Reprise du débat concernant Internet

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Les données contenues dans le présent document contribuent à notre compréhension de la façon dont Internet favorise la transformation des relations avec les membres de la famille et les parents, les membres de la collectivité, les organisations bénévoles et au travail (aspect non étudié ici). Même si on a beaucoup parlé des effets négatifs d'Internet, les données présentées ici n'appuient pas la notion selon laquelle Internet accroît l'isolement social. Les recherches montrent plutôt qu'Internet favorise les interactions avec les membres de la collectivité et la participation à des organisations sociales. Dans une large mesure, il s'agit essentiellement d'une amélioration des rapports existants, les personnes ayant maintenant d'autres médias pour communiquer entre elles. Outre les rencontres en personne, les rendez-vous, les lignes téléphoniques terrestres et mobiles, ils peuvent envoyer des courriels, clavarder en ligne, envoyer des messages instantanés, tenir un blogue et commenter l'actualité, ainsi que demeurer sensibilisés, grâce aux sites de réseautage social.

En laissant de côté les nouvelles formes d'engagement social qu'Internet a favorisé, les observateurs peuvent arriver à la conclusion qu'Internet est le domaine des asociaux. Au contraire, la présente étude illustre le rôle émergent d'Internet dans la vie sociale et communautaire. L'étude montre que la plupart des utilisateurs d'Internet socialisent et font des plans pour se réunir, et qu'ils obtiennent une somme substantielle de renseignements au jour le jour, comme les nouvelles et les bulletins météorologiques, grâce à Internet. En ce qui a trait à la cohésion sociale, les utilisateurs d'Internet utilisent aussi de nouvelles formes d'engagement communautaire, qui sont laissées de côté par les mesures conventionnelles.

Toutes les sources utilisées dans la présente étude — plusieurs enquêtes nationales de Statistique Canada et les études Connected Lives à East York (Toronto) et à Chapleau (région rurale de l'Ontario) par NetLab, de l'Université de Toronto — montrent que la majorité des Canadiens utilisent Internet. Au fur et à mesure que le taux d'accès à Internet augmente, on passe des vieilles inquiétudes concernant l'accès à Internet à de nouvelles concernant la façon dont les personnes utilisent Internet et les répercussions que cela a sur leur vie. Les différences dans les taux d'accès à Internet s'accompagnent maintenant d'un intérêt à l'égard de ce qu'elles signifient pour les différents secteurs de la société, du point de vue de la façon dont Internet est utilisé. Ce « clivage au chapitre de l'utilisation » rend compte des différences dans la participation des personnes à une gamme variée d'activités en ligne et dans leurs aptitudes (Montagnier, 2007, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2004, Hargittai, 2002). Même si certains écarts persistent entre certains groupes sociaux économiques du point de vue de l'accès à Internet et de son utilisation, les données laissent supposer que, non seulement l'accès à Internet a augmenté rapidement au cours d'une période relativement courte au Canada, mais que le niveau d'utilisation a aussi tendance à augmenter avec le niveau d'expérience des personnes (ou des années passées) sur le Web (Quan-Haase, Wellman et coll., 2002, Boase et coll., 2006, Underhill et Ladds, 2007). En résumé, les personnes utilisent Internet parce qu'elles veulent le faire et non pas parce qu'elles ont à le faire. Ces conclusions correspondent aux résultats récents selon lesquels « la société de l'information est aussi une société bavarde » (Sciadas, 2006, p. 14), dans laquelle « les résultats clés des TIC se manifestent par des changements de modèles de comportement partout, qui ont des conséquences réelles. Par ailleurs, le modèle de communications a changé, ce que démontrent la hausse des appels interurbains et l'explosion des appels internationaux que rendent possibles les marchés libéralisés et les prix en baisse. Des cercles de communications élargis ont trouvé une expression encore meilleure grâce au courriel, qui ne connaît pas de limites. Les personnes font le choix d'élargir leurs relations et remplacent leurs collectivités définies géographiquement par des collectivités d'intérêts. Par ailleurs, elles sont prêtes à payer pour leurs choix » (Sciadas, 2006, p. 22).

En outre, des données des études d'East York et de Chapleau par NetLab laissent supposer que l'évolution des modèles d'utilisation des technologies de l'information et des communications ont donné lieu à certaines transformations sociales :

  • Les ménages sont passés de groupes unis pour les loisirs, le soir et la fin de semaine, communiquant peu les jours de semaine, à des réseaux. D'une part, chaque membre du ménage a tendance à davantage mener sa vie à sa façon, selon son horaire. Toutefois, les conjoints et leurs enfants utilisent le courriel et le téléphone cellulaire pour maintenir des contacts plus fréquents les uns avec les autres, étant donné qu'ils se côtoient moins (Kennedy et Wellman, 2007).

