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Méthodes
Résultats
Discussion
Financement et conflit d'intérêt

Au Canada, comme dans la plupart des pays développés, l’âge moyen de la population et les espérances de vie sont à la hausse1. L’évolution démographique résultante vers une population comprenant une plus grande proportion de personnes âgées a incité les chercheurs à comprendre comment la santé des adultes évolue du milieu à la fin de la vie. Le fait que la population connaisse une compression de la morbidité qui limite la mauvaise santé aux quelques dernières années avant le décès2, 3 ou une expansion de la morbidité qui accroît le nombre d’années de vie vécues en souffrant d’une maladie, d’une incapacité ou d’une perte de qualité de la vie a des incidences sur la société dans son ensemble et sur le système de soins de santé4.

Peu d’études se sont appuyées sur des courbes de croissance pour décrire la santé à l’aide de données longitudinales5. Pourtant, les estimations des changements d’état de santé à mesure que les gens vieillissent fondées sur des données longitudinales diffèrent probablement beaucoup de celles calculées d’après des données tranversales6. En outre, nombre d’études menées selon une approche axée sur un modèle de courbe de croissance ne portaient pas sur des échantillons représentatifs, si bien que leur validité externe est limitée. Fait exception l’étude réalisée par Liang et coll., qui ont analysé des données recueillies auprès d’un échantillon de 2 200 Japonais âgés au cours d’une période de 12 années7. Ils ont observé une légère diminution de l’autoévaluation de la santé (AES) de 60 à 85 ans, après quoi celle‑ci s’est effectivement améliorée. Cependant, cet effet pourrait être dû au décès des personnes dont l’AES était moins bonne. Dans une autre étude, McCullogh et coll.8 ont examiné les participants à la Life Cycle Study of Children with High Ability de Terman sur une période de 59 ans. Ils révèlent, tant pour les hommes que pour les femmes, un modèle de détérioration de l’AES qui débute autour de 50 ans et qui devient plus prononcée autour de 70 ans, mais il est douteux que ces résultats puissent être généralisés à des populations entières, vu qu’il s’agissait d’un groupe choisi d’individus qui étaient probablement mieux nantis et, conséquemment, en meilleure santé que la plupart des populations.

L’objectif de la présente étude est de décrire la courbe de la qualité de vie liée à la santé (QVLS) du milieu à la fin de l’âge adulte chez un échantillon représentatif de Canadiens, en tenant compte du placement en établissement de santé et de la mortalité. L’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP), qui est longitudinale, offre une occasion unique d’étudier les trajectoires de QVLS auprès d’un grand échantillon de la population canadienne adulte9. L’ENSP présente deux avantages pour ce type d’analyse. D’une part, elle suit les individus pendant la transition de la vie à domicile au placement en établissement de santé (une expérience courante chez les personnes les plus âgées)10  et, d’autre part, elle fournit des renseignements sur les décès survenus dans l’échantillon.

Souvent, les effets du placement en établissement de santé et de la mortalité sur les estimations de la santé à l’échelle de la population ont été omis dans les études qui décrivent les courbes normatives de l’état de santé11. Le placement en établissement est un facteur important à prendre en considération quand on estime la santé de la population, puisqu’en 1992, 24 % de la population canadienne de 80 ans et plus vivaient dans un établissement de soins de santé10. De nombreuses études longitudinales sont limitées à des échantillons de ménages et, par conséquent, les membres les plus malades de la société, qui vivent souvent en établissement de santé, ne font pas partie de leur champ d’observation. Ces analyses donnent des estimations exagérément optimistes de la santé de la population à mesure que celle‑ci vieillit. Ignorer l’effet de la mortalité peut aussi entraîner une surestimation de l’état de santé de la population âgée, car, en général, seuls les individus dont la santé est la meilleure survivent11, 12.

