Hé-coutez bien! Épisode 25 - La religion en déclin? Oui, mais… - Transcription
Transcription
Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien!, un balado de Statistique Canada, où nous rencontrons les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage.
Tous les dix ans, le recensement demande aux Canadiens de déclarer leur appartenance religieuse. Le recensement de 2021 en fait partie, tout comme ceux de 2011, 2001 et 1991. Chaque décennie, nous obtenons un nouvel aperçu de la composition religieuse de notre pays, ce qui nous donne un coup d'œil sur son évolution.
Une tendance récente notable en matière de religion au Canada est la croissance des populations musulmanes, hindoues et sikhes. Cette évolution est logique, compte tenu de l'immigration qui s'est produite au cours des dernières décennies.
Mais ce que je trouve particulièrement intéressant, et ce sur quoi nous allons nous pencher aujourd'hui, c'est la montée des Canadiens « sans-religion ».
Selon le recensement de 2021, 12,6 millions de Canadiens ont déclaré n'avoir aucune appartenance religieuse. Cela représente plus d'un tiers de la population canadienne, et cette proportion a plus que doublé en 20 ans, passant de 16,5 % en 2001 à 34,6 % en 2021.
Qui sont-ils ? Qu'est-ce qui définit ce groupe?
Plongeons dans le vif du sujet.
Simon-Pierre : Bonjour, je m'appelle Simon-Pierre Lacasse. Je suis l'analyste principal au centre de la statistique sociale et de la population à Statistique Canada.
Sarah : Oui, bonjour tout le monde. Moi, je m'appelle Sarah Wilkins-Laflamme. Je suis professeure agrégée à l'Université Waterloo.
Annik : Que savons-nous des profils démographiques des personnes non affiliées religieusement ?
Simon-Pierre : Ce qu'on sait de cette population-là d'abord, c'est qu'elle est en moyenne plus jeune que la population canadienne avec un âge moyen de 36 ans, alors que pour l'ensemble de la population canadienne, c'est un peu plus de 41 ans.
On sait que c'est une population aussi qui est proportionnellement plus masculine. C'est donc plus de 52,6 % de la population masculine qui s'identifie comme n'ayant pas de religion alors qu'elle représente un peu moins de 50 % dans la population générale. On a aussi plus de gens qui ne sont pas mariés ou qui ne vivent pas en union libre c'est 46,1 %, alors que dans la population générale, on est à 42 % donc proportionnellement plus élevés. Et puis aussi un autre aspect important, c'est que c'est surtout une population qui est non immigrante. C'est-à-dire qu'on a 82 % des personnes qui ne déclarent pas de religion ou des perspectives séculières, alors que leur poids dans la population générale est d'un peu moins de 75 % donc encore proportionnellement plus élevé chez les non immigrants, c'est à dire les personnes qui sont nées au Canada.
Annik : Avez-vous quelque chose à ajouter à ce portrait démographique des Canadiens non affiliés? Et avez-vous eu des surprises dans le cours de vos recherches?
Sarah : C'est le portrait que je vois aussi, à travers mes recherches, mais juste pour en mettre un peu plus de détails de l'examiner un peu plus en profondeur l'effet vraiment principal, la grosse division qu'on voit, c'est celui des différences générationnelles. Donc, les jeunes ont beaucoup plus de chances d'être sans religion que les adultes plus âgés. Donc, par exemple, dans le dernier recensement en 2021, au Canada, les jeunes adultes de 18 à 35 ans, il y avait 43 % d'eux qui se disaient sans religion contre seulement 28 % chez les adultes plus âgés. Donc, des grosses différences entre générations. Et c'est ça l'effet principal qu'on voit à travers l'Occident aussi, pas juste au Canada, mais à travers la plupart des pays occidentaux. Il y a aussi lié au fait que les gens nés à l'étranger ont moins de chance d'être sans religion et aussi les minorités raciales au Canada sont moins susceptibles de se dire qu'ils n'ont pas de religion, et donc 26 % des membres de minorités raciales ont déclaré ne pas avoir de religion lors du recensement de 2021 à travers le Canada contre un 38 % pour le restant de la population, donc des taux plus faibles de sans-religion parmi les minorités raciales et ceux nés à l'étranger. ll y a également des taux plus élevés de sans-religion dans l'Ouest canadien. Donc, juste au-dessus de la moitié de la population en Colombie-Britannique va se dire sans-religion dans le dernier recensement de 2021, contre un 27% par exemple au Québec. Il existe encore un écart entre hommes et femmes. Les hommes ont un peu plus de chance de se dire sans religion, mais cet écart-là est plus petit qu'auparavant, que dans les décennies antérieures.