  • Les collectivités sont devenues des réseaux sociaux complexes, dans lesquels les membres du réseau social d'une personne ne sont pas reliés directement entre eux et où les contacts par Internet ont complété et, dans certains cas, remplacé les contacts en personne. Même si les grands utilisateurs d'Internet peuvent ne pas avoir autant de contacts en personne avec leurs amis et leurs parents, ils ont beaucoup de contacts électroniques avec les membres de leur réseau, et ils utilisent souvent Internet pour prendre rendez-vous. Leur niveau global de contacts est élevé, l'utilisation d'Internet et du téléphone (tant mobile qu'avec fil) s'ajoutant aux contacts en personne. En outre, Internet représente une façon idéale de rester en rapport avec les amis et la famille éloignés, qui ne vivent pas à distance raisonnable. Ce modèle est particulièrement apparent chez les nouveaux Canadiens et les Canadiens des régions rurales.

  • La façon dont les personnes trouvent de l'information évolue. Plutôt qu'une dialectique limitée entre les médias de masse et les opinions des amis, les données révèlent que de nombreuses personnes font maintenant des recherches actives en ligne pour trouver ce dont elles ont entendu parler, vérifier leurs données avec leurs amis et d'autres médias, et procéder à d'autres recherches. Cela a pour résultat que de nombreuses personnes utilisent activement Internet pour s'informer, dans les cas où l'information des médias traditionnels est limitée.

Une utilisation généralisée a des conséquences. La participation entraîne des transformations sociales, mais les données montrent que nous ne devrions pas nous attendre à une société dysfonctionnelle de solitaires, ni à une société idyllique de personnes en réseau heureuses de l'être. Nous faisons plutôt face à une société dont la cohésion diffère par rapport à celle que nous connaissions. Comme le montre l'examen récent par Sciadas (2006) des modèles de communication des Canadiens :

« La seule inférence qui peut être appuyée est que les personnes communiquent plus que jamais auparavant et que leur réseau de relations est plus large. Il reste à confirmer si cela donne lieu ou non à des séances de communication plus courtes, mais on sait avec certitude que ces séances sont plus fréquentes. En tout cas, les théories selon lesquelles les personnes sont davantage confinées chez elles ou vivent en marge de la société ne sont pas appuyées par les preuves présentées ici. (Évidemment, il y a des personnes qui passent toute leur journée seules en ligne, mais cela n'est pas très répandu.) Le modèle de communication et d'interaction a changé. La réalité est que les personnes parlent à d'autres personnes, qu'il s'agisse de leur voisin ou d'une personne située à des milliers de kilomètres et dans un fuseau horaire lointain. Ainsi, les personnes ne deviennent pas antisociales; elles ont plutôt des interactions sociales différentes » (p. 19).


Conclusions

En 2000, par suite d'un atelier réunissant des responsables gouvernementaux et des chercheurs universitaires chargés de déterminer des indicateurs souhaitables d'activités socialement cohésives, ainsi que des indicateurs d'activités qui vont à l'encontre de la cohésion sociale, un rapport du Conseil canadien de développement social (CCDS) intitulé « Social Cohesion in Canada: Possible Indicators » indiquait que : les heures consacrées à regarder la télévision, à utiliser l'ordinateur et à jouer à des jeux vidéo peuvent être considérées comme des activités individuelles qui diminuent le temps disponible pour des interactions avec la famille, les amis, les voisins, etc. (p. 53).

Huit ans plus tard, le regroupement de ces trois activités — télévision, ordinateur et jeux vidéo — est peut-être moins pertinent. Est-ce que « regarder la télévision » revient au même que « jouer à l'ordinateur » et que « jouer à des jeux vidéo »? Que signifie exactement « jouer à l'ordinateur » aujourd'hui? S'agit-il de jouer contre l'ordinateur ou avec d'autres utilisateurs dans des collectivités en ligne? Est-ce que « jouer à l'ordinateur » signifie passer du temps à l'ordinateur, ou cela englobe-t-il la cueillette d'information et même les communications, comme les courriels, ou cela se limite-t-il simplement à ce que nous pourrions appeler un « jeu »? Comment cela diffère-t-il de « jouer à des jeux vidéo »? Même s'il a déjà existé une différence claire entre le temps passé à l'ordinateur et le temps consacré aux interactions avec les autres, cette distinction est moins claire aujourd'hui.

