Hé-coutez bien! Saison 1, épisode 1 - Parlons des obstacles, pas des incapacités : les limitations d'activités et la COVID-19

Date de diffusion : le 25 novembre 2021

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN: 2816-2269

Hé-coutez bien balados

Ce premier épisode du balado Hé-coutez bien! comprend une discussion sincère sur le fait de vivre avec une incapacité dans le contexte de la pandémie de COVID-19. On discute des réalités des personnes ayant une incapacité, de leurs défis et de tous les changements que la pandémie a entraînés dans leur quotidien.

Animatrice

Alexandra Bassa

Invités

  • Tony Labillois, directeur de la Statistique du secteur public et champion des personnes handicapées à Statistique Canada
  • Michelle Maroto, professeure agrégée de sociologie à l'Université de l'Alberta

Écoutez

Parlons des obstacles, pas des incapacités : les limitations d'activités et la COVID-19 - Transcript

Témoignage anonyme 1 : Une de mes histoires cest que moi et moi et ma famille avons une van adaptée, pour ma femme et moi, malgré que moi après mon opération jen ai pas autant besoin. Mais un des un des problèmes c'est que, notre van a commencé à...et puis les adaptations ont commencé à ne pas marcher comme elles devraient. Et les dernières restrictions qui ont été imposées, font en sorte que parce que je vis à Gatineau et l'endroit pour faire réparer la van est à Ottawa, mais avec l'impossibilité de voyager entre Gatineau et Ottawa, encore une fois les restrictions, c'est impossible de faire réparer un des gadgets qui permet à la chaise roulante à ma femme de rester barré dans la van adaptée. Et de cette façon-là, on est comme pris à moins voyager ou à sortir un peu moins souvent, malgré qu'on est supposé rester à la maison. Mais, il y a certaines fois des besoins de sortir, comme ma femme a souvent besoin d'aller voir des médecins et avoir des rendez-vous ici et là.

Témoignage anonyme 2 : Une autre histoire de pandémie que j'ai c'est à l'effet que moi, comme étant une personne de petite taille et ayant quand même de l'anxiété sociale assez importante, la pandémie et les instructions de rester à la maison le plus possible font en sorte que quand je suis forcé d'aller à l'extérieur faire des emplettes, magasiner et tout ça, il y a beaucoup moins de monde, il y a beaucoup moins d'achalandage dans les magasins et les endroits où est-ce que je dois achalander, une fois de temps en temps. Et ça, j'ai remarqué ça diminue beaucoup mon anxiété, mon stress dans ma vie personnelle.

Alexandra : Bienvenue au tout premier épisode de Hé-coutez bien, un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance des personnes derrière les données et découvrons les histoires quelles révèlent. Je suis votre animatrice Alexandra.

Si vous avez écouté notre mini-épisode qui est sorti le 3 juin 2021, vous pouvez avancer jusquà environ 12 minutes 30 pour écouter les nouveaux extraits de lépisode.

Alexandra : Aujourdhui, nous parlons des incapacités. Selon lEnquête canadienne sur lincapacité de 2017, plus de 6 millions de Canadiens âgés de 15 ans et plus ont déclaré avoir une incapacité. Il sagit denviron 1 Canadien sur 5. Mais, que voulons nous dire par personnes ayant une incapacité.

Tony : Ah, bien, ça peut vouloir dire beaucoup de choses différentes, selon la personne. La personne peut avoir des limitations d'activité ou des conditions qui font que, elle a une incapacité qui est visible à première vue. Par exemple, quelqu'un qui a un problème de mobilité ou un problème sensoriel comme moi, où on voit que mes yeux bougent, mes yeux gigotent la première fois qu'on me rencontre, alors on sait que j'ai probablement quelque chose avec ma vue et puis ça parait, mais il y a beaucoup dautres incapacités, dactivité, de limitation d'activité qui ne sont pas visibles à première vue.

Alexandra : Ça, cest la voix de Tony Labillois.

Tony : Bonjour, je m'appelle Tony Labillois, je suis le directeur de la division de la statistique du secteur public à Statistique Canada et je suis aussi le Champion pour les personnes handicapées et pour laccessibilité depuis 2002, et je suis né avec une basse vision, ce qui fait que pour moi, c'est une vision normale, mais qui est beaucoup plus faible que pour les autres personnes.

Alexandra : Comme Tony, 1,5 million de Canadiens âgés de 15 ans et plus ont une incapacité visuelle. Que voulez-vous dire par incapacité invisible.

Tony : Pensez aux troubles d'apprentissage, ou à, pensez à quelqu'un qui est autiste ou à quelqu'un qui a une hypersensibilité à l'environnement ou quelqu'un qui a un enjeu de santé mentale. Ces choses-là ne sont pas visibles à première vue, et ça ne veut pas dire que, que la personne se considère handicapée pour autant, mais souvent ces choses-là occasionnent une limitation d'activité.

Alexandra : Pourriez-vous en parler un peu plus? Pourquoi une personne pourrait-elle ne pas se considérer comme une personne ayant une incapacité.

Tony : Les limitations d'activité, selon comment on va se percevoir comme individu, on peut décider de les accepter ou non. Et puis quand ça vient graduellement, cest, cest quelque chose qui évolue, mais même quand ça vient à la base comme moi, quand j'étais jeune, on ne peut pas dire que javais le même niveau d'acceptation que maintenant, ni le même niveau de confort pour en parler que maintenant. Puis, quelque part, c'est quelque chose qui évolue dans la vie. Lincapacité malheureusement peut être acquise, ou la limitation d'activité. Et puis c'est une question d'acceptation de soi, mais aussi de confiance, de comment les autres vont nous accepter avec notre façon différente de faire les choses, ou notre accommodement ou notre propre perception de nous-même. Prenez un exemple simple qui arrive dans la vie de beaucoup de gens dans la quarantaine. Où, par exemple, les gens se retrouvent à avoir des difficultés à lire quelque chose. Ils vont essayer de prendre la feuille et puis de la repousser un peu plus loin ou de la rapprocher jusquà temps quils aient le bon euh, la bonne distance pour lire ce qu'ils ont à lire. Ça prend combien de temps avant que quelqu'un va décider par lui-même, ou que les autres vont lui dire d'aller chez l'optométriste pour avoir besoin de lunettes. Quelque part, les lunettes sont un accommodement. Puis, avant que laccommodement soit accepté, pourtant, il est généralement accepté dans la société, avant que la personne laccepte, Il faut qu'elle accepte le fait qu'elle est en train d'avoir une vision qui baisse et puis une limitation dans ses activités quotidiennes ou au travail. Et puis c'est un cas où ça part de l'acceptation de soi. Puis dans la société, on ne fait pas de cas dun accommodement aussi fréquent. Je ne pense pas que personne vous dirait qu'il va être discriminé dans l'obtention d'un poste ou dans lobtention d'une occasion de quoi que ce soit dautre parce quil a des lunettes. C'est relativement bien accepté. Il faut en venir à un niveau d'acceptation des accommodements ou des façons de faire différentes des gens qui ont des limitations d'activité. Aussi, il faut que ça devienne aussi normal que pour des lunettes et puis aller chercher justement les forces de chacun, puis l'inclusion de tout le monde. Et puis, c'est quelque chose quil ne faut pas perdre de vue, justement. Sans faire de jeu de mots.