À cause des différences de morbidité, de placement en établissement et de mortalité selon le sexe, la présente analyse révèle des trajectoires distinctes pour les hommes et pour les femmes. Même si certaines données montrent que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais portent un plus lourd fardeau de morbidité13, les différences de morbidité selon le sexe chez les personnes qui demeurent en vie ne sont peut‑être pas aussi prononcées qu’on l’a laissé entendre auparavant. Au Canada, l’espérance de vie des femmes excède celle des hommes à la naissance (année de référence 2002) et à 65 ans (année de référence 2001) : 82,1 et 20,5 années pour les femmes contre 77,2 et 17 années pour les hommes14, 15. En outre, les femmes ont une plus grande espérance de vie ajustée pour la santé (année de référence 2001) à la naissance et à 65 ans : 70,8 et 14,4 années pour les femmes contre 68,3 et 12,7 années pour les hommes. Cependant, à 65 ans, moins d’hommes (77 %) que de femmes (85 %) présentent au moins un problème de santé chronique, et les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’avoir besoin d’aide pour vaquer aux activités instrumentales de la vie quotidienne (29 % de femmes contre 15 % d’hommes)16. Entre 45 et 79 ans, les hommes sont plus susceptibles que les femmes de vivre dans un établissement tel qu’une maison de soins infirmiers; par après, les femmes risquent davantage d’être placées en établissement10.

Méthodes

Échantillon et données

La présente analyse est fondée sur des données longitudinales provenant des six premiers cycles (1994‑1995 à 2004‑2005) de l’Enquête nationale sur la santé de la population (ENSP). La population cible du volet des ménages de l’ENSP comprend la population à domicile des dix provinces du Canada en 1994‑1995, à l’exclusion des habitants des réserves indiennes et des terres de la Couronne, ainsi que des résidents des établissements de santé, des bases des Forces canadiennes et de certaines régions éloignées de l’Ontario et du Québec.

En 1994‑1995, 20 095 ménages ont été sélectionnés pour faire partie du panel longitudinal de l’ENSP. De ceux‑ci, 86 % ont répondu au volet général du questionnaire (17 276) et 83,6 % des personnes sélectionnées pour participer à l’enquête ont répondu au questionnaire détaillé sur la santé. Aux cycles subséquents, les taux de réponse, basés sur les 17 276 personnes sélectionnées, étaient de 92,8 % en 1996‑1997, de 88,3 % en 1998‑1999, de 84,9 % en 2000-2001, de 80,8 % en 2002‑2003, et de 77,6 % en 2004‑2005. Des renseignements plus détaillés sur le plan de sondage, l’échantillon et les méthodes d’interview de l’ENSP peuvent être consultés dans un autre rapport9. En 1994‑1995, les données ont été recueillies principalement par interview sur place assistée par ordinateur et par la suite, principalement par interview téléphonique assistée par ordinateur.

Les participants à l’ENSP ont fait l’objet d’un suivi tous les deux ans. Au premier cycle de l’enquête, la majorité d’entre eux ont été interviewés sur place et, lors des cycles ultérieurs, la majorité ont été interviewés par téléphone. L’analyse décrite ici porte sur les données recueillies pendant une période de dix années (de 1994‑1995 à 2004‑2005). L’érosion de l’échantillon due à la non‑réponse s’est accrue d’un cycle à l’autre, mais après dix années, seulement 17 % des participants de 40 ans et plus avaient été perdus de vue au suivi, taux modeste comparativement à l’érosion observée dans d’autres études longitudinales auprès des adultes d’un certain âge17. Comme la modélisation des courbes de croissance peut se faire même si des données manquent (sous certaines conditions), l’effet de la non‑réponse devrait, en principe, être minime dans la présente analyse5.