Par contre, une étude australienne de 2006 portant sur la façon dont les différents niveaux d'accès à Internet affectent la participation sociale et communautaire souligne ce qui suit : toute baisse du capital social ne peut être attribuée à Internet... Il existe des indications claires que c'est plutôt l'inverse : les personnes ayant accès à Internet sont plus susceptibles de participer activement à des activités à la source du capital social, comme le bénévolat ou le travail pour des organisations communautaires, ou encore les groupes de pression auprès des politiciens... Le capital social peut prendre de nouvelles formes, lesquelles ont émergé des interactions et des rapports sur Internet, que l'on appelle souvent « virtuelles », mais qui sont dans les faits aussi réelles que toute autre (Alessandrini, 2006). Malheureusement, l'étude australienne porte uniquement sur l'accès général à Internet, puis examine comment les utilisateurs d'Internet se comparent aux non-utilisateurs dans leurs activités sociales. Elle ne dit rien au sujet des activités des personnes lorsqu'elles utilisent Internet.

C'est là que le présent article vient combler une lacune dans les connaissances. Il présente un aperçu exhaustif de ce que font les Canadiens lorsqu'ils utilisent Internet, comment leur comportement en ligne est interrelié avec leur comportement ailleurs, et comment il s'intègre dans leur vie. Les conclusions révèlent deux aspects de la façon dont la cohésion sociale est transformée grâce à la technologie. On note que les grands utilisateurs d'Internet consacrent moins de temps aux contacts en personne avec leur famille et leurs amis, et connaissent moins bien leurs voisins que les autres. Toutefois, la majorité des activités qu'ont ces utilisateurs sur Internet peuvent être qualifiées d'activités à la source du capital social. Les courriels et le clavardage, par exemple, sont des activités sociales principalement menées avec les amis et la famille.

Un examen plus approfondi des différents groupes sociodémographiques révèle qu'ils ont adopté la technologie, non pas pour échapper aux contacts sociaux ou à d'autres activités traditionnelles, mais plutôt pour les améliorer. Par exemple, les utilisateurs d'Internet consacrent plus de temps à lire des livres que les non-utilisateurs. Les jeunes Canadiens de 15 à 24 ans sont les plus actifs lorsqu'il s'agit d'utiliser Internet pour trouver des possibilités de bénévolat, et environ le cinquième de tous les bénévoles utilisent Internet pour s'adonner à leurs activités de bénévolat, les utilisateurs modérés d'Internet étant particulièrement actifs à ce chapitre. Les immigrants récents utilisent Internet dans une plus large mesure que les autres Canadiens, principalement pour obtenir de l'information et maintenir des contacts dans la langue qu'ils connaissent le mieux. Les Canadiens âgés qui utilisent Internet sont presque aussi susceptibles que les jeunes utilisateurs d'Internet au Canada d'envoyer et de recevoir des courriels. En outre, les personnes âgées au Canada sont plus susceptibles de jouer à des jeux avec d'autres en ligne que les adultes d'âge moyen.

Est-ce que cela signifie que les immigrants n'apprennent pas l'anglais ou le français, ou que les personnes âgées deviennent recluses? Il est plus probable que les immigrants et les personnes âgées trouvent de la compagnie sur Internet, lorsque les possibilités sont plus limitées dans leur environnement immédiat. Toutefois, comme les données le montrent aussi, les personnes préfèrent consacrer du temps à des contacts directs en personne avec les autres. Autrement dit, les personnes utilisent Internet pour créer et améliorer les possibilités de réseautage, dans les cas où il n'en existait pas auparavant, tout en appréciant autant une conversation autour d'un café qu'une conversation en ligne.

Le défi qui se pose est que les indicateurs actuels de la cohésion sociale ne rendent peut-être pas compte de la transformation des modèles de communication et de la contribution de la technologie aux réseaux sociaux. Lorsque Putnam (2004) affirme que les réseaux sociaux denses dans un quartier — barbecues ou associations de voisins — peuvent dissuader les actes criminels, par exemple, et profitent même aux voisins qui n'y participent pas, il ne pense certainement pas aux voisins qui organisent des activités et établissent des réseaux en ligne. En outre, lorsque le rapport du CCDS affirme que la fréquence des contacts avec la famille et les amis est un indicateur direct de la participation sociale et de la participation à des réseaux sociaux intimes, il ne précise pas si ces contacts se limitent aux interactions en personne, ou s'ils incluent les contacts par téléphone et par Internet, essentiellement par courriel au moment où a été rédigé le rapport, mais maintenant aussi grâce à la messagerie instantanée, aux sites de réseautage social, aux blogues, etc.

