Douleur chronique, limitation des activités et santé mentale florissante

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par Heather Gilmour

L’association entre la douleur chronique et un mauvais état de santé psychologique est bien établieNote 1-12. Cette association peut s’expliquer par le fait que la douleur a une incidence sur le bien-être mental en limitant les activités habituelles, comme les soins personnels, les rôles professionnels et familiaux ainsi que les loisirs et les rapports sociaux. Le modèle de la dépression fondé sur la limitation des activités (Activity Restriction model of depressed affect)Note 12,Note 13, ou modèle LA, postule que l’ajustement psychologique à un facteur de stress est relié en grande partie, et parfois en totalité, aux limitations des activités de la vie quotidienne qui en résultent. Par conséquent, même si la douleur peut concourir directement à la maladie mentale, elle peut aussi avoir un effet indirect en entraînant une limitation des activités, ce qui a comme effet d’accroître la détresse psychologique. Dans le modèle LA, la limitation des activités a un effet médiateur sur le lien entre la douleur et la dépression.

Le modèle LA a été examiné dans l’optique de la douleur chroniqueNote 6,Note 12 et de problèmes de santé comme le cancerNote 13,Note 14, la sclérose en plaquesNote 15, l’arthriteNote 2,Note 5,Note 8,Note 11,Note 16 et les problèmes de la vueNote 17, de même que par rapport à la prestation de soinsNote 4,Note 18. Beaucoup des études en question ont porté sur des populations cliniques ou en établissement qui étaient relativement réduites, ou encore sur des personnes plus âgées, et, dans la plupart, les symptômes de la dépression constituaient la variable de résultat examinée. De ce fait, les constatations se prêtent peu à une généralisation.

De plus, dans les études antérieures, le modèle LA a été utilisé en regard de la maladie mentale, et non de la santé mentale. Le modèle à deux continuums de KeyesNote 19 définit la santé mentale et la maladie mentale comme étant des axes distincts mais corrélés, l’un représentant la présence ou l’absence de santé mentale, et l’autre, la présence ou l’absence de maladie mentale. Dès lors, au lieu de considérer la dépression ou d’autres indicateurs de maladie mentale à titre de variables de résultat, la présente analyse fait appel à une mesure multidimensionnelle, soit la santé mentale florissante au sens du Continuum de santé mentale – Questionnaire abrégé (CSM–QA)Note 19-21. Le bien-être émotionnel ainsi que le fonctionnement psychologique et social sont pris en compte aux fins de classer les participants selon que leur santé mentale est florissante, modérément bonne ou languissante. Le concept de santé mentale « florissante » est important; une analyse longitudinale a démontré qu’une santé mentale florissante a un effet de protection contre la mortalité, toutes causes confonduesNote 22.

À partir du modèle LA à titre de cadre théorique, la présente étude a porté sur la santé mentale chez les membres de la population générale âgés de 18 ans et plus qui souffrent de douleurs chroniques. L’examen a porté sur le lien entre une santé mentale florissante, l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur. On a fait l’hypothèse que l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur étaient associés de façon indépendante à une santé mentale florissante, et que l’empêchement d’activités en raison de la douleur exerçait un effet médiateur, à tout le moins partiel, sur l’association entre l’intensité de la douleur et une santé mentale florissante. Les différences touchant cette relation selon l’âge et le sexe ont aussi été examinées.

Méthodes

Source des données

L’étude est fondée sur les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes 2011-2012; il s’agit d’une enquête transversale qui sert à recueillir des données sur l’état de santé, l’utilisation des soins de santé et les déterminants de la santé pour environ 98 % de la population âgée de 12 ans et plus. Elle a pour champ d’observation la population à domicile des provinces et des territoires, sauf les membres des Forces canadiennes, les personnes vivant en établissement et les habitants des réserves indiennes, d’autres établissements autochtones et de certaines régions éloignées. La collecte des données, par voie d’interview assistée par ordinateur, a débuté en janvier 2011 et s’est poursuivie sur une période de 24 mois. L’échantillon comptait 125 645 personnes, et le taux de réponse a été de 68,4 %. Des renseignements complémentaires au sujet de l’ESCC sont fournis sur le site Web de Statistique Canada (www.statcan.gc.ca).