Mesures

La qualité de vie liée à la santé (QVLS) est définie comme étant « la valeur attribuée à la durée de la vie telle qu’elle est modifiée par les déficiences, les états fonctionnels, les perceptions et les possibilités sociales sur lesquels la maladie, les blessures, les traitements ou les politiques exercent une influence »18. L’instrument utilisé pour mesurer la QVLS est le Health Utilities Index Mark 3 (HUI3). Ce dernier décrit l’état de santé en fonction de huit attributs, à savoir la vision, l’ouïe, la parole, la mobilité, la dextérité, l’émotion, la cognition, ainsi que la douleur et le malaise19. Chaque attribut comporte cinq ou six niveaux qui varient de la déficience grave (par exemple, aveugle dans le cas de la vision) à l’absence de déficience. Un score est attribué à chacun des états de santé de l’HUI3 à l’aide de fonctions d’utilité basées sur des scores de préférence obtenus auprès d’un échantillon de canadiens. Donc, chaque personne possède, pour chaque période de mesure, un score HUI3 qui reflète un niveau global de QVLS résultant de la combinaison des niveaux observés pour les divers attributs.

Dans l’ensemble, les scores HUI3 peuvent varier de -0,36 à 1,00. Un score de 1,00 correspond à une santé parfaite, tandis qu’un score de 0 représente l’état de décès, et un score inférieur à 0, un état « pire que la mort ». Des scores inférieurs à 0 sont possibles parce que certaines combinaisons des attributs de l’état de santé ont été considérées par l’échantillon de Canadiens participant à l’exercice de préférence comme étant moins souhaitables qu’être mort. Un score de -0,36 représente l’état de santé résultant de la combinaison des niveaux les plus faibles de chaque attribut. Aux participants inclus dans les analyses pour le premier cycle après leur décès, on a imputé un score HUI3 de 0 pour le cycle en question. Par exemple, une personne décédée en 1997 se verrait attribuer un score de 0 pour le cycle de 1998‑1999, puis serait exclue des analyses par après.

L’âge, exprimé en années, a été centré sur 40 ans (en soustrayant 40 de l’âge déclaré de chaque participant) afin de faciliter l’interprétation des estimations. Donc, pour les participants décédés, l’enregistrement pour le cycle qui suit le décès contenait une variable d’âge imputée ayant pour valeur l’âge au moment du décès. Chacune de ces mesures d’âge ont également été élevées au carré et au cube dans toutes les analyses afin d’évaluer les effets quadratique et cubique, parce que de nombreux états de santé sont associés à un taux croissant de déclin aux âges plus avancés, sans l’accroissement initial qui serait observé dans un modèle quadratique. Le modèle cubique semble également être mieux ajusté aux données brutes portées en graphique.

Analyse

Trois groupes ont été créés pour l’analyse. Afin de montrer l’effet de la limitation de l’analyse aux personnes dont l’état de santé est le meilleur, seules les données sur celles vivant à domicile sont analysées dans le modèle 1. Pour révéler l’effet de la prise en compte des personnes devenues suffisamment malades pour être placées en établissement de santé, le modèle 2 comprend aussi les résidents de ces établissements. Enfin, pour montrer que les descriptions de la santé de la population sont fortement influencées par le fait de ne pas tenir compte du décès en tant qu’état de santé, le modèle 3 comprend des données non seulement pour tous les participants en vie (personnes vivant à domicile ou en établissement), mais aussi pour ceux qui sont décédés – durant le premier cycle où le décès est enregistré, l’âge au moment du décès et un score HUI3 de 0 étant les valeurs des données. Les données sur les personnes décédées ne sont pas incluses dans les cycles subséquents.

Nous avons estimé des modèles de courbe de croissance multiniveaux pour décrire la trajectoire normative de la QVLS en vue de répondre à la question « Comment la QVLS évolue‑t‑elle à partir du milieu de la vie à mesure que les adultes vieillissent? ». Un modèle de courbe de croissance multiniveaux est un modèle linéaire hiérarchique dans lequel les observations au cours du temps (niveau 1) sont emboîtées dans une personne (niveau 2). L’analyse tient compte du fait que les observations ayant trait à une même personne faites à divers points dans le temps ne sont pas indépendantes5.