Donc maintenant, il y a environ 32 % des femmes qui s'y sont en religion dans le dernier recensement contre un 36 % chez les hommes. Donc, seulement un écart de quatre points de pourcentage dans les années antérieures, c'était beaucoup plus élevé que ça, il y avait une différence beaucoup plus grande.
Alors, c'est un écart qui a diminué, que moi je m'attends va disparaître dans les prochaines années parce qu'on a aussi vu la disparition d'autres différences démographiques qui étaient là dans le passé, donc par exemple, des différences dans le taux de sans-religion selon le niveau d'éducation ou la résidence rurale.
Auparavant, il y avait de plus grandes différences, mais maintenant, c'est pas mal disparu au fur et à mesure que la population des sans-religion a augmenté et que le phénomène s'est normalisé dans notre société. Donc, par exemple, chez ceux qui n'ont pas de diplôme universitaire ou qui ont des diplômes universitaires, c'est environ le tiers qui se dit sans religion, peu importe, parmi les deux groupes-là.
Et pour la résidence rurale, il y a un 36% des personnes vivant à l'extérieur d'une région métropolitaine du recensement qui se dit sans religion, et ça se compare à 33 % chez les gens qui vivent dans les grandes villes.
Annik : Le Recensement de 2021, a révélé que plus d'un tiers de la population canadienne déclarait ne pas avoir d'affiliation religieuse. Alors lorsque j'ai regardé ces données, je me suis dit, oh, ça fait beaucoup d'athées au Canada.
Mais ça serait une erreur de penser que sans religion signifie nécessairement être athée. Alors, pourriez-vous nous parler de la diversité au sein de l'étiquette sans religion tout d'abord? Et quelles autres étiquettes pourraient entrer dans cette catégorie?
Sarah : Ouais, c'est ça. En effet, il existe de nombreuses identités spécifiquement non-religieuses, auxquels certains ou certaines s'identifient. Donc, il y a les athées, oui, mais aussi des agnostiques, des humanistes laïcs, des libres-penseurs et plusieurs autres étiquettes également. Mais, à vrai dire, la plupart des « sans religion » ne s'identifient même pas à l'une ou l'autre de ces étiquettes. Ils n'ont rien de particulier en matière de religion et lorsqu'on pose la question est-ce que vous êtes athée ou quelque chose comme non j'ai pas vraiment réfléchi j'ai vraiment pas vraiment rien auquel je m'identifie à cet effet et donc on voit un peu de tout parmi la catégorie des sans-religion. Ça comprend une diversité de pensées, d'opinions, de croyances et de spiritualité. Ce n'est pas seulement des gens qu'on peut dire entièrement rationnels ou scientifiques ou anti-surnaturels. Il y en a bien sûr, il y en a quelques-uns, mais la plupart on voit une diversité de leur façon de penser. Et donc, par exemple, en 2023, le projet de recherche Non-Religion in a Complex Future, auquel je participe, a mené une enquête auprès de la population générale au Canada et a constaté que c'est seulement le quart des personnes sans religion au Canada qui s'identifient vraiment comme athées.
Annik : À part la diversité des étiquettes, il existe également une diversité de pensées, d'opinions, de croyances et de spiritualités. Pourriez-vous expliquer un peu comment l'absence d'affiliation religieuse ne signifie pas nécessairement l'absence de croyances religieuses ou spirituelles? Avez-vous des exemples qui vous ont surpris dans vos recherches ?
Sarah : Oui, environ le quart des « sans religion » qui sont, on peut les nommer un peu spirituelles sans religion ou non religieuses, spirituelles. Donc ce sont des gens qui ont des croyances ou des pratiques qui sont moins traditionnelles, moins conventionnellement religieuses, mais en fin de compte qui se lient un peu plus au surnaturel. On pense ici à des croyances à un univers mystérieux ou connecté aux énergies. On parle des pratiques comme le yoga, des activités de méditation, par exemple. Puis ce n'est pas tout le monde qui définit ces pratiques-là en tant que spirituelles, mais il y a quand même une partie de la population qui le font.
Et donc, c'est des gens vraiment qui ont des liens au surnaturel ou des, une façon de comprendre le monde, il y a des éléments surnaturels à l'intérieur de ces compréhensions-là, mais qui en fin de compte n'ont pas vraiment de lien avec des organismes ou des organisations religieuses. Et donc on voit ces gens-là parmi les « sans religion ». On voit aussi une toute petite minorité de gens qui sont quand même assez actifs sur le plan religieux, mais qui s'identifient pas nécessairement à une tradition particulière, mais on voit aussi une grande proportion des « sans religion » qui sont vraiment pas beaucoup de liens avec le spirituel et religieux, ils sont plutôt indifférents, ils pensent pas à ces questions-là.