Échantillon étudié

La prévalence de la douleur a été calculée en fonction d’un échantillon de 114 897 participants âgés de 18 ans et plus, qui était représentatif de 26,9 millions de personnes. L’analyse de la santé mentale a été effectuée à partir d’un échantillon de 108 063 participants âgés de 18 ans et plus (47 530 hommes et 60 533 femmes) ayant répondu au Continuum de santé mentale – Questionnaire abrégé, ce qui est représentatif de 25,6 millions de personnes; l’âge moyen de ces participants était de 51,6 ans. Des analyses additionnelles ont été menées à l’égard de la sous-population ayant fait état de douleurs chroniques, soit 26 429 participants (10 165 hommes et 16 264 femmes), qui sont représentatifs de 5,6 millions de personnes (tableau A en annexe). L’âge moyen pour ce groupe était de 56,7 ans; la majorité d’entre eux (73,4 %) détenaient un diplôme d’études postsecondaires; 62,9 % étaient mariés ou vivaient en union libre; 24,7 % faisaient partie du quintile de revenu du ménage le plus bas, et 16,4 %, du quintile de revenu le plus élevé; enfin, 84,6 % ont déclaré que leur origine ou groupe culturel ou racial était « Blanc ».

Définitions

Santé mentale

Le Continuum de santé mentale – Questionnaire abrégéNote 19-21 comporte 14 questions servant à déterminer comment les participants se sentaient au cours du dernier mois, les catégories de réponse étant « tous les jours », « presque tous les jours », « environ 2 ou 3 fois par semaine », « environ une fois par semaine », « une fois ou deux » et « jamais ». Parmi ces questions, trois visaient à mesurer le bien-être émotionnel :

Au cours du dernier mois, à quelle fréquence vous êtes-vous senti(e)...

  • heureux(se)?
  • intéressé(e) par la vie?
  • satisfait(e) à l’égard de votre vie?

Il y avait cinq questions qui avaient pour but de mesurer le bien-être social :

Au cours du dernier mois, à quelle fréquence avez-vous senti / vous êtes-vous senti(e)...

  • que vous aviez quelque chose d’important à apporter à la société?
  • que vous aviez un sentiment d’appartenance à une collectivité (comme un groupe social, votre quartier, votre ville, votre école)?
  • que notre société devient un meilleur endroit pour les gens comme vous?
  • que les gens sont fondamentalement bons?
  • que le fonctionnement de la société a du sens pour vous?

Enfin, six questions avaient pour but de mesurer le bien-être psychologique :

Au cours du dernier mois, à quelle fréquence avez-vous senti / vous êtes-vous senti(e)...

  • que vous aimiez la plupart des facettes de votre personnalité?
  • que vous étiez bon(ne) pour gérer les responsabilités de votre quotidien?
  • que vous aviez des relations chaleureuses et fondées sur la confiance avec d’autres personnes?
  • que vous viviez des expériences qui vous poussent à grandir et à devenir une meilleure personne?
  • capable de penser ou d’exprimer vos propres idées et opinions?
  • que votre vie a un but ou une signification?

La structure à trois facteurs du bien-être mental utilisée dans le cadre d’études d’autres populationsNote 20,Note 21,Note 23 a été reprise pour cet échantillon de la population canadienne. La cohérence interne (coefficient alpha de Cronbach) s’établissait à 0,80, 0,75 et 0,80, respectivement, pour les sous-échelles du bien-être émotionnel, du bien-être social et du bien-être psychologique. La fiabilité au niveau de l’ensemble de l’échelle était de 0,88.

Selon les critères de KeyesNote 20,Note 22,Note 24, pour que l’on parle d’une santé mentale florissante, il faut que la personne ait répondu « presque tous les jours » ou « tous les jours » à au moins une des trois questions sur le bien-être émotionnel et à au moins six des onze questions sur le bien-être social et psychologique, ce qui dénotera à la fois un sentiment positif à l’égard de la vie et une bonne santé fonctionnelle.