Nous avons créé un ensemble de données personne‑période contenant un enregistrement par participant pour chaque cycle pour lequel le score HUI3 était disponible. Nous avons construit un modèle de courbe de croissance inconditionnel à deux niveaux en MPLUS20 prédisant le score HUI3 d’après l’âge, le carré de l’âge et de cube de l’âge, et spécifiant l’ordonnée à l’origine aléatoire, la pente et les termes quadratique et cubique pour chacun des trois groupes analysés. Le premier niveau est le modèle de croissance intra‑individu, spécifié par :

HUIij = α0i + B1i(âgeij) + B2i(âge2ij) + B3i(âge3ij) + rij

Le deuxième niveau tient compte de la variation des paramètres du modèle entre les individus (effets aléatoires). Sa spécification est :

α0i = γ00  + μ0i
B1i  = γ10  + μ1i
B2i  = γ20  + μ2i
B3i  = γ30  + μ3i

Nous avons utilisé des poids normalisés afin que l’échantillon soit représentatif de la population canadienne. Étant donné le plan de sondage complexe de l’ENSP, qui peut produire des estimations de variance artificiellement faibles21, nous avons choisi une valeur p prudente de 0,001 comme seuil de signification afin de réduire le risque d’erreur de type I.

Résultats

L’échantillon composé de 7 915 adultes vivant dans la collectivité reflétait la population canadienne à domicile de 40 ans et plus en 1994‑1995 et comprenait 52 % d’hommes et 48 % de femmes. L’âge moyen était de 57 ans (fourchette de 40 à 102 ans en 1994‑1995). La plupart des participants à l’enquête étaient mariés ou vivaient avec un ou une partenaire. Le tableau 1 donne la répartition selon l’âge et le sexe par groupe d’âge de dix années en 1994‑1995. Au cours de la période de dix ans étudiée, 1 562 participants à l’enquête sont décédés. Durant chacun des cycles, un petit nombre de personnes, variant de 62 au deuxième cycle à 160 au cinquième cycle, ont été placées en établissement.

Tableau 1
Caractéristiques de l’échantillon en 1994-1995 et observations au cours de la période étudiée, par groupe d’âge de dix années, population de 40 ans et plus en 1994-1995, Canada, territoires non compris

En 1994‑1995, le score HUI3 moyen des participants était de 0,833 et leur score modal, de 0,973 (données non présentées). Le score HUI3 était négativement asymétrique (asymétrie = -2,52). Comme prévu, il diminuait avec l’âge (tableau 1). Les coefficients de corrélation intraclasse (CCI), qui donnent une idée de l’autocorrélation moyenne de la variable dépendante sur l’ensemble des observations, étaient moyens. Le CCI pour l’HUI3 au cours du temps était de 0,48 pour les hommes vivant à domicile et de 0,52 pour les femmes. Parmi le groupe des personnes vivant à domicile ou en établissement, le CCI était de 0,47 pour les hommes et de 0,49 pour les femmes. Ces chiffres révèlent un degré important d’autocorrélation dans les données, environ la moitié des variations des scores HUI3 au cours du temps étant intra‑individu, et l’autre moitié, inter‑individus5, si bien qu’un modèle de courbe de croissance multiniveaux convient pour ces données.