Annik : D'où viennent les non affiliés. C'est une population qui augmente. Mais qu'est ce qui alimente cette croissance?
Simon-Pierre : L'immigration n'est pas le facteur principal de croissance pour les personnes qui ne déclarent pas de religion ou des perspectives religieuses. Donc c'est sûr que n'importe quelle discussion sur la croissance démographique dans la plupart des groupes, l'immigration va jouer un rôle et étant donné la proportion de la population immigrante au Canada, cependant, ce qui est peut-être le plus important ici c'est le fait qu'il y a une part importante des enfants de moins de 10 ans qui sont nés au Canada qui n'ont pas d'affiliation religieuse. Donc ça, c'est un phénomène qui est relié au fait que les parents, eux-mêmes, vont déclarer n'avoir pas d'affiliation religieuse. Et puis la façon que la question est posée dans le recensement spécifiquement, on va dire pour les jeunes enfants, pour les enfants donc, de déclarer la religion dans laquelle les enfants sont élevés. Donc, si les parents n'ont pas d'affiliation religieuse, alors forcément la réponse sera la même pour les enfants. Donc ce serait le facteur principal. Le deuxième facteur de croissance, c'est le fait que la façon dont les gens rapportent leur affiliation religieuse d'un recensement à l'autre peut changer c'est-à-dire qu'une personne pourrait avoir déclaré en 2011 être d'affiliation religieuse musulmane et puis en 2021, déclarer ne pas avoir d'affiliation religieuse. Alors là, ce qu'il faut comprendre, c'est que la façon dont la question est perçue, évidemment, peut changer la façon dont une personne perçoit sa propre relation avec la religion peut avoir changé. Et puis il y a une certaine fluidité dans la façon de répondre entre les cycles de recensement, même chez un même individu.
Annik : L'une des statistiques que j'ai trouvées les plus intéressantes concerne les personnes qui n'ont pas d'affiliation religieuse mais qui sont néanmoins actives sur le plan religieux. Pourriez-vous nous en parler?
Simon-Pierre : Oui. Donc ça, ce sont des données qui ressortent de l'enquête sociale générale ou on pose des questions sur les formes de pratiques religieuses. C'est intéressant de voir qu'on a quand même 17 % en 2019 donc c'est la dernière année où on a fait ou analysé ces données-là qui rapportaient avoir participé à des activités religieuses dans la dernière année. Donc, évidemment, c'est un pourcentage qui va baisser fortement quand on demande, avez-vous pratiqué dans le dernier mois ou à chaque semaine. Donc on parle un peu moins d'une personne sur cinq qui n'a pas de religion qui, par exemple, aurait peut-être assisté à une activité religieuse. Ce qui est important, c'est qu'on doit exclure les mariages et les funérailles qui sont dans la plupart du temps, encadrés par des formes de rituels religieux. Donc, même si on exclut ces formes de cérémonie-là ou de rituels-là, c'est presque une personne sur cinq. Donc qu'est-ce que ça peut représenter? Ça pourrait être, par exemple, une personne catholique au Québec qui aurait assisté à une messe de Noël ou à une forme de célébration peut-être à Pâques, qui sont les rituels qui étaient les plus courus avant qu'il y ait une forme de baisse de religiosité, mais on prend l'exemple spécifique du Québec, mais c'est un exemple peut-être intéressant parce que dans le milieu de la recherche à l'extérieur de Statistique Canada, des chercheuses et des chercheurs ont développé le principe ou le concept de catholicisme culturel pour faire référence au fait que une personne peut s'identifier comme étant catholique sans avoir de forme de pratique mais à l'inverse, on pourrait avoir aussi des gens qui ont déclaré n'avoir pas de religion, mais quand même vont participer à une forme de pratique culturelle qui est religieuse.
Annik : L 'enquête sociale générale a révélé qu'entre 2017 et 2019, 17 % des non-initiés ont participé à une activité religieuse avec un groupe une fois par an. Cela me semble être un chiffre important, et je suis tout à fait d'accord avec la suggestion de Simon-Pierre concernant les traditions religieuses annuelles mais 2 % des non-initiés ont participé à une activité religieuse avec un groupe au moins une fois par mois. C'est peut-être moi, mais je trouve ces deux éléments très surprenants.
Pourriez-vous parler de manière pratique, à quoi cela pourrait-il ressembler ? Quelles sont les pratiques religieuses des non-initiés ?
Sarah : J'ai l'exemple de Darlene, par exemple, qu'on voit souvent chez plusieurs « sans religion » qui viennent d'une socialisation religieuse, par exemple. Donc, Darlene, c'est un pseudonyme d'une participante de recherche que mon collègue Joel Thiessen a interviewé en Alberta au début des années 2010.