Douleur et limitation des activités

On a demandé aux participants : « Habituellement, êtes-vous sans douleurs ou malaises? » Ceux qui ont répondu par la négative étaient présumés souffrir de douleurs chroniques, et ils devaient indiquer si l’intensité des douleurs ressenties généralement était « faible », « moyenne » ou « forte ». On leur a demandé aussi d’indiquer combien d’activités leurs douleurs les empêchaient de faire – « aucune », « quelques-unes », « plusieurs » ou « la plupart ». Cela représente la composante du modèle LA qui a trait à la limitation des activités. Il existait une corrélation modérée entre l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur (0,44, p < 0,01), ce qui laisse penser qu’il s’agit de concepts liés mais distincts. Les facteurs d’inflation de la variance (≤ 2,9) et l’estimation de la tolérance (≥ 0,2) ont montré qu’il n’y avait pas de problème de multicolinéarité.

Covariables

L’état matrimonial a été réparti en deux catégories, selon que la personne avait un conjoint (époux ou conjoint de fait) ou non (célibataire, séparé, divorcé ou veuf).

En ce qui concerne les études,les participants ont été regroupés en deux catégories selon le niveau de scolarité le plus élevé atteint à l’intérieur du ménage : sans diplôme d’études postsecondaires, et diplôme d’études postsecondaires.

Le revenu du ménage était classé en quintiles : le plus bas, moyen-inférieur, moyen, moyen-supérieur, le plus élevé.

Une association a déjà été établie entre la race et la santé mentaleNote 25. Dans la présente étude, la race ou l’identité culturelle correspondait à trois catégories :blanc, noir, et autre (cette dernière catégorie comprend les personnes ayant des origines raciales/culturelles multiples).

En ce qui concerne le nombre de comportements favorables à la santé, les catégories étaient les suivantes : aucun, un, deux ou trois : ne pas fumer actuellement (que ce soit tous les jours ou à l’occasion); faire de l’activité physique; boire sainement (pas plus de 14 verres par semaine pour les hommes, et pas plus de sept pour les femmes, et moins d’un épisode par mois de consommation abusive d’alcool, soit cinq verres ou plus en une même occasion).

Pour déterminer la présence de problèmes de santé chroniques, on a demandé aux participants à l’enquête si un professionnel de la santé avait diagnostiqué chez eux un problème de santé qui avait duré, ou qui devait durer, six mois ou plus. L’intervieweur lisait une liste de problèmes de santé. Les problèmes de santé pris en compte dans la présente étude comprennent l’asthme, l’arthrite, les problèmes de dos (excluant la fibromyalgie et l’arthrite), la migraine, la MPOC, le diabète, les maladies cardiaques, le cancer, les ulcères à l’intestin ou à l’estomac, les séquelles d’un accident vasculaire cérébral, l’incontinence urinaire, les troubles intestinaux, la maladie d’Alzheimer et les autres formes de démence, de même que l’hypertension. Le nombre de problèmes de santé chroniques pouvait correspondre à quatre catégories : aucun, un, deux, et trois ou plus.

Techniques d’analyse

À l’aide de corrélations bivariées et de fréquences, on a examiné l’association entre la douleur chronique, l’intensité de la douleur, le nombre d’activités que la douleur empêchait de faire et une santé mentale florissante. Différentes régressions logistiques multiples ont servi à examiner les associations entre l’intensité de la douleur, l’empêchement d’activités en raison de la douleur et une santé mentale florissante, en tenant compte de facteurs sociodémographiques et de facteurs liés à la santé qui peuvent présenter un lien avec le bien-être mental. Au moyen de la méthode de médiation de Baron et KennyNote 26,Note 27 assortie de trois régressions logistiques multivariées, on a étudié les associations entre : 1) l’intensité de la douleur et une santé mentale florissante; 2) l’intensité de la douleur et la variable médiatrice (empêchement d’activités en raison de la douleur); 3) l’intensité de la douleur ainsi que l’empêchement d’activités en raison de la douleur et une santé mentale florissante. Le pourcentage de variation des effets estimés a été calculé de la façon suivante :

100(ORM- - ORM+)/(ORM- - 1))

où ORM- est le rapport de cotes concernant le degré d’intensité de la douleur déterminé au moyen d’une régression logistique non corrigée au titre de la variable médiatrice (l’empêchement d’activités en raison de la douleur), et ORM+ est le rapport de cotes selon la même régression après correction au titre de l’empêchement d’activités en raison de la douleurNote 28. Des statistiques de test de Sobel ont été calculées afin d’évaluer dans quelle mesure l’effet médiateur est significatif.

