Famille, communauté et langues autochtones chez les jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve au Canada

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

par Evelyne Bougie

Introduction
Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude
Les langues autochtones au Canada : aperçu du recensement
Le cinquième des enfants des Premières nations vivant hors réserve est capable de comprendre une langue autochtone
Dans quelle mesure les familles et les communautés des enfants des Premières nations vivant hors réserve leur donnent-elles l'occasion d'entendre, d'apprendre et de parler une langue autochtone?
Quelles sont les caractéristiques des familles et des communautés qui sont liées à la connaissance d'une langue autochtone?
Le milieu linguistique à la maison joue un rôle important quant aux chances de comprendre une langue autochtone
Les croyances et la participation des parents
Le fait d'avoir des membres de la famille élargie qui parlent une langue autochtone et qui aident les enfants à comprendre leur culture est important
La fréquentation d'un service de garde où l'on parle une langue autochtone joue un rôle significatif
La communauté fait aussi une différence
Il y a un lien entre la participation aux activités traditionnelles et la connaissance d'une langue autochtone
Les enfants ayant le statut d'Indien inscrit sont plus susceptibles de connaître une langue autochtone
Résumé

Introduction

Les langues autochtones sont au cœur de l'identité de nombreux peuples des Premières nations1. Le Recensement de 2006 a permis de dénombrer plus de 60 langues autochtones différentes parlées par les membres des Premières nations au Canada et regroupées en familles linguistiques distinctes (les langues algonquiennes, les langues athapascanes, les langues sioux, le salish, le tsimshian, le wakash, les langues iroquoises, le haïda, le kutenai et le tlingit). Certaines langues algonquiennes, comme le cri et l'ojibway, sont jugées plus viables à long terme puisque relativement plus de membres des Premières nations les parlent. Toutefois, au cours des deux dernières décennies2, même ces langues plus viables ont connu un recul du nombre de locuteurs qui les parlent principalement à la maison.

Selon la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996, la transmission des langues autochtones d'une génération à l'autre a été compromise à l'époque des pensionnats indiens au Canada, où l'utilisation des langues autochtones y était interdite. La Commission royale indique de plus que la revitalisation des langues autochtones au Canada est un aspect clé des efforts visant à bâtir des communautés saines où vivent des personnes en santé3.

Étant donné l'état des langues autochtones au Canada, il est important et pertinent pour ceux qui travaillent à la conservation, à la revitalisation et à la promotion des langues autochtones d'obtenir de l'information sur la connaissance des langues autochtones et sur les facteurs liés à l'acquisition et à la conservation des langues chez les enfants des Premières nations d'aujourd'hui.

On a suggéré que pour bon nombre d'enfants des Premières nations, les conditions « idéales » pour acquérir une langue autochtone — par exemple, avoir deux parents de langue maternelle autochtone et résider dans une collectivité des Premières nations — ne sont pas toujours possibles4. Dans ce contexte, il est important d'explorer les caractéristiques liées à la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants des Premières nations qui résident hors réserve. Le présent article puise dans les données de l'Enquête sur les enfants autochtones pour examiner la mesure dans laquelle le milieu familial, la famille et la communauté peuvent contribuer à la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants des Premières nations âgés de 2 à 5 ans et vivant hors réserve au Canada (pour de plus amples renseignements sur les données et les concepts, voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude »).

Cet article approfondira deux questions de recherche : 1) Dans quelle mesure les familles et les communautés des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve offrent-elles la possibilité d'entendre, d'apprendre et d'utiliser les langues autochtones? 2) Quelles sont les caractéristiques des familles et des communautés associées à la connaissance des langues autochtones5 chez les enfants de 2 à 5 ans des Premières nations vivant hors réserve?

Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude

L'article est fondé sur des données provenant de l'Enquête sur les enfants autochtones (EEA) de 2006. L'EEA a été élaborée par Statistique Canada et des conseillers autochtones de partout au pays, et elle a été menée conjointement avec Ressources humaines et Développement social Canada. L'EEA produit un ensemble complet de données sur les enfants autochtones (Métis, Inuits et membres des Premières nations vivant hors réserve) âgés de moins de six ans au Canada. Les établissements indiens et les réserves des dix provinces ont été exclus de la population cible de l'enquête. Tous les enfants des Premières nations vivant au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest font partie de l'enquête.