Et Darlene est une ancienne évangélique qui s'était déclarée sans religion par le temps que Joël l'a interviewée. Puis elle a quitté son groupe religieux parce qu'elle n'était pas d'accord avec un bon nombre des croyances qu'il enseignait, qu'il trouvait que le groupe englobait un peu trop sa vie. Mais Darlene croit toujours en Dieu, elle aime encore écouter la musique, la chorale, de temps en temps, et a mentionné qu'elle assiste encore à un service religieux occasionnel, au temps des Fêtes surtout, lorsqu'elle rend visite à sa mère. Mais c'est peut-être parce qu'elle n'a pas d'éducation, pour elle, ce n'est pas vraiment une expérience religieuse, mais c'est plutôt un moyen de faire plaisir à sa mère aussi, d'éviter les conflits familiaux qu'on essaie tous d'éviter au temps des Fêtes. Et donc, c'était vraiment un peu un mélange de, elle avait quitté la religion, mais elle avait encore certaines pratiques qui faisaient partie de sa vie. Et on voit ça souvent, c'est super intéressant parce qu'on le voit souvent chez les personnes qui ont été élevées dans une famille assez religieuse, donc qui a reçu une socialisation religieuse, mais qui ont choisi de quitter la religion plus tard dans leur vie adulte et donc il y a certains aspects de la religion, tels que les aspects liés aux communautés ou à certaines pratiques qui apportent du réconfort, sont encore présents et les gens aiment s'y accrocher, même lorsqu'ils ont délaissé leurs appartenances religieuses.
Donc ça, c'est toujours intéressant. J'ai aussi vu d'autres exemples, par exemple, des gens qui vraiment définissent le yoga comme pratique spirituelle, qui est très importante. Ils sont très dans la spiritualité, l'aspect spirituel du yoga, et ensuite d'autres gens qui complètement à l'envers, au contraire, ils vont définir le yoga juste comme activité physique ou de bien-être mental, plutôt qu'une activité spirituelle.
Donc, il y a des gens qui vraiment les différentes pratiques ont des, définissent ces activités-là différemment, soit plus religieux ou spirituel ou moins religieux et spirituel.
Annik : Le Recensement de 2001 a révélé qu'environ 15 % seulement de la population n'avait pas de religion. Le nombre de personnes sans religion a donc doublé en 20 ans. Nous savons qu'une grande partie de la croissance démographique du Canada est due à l'immigration, mais l'immigration n'est pas la force motrice de ce changement. Quels sont les facteurs sociaux et les conditions qui font qu'en 2025, le Canada compte plus de « sans religion » qu'en 1925 ou même en 1985?
Sarah : C'est la grosse question, hein, donc pourquoi, pourquoi on voit une augmentation assez importante de ces taux de « sans religion »? Et vraiment, au Canada, d'habitude, on trace les débuts de cette tendance-là aux années 60 et la génération des baby-boomers. Donc, dans d'autres pays, ça a commencé un peu plus tôt. Par exemple, en France ou en Grande-Bretagne, ça a commencé un peu avant, aux États-Unis, ça a commencé plus tard. Aux États-Unis, ça a vraiment commencé seulement dans les années 90. Mais ici au Québec et au Canada, on voit surtout les années 60 comme moment clé où ça commence à changer à voir les nouvelles tendances. Et donc, il y a plusieurs changements sociaux qui sont en marche, qui commencent environ au milieu du 20e siècle et qui sont en marche depuis, qui impactent surtout cet effet générationnel des jeunes ayant des taux de plus en plus élevés de sans-religion. Donc on parle, par exemple de la perte d'autorité des chefs religieux et la prise en charge de la plupart des services sociaux, les écoles, les hôpitaux, par exemple, par, l'État providence, donc ça, c'est un, un changement qu'on voit surtout vraiment commencer à prendre un effet important dans le milieu du 20e siècle et aussi au Canada anglophone, il y a le déclin de l'identité nationale plutôt britannique protestante canadienne avec la chute de l'Empire britannique encore une fois au milieu du 20e siècle et un bon nombre de Canadiens voient de moins en moins de lien avec le fait d'être canadien et le fait d'être chrétien. Auparavant, il y avait vraiment des liens, surtout coloniaux, entre la Grande-Bretagne, les églises protestantes et l'identité nationale canadienne-anglaise. Et dans la francophonie canadienne, il y a une tendance similaire à s'éloigner de l'église catholique et de moins en moins liée à l'identité québécoise, à l'identité catholique avec, bien sûr, la Révolution tranquille, surtout des années 60 et la génération des boomers et un lien qui devient de moins en moins fort ou de plus en plus faible à travers les décennies qui suivent les années 60.