Dans le but de déterminer si le lien entre la douleur et une santé mentale florissante différait selon le sexe ou le groupe d’âge, les interactions de ces variables avec l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur ont été testées au moyen de modèles de régression logistique.

Enfin, pour prendre en compte les effets liés au plan de sondage, des erreurs types et des coefficients de variation ont été estimés au moyen de la méthode du bootstrapNote 29,Note 30. Le niveau de signification a été fixé à p < 0,05.

Résultats

Douleur chronique et santé mentale florissante

Selon l’ESCC de 2011-2012, la proportion de Canadiens âgés de 18 ans et plus souffrant de douleurs chroniques était estimée à 22 % (6 millions); il s’agit des participants à l’enquête ayant répondu par la négative à la question « Habituellement, êtes-vous sans douleurs ou malaises? »

Au total, 77 % des adultes avaient une santé mentale florissante (tableau 1). Cependant, les personnes ayant des douleurs chroniques étaient nettement moins susceptibles de faire partie de cette catégorie que les autres (69 % contre 79 %). Une santé mentale florissante était plus fréquente chez les gens plus âgés que chez les jeunes. Les hommes et les femmes étaient tout aussi susceptibles d’avoir une santé mentale florissante.

Lien entre l’intensité de la douleur ainsi que l’empêchement d’activités en raison de la douleur et la santé mentale

Parmi les personnes souffrant de douleurs chroniques, la prévalence de la santé mentale florissante diminuait à mesure qu’augmentaient l’intensité de la douleur et le nombre d’activités que la douleur empêchait de faire (figure 1). Par exemple, 59 % des personnes ayant fait état de douleurs de forte intensité avaient une santé mentale florissante, comparativement à 68 % de celles ayant des douleurs d’intensité moyenne et à 73 % de celles ayant des douleurs de faible intensité. De même, 57 % des personnes que des douleurs empêchaient de faire la plupart des activités avaient une santé mentale florissante, contre 75 % de celles qui n’avaient à renoncer à aucune activité en raison de leurs douleurs.

Lorsque des facteurs sociodémographiques et des facteurs liés à la santé susceptibles d’influer sur la santé mentale étaient pris en compte (modèle restreint 1, tableau 2), les personnes ayant des douleurs d’intensité faible ou moyenne étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir une santé mentale florissante que celles ayant des douleurs de forte intensité (rapports de cotes de 1,6 et 1,4, respectivement, p < 0,01). En outre, moins il y avait d’activités que la douleur empêchait de faire, plus la cote exprimant la probabilité d’une santé mentale florissante était élevée (rapport de cotes de 1,9 si les douleurs n’empêchent aucune activité, de 1,5 si elles en empêchent quelques-unes, et de 1,3 si elles en empêchent plusieurs, p < 0,01) (modèle restreint 2, tableau 2).

Également, lorsque l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur étaient pris en compte conjointement dans l’analyse, comme dans le modèle LA (modèle complet, tableau 2), tous deux étaient associés de façon indépendante à une santé mentale florissante. De plus, il y avait clairement des gradients, de telle sorte que les cotes exprimant la probabilité d’une santé mentale florissante augmentaient à mesure que diminuaient l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur.