Comparativement aux femmes pour lesquelles des données complètes étaient disponibles pour les six cycles (n=3 375), celles pour lesquelles des données manquaient pour un à trois cycles (n=687) avaient des caractéristiques semblables pour ce qui est de l’âge en 1994‑1995 et le score HUI3 de base. En revanche, les femmes pour lesquelles des données manquaient pour quatre à six cycles (n=300) étaient quatre ans plus jeunes et en légèrement meilleure santé que celles dont les données étaient complètes. Chez les hommes pour lesquelles les données manquaient pour un à trois cycles (n=650), l’âge moyen était inférieur de trois ans à celui des hommes pour lesquels les données étaient complètes (n=2 613), mais le score HUI3 était presque identique. Parmi les hommes pour lesquels des données manquaient pour quatre à six cycles (n=290), l’âge moyen était inférieur de près de cinq années à celui des hommes dont les données étaient complètes et, comme on s’y attendrait pour un groupe plus jeune, leur santé était légèrement meilleure. Ces différences relativement faibles entre les groupes portent à conclure que les données manquantes ont vraisemblablement eu peu d’effets sur les résultats.

Courbe de croissance normative pour la QVLS

Le premier modèle de courbe de croissance étudié décrit séparément les trajectoires de QVLS pour les hommes et pour les femmes. Les courbes de croissance représentent la courbe de QVLS des Canadiens et des Canadiennes à partir de l’âge de 40 ans, sachant la QVLS observée dans la cohorte de 1994‑1995 à 2004‑2005. Les paramètres du modèle sont présentés au tableau 2 et les trajectoires normatives modélisées sont illustrées à la figure 1 pour les hommes et à la figure 2 pour les femmes. Dans toutes les analyses, tant chez les hommes que chez les femmes, seules l’ordonnée à l’origine et la fonction linéaire de l’âge avaient des effets aléatoires significatifs (autrement dit, une variation significative entre les participants). Donc, nous n’avons inclus qu’une ordonnée à l’origine aléatoire et un terme d’âge dans la spécification du modèle. Comme le modèle ne comprenait aucun prédicteur inter‑individus, nous ne poussons pas plus loin l’interprétation de ces termes dans le présent article. La variabilité significative de ces composantes du modèle indique que d’autres travaux devraient être entrepris en vue d’examiner les déterminants des différences inter‑individus dans les trajectoires de l’HUI3. La covariance entre l’ordonnée à l’origine et la fonction linéaire d’âge n’était significative dans aucun des modèles. Les effets des termes quadratique et cubique de l’âge, quant à eux, étaient significatifs dans tous les modèles.

Tableau 2
Estimations des paramètres des modèles de courbe de croissance de l’HUI3 en fonction de l’âge pour les hommes et pour les femmes de 40 ans et plus en 1994-1995, Canada, territoires non compris

Figure 1
Trajectoires de l’HUI3, selon l’âge, hommes de 40 ans et plus en 1994-1995, Canada, territoires non compris

Figure 2 Trajectoires de l’HUI3, selon l’âge, femmes de 40 ans et plus en 1994-1995, Canada, territoires non compris

Selon le modèle 1 (tableau 2), à l’âge de 40 ans, le score HUI3 moyen des hommes est de 0,92. Pour une augmentation de l’âge d’une année, ce score diminue d’une valeur égale à la somme d’une diminution de 0,005*(âge – 40), d’une augmentation de 0,0003*(âge – 40)2  et d’une diminution de 0,000007*(âge – 40)3 . Même si les coefficients de l’équation prédisant l’HUI3 d’après l’âge, le carré de l’âge et le cube de l’âge paraissent faibles, à mesure que l’âge augmente, les effets de ces termes deviennent assez grands, car une diminution du score HUI3 global de 0,03 ou plus est considérée comme étant cliniquement importante22, 23.

Les courbes de croissance obtenues pour les hommes et les femmes vivant à domicile (modèle 1) sont relativement semblables, révélant une meilleure QVLS chez les hommes que chez les femmes avant l’âge de 74 ans, puis un renversement de cette tendance par après (tableau 2, figures 1 et 2). Une différence importante entre les hommes et les femmes est la diminution de l’HUI3 chez les femmes les plus jeunes de la cohorte. De 40 à 50 ans, le score HUI3 moyen des femmes diminue de 0,06, soit deux fois le seuil considéré comme cliniquement important. Après cette baisse initiale, la QVLS des femmes vivant à domicile demeure relativement stable jusqu’à environ 70 ans, puis diminue pour s’établir autour de 0,70 à 80 ans.