Il y a aussi une montée des valeurs qu'on nomme d'individualisme expressif donc, on parle ici de valeurs d'autonomie et d'authenticité personnelle, c'est vraiment lorsqu'on parle aux gens, ça revient souvent dans le discours des gens lorsqu'on leur parle de qu'est-ce qui motive leur décision clé de la vie, leurs valeurs qu'ils tentent d'enseigner à leurs enfants par exemple, ils discutent de ces valeurs-là de choix individuels, d'autonomie, d'authenticité, de vivre leur vraie vie, là, et c'est vraiment des valeurs qui, on les voit monter vraiment depuis les années 60, c'est la génération boomer, et c'est souvent avec notre société de consommation qui sont liées aussi. Et donc l'accent est mis maintenant sur l'autorité de l'individu à faire ses propres choix, plutôt que sur une autorité externe à l'individu provenant de, soit de leader ou de texte religieux par exemple.
Donc on prend ces valeurs presque pour acquis aujourd'hui là, mais ça n'a pas toujours été le cas. Et donc c'est vraiment surtout à travers les années 60 qu'on voit cette montée et ça met moins l'accent sur les activités, la communauté religieuse et beaucoup plus l'accent sur les choix de l'individu, à travers les dernières décennies. Et il y a aussi une montée de ce qu'on appelle la concurrence séculaire, donc il y a juste plus de choix d'activités et de façons de penser qui sont possibles maintenant, qui sont socialement acceptables maintenant, qu'auparavant, par exemple, comparé au 19e siècle. Et donc, si on pense au 19e, au début du 20e siècle, c'était beaucoup plus un monde d'agriculture, un monde rural, où le centre de la vie politique, sociale, communautaire, c'était surtout l'église du village, la paroisse. Et donc, on n'est plus vraiment maintenant, dans cette société, on est beaucoup plus urbanisé, on a beaucoup plus changé nos valeurs. Il y a beaucoup plus de choix de qu'est-ce qu'on peut faire la fin de semaine, comment on peut rester en contact avec les gens, comment on peut être engagé dans la communauté qui ne sont pas nécessairement liés à la religion maintenant, comparativement dans le passé. Donc, c'est vraiment tous ces changements-là ensemble, tu sais, il y a des débats parmi les académiques de quel changement a été le plus important.
Annik : L'histoire de la religion au Canada varie vraiment d'un bout à l'autre du pays. La Colombie-Britannique a l'un des taux d'affiliation les plus bas du pays, mais vous l'appelez la Colombie-Britannique spirituelle. Pourquoi?
Sarah : Oui, parce que, bien, en fin de compte, les certains indicateurs de spiritualité sont plus élevés, même parmi les « sans religion » en Colombie-Britannique. Il y a plus de la moitié de la population en Colombie-Britannique qui s'identifie sans religion, mais quand j'ai mené une enquête nationale auprès des milléniaux, donc la génération Y, âgés de 18 à 35 ans en 2019, ce que j'ai vu c'est qu'en Colombie-Britannique, il y avait 23 % d'eux qui s'identifiaient sans religion, oui, mais qui s'identifiaient comme spirituels mais non religieux. Et donc, c'est le taux le plus élevé parmi les « sans religion », les jeunes sans-religion au pays, en Colombie-Britannique. Il y avait aussi environ un tiers de cette génération Y qui se disait, parmi ceux qui disaient sans-religion, il y avait le tiers en Colombie-Britannique qui déclarait que leurs croyances spirituelles sont très ou assez importantes dans leur vie.
Encore une fois, un des taux les plus élevés au pays. Et il y avait un 43 % d'eux qui la moitié qui déclarait avoir participé au moins une fois au cours de l'année précédente à l'enquête, à une activité qui définissait comme spirituelle. Et donc, encore une fois, c'est un des taux le plus élevé parmi les « sans religion » au pays.
Donc, vraiment, en Colombie-Britannique, on voit c'est un peu cette façon de penser, cette socialisation qui est plus vers la spiritualité qui a peut-être moins de problèmes historiques ou de mythologie nationale contre une église, comme au Québec, il y a vraiment cette vue de l'Église catholique qui est la grande noirceur avant la Révolution tranquille. Il n'y a pas vraiment ça en Colombie-Britannique. Et donc les gens sont plus ouverts à la spiritualité. C'est même un peu tracé dans le discours public où on voit, par exemple, l'expérience avec la nature ou aller dans les grands parcs et que c'est un peu lié, les gens sont plus ouverts à parler, à utiliser le terme spirituel pour décrire ces expériences-là.
Annik : On sait qu'au Québec, il y a une tendance au catholicisme culturel, sans nécessairement la pratiquer. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Qu'est-ce qui distingue le Québec des autres régions du Canada?