La méthode d’évaluation de l’effet médiateur de Baron et KenneyNote 26,Note 27 comporte trois régressions. La première a mis en lumière une association significative entre la variable indépendante (l’intensité de la douleur) et la variable dépendante (la santé mentale florissante) (modèle restreint 1, tableau 2). La deuxième régression a établi une association entre la valeur indépendante (l’intensité de la douleur) et la variable médiatrice (le nombre d’activités que la douleur empêche de faire, dichotomisée selon que la réponse était aucune ou quelques-unes/plusieurs/la plupart). Dans ce modèle, une douleur de faible intensité (rapport de cotes = 0,16, IC à 95 % : 0,13-0,20) et une douleur d’intensité moyenne (rapport de cotes = 0,43, IC : 0,35-0,52) présentaient l’une et l’autre une association significative avec une plus faible cote exprimant la probabilité d’empêchement d’activités comparativement à une douleur de forte intensité (données non présentées dans le tableau). Dans le troisième modèle, l’association entre la variable indépendante et la variable dépendante devrait être éliminée ou réduite lorsque la variable médiatrice est prise en compte. Dans le cas présent, l’empêchement d’activités en raison de la douleur a un effet médiateur partiel sur l’association entre l’intensité de la douleur et la santé mentale, de telle sorte que les rapports de cotes diminuaient dans le cas d’une douleur d’intensité faible (de 1,6 à 1,3) et d’intensité moyenne (de 1,4 à 1,2) (modèle complet, tableau 2). On observait une réduction des effets de 52 % et de 46 % respectivement au niveau de l’association entre une douleur d’intensité faible et moyenne et une santé mentale florissante lorsque le modèle incluait également l’empêchement d’activités en raison de la douleur. Dès lors, les résultats de la présente étude sont en harmonie avec les conditions propres à un effet médiateur partiel telles qu’énoncées par Baron et KennyNote 26.

Bien que ne faisant pas partie du cadre qui sous-tend le modèle LA, les rapports de cotes ayant trait à l’empêchement d’activités en raison de la douleur diminuaient eux aussi dans le modèle complet (n’empêche aucune activité : de 1,9 à 1,7; en empêche quelques-unes : de 1,5 à 1,4; en empêche plusieurs : de 1,3 à 1,2) (modèle restreint 2 et modèle complet, tableau 2). La réduction des effets au niveau de l’association entre l’empêchement d’activités en raison de la douleur et une santé mentale florissante s’établissait, comparativement à des douleurs empêchant de faire la plupart des activités, à 20,3 % (aucune), 24,5 % (quelques-unes) et 28,8 % (plusieurs).

Les analyses de l’effet médiateur ont continué d’évoluer au cours des dernières décenniesNote 31,Note 32, mais aucune d’entre elles ne peut intégrer facilement des plans de sondage complexes et des poids d’enquête, sans oublier l’inclusion simultanée de variables indépendantes et médiatrices assorties de catégories multiples. Par conséquent, on a procédé à des analyses de régression logistique complémentaires traitant l’intensité de la douleur et l’empêchement d’activités en raison de la douleur, à titre de variables dichotomiques d’abord, puis de variables continues, de manière à calculer pour chaque variable un coefficient bêta pouvant être utilisé dans un test de Sobel afin d’évaluer l’importance de l’effet médiateurNote 33. Les résultats rattachés aux variables dichotomiques (test de Sobel : 4,49, p < 0,01) et aux variables continues (test de Sobel : -5,99, p < 0,01) ont montré que l’effet indirect de l’intensité de la douleur sur une santé mentale florissante, par l’intermédiaire de l’empêchement d’activités en raison de la douleur, était significativement différent de zéro.

Différences selon le sexe ou le groupe d’âge

Bien qu’il n’y ait pas d’association bivariée entre le sexe et une santé mentale florissante pour l’ensemble de la population (tableau 1), le fait d’être une femme était associé à une cote plus élevée exprimant la probabilité d’une santé mentale florissante (1,2) selon les régressions logistiques multivariées portant sur la sous-population souffrant de douleurs chroniques (tableau 2). Toujours pour cette même sous-population, il y avait aussi une association entre un âge plus avancé et une cote plus élevée exprimant la probabilité d’une santé mentale florissante. Au total, quatre interactions ont été testées de façon séparée, soit l’intensité de la douleur et le sexe, l’intensité de la douleur et l’âge, l’empêchement d’activités en raison de la douleur et le sexe, et l’empêchement d’activités en raison de la douleur et l’âge. Aucune de ces interactions n’était significative.

Discussion

Comparativement aux estimations relatives à d’autres pays, la prévalence d’une santé mentale florissante au Canada était élevée (77 %). Les écarts observés à cet égard peuvent tenir à des facteurs culturels, aux groupes d’âge et aux sous-populations étudiés, ainsi qu’aux méthodes de collecte de donnéesNote 34.