Alexandra : Les incapacités invisibles sont beaucoup plus courantes que vous pourriez le penser. Par exemple, en 2017, un peu plus de 4 millions de Canadiens âgés de 15 ans et plus avaient une incapacité liée à la douleur et plus de 2 millions de Canadiens avaient une incapacité liée à la santé mentale. Tony nous a parlé un peu plus de ce que cest que de vivre avec une incapacité invisible.

Tony : Ça signifie que la personne a le choix, elle a le choix de divulguer ou non cette incapacité invisible. Elle a le choix de vivre avec les conséquences de ne pas divulguer cette situation ou avec les conséquences perçues de divulguer cette situation. Par exemple, si vous prenez quelqu'un avec un trouble danxiété généralisée, quelquun qui a un diagnostic formel comme ça, il peut ou elle peut choisir de ne rien dire au travail, mais avec le risque que pendant une période de pression puis de beaucoup de livrables à donner, ça va devenir insupportable pour elle et peut-être pour les collègues aussi que ça va devenir difficile. Mais personne ne saura, et personne naccommodera la personne pour cette situation. Par contre si la personne fait le choix de divulguer, cest parce quelle accepte et parce quelle a confiance en les autres. Elle accepte sa condition, elle a confiance aussi que les autres vont accepter sa condition et vont laccommoder. Laccommodement peut être de plusieurs natures, peut être par exemple davoir du coaching, pour aider la personne dans son travail avec son anxiété, peut être de laide ponctuelle dans des moments stressants ou des moments plus intenses ou de de travailler sur autre chose que des choses intenses. Mais ça peut être juste de savoir quelle peut exprimer son anxiété et elle peut dire quelle est stressée, ou quelle peut demander à son patron si tout va bien plutôt que de ruminer des choses pendant la journée ou dans ses moments de vie personnelle. Ça dépend vraiment de ce que la personne peut faire, et puis ça cest pas la même chose pour quelquun qui a un handicap visible où là, tout dun coup, cest peut-être tous les autres qui vont poser des questions à la personne si la personne prétend que ça nexiste pas ou fait semblant de ne pas vouloir en parler.

Alexandra : Donc, cest beaucoup plus compliqué quune simple question à laquelle on peut répondre par oui ou par non. «  Êtes-vous une personne ayant une incapacité, oui ou non? » Ce nest pas toujours aussi simple, nest-ce pas? Alors, comment est-ce que Statistique Canada sy prend pour mesurer lincapacité.

Tony : Statistique Canada mesure lincapacité avec un modèle social. En fait, on ne regarde pas beaucoup la condition de la personne, on regarde l'interaction de la personne avec son environnement professionnel ou personnel, puis on regarde les barrières auxquelles elle peut faire face. On voit que, par exemple, on peut avoir une douleur modérée ou légère ou très incommodante. Alors on va prendre une question comme ça, on va demander à la personne jusquà quel point la douleur, l'affecte dans ses activités. On va faire ça pour la vision ou pour d'autres aspects fonctionnels de notre interaction avec le reste du monde. On a fait ça dans lenquête de 2017, puis on va faire ça dans lenquête sur les personnes handicapées de 2022 aussi, après le prochain recensement. Et puis ça nous apporte une façon de mieux comprendre, puis ensuite on peut classer avec les réponses des personnes un peu mieux les statistiques ou faire les statistiques qu'on a à faire. Ça va nous permettre d'identifier les gens qui probablement cocheraient pas « oui » nécessairement, tout le monde ne cocherait pas oui à la question, « êtes-vous une personne handicapée?

Alexandra : Et, pourquoi est-ce que cest particulièrement important de reconnaître lexistence des incapacités invisibles pendant la pandémie, non seulement chez les autres mais même en soi.

Tony : La pandémie a amené toutes sortes défis, puis en même temps toutes sortes dopportunités. La pandémie a aussi amené des limitations dactivités invisibles auxquelles on ne pense pas nécessairement à prime abord, pour des personnes qui ne se considèrent pas et qui ne se considèreront probablement jamais comme des personnes qui cocheraient la boîte « Oui » à une question « Êtes-vous une personne handicapée? ». Pensez par exemple à des gens qui ont une incapacité, comme un système immunitaire faible ou une maladie pulmonaire chronique ou qui ont tout dun coup malheureusement développé une phobie de lespace public, au moins peut-être épisodique, ou on espère pas permanente, mais ces gens-là ont besoin de certains accommodements, ont besoin de certaines formes daides pour poursuivre leur vie, puis leur travail.

J'ajouterai que ça peut être n'importe qui d'entre nous qui soudainement fait à des défis. La pandémie, nous a appris ça pour certaines personnes qui tout dun coup, avaient des conditions qui ne les dérangeait pas trop, que ce soit des conditions de système immunitaire faible ou des conditions pulmonaires ou même des conditions autres, qui tout d'un coup sont devenus des éléments prépondérants dans leur vie. Et puis, demain matin, notre situation peut avoir évolué, on peut malheureusement acquérir une limitation à cause du contexte ou à cause de notre santé qui se détériore et puis il faut sassurer qu'on bâtit un monde qui ne nous empêchera pas de contribuer ou de participer, même si notre situation personnelle change.