Sarah : Oui, bien le Québec est vraiment distinct sur le plan religieux au Canada et donc, dans ce contexte-ci des thèmes qu'on discute, c'est surtout que le fait que les taux de « sans-religion » ont toujours été plus faibles au Québec que dans la plupart des autres régions du pays. Et donc, par exemple, avant les années 60, c'était surtout en raison des taux très élevés de catholiques pratiquants, la vaste majorité la population québécoise pratiquait de façon régulière à l'Église catholique. Après la Révolution tranquille des années 60, c'était surtout à cause de ces taux très élevés de catholiques culturels et lorsqu'on dit catholiques culturels, ce qu'on veut dire, c'est des gens qui ont pas nécessairement des liens très forts avec l'Église catholique, qui vont pas nécessairement aller à la messe très souvent, ou même pas du tout, et qui même, ils n'aiment pas trop l'Église catholique, sont pas vraiment d'accord avec la plupart de leurs croyances, par exemple, mais qu'ils voient encore un lien identitaire très fort avec le catholicisme, plus généralement, avec leur héritage familial et avec l'identité québécoise, l'identité nationale québécoise. Et donc, ils vont garder l'identité catholique pour ces raisons-là, sans vraiment de lien fort avec l'Église comme telle, et ces catholiques culturels, ces gens-là représentaient la vaste majorité de la population québécoise depuis la Révolution tranquille jusqu'à assez récemment. Donc, dans l'Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de StatCan par exemple, il y avait trois quarts de la population québécoise qui se déclarait catholique, mais très peu d'entre eux assistaient à la messe de façon régulière. Et donc c'est seulement 12 % de la population, qui se déclarait ne pas avoir de religion en 2011 au Québec. Et c'est seulement vraiment plus récemment, lors du dernier recensement de 2021, qu'on a constaté un affaiblissement de ce catholicisme culturel dans la province, et une forte augmentation de la population sans religion, donc surtout chez les jeunes, mais aussi parmi tous les groupes d'âge. Donc en 2021, c'était seulement, 54 % des Québécois qui s'identifiaient, comme catholiques quand même, euh, juste un peu plus la moitié de la population, donc c'est quand même un, une grosse proportion, mais plus faible que c'était auparavant. Et maintenant, il y a comme un 27 % qui se disent sans religion.
Et donc, il y a plusieurs débats avec les chercheurs, les penseurs, de pourquoi on a vu ce déclin aussi dramatique du catholicisme culturel dans une dernière décennie environ. Mais, une de mes hypothèses, c'est que tout le débat qui entourait la laïcité au Québec, donc on parle des chartes des valeurs, ou maintenant avec la loi 21, il y a tout eu autour de ces débats, de ces politiques-là, il y avait plusieurs chefs politiques qui tentaient de lier l'identité québécoise maintenant avec la laïcité plutôt qu'avec le catholicisme qu'on voyait plus dans le passé. Et donc là, peut-être pour certains gens dans leurs esprits, leur identité, ils voient plus de liens maintenant avec la laïcité et le Québec plutôt que le catholicisme et le Québec. Et même que la laïcité souvent on l'utilise comme terme pour référer aux politiques de l'État et comment l'État gère la religion et les minorités religieuses dans les espaces publics. Donc, c'est une des hypothèses pourquoi on a vu ce déclin aussi rapide, non seulement juste chez les jeunes, mais aussi chez plusieurs groupes d'âge.
Annik : La région de l'Atlantique affiche des taux de religiosité parmi les plus élevés du pays chez les adultes plus âgés, mais la tendance ne se maintient pas chez la cohorte la plus jeune. Pourriez-vous nous en parler?
Sarah : Oui, donc, la région de l'Atlantique, c'est une autre de ces régions-là qui ont des tendances particulières et intéressantes au Canada. Donc, les provinces, les quatre provinces de l'Atlantique, c'est vraiment la région où les indicateurs du christianisme se porte un peu mieux surtout comparé à l'Ouest mais même par exemple comparé au Québec ou à l'Ontario donc, on a également constaté une augmentation du nombre de personnes sans religion dans la région de l'Atlantique mais c'est toujours un taux plus faible que dans la plupart des autres régions du pays. Donc c'est, par exemple, c'est 29 % de la population de l'Atlantique qui ont déclaré ne pas avoir de religion. Et c'est surtout un phénomène des jeunes. Bien sûr, l'effet générationnel qu'on discutait, où les enfants qui ont reçu moins de socialisation religieuse ont plus de chances d'avoir zéro lien avec les religions et de se dire sans religion.