La prévalence d’une santé mentale florissante au sein de la population souffrant de douleurs chroniques était relativement élevée (69 %), mais elle demeurait nettement inférieure à celle observée chez les personnes n’ayant pas de telles douleurs (79 %). De toute évidence, ce ne sont pas toutes les personnes souffrant de douleurs chroniques qui présentent une santé mentale non optimale. Le rôle rattaché à l’empêchement d’activités en raison de la douleur dans le contexte de la relation entre la douleur et la santé mentale peut aider à comprendre pourquoi certaines personnes ont une santé mentale florissante en dépit de leurs douleurs chroniquesNote 35.

L’analyse d’un échantillon d’adultes souffrant de douleurs chroniques qui était représentatif au niveau national semble montrer que l’empêchement d’activités en raison de la douleur exerçait un effet médiateur partiel sur la relation entre l’intensité de la douleur et une santé mentale florissante. Les résultats obtenus viennent appuyer le modèle LA, et la variable de résultat devient la santé mentale plutôt que la maladie mentale. La douleur influait sur la santé mentale en raison d’une limitation des activités, mais pas uniquement pour cette raison, car il persistait un effet indépendant de la douleur sur la santé mentale. Certaines études antérieures ont également fait état d’un effet médiateur total ou partielNote 5,Note 8,Note 12,Note 13, mais d’autres n’ont mis en lumière aucun effet médiateurNote 2,Note 6,Note 7,Note 11,Note 35. Le fait que l’intensité de la douleur exerçait également un effet médiateur sur la relation entre l’empêchement d’activités en raison de la douleur et une santé mentale florissante donne à penser qu’il existe une relation bidirectionnelle ou cyclique complexe entre la douleur et l’empêchement d’activités.

Certaines différences d’ordre méthodologique peuvent avoir concouru aux écarts ayant émergé de travaux de recherche précédents. Par exemple, contrairement à la présente analyse, certaines études antérieures n’ont pas pris en compte d’information sur la limitation des activités qui était directement attribuable à la douleurNote 6,Note 8,Note 12,Note 35. Les variables de contrôle utilisées n’étaient pas toujours les mêmes d’une étude à l’autre, et certaines études incorporaient explicitement aux mesures de la limitation des activités un élément social ou un élément relié aux loisirsNote 2,Note 8,Note 12-14. Dans la présente analyse, au contraire, la mesure de l’empêchement d’activités en raison de la douleur repose sur une question générale qui n’a pas expressément trait à des activités physiques, sociales ou récréatives.

La dépression constituait la variable de résultat la plus fréquente dans les recherches antérieures faisant appel au modèle LA, quoique deux études sur l’arthrite, la douleur et la limitation des activités aient porté sur l’autoévaluation de la santéNote 2,Note 8, et une autre, sur la participation socialeNote 16. Les résultats de la présente étude appuient l’utilisation du modèle LA à l’égard d’autres variables de résultat – ici, la santé mentale florissante.

Bon nombre d’études antérieures se limitaient à des sous-populations, par exemple les personnes plus âgées ou celles ayant un problème de santé particulier, comme l’arthrose du genou ou le cancer du sein. La présente étude porte sur la population âgée de 18 ans et plus qui a fait état de douleurs chroniques, toutes causes confondues, ce qui permet de démontrer que le modèle LA peut être généralisé à l’ensemble de la population souffrant de douleurs chroniques.

L’absence d’interaction entre les variables du sexe et de la douleur indique que la relation entre la douleur et une santé mentale florissante ne variait pas selon le sexe. Cela dit, bien qu’il n’y ait pas d’association significative entre le sexe et une santé mentale florissante dans la population générale, la cote exprimant la probabilité d’une santé mentale florissante était plus élevée pour les femmes que pour les hommes au sein de la sous-population souffrant de douleurs. Cet écart va dans le sens des résultats d’une étude sur les adultes âgés qui a permis de constater que la relation entre la douleur et la maladie mentale était plus forte chez les hommes que chez les femmesNote 35. Les différences touchant la manière dont les hommes et les femmes font état de l’intensité de la douleur et de l’empêchement d’activités ainsi que la manière dont ils composent avec la douleur peut avoir une incidence aussi bien sur le plan de la santé mentale que sur celui de la maladie mentale. Cette question mériterait d’être examinée de façon plus approfondie.

