavorisation sociale et la version (géographique et individuelle) de l’indice de défavorisation, Canada, 1991

Selon nos résultats, les divergences entre les mesures individuelles et les mesures géographiques sont plus importantes chez les femmes que chez les hommes, ce qui laisse croire que les indicateurs mesurés au niveau du SD entraînent une sous-estimation plus importante chez les femmes que chez les hommes des écarts d’espérance de vie selon la défavorisation. Et, toujours d’après l’étude canadienne citée précédemment, laquelle s’appuie sur le même fichier de données, les différences entre les mesures individuelles et les mesures de type géographique sont également plus prononcées chez les femmes que chez les hommes10. En outre, une étude réalisée dans le district de Renfrew en Écosse5 a montré une progression soutenue du taux de mortalité chez les hommes selon le niveau de défavorisation du quartier (c.-à-d. de la zone de code postal) et selon la situation vis-à-vis du travail manuel (le fait ou non d’être manœuvre). Chez les femmes, seule la situation vis-à-vis du travail manuel a influé sur la mortalité.

Les divergences les plus marquées entre les indicateurs individuels et les indicateurs géographiques s’observent au niveau de la zone géographique. Par exemple, il appert que la version de l’indice de défavorisation fondée sur le SD entraîne une sous-estimation de l’ampleur des écarts d’espérance de vie et d’espérance de vie sans incapacité entre les quintiles dans les AR et dans les petites villes et régions rurales, ce qui n’a pu être mis en évidence dans la littérature internationale ni dans l’étude manitobaine susmentionnée. La comparaison des milieux urbain et rural en ce qui a trait aux inégalités en matière de santé n’est cependant pas exempte d’artéfacts statistiques, qui résultent notamment de différences dans les petites unités géographiques retenues pour l’analyse. On note, par exemple, que l’étendue des disparités sociales entre ces unités est plus forte en ville qu’en campagne alors que la taille et l’homogénéité sociale de ces unités y est plus élevée34,35. En outre, au Canada, la correspondance entre les codes postaux (dans les certificats de décès) et les secteurs de dénombrement (pour l’identification des données socioéconomiques) se révèle moins précise dans les AR et dans les petites villes et régions rurales que dans les RMR36. Bien que ce manque de concordance n’ait pas influencé nos résultats — le fichier que nous avons utilisé ayant assuré une correspondance optimale10—, il pourrait en être autrement dans le contexte d’activités régulières de surveillance de la mortalité.

Conformément aux résultats d’autres chercheurs5,11-13, nos résultats indiquent que les deux versions (individuelle et géographique) de l’indice de défavorisation sont associées aux différences de mortalité et d’incapacité au Canada. Chacune reflète une réalité distincte qu’il est possible de rapprocher des facteurs de composition et de contexte auxquels on réfère dans l’interprétation des inégalités locales de santé37,38. Il appert également que l’une et l’autre formes de défavorisation (matérielle et sociale) agissent simultanément sur les inégalités observées. Les mesures au niveau du SD ne visent souvent que la dimension matérielle de la défavorisation (p. ex. : le revenu), alors que les rapports sociaux, notamment l’isolement social, représentent eux aussi un puissant déterminant de la santé39,40.

Limites

La présente étude comporte certaines limites. D’abord, elle s’appuie sur un indice de défavorisation formé à partir de six caractéristiques socioéconomiques que l’on aurait pu définir et combiner différemment, tant à l’échelle de l’individu qu’à l’échelle géographique.

Or, dans le choix des caractéristiques, nous cherchions à refléter la multiplicité des déterminants sociaux de la santé et à maximiser la comparabilité de l’indice d’une échelle à l’autre. Il aurait certes été possible d’utiliser d’autres déterminants de l’état de santé, comme, par exemple, le statut d’immigrant ou le statut d’Autochtone, ce qui aurait pu influencer les résultats obtenus au niveau des grandes RMR, des AR, et des petites villes et régions rurales41,42.  Ces caractéristiques pourraient cependant être ajoutées à l’indice de défavorisation dans la modélisation des inégalités sociales de santé.