L'image évocatrice de Putnam d'un barbecue dans le quartier est probablement plus attrayante pour la plupart qu'une image d'amis et de parents communiquant assis devant leurs écrans d'ordinateur. Toutefois, les données présentées ici nous signalent l'importance de rendre compte de façon appropriée des activités sociales en ligne dans tout indicateur social. Si les Canadiens transfèrent une partie de leurs interactions avec la famille, les amis et les voisins dans des environnements en ligne, il se peut en effet qu'il y ait moins de contacts en personne. Par conséquent, les indicateurs mesurant uniquement les activités autres que sur Internet montreront que le verre de la cohésion sociale se vide, alors que dans les faits il se remplit, grâce à des contacts en ligne croissants.

Les données montrent que, sauf pour une petite minorité de reclus, les grands utilisateurs, les activités autres que sur Internet ne sont pas entièrement remplacées par les activités en ligne. La plupart des personnes souhaitent plutôt des contacts en personne avec leur famille, leurs amis et leurs voisins. Elles utiliseront aussi les outils qui sont mis à leur disposition, téléphone et Internet, pour maintenir les liens lorsqu'elles sont incapables de se rencontrer. En outre, on pense aux collectivités qui n'ont jamais la chance de se réunir concrètement. Ces réseaux sociaux virtuels peuvent assurer le soutien des personnes ayant des intérêts spécialisés, dans les cas où les rencontres en personne, du fait des contraintes qu'elles comportent au niveau du temps et de l'espace, ne seraient tout simplement pas possibles.

Par conséquent, les principales constatations et considérations suivantes deviennent pertinentes.

  • De plus en plus, la collectivité s'élargit et va au-delà des interactions en personne avec des petits groupes de voisins. Afin de comprendre comment la cohésion sociale se transforme, il est important de tenir compte de l'ensemble complet d'activités sociales en ligne et autres.

  • Internet et ses utilisateurs se diversifient de plus en plus. La présente étude a permis d'illustrer dans quelle mesure les utilisateurs d'Internet provenant de milieux différents, selon les caractéristiques sociales et démographiques, varient du point de vue de leurs activités en ligne. Dans le cas des données sur l'emploi du temps, une distinction a aussi été faite entre les utilisateurs modérés et les grands utilisateurs d'Internet. Il convient encore d'étudier la diversité des utilisateurs d'Internet et des comportements de façon plus approfondie. Plutôt que de se fier à une catégorisation simpliste des utilisateurs et des non-utilisateurs d'Internet, cela profiterait de la reconnaissance du caractère délicat des contextes et des situations dans lesquels les diverses activités sociales sont menées par les différents intervenants sociaux.

  • Les résultats laissent supposer qu'il est nécessaire d'être ouverts à la possibilité que les réseaux sociaux deviennent moins intenses, mais plus nombreux. Il reste à déterminer si des réseaux plus nombreux, mais moins étroits, sont préférables à des réseaux moins nombreux, mais plus étroits.

  • Il faut prendre garde de ne pas présumer que les nouvelles activités dans la vie des Canadiens signifient que les activités traditionnelles sont laissées de côté, particulièrement lorsque l'on examine l'utilisation d'Internet dans le contexte des enquêtes sur l'emploi du temps. Cela peut paraître contradictoire (la journée continuant de ne compter que 24 heures), mais au fur et à mesure que les personnes cumulent les tâches de façon inhabituelle (écoute de la télévision, clavardage et appel téléphonique en même temps), il existe des preuves que la notion de l'attention employée plus efficacement (Benkler, 2006) est réelle. Des données canadiennes récentes révèlent que le quart des Canadiens regardent la télévision en consultant Internet, et que le tiers écoutent la radio en même temps qu'ils ont des activités en ligne (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) 2007). Ces tâches multiples sont particulièrement populaires chez les jeunes Canadiens.

En conclusion, la diffusion rapide et la portée croissante d'Internet ont suscité à la fois des points de vue utopiques et dystopiques en ce qui a trait aux répercussions sur la société. Même si certains peuvent penser que les anciens médias et interactions sociales sont déjà dépassés et ne sont plus pertinents, les traditionalistes ont tendance à percevoir Internet uniquement comme une intrusion pernicieuse dans la collectivité traditionnelle. Toutefois, Internet a ses propres forces. Ses répercussions présentes et futures devraient être évaluées selon leur propre mérite et doivent être clairement distinguées des notions nostalgiques de la vie communautaire avant Internet, c'est-à-dire des personnes se réunissant dans des pubs, des cafés et des salons, une situation qui n'existe plus depuis très longtemps. Au Canada, plus particulièrement, les hivers longs et froids incitent les Canadiens à rester à la maison et à regarder la télévision, à écouter la radio et à lire. L'avènement d'Internet favorise donc une ère plus sociale, grâce à des activités actives de communication et de recherche d'informations, contrairement aux formes traditionnelles plus passives de divertissement, comme la télévision.