Certaines études ont montré que le rôle médiateur de la limitation des activités était réduit chez les adultes âgésNote 5,Note 13. Étant donné que la limitation d’activités est plus courante chez les personnes âgées, ces dernières conçoivent peut-être plus facilement que d’autres des stratégies d’adaptation. En outre, les personnes âgées ont peut-être moins de rôles et de responsabilités à remplir que les adultes plus jeunes. Dans la présente analyse, les interactions entre l’âge et l’intensité de la douleur ou l’empêchement d’activités en raison de la douleur n’étaient pas significatives.

Les études sur la dépression dans la population souffrant de douleurs chroniques ont montré l’importance que peuvent avoir des ressources psychologiques comme le soutien socialNote 3,Note 36,Note 37, le fonctionnement efficace dans sa propre vieNote 38, l’adaptationNote 3,Note 36,Note 39, le sentiment de contrôle personnelNote 5 et la maîtrise (la perception de maîtriser sa destinée)Note 1. De telles ressources peuvent également atténuer les effets de la douleur et de l’empêchement d’activités en raison de la douleur sur la santé mentale. On n’a pu incorporer de mesures de ces concepts à la présente étude; néanmoins, l’association significative entre l’état matrimonial et une santé mentale florissante pourrait être une indication du rôle du soutien social au regard de la santé mentale dans la population souffrant de douleurs chroniques.

Limites

Les résultats de la présente étude doivent être interprétés en tenant compte de différentes limites. On n’a pas posé aux participants de questions sur la durée, la fréquence ou le siège de leurs douleurs. Les données relatives à des facteurs personnels pouvant avoir un effet médiateur sur l’association entre la douleur chronique et la santé mentale (par exemple, les comportements d’adaptation, la maîtrise [de sa destinée] et le soutien social) n’ont pas été recueillies pour tous les participants à l’intérieur de l’échantillon de l’ESCC de 2011-2012. On ne disposait pas, non plus, d’information sur les médicaments contre la douleur pour tous les membres de l’échantillon.

La variable de l’empêchement d’activités en raison de la douleur ne comporte pas de distinction entre les activités fonctionnelles et les activités sociales ou récréatives, qui se sont révélées être importantes dans le contexte de la dynamique entre la douleur, la limitation des activités et la santé mentaleNote 2,Note 7,Note 16.

Tout comme la plupart des travaux de recherche portant sur le modèle LA, la présente étude est transversale, de sorte qu’elle ne permet pas de tirer des conclusions au sujet de l’ordre temporel – c’est-à-dire la question de savoir si la douleur ou les limitations d’activités connexes ont fait en sorte que la santé mentale ne soit pas florissante ou vice versa. Même si la relation entre la douleur et la maladie mentale peut être bidirectionnelle, on considère généralement que la douleur est plus susceptible de conduire à la dépression que l’inverseNote 1. On ne sait pas si cela vaut aussi pour la santé mentale.

Enfin, les données de l’ESCC étaient autodéclarées et n’ont pas été vérifiées au moyen d’autres sources.

Mot de la fin

La présente étude fait ressortir le fait que tant l’intensité de la douleur que l’empêchement d’activités en raison de la douleur exercent un rôle à la fois direct et indirect à l’égard de l’incidence de la douleur chronique sur la santé mentale. Les conclusions de l’étude appuient le modèle LA pour une population générale d’adultes souffrant de douleurs chroniques, où la variable de résultat examinée est la santé mentale, soit un concept indépendant de celui de maladie mentale. L’étude n’a pas révélé de différences selon le groupe d’âge ou le sexe. Une compréhension des facteurs qui exercent un effet médiateur sur l’incidence de l’intensité de la douleur pourrait contribuer à la détermination de domaines d’intervention pour atténuer l’incidence de la douleur sur la santé mentale. Des travaux de recherche additionnels pourraient porter sur des facteurs comme le rôle des ressources psychologiques sur la relation entre douleur et santé mentale.

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