Mais cet effet-là, on voit vraiment un gros fossé générationnel dans la région de l'Atlantique, où les générations plus vieilles, par exemple, les gens de 75 ans et plus, la vaste, vaste majorité ont une appartenance chrétienne et vont quand même pratiquer assez régulièrement cette religion comparativement chez les jeunes, il y a un 42 percent des jeunes adultes de 18 à 35 ans qui se disent ne pas avoir de religion dans la région de l'Atlantique. Donc, on voit vraiment le fossé générationnel est un peu à son extrême en Atlantique, mais il y a eu un déclin en Atlantique, au Québec, le déclin a eu comme deux moments, le déclin initial, la Révolution tranquille où les gens ont délaissé la pratique régulière à l'Église catholique et ensuite un autre moment plus récent où ils délaissent l'identité catholique
Annik : Y a-t-il d'autres variations régionales qui, selon vous, méritent d'être soulignées avant qu'on passe à autre chose?
Sarah : Il y a également des variations particulières dans les régions des Prairies, où on voit Alberta et les Saskatchewan et Manitoba, et souvent, on dirait même presque une polarisation entre les « sans religion » qui sont quand même assez important dans la population et aussi des gens qui sont assez religieux.
Mais l'autre région qu'on n'a pas vraiment discuté à ce point-ci, ce sont les territoires du nord, donc le Yukon, les Territoires du nord-ouest, Nunavut. Il y a des grosses populations de « sans religion », mais c'est une raison peut-être un peu différente. Pour plusieurs populations autochtones, ils ne s'identifient même pas avec le concept de religion. Pour eux, le concept de religion, c'est vraiment un concept occidental, et il y a des effets de l'histoire coloniale là-dedans aussi, et donc ils ne vont pas nécessairement définir leur spiritualité, leur façon de vivre comme religion ou religieux, même s'il y a plusieurs aspects spirituels qui traversent leur vie, et donc il y a une grande proportion des populations autochtones dans le Nord, mais aussi à travers le pays qui s'identifient sans religion, mais la définition de la raison pourquoi ils s'identifient sans religion, c'est un peu différent que les populations non autochtones au Canada. Donc, c'est vraiment, c'est fascinant. On pourrait en discuter, discuter toute la journée, là, mais c'est toujours bon d'y penser qu'il y a des grosses variations régionales dans le pays pour les religieux, ouais.
Annik : Les répondants ont été interrogés sur la religion lors du dernier recensement, donc en 2021, mais ils ne seront pas interrogés sur cette question encore avant 2031.
Donc, selon vous, quels sont les facteurs qui influenceront la taille des « sans religion » du Canada dans un avenir proche?
Sarah : Ouais, c'est une super bonne question. C'est toujours important à ce moment-ci de dire que tout scientifiques, incluant les sociologues comme moi, sont poches à prévenir, prévoir le futur, là. Donc, on n'a pas toujours la bonne réponse de qu'est-ce qui s'en vient, là. Mais juste en regardant les tendances en ce moment et de penser peut-être à un avenir prochain, qu'est-ce qu'on pourrait voir? Moi, je m'attends à une augmentation continue du taux de « sans-religion », donc un, même un taux plus élevé en 2031, donc c'était environ un tiers de la population en 2021 qui était « sans-religion ». Je m'attends à un taux plus élevé que ça en 10 ans pour une couple de raisons, surtout à cause de cet effet de remplacement des générations qui se poursuit, donc les membres des générations plus vieilles, dont les taux de religiosité sont en moyenne plus élevés, décèdent et les membres des générations plus jeunes, dont les taux de religiosité sont en moyenne plus faibles, représentent une part de plus en plus importante de la population, donc ils vont prendre une part de la population plus grande en 2031, donc par exemple on parlait des jeunes adultes qui ont des taux de sans religion presque à 50 % presque la moitié de la génération donc, on s'attend que les taux généraux de la population ressemblent de plus en plus à ceux de ces jeunes générations dans le futur.