Les résultats du modèle 2, qui comprend les participants à l’enquête vivant à domicile ainsi qu’en établissement, brossent un tableau moins optimiste que ceux du modèle 1. Après 75 ans chez les hommes et après 80 ans chez les femmes, la QVLS diminue plus fortement dans le modèle 2 que dans le modèle 1. Ce résultat n’est pas étonnant, parce que le score HUI3 moyen est de 0,83 chez les membres de l’échantillon de personnes non placées en établissement, tandis qu’il est de 0,14 dans l’échantillon de personnes placées en établissement, et que le taux de placement en établissement augmente avec l’âge.

En plus des personnes vivant à domicile et en établissement, le modèle 3 comprend les participants à l’enquête décédés dans le premier cycle après leur décès, avec une valeur de 0 pour la QVLS à l’âge du décès. Ce modèle révèle une baisse lente des scores, pour passer de près de 1 à environ 0,8 chez les hommes et chez les femmes jusqu’à peu près 70 ans, après quoi la QVLS diminue plus rapidement pour les hommes que pour les femmes. Ces résultats reflètent l’effet de la plus forte mortalité des hommes aux âges plus avancés. Le fait de tenir compte du décès a un effet important sur les courbes de croissance : chez les hommes, la QVLS est plus faible après l’âge de 60 ans quand on tient compte des personnes décédées plutôt que seulement de celles placées en établissement; chez les femmes, cette différence se dégage autour de 70 ans.

Discussion

En moyenne, la QVLS demeure relativement élevée du milieu à la fin de la vie, ce qui donne à penser que la population âgée se porte bien et jouit d’une grande qualité de vie durant les années menant à l’espérance de vie normale au Canada. Ces constatations corroborent celles résultant de comparaisons internationales, qui indiquent que le classement du Canada est élevé en ce qui concerne les mesures de l’espérance de vie et de l’espérance de vie ajustée pour l’incapacité24, 25.

Fait peut‑être le plus important, la présente étude montre que l’exclusion des données sur les personnes placées en établissement donne une vue biaisée du processus de vieillissement, de même qu’omettre de tenir compte de la mortalité pour décrire la santé de la population12. L’inclusion des personnes âgées vivant en établissement produit des estimations moins optimistes, mais plus exactes, de la santé de la population. L’effet du décès sur la QVLS est plus important chez les hommes que chez les femmes jusqu’à un stade assez avancé de la vie, ce qui reflète la mortalité moyenne plus précoce chez les hommes et les années supplémentaires vécues avec une incapacité chez les femmes15, 16. Retarder la mortalité ou réduire les problèmes de santé devrait produire des courbes qui correspondent au maintien d’un niveau plus élevé de QVLS pendant une plus grande partie de la vie. De futures études pourraient avoir pour objectif de comparer les courbes de cohortes successives afin de déterminer si, quand on tient compte du placement en établissement et du décès, la santé de la population s’améliore effectivement.

Les résultats de la présente analyse concordent avec ceux de certaines études portant sur les trajectoires de l’autoévaluation de la santé (AES), qui ont révélé que l’AES diminue quand l’âge augmente8, mais contredisent ceux d’une étude qui montre un accroissement de l’AES aux âges plus avancés7. Les résultats de cette dernière étude reflètent vraisemblablement un « effet de survivant », en vertu duquel les personnes donnant les pires autoévaluations de leur santé meurent et sont donc éliminées de l’analyse.  Même si on n’observe pas d’augmentation des scores chez les personnes plus âgées, la différence entre les modèles 1 et 3 démontre un « effet du survivant ».