Enfin, la présente étude ne porte que sur deux indicateurs de la santé, à savoir l’espérance de vie et l’espérance de vie sans incapacité; des travaux portant sur d’autres mesures pourraient donner des résultats différents. Il n’en demeure pas moins que l’espérance de vie et l’espérance de vie sans incapacité, en tant que mesures globales de l’état de santé, occupent l’avant-scène dans le dossier de la surveillance de la santé au Canada2-4.

Conclusion

En ce qui a trait au suivi des inégalités sociales en matière de santé, la présente étude porte à croire que les indicateurs socioéconomiques de type géographique ne dégagent qu’une partie de celles-ci, partie qui varie selon le sexe et la zone géographique. Ils ne constituent somme toute que des marqueurs d’inégalités, qui pour être mieux comprises devront faire l’objet d’études à visée étiologique intégrant divers déterminants de la santé de l’un et l’autre type (individuel et géographique). Malheureusement, tant et aussi longtemps que manqueront les données individuelles socioéconomiques dans les bases de données administratives, le suivi des inégalités sociales de santé devra forcément passer par le recours aux indicateurs de type géographique.

La présente étude illustre certains avantages des indicateurs géographiques43, à savoir qu’ils couvrent un large spectre de la situation socioéconomique (sur les deux plans – matériel et social); qu’ils s’appliquent à l’ensemble de la population (hommes et femmes, provenant de divers milieux géographiques); qu’ils donnent lieu à des estimations statistiquement fiables et cohérentes par rapport aux indicateurs individuels (c.-à-d. parallélisme des relations); et qu’ils permettent de dégager des inégalités appréciables en matière de santé entre différents groupes sociaux. Enfin, les indicateurs géographiques permettent un suivi des inégalités dans le temps et dans l’espace. Pour ces raisons, et malgré leurs limites, ils demeurent une forme de mesure appropriée en ce qui a trait à la surveillance des inégalités sociales de santé.

Remerciements

Nous remercions M. Russell Wilkins de Statistique Canada pour nous avoir facilité l’accès à la base de données recensement-mortalité. Bien sûr, les analyses et les opinions présentées ne reflètent aucunement les vues de Statistique Canada.

Annexe

tableau A
Les caractéristiques socioéconomiques

Tant dans la version géographique qu’individuelle de l’indice de défavorisation, les caractéristiques socioéconomiques ont été groupées à l’aide des poids factoriels (standardized scoring coefficients) issus des analyses en composante principale géographiques. Ces poids sont présentés au tableau B. À l’échelle du Canada, les notes factorielles (factor scores) de défavorisation matérielle et de défavorisation sociale créées pour chaque secteur de dénombrement et pour chaque participant à la cohorte résultent des équations suivantes :

tableau B
Poids factoriels des caractéristiques socioéconomiques, selon la zone géographique, Canada, 1991

Version géographique de l’indice
Défavorisation matérielle :     (0,0903 X S_D_V) + (-0,0162 X MONO) + (0,1009 X SEULES) + (-0,3609 X EMPLOI) + (0,4690 X SCOL) + (-0,4046 X REVENU)
Défavorisation sociale :         (0,4415 X S_D_V) + (0,3463 X MONO) + (0,4130 X SEULES) + (-0,0294 X EMPLOI) + (0,1380 X SCOL) + (-0,0203 X REVENU)

Version individuelle de l’indice
Défavorisation matérielle :     (0,0903 X S_D_VIND) + (-0,0162 X MONOIND) + (0,1009 X SEULIND) + (-0,3609 X EMPLIND) + (0,4690 X SCOLIND) + (-0,4046 X REVIND)
Défavorisation sociale :         (0,4415 X S_D_VIND) + (0,3463 X MONOIND) + (0,4130 X SEULIND) + (-0,0294 X EMPLIND) + (0,1380 X SCOLIND) + (-0,0203 X REVIND)