Michelle Maroto : Donc des mesures comme laccessibilité, la flexibilité et les mesures dadaptation sont très importantes. Elles permettent aux personnes ayant des incapacités de travailler, davoir un emploi. Et cest parce que de telles mesures se concentrent sur comment surmonter les obstacles environnementaux et non sur comment lincapacité limite les activités et les possibilités.

Alexandra : Ça, cest la voix de Michelle Marot.

Michelle : Je mappelle Michelle Maroto, et je suis professeure agrée de sociologie à lUniversité de lAlberta. Habituellement, je mintéresse surtout à des enjeux liés à linégalité, ou encore à la stratification, qui est une dimension plus structurelle de linégalité. Et puis parfois, il arrive des choses dans la vie, comme la COVID 19. Il y a beaucoup de choses à étudier dans ce que nous voyons aux nouvelles, et je veux continuer à en apprendre un peu plus sur le sujet.

Alexandra : Michelle et son équipe ont utilisé des données provenant de lEnquête sur la sécurité financière de Statistique Canada pour comparer les actifs non immobiliers, cest à dire les actifs qui ne sont pas liés à un logement, entre les ménages comprenant une personne ayant une incapacité et ceux qui nen ont pas.

Michelle : Dans le cadre de ce projet mené récemment, nous nous sommes concentrés sur les actifs non résidentiels, cest-à-dire les actifs que les gens possèdent qui ne sont pas rattachés à leur logement, comme leurs comptes dépargne et leurs pensions ; ces actifs peuvent être très importants pour assurer la sécurité financière, parce quil est plus facile dy recourir quand ça va mal ; en dautres termes, quand des difficultés financières surviennent, il est plus facile de retirer de largent de son compte dépargne que de réhypothéquer sa maison. Pour cette raison, nous avons utilisé les données provenant de trois vagues de lEnquête sur la sécurité financière. Nous avons constaté que, de 1999 à 2012, les ménages comptant une personne handicapée avaient tendance à posséder beaucoup moins dactifs non résidentiels. Plus précisément, les actifs de ces ménages étaient denviron 25  % moindres que ceux des autres ménages; on a aussi examiné comment cette situation pouvait être reliée à lemploi. Nous savons que le revenu est lun des moyens daccumuler des actifs : si vous avez un emploi mieux rérmunéré, vous pouvez mettre régulièrement de largent de côté et cela aidera à accroître votre richesse. Nous savons aussi que les personnes handicapées ont un accès plus limité au marché du travail, et ce facteur joue un rôle dans lécart que nous avons observé. Par contre, même en tenant compte des disparités en matière demploi, lécart est toujours là.

Alexandra : Une différence de 25 % semble énorme. Est-ce que vous mettre ça en perspective pour nos auditeurs? Est-ce quil y a une différence en dollars entre deux personnes moyennes, une ayant une incapacité et lautre nayant pas dincapacité, lorsque lon prend en compte des facteurs comme léducation, lemploi et la structure familiale.

Michelle : Oui, donc on a décidé dobserver ça en comparant la différence de pourcentage parce que la distribution varie beaucoup. Mais au milieu la différence était denviron 22 000 $, ce qui est quand même une bonne somme dargent, si vous y pensez en termes de richesse.

Alexandra : Et pourquoi est-ce que lécart de richesse est un facteur si important à considérer dans le contexte dune pandémie mondiale.

Michelle : Ouf, pour répondre à cette question, je pense quil faut dabord bien comprendre certaines des différences qui existent entre le revenu et la richesse de façon plus générale, cest à dire leur nature et leur utilisation. Quand on parle de revenu, on parle généralement de largent que lon reçoit, dune source de ressources financières – pour la plupart des gens, cest le revenu dun emploi sous forme de salaire ou de paie. Il y a beaucoup de recherches faites à ce sujet. Cest aussi une mesure que lon utilise très couramment quand on parle dinégalité. Il est facile davoir accès à cette information. On la retrouve dans les enquêtes, ou on peut trouver ces données dans les déclarations de revenus des gens si on le souhaite. Mais cela ne dit pas tout sur la richesse ; le revenu ne permet pas de tout savoir. Cest pourquoi je juge bon de prendre aussi en compte la richesse. La richesse comprend tout ce que vous possédez, après déduction de tout ce que vous devez – ou, si vous préférez, la somme de vos actifs après déduction de vos dettes; cest donc un paramètre de mesure de la richesse qui peut saccumuler au fil du temps. Il présente donc des avantages ainsi quune certaine stabilité. Les gens nont pas nécessairement tous les éléments qui entrent dans la richesse, par exemple largent dans votre compte bancaire, la maison que vous possédez, ou votre épargne retraite. Et je pense que pour la plupart des gens, cela démontre une certaine stabilité. Mais lorsque la pandémie a été déclarée, les disparités sont ressorties encore plus clairement. Donc sur quoi peut-on compter lorsque la source de revenu disparaît soudainement? Lune des premières choses vers laquelle la plupart des gens se tournent quand il y a un besoin financier est leur compte dépargne…sils en ont un. Après ça, ils vont emprunter de largent : ils peuvent faire un emprunt, mais ils utiliseront souvent plutôt leurs cartes de crédit. Mais, là encore, il faut pouvoir avoir accès à des institutions de crédit pour ça. Enfin, les gens peuvent demander de laide de leur famille et leurs amis, mais cette source de fonds est souvent limitée. Cest quand le revenu disparaît, que ce flux de ressources financières est interrompu, cest là que la richesse devient très importante. Et cest pourquoi je pense que ces écarts de richesse se sont davantage manifestés pendant la pandémie.

Alexandra : Selon l'Enquête canadienne sur lincapacité de 2017, 1,6 million de Canadiens ayant une incapacité ont été incapables de soffrir les soins, les appareils ou les prescriptions de médicaments nécessaires en raison des coûts.

Alexandra : Donc, selon vos constatations, est-ce quil y a beaucoup de personnes qui doivent faire face à un réel conflit entre vouloir travailler et vouloir se protéger du virus.

Michelle : Oui, tout à fait. Et cest particulièrement vrai pour les personnes handicapées et celles qui ont des problèmes de santé chroniques. Pour ces personnes, il y a davantage de risques de complications en lien avec la COVID-19. Et, pour beaucoup de répondants qui travaillaient, leur emploi leur permettait de faire la transition vers le télétravail. Dans certains cas, leur emploi aurait permis à ces travailleurs de prendre aussi un congé, mais dautres navaient pas cette possibilité, particulièrement dans les secteurs du commerce de détail et des services. Les travailleurs de ces secteurs ont constamment des contacts avec beaucoup de gens. Ce type de travail entraîne donc des risques importants. Les travailleurs dans cette situation doivent se demander  Est-ce que je continue à travailler et à recevoir mon chèque de paie ou est-ce que je moccupe de ma santé? Et cest une décision très difficile à prendre.

Alexandra : En matière demploi, il y avait une différence de 21 points de pourcentage entre les personnes qui ont une incapacité et celles qui nen ont pas. 80 % des personnes nayant pas dincapacité étaient employées, comparativement à 59 % pour les personnes ayant une incapacité. Alors, pourriez-vous expliquer à nos auditeurs comment quelquun qui a conservé son travail pourrait quand même faire face à une insécurité financière.

Michelle : Oui. Nous avons tendance à considérer le travail comme étant un moyen de sortir de la pauvreté et de source de sécurité financière et aussi comme un outil de mobilité financière ascendante. Cest bien sûr utile, mais ce nest pas vrai pour tout le monde. Pour bien des gens, le fait davoir un emploi aujourdhui ne garantit pas que ce sera encore le cas demain, la semaine prochaine ou le mois prochain. Lorsque nous avons examiné notre échantillon, nous avons constaté quenviron la moitié des répondants occupant un emploi craignaient de perdre leur emploi au cours du prochain mois, et 40 % craignaient de le perdre au cours de la durée de la pandémie. Il y avait donc une grande inquiétude quant à la possibilité de perdre son emploi ; les gens ne savaient pas si leur emploi existerait encore, surtout que les emplois ont un caractère précaire de nos jours. Et surtout, en période de pandémie, même si on travaille, plusieurs emplois sont mal payés et noffrent pas de bonnes options en matières davantages sociaux, et les personnes handicapées ont tendance à être surreprésentées parmi les travailleurs qui occupent de tels emplois. Dailleurs, certains de mes travaux de recherche antérieurs ont porté sur cette surreprésentation dans ces emplois de moins bonne qualité. Bref, le fait de travailler nest malheureusement pas toujours un signe de sécurité financière.

Alexandra : Un tiers des répondants ayant un emploi ont rapporté que leur situation financière avait empiré par rapport à lannée précédente. Il sagissait de personnes qui navaient pas perdu leur emploi et qui se trouvaient quand même dans une pire situation un an plus tard. Le projet de collecte par approche participative de Statistique Canada réalisé à lété 2020, a démontré que près dun tiers des participants ont déclaré que leur revenu avait diminué depuis le début de la pandémie. Parmi ceux-ci, plus de la moitié a rapporté avoir de la difficulté à répondre à leurs besoins, en matière dalimentation et dépicerie.

Alexandra : Pouvez-vous préciser pourquoi plus dun tiers des répondants employés, a constaté que leur situation financière avait empiré par rapport à lannée précédente.

Michelle : La perte de revenus est la principale raison expliquant cette situation. Plusieurs gens avaient encore un emploi, mais leurs heures de travail et leurs revenus avaient diminué. Ceux qui avaient des économies sen tiraient mieux. Mais il sagissait dun faible pourcentage des répondants, et dautres ont mentionné des difficultés additionnelles, comme la perte de soutien et de services communautaires auxquels ils avaient pu avoir accès avant la pandémie, ainsi quune augmentation des coûts. Lorsquune personne se confine à la maison, les coûts de livraison peuvent sajouter à ses frais habituels, et il peut devenir plus difficile de trouver de laide.

Alexandra : La menace de l'insécurité financière, le risque de ne plus pouvoir assurer sa survie, cest toujours stressant. Mais lorsque tout cela vient sajouter à la menace de la pandémie de la COVID-19, cest une recette qui multiplie les pressions sur la santé mentale. Michelle, parlons un peu de santé mentale. Quest-ce qui ressort dans vos recherches.

Michelle :  Bien sûr. Lété dernier, nous avons amorcé une étude pour déterminer comment les personnes handicapées et celles ayant des problèmes de santé chroniques sen sortaient durant la pandémie de la COVID 19. Nous avons mené une enquête en juin, puis nous avons tenu des entrevues pour approfondir la question. Dans le cadre de lenquête, on demandait aux gens sils avaient constaté ou non une augmentation de leur degré danxiété, de stress ou de désespoir pendant la pandémie. Il sagit en quelque sorte de paramètres pour mesurer létat de santé mentale. Il existe différentes façons de mesurer létat de santé mentale. Lapproche que nous avons utilisée nous a permis de le faire rapidement et facilement au moyen dune courte enquête auprès des gens, après laquelle on a examiné les liens entre les résultats et certains facteurs. Lune des questions à létude consistait à savoir si la COVID 19 avait eu des répercussions négatives sur la situation financière des répondants. Par exemple, nous avons demandé aux répondants si la COVID 19 avait réduit leur capacité à payer leurs dettes ou leurs factures, ou à acheter des produits dépicerie. Nous avons fait des comparaisons avec les personnes qui nont pas ressenti ces effets financiers négatifs, afin de démontrer linfluence de la pandémie. Il y a aussi eu des effets sur la santé mentale, et nous avons étudié dautres aspects; notamment on a constaté que les gens qui se disaient être plus inquiets de contracter le virus ont ressenti une augmentation danxiété et de stress. Nous avons aussi observé un lien très étroit entre, les changements reliés à des aspects comme la solitude et le sentiment dappartenance, et la hausse du degré de stress et danxiété. Ainsi, les gens qui avaient un plus fort sentiment de solitude ont ressenti une augmentation importante de leur degré de stress et danxiété. Les personnes qui ont dit que leur sentiment dappartenance avait diminué ont aussi connu cette forte hausse de leur degré de stress et danxiété, ce qui montre en gros que lisolement est associé à ces effets sur la santé mentale.

Alexandra : Les données de Statistique Canada semblent appuyer cette affirmation. Les renseignements recueillis lors dun questionnaire de collecte par approche participative en juin et en juillet 2020 sur les expériences des Canadiens âgés de 15 ans et plus ayant des incapacités ou des problèmes de santé chroniques pendant la pandémie de la COVID-19, ont révélé que plus de la moitié des participants ont rapporté que leur santé mentale est pire quelle ne létait, avant le début de la pandémie. Ce recul en santé mentale a également été observé dans la population générale après le début de la distanciation physique. Cela pourrait être lié aux sentiments disolement et au fait dêtre séparé des soutiens sociaux habituels en raison de la distanciation physique. Les participants ayant un problème de santé de longue durée ou une incapacité, pourraient être davantage touchés pendant la pandémie, puisque plusieurs dentre eux comptent sur des soutiens sociaux formels et informels, et près de la moitié reçoivent de laide pour les activités quotidiennes.

Alexandra : Lisolement est certainement une difficulté éprouvée par beaucoup dentre nous en ce moment. Moi, y compris. Michelle, pourriez-vous nous parler de leffet de lisolement sur les personnes ayant une incapacité.

Michelle : Tout dabord, les personnes ayant une incapacité connaissent déjà un niveau disolement élevé. De nombreux travaux de recherche montrent que ces personnes ont des réseaux sociaux moins étendus. Elles ont moins damis et moins dinteractions sociales. Dune part cest parfois à cause de lincapacité en soi, parce que celle ci peut limiter la mobilité et les interactions sociales; mais je pense que cest aussi attribuable à bon nombre des stéréotypes négatifs sur lincapacité ainsi quaux obstacles qui limitent la participation de ces personnes à la société. Par exemple, si vous navez pas accès à un emploi, vous ne pouvez pas vous faire des amis au travail; vous navez donc pas ce type dinteraction sociale. Pourtant, la pandémie a encore empiré les choses, puisque nous devons limiter nos interactions sociales préexistantes pour rester en sécurité. Ceci est un facteur encore plus important pour les personnes qui ont une incapacité et celles qui ont des problèmes de santé chroniques, parce quelles sont plus susceptibles davoir des complications liées au virus. Elles prennent donc probablement des précautions supplémentaires, ce qui aggrave leur isolement social et limite encore plus leurs interactions.

Alexandra : Michelle nétait pas la seule à mentionner lisolement. Lorsque jai demandé à Tony quels étaient certains des défis auxquels les gens ayant une incapacité ont été confrontés pendant la pandémie, lisolement était au haut de la liste.

Tony : La première pensée qui me vient cest lisolement ou la solitude. On tous fait face à ça, en temps de COVID, mais la personne handicapée, elle, fait face à ça dans certains cas, bien avant ça. Elle fait face à ça même parfois pas seulement chez elle, mais même quand elle est dans la foule, elle est avec d'autres, au travail ou il est autrement. C'est surtout si elle ne ça ne s'accepte pas bien et ne se sent pas accepté par les autres. À peur du rejet, peur de l'exclusion. Cest très important de justement, s'assurer d'inclure tout le monde et puis de fournir les accommodements pour permettre à tout le monde de performer, de contribuer aux objectifs et aux résultats d'une organisation ou de la société en général. Une participation complète, universelle. Et puis on a tout à gagner en même temps, en faisant ça pour améliorer nos résultats et de ne laisser aucun talent sur la table, s'assurer de d'utiliser, tous les talents, toutes les aptitudes, tout le potentiel de toutes les personnes qui ont des limitations d'activité.

Alexandra : Tony nous a aussi donné un exemple de défi particulier auquel les personnes ayant une incapacité font face, lorsque des mesures comme le confinement ou la distanciation sociale sont mises en place.

Tony : Quelques exemples. Par exemple, la personne qui a beaucoup de limitations d'activité qui se fient sur de l'aide à la maison dans sa vie quotidienne, ces personnes-là ont eu beaucoup de difficultés avec l'arrivée de la pandémie à obtenir les services, soit de bénévoles ou de proches aidants, ou même des services habituels publics qui sont offerts. Et puis, cest devenu un enjeu pour ces personnes-là, ça l'était peut-être avant, mais c'est exacerbé certainement par la pandémie. Et puis on voit dans nos statistiques justement que, il y a beaucoup de personnes qui se fient sur laide comme ça, cest particulièrement important den tenir compte dans les besoins des personnes handicapées dans lavenir.

Alexandra : Avant la pandémie, près de la moitié des Canadiens ayant une incapacité recevaient de laide pour effectuer leurs activités quotidiennes en raison de leur état de santé. Parmi ceux-ci, 36 % dépendaient uniquement daide extérieure à leur ménage.

Michelle : Plusieurs personnes reçoivent des services daide, gratuits ou non, fournis par des personnes qui vivent avec eux ou qui viennent de lextérieur, et cette aide est devenue plus limitée, moins accessible, ce qui complique les activités de la vie quotidienne. Mais cela mène aussi à un plus grand sentiment disolement, de sorte que tous ces facteurs saccumulent et sinfluencent les uns les autres.

Alexandra : Une chose qui nous a frappé en lisant votre recherche cétait à quel point les facteurs de stress saccumulent. Une incapacité peut limiter le revenu tout en entraînant également des dépenses supplémentaires, en plus du fait que dautres personnes dans votre foyer pourraient devoir prendre congé de leur travail pour vous aider. En plus, pendant la pandémie, la personne moyenne ayant une incapacité occupe probablement un emploi où il y a un plus grand risque dattraper la COVID-19 et, si elle lattrape, elle est plus à risque de développer des complications. On dirait que ça ne finit jamais.

Michelle : En effet, et je pense que ce constat vaut aussi pour linégalité en général. Nous savons que certains sen tirent mieux que dautres durant la pandémie. Au fil de la pandémie, nous avons pu constater que des disparités sont malheureusement apparues; les personnes qui, au début de la pandémie, avaient de bons emplois, de largent dans leurs comptes bancaires et un logement qui leur appartenait, sen sortaient bien. Certains par contre ont dû faire face à des difficultés. En ce qui concerne les finances, au haut de la distribution, les gens sen tirent bien. Par contre, au bas de la distribution, la situation est très différente et, comme vous lavez mentionné, si nous pensons en particulier aux personnes ayant une incapacité, un groupe qui avait déjà un taux demploi inférieur avant la pandémie, bon nombre de ces personnes, dépendaient de prestations du gouvernement, qui sont relativement convenables et ne suffisent donc pas nécessairement pour joindre les deux bouts chaque mois. Beaucoup dépendent peut-être aussi dune aide extérieure, mais celle-ci est plus souvent fournie par des proches aidants qui, trop souvent, ont dû eux-même renoncer à des emplois et à des salaires pour pouvoir fournir ces soins.

Cest un autre facteur qui a comme effet de souligner les inégalités. En tant que société, nous avons la capacité dintervenir de différentes manières pour dénoncer les inégalités, ou du moins pour les réduire un peu. Malheureusement, nous ne le faisons pas toujours; de ce point de vue, je considère que la Prestation canadienne durgence a apporté des avantages importants et a véritablement aidé les gens qui avaient un emploi avant la pandémie. Il y a beaucoup de données disponibles qui montrent que les personnes qui se situent au bas de la distribution du revenu et qui ont perdu un emploi nont pas été totalement laissées derrière, de sorte quelles ont pu sen sortir. Mais cette situation montre aussi quon ne peut pas continuer dassocier les avantages sociaux à lemploi, parce quon sait maintenant ce qui se passe en conséquence. Si on perd son emploi, on perd tout. Nous devons penser aux avantages de façon plus générale et assurer un soutien aux gens dun bout à lautre de la distribution du revenu, et je pense que lune des choses que cette pandémie a mises en lumière est lurgence de repenser nos politiques dans une perspective plus large, en tenant compte de la situation des différents groupes – les personnes handicapées, bien sûr, mais aussi dautres groupes qui sont en situation minoritaire ou qui ont un niveau de revenu très bas et un niveau de pauvreté élevé. Nous devons tenir compte de ces groupes dans notre processus délaboration de politiques. Nous voulons déterminer comment nous pouvons véritablement redistribuer lensemble des avantages au sein de la société. Comment pouvons-nous faire en sorte que ces avantages ne sont pas uniquement accessible à ceux qui sont au sommet? Cette tranche de gens qui représente 1 % de la population? Nous devons envisager toutes ces choses en adoptant des points de vue différents.

Michelle : Jessaie dêtre optimiste. Jessaie de me dire que la situation actuelle représente un point de rupture. Les crises peuvent également offrir des occasions de changer la manière dont nous faisons les choses. Nous pouvons changer notre façon de concevoir les politiques et doffrir un soutien aux gens dans notre société. Et peut-être que la pandémie aura joué un rôle de révélateur et fait en sorte que les gens prennent conscience des inégalités. Je vais donc essayer de demeurer optimiste pendant que nous demeurons aux prises avec cette nouvelle vague de la pandémie, mais il est difficile de prévoir comment les choses vont évoluer.

Tony : Les panneaux de plexiglas sont des barrières parmi dautres. Mais, il y a beaucoup de barrières qui arrivent dans notre société depuis un an. Et il y a beaucoup dopportunités, comme je vous disais tantôt, puis selon lhétérogénéité des conditions personnelles, puis des façons de fonctionner. C'est pas les mêmes choses qui peuvent être l'opportunité de l'un, puis le défi de l'autre.

Alexandra : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces défis? Que voulez-vous dire lorsque vous dites que le plexiglas est un défi pour vous.

Tony : Un moment donné, on est dans des situations ou par exemple dans mon cas, je pourrais me promener un peu partout à travers le monde. Je peux prendre des transports en commun, cest sûr que ma plus grosse limitation c'est que je peux pas conduire une voiture. Ça en a été une grosse, mais ça me laisse quand même pas mal de marge pour faire toutes sortes de choses, je peux vous en assurer. Et puis, dans ce contexte-là actuellement, je me limite d'utiliser le transport public parce que pour moi c'est plus de risque d'embarquer dans un autobus pour peut-être attraper le virusé. Avant je pouvais aller acheter un cadeau n'importe où dans un magasin, puis je navais pas peur de me heurter à un nouvel obstacle quest le panneau de plexiglas qui est devant chaque caissier ou devant d'autres choses. Je ne m'inquiétais pas dans quel sens rentrer dans un centre d'achat ou alors par quelle porte. Je rentrais par la porte, et je m'assurais de ne pas accrocher personne. Et puis, je suis dans une situation où je me limite moi-même pour protéger ma santé puis celle de mes proches. Puis, si vous prenez l'exemple de quand j'arrive à la caisse dans un endroit comme ça, et je vais encore faire des commissions de temps en temps, mais même là sil faut que je rentre mon code d'identification personnel, mon NIP, mon numéro d'identification personnel, ma carte de crédit ou ma carte de débit, je dois me coller proche du terminal, c'est quil y a encore plus de risques que j'attrape le virus. Si je suis dans une rangée dépicerie, puis je vais regarder une boîte pour lire pour massurer que jai le bon produit. Je le ferai plus autant qu'avant, ou je le ferai plus comme avant parce que je considère moi-même que c'est moins acceptable dans les conditions actuelles de faire ce genre de geste, que ce soit pour moi ou pour d'autres,cpar d'autres, et puis j'ai hâte que les conditions reviennent à la normale. Autant que j'espère qu'on va garder les bonnes choses, les opportunités, comme de faire des vidéo conférences ou de travailler de la maison ou de se faire livrer ce qu'on veut à la maison, ce qui est excessivement utile pour beaucoup de personnes avec des limitations d'activité. Et puis c'est ça devient bénéfique pour tous, ces choses-là. J'espère quon va garder bénéfice très longtemps, mais qu'on va faire tomber les barrières temporaires aussitôt que la santé publique nous le permettra.

Alexandra : LEnquête canadienne sur lincapacité de 2017 a rapporté que parmi les employés ayant une incapacité âgés de 25 à 64 ans, plus de 1 employé sur 3 avait besoin dune mesure dadaptation pour pouvoir travailler. Cela représente un peu plus de 772 000 Canadiens. Les mesures dadaptation les plus communes étaient des conditions de travail flexibles ( 27 %), comme le télétravail. Le changement le plus évident dans les conditions de travail est sûrement le brusque changement quont vécu de nombreux travailleurs en passant au travail à la maison.

Michelle, est-ce que vous pouvez partager certaines des réactions de vos répondants, positives ou négatives, concernant ces nouvelles mesures dadaptation, que ce soit de travailler de la maison ou toute autre nouvelle situation de travail.

Michelle : Le télétravail a certainement été le changement relié au travail qui a été le plus souvent soulevé par les répondants. Plus de la moitié des répondants qui occupaient un emploi ont fait la transition vers des accommodements de télétravail, que ce soit à temps plein ou à temps partiel, et ce changement représente un changement important pour les gens. Mais ce nest pas entièrement une mauvaise chose, après tout. Ça permet une certaine protection contre lexposition au virus, et ça permet aux gens de continuer à travailler et à gagner un revenu dans un contexte plus sécuritaire. Et ce qui est intéressant cest quil sagit en fait dune mesure dadaptation que réclamaient depuis longtemps les personnes ayant une incapacité et que beaucoup de milieux de travail hésitaient à adopter. Cette transition vers le télétravail a donc eu des effets positifs, notamment la flexibilité associée à ce genre darrangement. Par contre, noublions pas que cet arrangement entraîne aussi un plus grand sentiment disolement.

Alexandra : Les mesures dadaptation dun lieu de travail sont une demande commune daccessibilité et lont été depuis longtemps. Avec la pandémie, de nombreux lieux de travail se sont précipités pour rendre possible le télétravail pour tous leurs employés. En date de mai 2020, environ 14 % des entreprises ont déclaré que 100 % de leurs employées travaillaient à partir de la maison. Nous avons parlé avec Tony de toutes les possibilités et de tous les défis uniques générés par le télétravail.

Tony : Comme gestionnaire, je pense que bon, on a gagné beaucoup. On a plusieurs employés qui apprécient beaucoup la capacité de travailler à distance. Puis je pense que j'aurais une rébellion si je voulais tous les faire rentrer demain matin. J'ai des gens qui, tout d'un coup, ne dépensent plus 3 heures de leur temps, une heure et demie le matin, une heure et demie l'après-midi, pour aller et revenir du bureau. Ils sont souvent moins fatigués pour travailler, ils sont souvent plus aptes à être productifs. Puis, ce nest pas nécessairement ce qu'on veut de façon excessive, mais parfois, il y a une partie de ce travail, de ce temps-là qui est utilisé pour le travail, ce qui est peut-être plus satisfaisant pour eux que d'être pris dans le trafic, la circulation. Alors ça, c'est excessivement important pour nous tous. Et puis on va vouloir garder ça, cest sûr. C'est vrai que c'est quelque chose qui est particulièrement important pour une personne avec un enjeu de mobilité par exemple, qui ne veut pas se retrouver sur la glace un matin froid d'hiver avec du verglas, mais c'est vrai pour vous et moi aussi que c'est maintenant si on est à mieux travailler de la maison. On espère qu'on pourra continuer. Ceci dit, il y a des activités où Il nous manque le côté social du travail, puis selon moi peut-être que je suis vieux, mais je pense quil a des activités pour lesquelles on a hâte de retourner au travail par exemple : la planification stratégique, du rapprochement de séries de données ou certaines tâches comme ça, pour des conversations difficiles par exemple, où c'est...il y a un bénéfice actuellement certain, de pouvoir faire des vidéo conférences, pour partager plus facilement de l'information entre nous. On a appris à mettre en place des mécanismes pour faire ça de façon plus efficace, depuis l'année passée dans notre organisation puis en général dans le monde du travail, mais c'est quelque chose qui, un momment donné on va vouloir garder les bienfaits de la période que l'on vit et puis essayer de retrouver les choses importantes de la période qu'on a vécu avant.

Alexandra : Quand on y pense, même cette entrevue est une mesure dadaptation. Jétais chez moi pour cet enregistrement et il était chez lui, et pourtant, nous voici.

Tony : Je suis vraiment épaté qu'on puisse faire ce genre d'exercice là maintenant à distance, malgré quauparavant on aurait toujours voulu faire ça en personne. Ça illustre comment on était, comment on a changé en un an, comment au début de la pandémie on se sentait handicapé par notre nos outils, par notre façon de travailler, pour notre culture, par nos réactions même. Puis tout dun coup, un an plus tard, on est devenu une organisation beaucoup plus capable, beaucoup plus agile, plus capable de faire des choses qui fleurissent même malgré le contexte, ce qui va nous rendre beaucoup plus fort dans l'avenir, j'espère. Puis surtout quand on pourra revenir avec les bénéfices du passé et les bénéfices acquis depuis cette nouvelle ère de travail à distance.

Alexandra : Quand on parle daccessibilité ou de mesures dadaptation, on pense souvent que celles-ci sont surtout bénéfiques aux personnes ayant une incapacité. Mais pourriez-vous nous en dire davantage sur comment les mesures dadaptation dans un lieu de travail sont bénéfiques à lensemble des travailleurs? Je sais que ce nétait pas exactement votre domaine détudes, mais je pense que vous devez sûrement avoir quelque chose d'intéressant à nous dire à ce sujet?

Michelle : Donc des mesures comme laccessibilité, la flexibilité et les mesures dadaptation sont très importantes. Elles permettent aux personnes ayant des incapacités de travailler, davoir un emploi. Et cest parce que de telles mesures se concentrent sur comment surmonter les obstacles environnementaux et non sur comment lincapacité limite les activités et les possibilités. Lexistence dune incapacité peut entraîner certaines limitations physiques et sanitaires, mais ces limitations sont perçues ainsi uniquement parce que le monde dans lequel nous vivons est conçu en présumant les capacités des gens, où lorganisation du travail et de léducation présume certaines hypothèses concernant le fonctionnement et la mobilité des gens. Il est donc très important doffrir des mesures dadaptation et daccorder une plus grande flexibilité pour habiliter les personnes handicapées qui veulent travailler et avoir un emploi. Et nous pouvons penser à ça dun point de vue encore plus général. L'accessibilité, la flexibilité, les mesures dadaptation sont des choses importantes au-delà des incapacités. Ce sont des choses qui donnent davantage d'autonomie aux travailleurs en ce qui concerne quand ils travaillent et comment. Ce sont des choses qui tiennent compte du fait que le fait davoir une approche unique pour déterminer les heures et les situations de travail ne convient pas à tout le monde.

Nous pourrions être de meilleurs travailleurs. Nous pouvons être plus productifs si nos conditions de travail offrent ce genre de flexibilité en ce qui concerne lhoraire et le mode de travail. Cest donc à lavantage de lemployeur. Cest aussi bien sûr à lavantage des travailleurs. Ça peut réduire le stress, faciliter le travail en général, mais ça peut aussi améliorer la productivité. Les normes relatives au travail ont jusquà présent toujours refleter des attentes en ce qui concerne le lieu de travail et la façon de travailler. Ces normes ont toujours une forte influence sur les choses. Cest à ce niveau, je pense, quil y aura un grand changement entraîné par la pandémie, où plusieurs personnes ont eu à travailler à domicile pendant un an. Ça pourrait se traduire par une plus grande accessibilité et par plus de flexibilité pour les travailleurs, ce qui est à lavantage de tous. Mais cest particulièrement bon pour les personnes ayant une incapacité.

Alexandra : Se concentrer sur laccessibilité au lieu de lincapacité signifie également se concentrer sur ce que lindividu peut faire ou pourrait faire si les obstacles étaient éliminés. Ainsi, ça aide les gens à reconnaître lobstacle comme étant la source de lincapacité. Penser en matière daccessibilité, aide à élargir ce que cela signifie que de vivre avec une incapacité.

Michelle : Je pense quune partie du problème réside dans le fait que nous pensons souvent à lincapacité uniquement du point de vue des limitations. Selon ce point de vue, lincapacité est liée à une personne et cest pour ça que cette personne ne peut pas obtenir un emploi. Cependant, quand on réfléchit un peu plus, il existe en fait des obstacles de taille qui sont vraiment déterminants. Ainsi, dans le contexte de lemploi et du travail, cette manière de penser à la capacité ou lincapacité a été source de grande discrimination. Nous faisons de nombreuses suppositions qui sont carrément fausses au sujet des personnes ayant des incapacités.

Alexandra : Alors Tony, comment est-ce que le fait de parler de barrières plutôt que dincapacité aide les gens à mieux comprendre que laccessibilité est bénéfique pour tous.

Tony : Quand on parle de barrière, c'est quelque chose qu'on peut enlever, quand on parle d'incapacité, on a tendance à associer ça aux gens, aux personnes, et puis cest néfaste pour leur acceptation delle-même et de leur acceptation par les autres. Quand on parle de barrière, on peut sassurer d'identifier les moyens de l'enlever ou de la contourner. C'est beaucoup plus efficace et puis ça c'est plus axé sur l'environnement. Dans notre environnement actuel, on peut voir des barrières, mais on peut aussi voir des chemins vers des opportunités, vers des capacités des personnes. Si on prend mon propre exemple, j'ai une basse vision. J'ai une vision que je considère normale, qui me d'apprécier les beaux paysages, de me promener tout seul, de faire de la photo, de faire toutes sortes de choses que j'aime, jaime apprécier des œuvres artistiques, etc. regarder des films. Mais,tout le monde voit....la grande majorité des êtres humains voit beaucoup plus que moi. Si tout le monde voyait comme moi, les affiches, les étiquettes, les autres choses dans la société seraient écrites plus grosses, ou on aurait tous une accommodation, un accommodement c'est à dire, commun, collectif qui ferait que, il ny en aurait pas de barrières pour moi. Et puis, cest vrai pour l'ensemble des choses sur lesquelles on doit travailler pour rendre la société plus accessible, ou le milieu de travail plus inclusif, des choses comme ça. On a une capacité comme être humain à discuter de ces barrières-là, puis à les éliminer. Ça ne coûte pas souvent plus cher. Si par exemple, dans mon poste de travail, je reçois un document PDF, bien malheureusement, il est souvent pas accessible pour moi. Et puis, si par contre tout le monde voyait comme moi, oh, là, tout d'un coup le document, il serait nécessairement formaté pour tout le monde. C'est quun moment donné, il faut que la majorité prenne compte des besoins de la minorité, peut être et d'habitude, quand on rend quelque chose accessible pour une personne ou même quelques personnes, on le rend beaucoup plus accessible pour tous et ça ne coûte pas nécessairement plus cher.

Alexandra : La pandémie de la COVID-19 a exposé les nombreuses manières dont nous pouvons rendre le monde plus accessible, surtout en ce qui concerne le travail à distance et dautres mesures dadaptation. Mais à quoi ressemblera le monde après la pandémie.

Tony : Je pense que la situation actuelle fait que dans l'espace public, on parle de plus en plus non seulement des différences des gens, mais on parle beaucoup des besoins des gens. Puis il faut que les gens puissent exprimer leur besoin, quils se considèrent comme une personne handicapée ou non. Sils ont une limitation dactivité, quelle soit dû à la pandémie ou à autre chose. Je pense que c'est important qu'on regarde ça actuellement, puis dans l'avenir. Et puis ça va aider, parce qu'on parlait tout à l'heure l'acceptation de soi, mais aussi de lacceptation perçue quauront les autres de nous, dans la société. On a des choses qui se sont vraiment ouvertes dans la pandémie. Si vous prenez le fait que, par exemple, les gens peuvent travailler de la maison. Un moment donné, il va falloir garder le meilleur de la situation actuelle et puis se débarrasser des autres choses qui pourront disparaître lorsque la situation sera revenue à la normale. Puis, j'espère que ce qui va rester dans l'espace public cest une plus grande ouverture dans la société et puis dans l'économie pour assurer qu'on considère et quon se concentre sur les aptitudes des gens et leur capacité à contribuer à la société et à l'économie.

Alexandra : Vous étiez à lécouté de Hé-coutez bien. Un merci tout particulier à nos invités,Tony Labillois et Michelle Maroto.

La voix que vous avez entendue appartenait à une personne ayant une incapacité qui a accepté de partager des témoignages sur son expérience pendant la pandémie. Merci d'avoir partagé votre voix avec nous.

Vous pouvez vous abonner à cette émission là où vous obtenez vos balados. Vous pourrez également trouver la version anglophone de notre balado, appelé Eh Sayers. Merci de nous avoir écoutés et à la prochaine.

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