Les divergences entre les résultats de la présente étude et ceux d’autres travaux pourraient refléter des différences entre la QVLS, telle qu’elle est mesurée par l’HUI3, et l’AES utilisée comme mesure de résultat. L’HUI3 (dans les autoévaluations des états de santé) et l’AES contiennent l’un et l’autre un élément de subjectivité, bien qu’à des niveaux différents. Les résultats de la présente étude soulignent qu’il importe d’éviter le biais de sélection en suivant les sujets dans les établissements de soins de santé et en incluant dans l’analyse ceux qui sont décédés durant la période de suivi.

Limites

La présente étude est fondée sur des autoévaluations de l’état de santé qui ont été transformées en un score d’utilité de la santé déterminé d’après les préférences sociétales pour divers états de santé. Les états de santé pourraient ne pas être déclarés exactement, et les préférences sociétales pour divers états de santé pourraient évoluer sur une longue période, comme celle de dix ans couverte par la présente étude. En outre, l’échantillon s’est érodé au cours du temps – au dernier cycle analysé, près d’un participant sur cinq avait été perdu de vue au suivi (et n’était pas décédé ni entré en établissement). Si l’état de santé du groupe de personnes perdues de vue au suivi diffère systématiquement de celui des personnes qui ont continué de participer à l’étude, les résultats pourraient présenter un biais. Toutefois, les personnes qui ont cessé de participer à l’étude étaient relativement semblables à celles qui ont continué, et elles étaient plus jeunes. Étant donné le grand nombre de personnes plus jeunes participant à l’étude, l’effet de l’érosion est vraisemblablement dilué.

Les résultats présentés ici sont descriptifs. Les modèles de courbe de croissance employés sont utiles pour décrire les tendances au cours du temps, mais ne sont peut‑être pas appropriés pour les analyses visant à expliquer ces tendances. Comme l’âge a été centré sur 40 ans, l’ordonnée à l’origine est interprétée comme étant la valeur de l’HUI d’une personne de 40 ans. Pour les modèles explicatifs, d’autres méthodes de centrage de l’âge pourraient mieux convenir et rendre l’interprétation plus facile. Néanmoins, les résultats des analyses effectuées en centrant l’âge sur sa valeur moyenne (57) ne différaient pas considérablement de ceux produits par les modèles présentés ici.

Conclusion

Brièvement, les Canadiens sont, en moyenne, en assez bonne santé durant la transition du milieu à la fin de la vie. Bien que les courbes de QVLS soient semblables pour les hommes et les femmes, elles s’écartent quand on tient compte du placement en établissement et des décès. De surcroît, l’omission de ces deux variables brosse le portrait d’une population en meilleure santé qu’elle ne l’est en réalité, du moins aux âges avancés.

La présente étude montre qu’il importe d’aller plus loin que les enquêtes transversales et auprès de la population à domicile pour étudier les déterminants d’un bon vieillissement. Elle montre aussi qu’il est nécessaire d’avoir accès à des données ou à des enquêtes qui englobent les résidents des établissements de santé.

Les futurs travaux de recherche devraient porter sur la variation inter‑individus du vieillissement en bonne santé et mettre l’accent sur les prédicteurs d’un bon vieillissement, tel qu’il est défini par la QVLS. De tels travaux nous permettront de mieux comprendre le vieillissement en ce qui a trait à la santé, définie de manière générale, et de découvrir par quels moyens les politiques et les programmes peuvent favoriser le vieillissement en santé. 

Financement et conflit d'intérêt

L’étude a été financée par la subvention AG027129 du National Institute on Aging, des National Institutes of Health. David Feeny a une participation financière dans Health Utilities Incorporated (HUInc.), Dundas (Ontario), Canada. HUInc. distribue le matériel relatif au Health Utilities Index (HUI) protégé par droits d’auteurs et offre des conseils méthodologiques concernant l’utilisation de l’HUI. Aucun paiement n’a été fait à HUInc. pour l’utilisation de l’HUI dans l’enquête d’où proviennent les données sur lesquelles s’appuie le présent rapport.