Souvent j'ai des questions des gens qui me demandent, est-ce que l'immigration va freiner un peu cette, cette tendance-là? Est-ce que ça pourrait impacter la tendance des « sans religion »? Mais, en réalité, je ne pense pas parce que, tu sais, on a eu une immigration plus diversifiée sur le plan religieux depuis surtout les années 90 ici au Canada et ça n'a pas vraiment perturbé cette tendance d'augmentation des « sans religion » parce que ça vient d'autres populations en fin de compte, ça vient des gens qui sont nés au Canada, qui viennent originellement de familles traditionnellement chrétiennes, qu'on voit l'augmentation des sans religion. Et plus récemment, le gouvernement fédéral a récemment abaissé ses quotas d'immigration en dessous des niveaux de remplacement de la population. Donc, je ne vois pas vraiment de gros effets de l'immigration qui impacte l'augmentation des « sans religion ». Une autre question que j'ai souvent, c'est en fin de compte, les populations religieuses ont des taux de fertilité plus élevés que les populations non-religieuses. Et c'est vrai, c'est le cas au Canada. À l'encontre de ça, il y a la tendance à la désaffiliation, qui est encore assez forte au Canada, qui contrebalance, en fin de compte, ces différences de fécondité-là. Et donc, par exemple, dans une famille protestante évangélique de trois enfants, en moyenne, un de ces trois enfants-là aura quitté la religion, rendu à l'âge adulte. Et donc, on voit encore, oui, plus d'enfants chez les gens plus religieux, mais aussi une tendance de désaffiliation qui nourrit les « sans religion » aussi. Et donc, pour moi, ça prendrait vraiment un changement structurel plus fondamental à notre société pour voir un changement de cette tendance d'augmentation de ces « sans religion », que, que je vois pas nécessairement à l'horizon, qui est toujours possible, mais que je vois pas venir immédiatement non plus, et moi je parle ici d'un changement qui pourrait affecter les valeurs de l'individualisme expressif dont je parlais tantôt et qui affecte la normalisation du non-religieux, qui affecte la concurrence séculaire, toutes les autres activités auxquelles on a accès, qui sont pas vraiment liées à la religion, les façons de penser qui sont pas nécessairement liées à la religion, et donc, il faut avoir un grand changement de nos sociétés, des tendances qui viennent originalement surtout des années soixante. Ce type de changement social arrive, mais on ne sait pas quand il va arriver, puis elle ne pourra pas, peut-être pas arriver pour un bon bout de temps, et donc on verra ce que l'avenir nous réserve, mais moi je m'attends à une croissance continue des « sans-religion », au moins pour les prochaines années ou quelques décennies.
Annik : Merci beaucoup Sarah!
Sarah : Merci à vous!
Annik : Pourquoi est-il important de s'intéresser à la composition religieuse du Canada?
Simon-Pierre : Mais parce que c'est un aspect fondamental de la diversité ethno culturelle du pays. Statistique Canada a plusieurs ensembles de données pour comprendre cette diversité là qu'on compare, par exemple, sur toutes les données sur les groupes de minorité visibles auxquelles on fait référence, surtout aujourd'hui, comme des groupes racisés mais sinon qu'on parle de l'origine ethnique et culturelle de toutes les données sur l'immigration. Mais une des facettes de cette diversité là c'est la religion. Et puis elles sont parfois interconnectées. Et puis, pour bien comprendre toutes les facettes de la diversité, il faut avoir des données sur la religion. Aussi pour mieux comprendre toutes les réalités vécues par les différents groupes de population canadiennes dans un contexte où il y a une montée de l'islamophobie de l'antisémitisme. C'est évidemment, on a plusieurs données qui confirment ces tendances là, mais pour être sûr de bien comprendre ces populations et le rapport qu'elles entretiennent face au racisme, face à la discrimination, ça nous prend des données pour vraiment, pour comprendre la taille de ces populations au sein du recensement, entre autres.
Annik : Merci beaucoup Simon-Pierre
Simon-Pierre : Merci à vous !
Vous venez d'écouter Hé-coutez bien. Merci à nos invités Simon-Pierre Lacasse et Sarah Wilkins-Laflamme.
Pour en savoir plus et consulter les nombreuses données de StatCan sur la religion...
Simon-Pierre : Les ressources web de Statistique Canada offrent tous les tableaux, toutes les analyses, toutes les infographies des données sur l'affiliation religieuse. Et puis une belle porte d'entrée vers toutes ces données-là, c'est d'aller consulter le site web du Centre des statistiques sur le genre, la diversité et l'inclusion.
Annik : Si on veut en savoir plus sur votre travail où pouvons-nous aller ?
Sarah : J'ai puisé une grande partie de mon matériel d'aujourd'hui dans deux de mes livres récents, des livres en anglais, donc il y a « None of the Above » que j'ai co-écrit avec Joel Thiessen, qui a été publié avec New York University Press en 2020, et aussi « Religion, Spirituality and Secularity Among Millennials », qui a été publié en 2023 avec Routledge.
Mais il suffit vraiment de taper mon nom, Sarah Wilkins-Laflamme, sur Google pour trouver un grand nombre de blogues gratuits et de vidéos en ligne gratuits, plusieurs en français d'ailleurs, auxquelles j'ai participé au cours des dernières années et qui traitent de ces thèmes des « sans religion ». Et vous pouvez également consulter mon profil en ligne à l'Université Waterloo où vous trouverez mon adresse électronique et où vous pourriez me contacter par courriel à tout moment.
Annik : Vous pouvez écouter cette émission partout où vous écoutez vos balados. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission n'hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner.