La mesure du faible revenu au Canada : Que nous apprennent les divers seuils et indices?

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par Xuelin Zhang

Résumé

Bien que le Canada n'ait jamais établi de seuil de pauvreté officiel, un certain nombre de seuils de faible revenu sont employés couramment pour appuyer les débats publics et les initiatives de programme. Ces seuils sont conçus en vue de définir les personnes à faible revenu sous divers angles. Conjugués à plusieurs indices agrégés, ils peuvent être utilisés pour brosser un tableau raisonnable du faible revenu au Canada. Toutefois, en pratique, les chercheurs s'appuient souvent sur un seul seuil et un seul indice. Observerions-nous les mêmes tendances en utilisant des seuils et indices multiples? Quelles seraient les meilleures méthodes quand divers indices se contredisent l'un l'autre?

Dans la présente étude, nous évaluons les trois seuils existants, à savoir le seuil de faible revenu (SFR), la mesure de faible revenu (MFR) et la mesure du panier de consommation (MPC), ainsi qu'une MFR fixe, en utilisant plusieurs indices sensibles à la distribution du revenu. Nous constatons que les divers seuils de faible revenu produisent des résultats qui concordent bien dans le long terme. Toutefois, dans le court terme, ils ont souvent des comportements différents. Nous faisons la même constatation en examinant divers indices sous un même seuil. Dans le long terme, le taux de prévalence du faible revenu, l'écart de faible revenu et l'indice de gravité du faible revenu évoluent tous dans le même sens. Par contre, dans le court terme, ils varient parfois en sens opposé, ou dans le même sens, mais avec une amplitude différente, ce qui donne à penser que l'utilisation d'un seul seuil ou indice pourrait mener à des conclusions erronées dans certaines circonstances.

En examinant divers seuils de faible revenu appliqués à plusieurs groupes de personnes défavorisées, nous constatons que la MFR fixe n'englobe pas autant de personnes que la MPC et qu'elle n'a pas la même capacité que la MPC de détecter les personnes provenant de familles ayant à leur tête de nouveaux immigrants, même si, dans leur ensemble, les groupes désavantagés contribuent plus à la prévalence du faible revenu sous la MFR fixe que sous la MPC. Ces résultats laissent entendre que l'élaboration des futurs seuils fondés sur la MFR devra tenir compte des variations régionales du coût de la vie et qu'il est nécessaire de changer périodiquement l'année de base de la MFR fixe.

Sommaire

Bien qu'aucun seuil de pauvreté officiel n'ait jamais été établi au Canada, plusieurs seuils de faible revenu dont les valeurs sont publiées régulièrement, à savoir le seuil de faible revenu (SFR) et la mesure de faible revenu (MFR) de Statistique Canada et la mesure du panier de consommation (MPC) de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, y sont utilisés pour appuyer les débats publics et l'élaboration des politiques. Ces seuils ont été conçus en vue d'identifier des personnes à faible revenu sous divers angles. Néanmoins, en pratique, les chercheurs ont tendance à ne s'appuyer que sur un seul seuil, ce qui soulève certaines questions fondamentales : que se passe-t-il si nous appliquons divers seuils à la même population? Observerons-nous une tendance différente du faible revenu? Qui se trouve en situation de faible revenu sous un seuil, mais non sous les autres? Qu'arrive-t-il aux groupes de personnes défavorisées si un seuil différent est employé?

Par ailleurs, même si des chercheurs de premier plan s'intéressant à la pauvreté ont proposé de nombreux indices agrégés au moyen desquels nous pouvons répondre à des questions telles que combien de personnes ont un faible revenu, quel est leur déficit de revenu et quelle est la répartition des déficits de revenu, en pratique, les débats sur la pauvreté sont souvent axés sur un seul indice, à savoir le taux de prévalence de la pauvreté (headcount), et ont tendance à s'appuyer sur des comparaisons des indices agrégés, au cours du temps ou entre individus, sans qu'il soit précisé si une variation de, disons, un demi-point du taux de faible revenu est statistiquement significative. Ces pratiques pourraient-elles induire en erreur?

Afin de répondre à ces questions en nous appuyant sur une gamme générale de seuils de faible revenu, nous avons inclus une MFR fixe ou « ancrée ». Il s'agit d'une modification de la MFR existante que nous appellerons dans la suite MFR variable « flottante ». Pour classer les personnes dans la catégorie de faible revenu, la MPC s'appuie sur le coût d'un panier prédéterminé de biens et de services, le SFR repose sur des habitudes de dépenses fixes, tandis que la MFR variable repose sur la médiane de la distribution contemporaine du revenu et la MFR fixe, sur la médiane de la distribution du revenu durant année prédéterminée. Conceptuellement, la MFR fixe et la MFR variable se complètent l'une l'autre, la MFR variable étant un seuil de faible revenu « relatif » et la MFR fixe, la version « réelle » de la MFR variable.

Nous avons commencé par évaluer la sensibilité de ces seuils de faible revenu en examinant un certain nombre d'indices sensibles à la distribution du revenu tirés de la famille d'indices de Foster-Greer-Thorbecke (FGT). Nous avons également comparé le mouvement de divers indices sous le même seuil de faible revenu et examiné comment divers seuils de revenu interagissaient. Nous nous sommes penchés tout spécialement sur la décomposition de la prévalence agrégée du faible revenu afin de déterminer les contributions de plusieurs groupes de personnes défavorisées qui sont souvent considérés comme des groupes à haut risque d'exclusion sociale.

Nous avons constaté que, dans le long terme, les fluctuations du faible revenu sous divers seuils étaient similaires et sensibles aux indicateurs du cycle économique, tels que le taux de chômage. En particulier, la MFR fixe suivait de près le SFR et la MPC, suggérant qu'elle peut être utilisée comme mesure crédible pour surveiller la tendance du faible revenu au Canada. Toutefois, dans le court terme, la MFR variable se comportait différemment. Par exemple, sous cette mesure, le taux de prévalence du faible revenu ne variait pas durant certaines périodes, tandis que, sous les autres seuils, il variait de manière significative. Cela ne signifie pas que la MFR variable induit en erreur. Au contraire, elle fournit des renseignements utiles qui ne sont pas disponibles lorsque l'on utilise d'autres seuils de faible revenu. En particulier, le taux de faible revenu constant observé sous la MFR variable durant certaines périodes au Canada laisse entendre que certaines personnes se situant dans la queue inférieure de la distribution du revenu ne bénéficiaient pas à part égale des avantages de la croissance économique.

Nous avons également examiné divers indices de faible revenu en utilisant un seuil de faible revenu à la fois. Nos résultats indiquent que, dans le long terme, les divers indices évoluaient dans le même sens et que, même dans le court terme, ils variaient dans le même sens la plupart du temps. Cependant, ils variaient parfois en sens opposé ou dans le même sens, mais avec une amplitude différente. Donc, s'il n'est pas néfaste de se concentrer sur un seul indice, tel que le taux de prévalence, pour appuyer le débat public, il est nécessaire d'examiner parallèlement divers indices en vue d'élaborer les politiques publiques et, comme divers indices peuvent être produits à peu de frais, la meilleure pratique consisterait à utiliser des indices multiples.

En examinant la capacité des divers indices à déceler les personnes ayant un faible revenu, nous avons constaté que les personnes classées dans la catégorie de faible revenu en fonction de la MPC avaient des chances de pas être classées dans cette catégorie selon les autres seuils de faible revenu; cependant, les personnes dont le revenu se situait au-dessus de la MPC avaient peu de chances d'être comptées parmi les personnes à faible revenu en fonction des autres seuils. En revanche, les personnes se situant au-dessus de la MFR fixe avaient des chances non négligeables d'être classées dans la catégorie de faible revenu par les autres seuils. Donc, il semble que la MPC décèle un plus grand nombre de personnes à faible revenu que la MFR fixe, ce qui donne à penser que l'année de base d'une MFR fixe doit être modifiée périodiquement afin que la mesure demeure pertinente.

Les résultats de notre décomposition semblent indiquer que, dans l'ensemble, la contribution des groupes de personnes défavorisées à la prévalence du faible revenu était plus importante sous la MFR fixe que sous la MPC, et que la MFR fixe a une meilleure capacité que les autres seuils de détecter les personnes exposées à des risques multiples d'exclusion sociale. Cependant, les MFR fixe et variable étaient toutes deux relativement faibles en ce qui concerne la détection des personnes provenant de familles ayant à leur tête des nouveaux immigrants, plus que probablement parce que les nouveaux immigrants choisissent en très grande majorité d'élire domicile dans les grandes villes où le coût de la vie est élevé, si bien que, dans l'avenir, l'élaboration des seuils de revenu pour la MFR devraient tenir compte des différences régionales de coût de la vie.

Enfin, bien qu'il soit nécessaire de comparer les statistiques sur le faible revenu obtenues en se servant de divers seuils et divers indices afin de dresser un tableau plus complet du bien-être économique de la population canadienne, les exercices décrits dans la présente étude donnent à penser que la simple comparaison des indices de faible revenu au cours du temps ou entre régions, sans procéder à des tests statistiques rigoureux, pourrait ne pas être la meilleure pratique pour étudier le faible revenu.
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