L'EEA a été menée entre octobre 2006 et mars 2007. Dans le cadre de l'EEA, le parent ou le tuteur de l'enfant répondait aux questions. Pour la plupart des enfants des Premières nations (89 %), cette personne était la mère ou le père biologique de l'enfant. Des parents ou tuteurs d'approximativement 10 500 enfants autochtones âgés de moins de six ans, y compris plus de 5 100 enfants des Premières nations vivant hors réserve, ont communiqué des renseignements grâce à un ensemble d'interviews téléphoniques et en personne. Le taux de réponse global de l'enquête a atteint 81,1 %. Pour obtenir des renseignements plus détaillés sur l'Enquête sur les enfants autochtones, veuillez consulter l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006 : Guide des concepts et méthodes (produit no 89-634 au catalogue de Statistique Canada).

Dans le présent article, les données de l'EEA incluent les enfants qui ont été désignés par leurs parents comme Indiens de l'Amérique du Nord en réponse à la question suivante : « Est-ce que … est une personne autochtone, c'est-à-dire un(e) Indien(ne) de l'Amérique du Nord, un(e) Métis(se) ou un(e) Inuit? » Les données incluent seulement les enfants dont l'identité d'Indien de l'Amérique du Nord a été établie et ceux désignés comme Indiens de l'Amérique du Nord et comme membres d'autres groupes autochtones, soit les Métis ou les Inuits. Dans certains cas, les données du Recensement de 2006 sont utilisées. Dans cet article, les données du Recensement incluent les enfants qui ont été désignés comme Indiens de l'Amérique du Nord comme réponse unique (c.-à-d. que l'identité Métis ou Inuit n'avait pas été cochée). Dans le Recensement de 2006 et dans l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006, les enfants étaient désignés par l'expression « Indiens de l'Amérique du Nord »; toutefois, l'expression « enfants des Premières nations » est utilisée dans le présent article.

Analyse statistique et création d'un modèle

Les corrélats de la connaissance d'une langue autochtone ont été examinés à l'aide d'une analyse de régression logistique. Le modèle final complet comprend un nombre de covariables catégorisées selon les facteurs suivants : caractéristiques sociodémographiques, milieu familial et famille élargie, services de garde, et communauté. L'échantillon initial était composé de 3 640 enfants des Premières nations vivant hors réserve âgés de 2 à 5 ans. L'analyse a porté sur 2 780 enfants (ou 76 % de l'échantillon initial) qui n'avaient aucune valeur manquante pour les covariables incluses dans le modèle.

Les covariables ont été retenues et incluses dans le modèle préliminaire complet, quand il était établi qu'elles étaient liées à la connaissance d'une langue autochtone selon p < 0,25 dans les modèles préliminaires à variable unique. Le modèle complet a été simplifié par la suppression des covariables qui ne contribuaient pas à la connaissance d'une langue autochtone selon p < 0,05, quand toutes les covariables sont incluses. Certaines covariables qui n'y contribuaient pas de façon significative ont été néanmoins conservées parce qu'elles constituaient un rajustement nécessaire de l'effet des covariables qui demeuraient dans le modèle, ou en raison de leur importance théorique1. Les covariables qui ont été considérées au début et ensuite supprimées du modèle parce que leur présence ou leur absence ne modifiait pas les résultats du modèle final complet sont les suivantes : le sexe et l'âge de l'enfant; le sexe du parent; la fréquentation d'un pensionnat indien par les parents; le statut professionnel des parents; et l'identité autochtone des parents.

L'analyse statistique du présent article mesure les chances de comprendre une langue autochtone (selon la déclaration d'un parent ou d'un tuteur), en isolant l'incidence d'une caractéristique d'intérêt à la fois. Les rapports de cotes ont été estimés au moyen d'une régression pondérée à l'aide des pondérations d'enquête de l'EEA, et en effectuant l'estimation de la variance au moyen de la méthode bootstrap.

Il est important de comprendre que le sens du lien entre la capacité des enfants de comprendre une langue autochtone et les facteurs à l'examen est difficile à déterminer. Par conséquent, la meilleure façon d'interpréter les résultats de l'enquête est de souligner les corrélations entre les variables. Il convient aussi de souligner que l'enquête examine la capacité des enfants de comprendre une langue autochtone comme le perçoivent et le déclarent leurs parents ou tuteurs. On ne dispose pas de mesures plus objectives des capacités linguistiques dans l'EEA.


Note

  1. HOSMER, David.W. et Stanley LEMESHOW. 2000. Applied Logistic Regression (2nd Edition), Toronto: John Wiley & Sons, Inc., p. 92 à 104.

 

Les langues autochtones au Canada : aperçu du recensement

Les enfants des Premières nations constituent une proportion croissante de l'ensemble des enfants du Canada, particulièrement au Manitoba, en Saskatchewan, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. En 2006, le recensement a dénombré environ 57 110 enfants des Premières nations âgés de 2 à 5 ans au Canada, dont 82 % étaient des Indiens inscrits ou des Indiens des traités1.

Selon le Recensement de 2006, 18 % des jeunes enfants des Premières nations du Canada ont une langue autochtone comme langue maternelle (ou première langue apprise), un recul par rapport à 21 % en 1996. Les générations plus âgées des membres des Premières nations sont généralement plus susceptibles d'avoir une langue autochtone comme langue maternelle que les plus jeunes générations (graphique 1). Il convient de remarquer que, en 2006, 48 % des membres des Premières nations âgés de 65 ans et plus et 36 % des membres des Premières nations âgés de 45 à 64 ans avaient une langue maternelle autochtone. On peut observer une exception à cette tendance chez les membres des Premières nations vivant hors réserve qui ne sont pas des Indiens inscrits, pour qui les proportions qui ont déclaré avoir une langue maternelle autochtone sont relativement faibles dans tous les groupes d'âge.

Graphique 1 Les générations plus âgées des membres des Premières nations étaient généralement plus susceptibles que les générations plus jeunes d'avoir une langue maternelle autochtone en 2006Graphique 1  Les générations plus âgées des membres des Premières nations étaient généralement plus susceptibles que les générations plus jeunes d'avoir une langue maternelle autochtone en 2006

La part décroissante des enfants des Premières nations dont on a déclaré qu'ils avaient une langue maternelle autochtone de 1996 à 2006 et les plus fortes proportions de répondants qui ont déclaré avoir une langue maternelle autochtone parmi les générations plus âgées des Premières nations laissent supposer une certaine érosion dans la transmission intergénérationnelle des langues autochtones au Canada.

Les données du Recensement de 2006 montrent aussi que le fait d'avoir une langue maternelle autochtone est plus fréquent chez les Indiens inscrits qui vivent dans les réserves (graphique 1). À titre d'exemple, 36 % des enfants des Premières nations qui sont des Indiens inscrits et qui vivaient dans une réserve au moment du Recensement de 2006 avaient une langue autochtone comme langue maternelle2. Hors réserve, ces chiffres étaient plus faibles, atteignant 6 % pour les enfants des Premières nations qui étaient des Indiens inscrits et 1 % pour ceux qui n'en étaient pas.


Notes

  1. Les Indiens inscrits ou « Indiens des traités » sont des personnes ayant le droit d'avoir leur nom inscrit au Registre des indiens, une liste officielle maintenue par le gouvernement fédéral. Certains critères permettent de déterminer qui peut être inscrit comme Indien des traités. Seuls les Indiens inscrits sont reconnus comme Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens, laquelle stipule qu'un Indien inscrit est une personne inscrite comme Indien ou a le droit de l'être. En général, les Indiens des traités sont les personnes inscrites sous la Loi sur les Indiens ou celles pouvant prouver leur ascendance à une bande ayant signé un traité. Pour plus de renseignements, consulter le site Internet de Affaires indiennes et du Nord Canada
  2. Vingt-deux réserves indiennes et établissements indiens ont été partiellement dénombrés dans le Recensement de 2006. Les données relatives aux réserves indiennes et aux établissements indiens partiellement dénombrés ne sont pas disponibles et ne font pas partie des tableaux.

Le cinquième des enfants des Premières nations vivant hors réserve est capable de comprendre une langue autochtone

Selon l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006, le cinquième des enfants6 (20 %) des Premières nations vivant hors réserve est capable de comprendre une langue autochtone (peu importe s'il s'agit d'une langue maternelle ou d'une langue seconde). Le cri et l'ojibway sont les langues comprises par le plus grand nombre d'enfants des Premières nations vivant hors réserve.

Les données montrent aussi que la vaste majorité (98 %) des enfants des Premières nations vivant hors réserve qui comprennent une langue autochtone peuvent aussi comprendre une langue non autochtone (c.-à-d. l'anglais ou le français). Ces données indiquent que la plupart de ces enfants semblent apprendre une langue autochtone en même temps que l'anglais ou le français, et que certains apprennent peut-être leur langue autochtone à titre de langue seconde7. Cette observation semble être appuyée par le fait que l'anglais ou le français sont les principales langues parlées à la maison pour la majorité (90 %) des enfants des Premières nations vivant hors réserve. Dans environ 10 % des cas, on s'adresse aux enfants principalement dans une langue autochtone à la maison : pour 8 % d'entre eux, on combine cette langue à l'anglais ou au français, et pour 1 % d'entre eux, on parle exclusivement dans une langue autochtone.

On a suggéré que la transmission intergénérationnelle des langues autochtones peut être difficile quand la langue n'est pas parlée à la maison8. Toutefois, la maison n'est pas le seul endroit où les enfants peuvent être exposés à une langue. La recherche laisse entendre que divers milieux sociaux peuvent permettre l'acquisition d'une langue9. Il a été démontré que les parents, la famille et la communauté peuvent tous jouer un rôle important dans la transmission d'une langue autochtone aux enfants10. Les services de garde et les écoles, ainsi que d'autres milieux où les enfants sont en relation avec des personnes qui s'occupent d'eux, constituent aussi des occasions de communication qui peuvent influer sur l'acquisition d'une langue11.

Il a été établi que les années préscolaires sont un moment où émergent les compétences langagières12. L'Enquête sur les enfants autochtones de 2006 fournit des renseignements sur l'exposition des jeunes enfants aux langues autochtones dans divers contextes, ainsi que de l'information sur la participation des parents, des membres de la famille élargie et d'autres fournisseurs de soins dans la vie des enfants. Collectivement, ces données permettent de brosser un tableau plus complet de la mesure dans laquelle les familles et les communautés des enfants des Premières nations vivant hors réserve peuvent leur donner l'occasion d'entendre, d'apprendre et de parler une langue autochtone.

Dans quelle mesure les familles et les communautés des enfants des Premières nations vivant hors réserve leur donnent-elles l'occasion d'entendre, d'apprendre et de parler une langue autochtone?

Le milieu familial a une incidence naturelle sur la transmission d'une langue autochtone du parent à l'enfant13. Selon l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006, 17 % des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve ont (au moins) un parent de langue maternelle autochtone (tableau 1). De plus, un enfant sur cinq (20 %) est exposé quotidiennement à une langue autochtone à la maison, et presque un tiers (31 %) des enfants ont des parents qui les aident à comprendre la culture et l'histoire des Premières nations. Pour ce qui est des attitudes parentales concernant les langues autochtones, la majorité (68 %) des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve ont des parents qui sont d'avis qu'il est « très important » ou « assez important » que leur enfant parle et comprenne une langue autochtone.

Tableau 1 Caractéristiques des enfants des Premières nations de 2 à 5 ans vivant hors réserve, Canada, 2006Tableau 1  Caractéristiques des enfants des Premières nations de 2 à 5 ans vivant hors réserve, Canada, 2006

Les enfants peuvent aussi être en contact avec une langue autochtone par l'intermédiaire de la famille élargie (voir l'encadré « Les langues autochtones au Canada : aperçu du recensement »). À titre d'exemple, en 2006, les grands-parents participaient à l'éducation de 44 % des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve tandis que d'autres personnes apparentées contribuaient à éduquer 28 % d'entre eux. Une proportion considérable d'enfants passaient aussi un certain temps à « parler et à jouer » chaque jour avec leurs grands-parents (27 %) et avec leurs tantes et leurs oncles (17 %). En outre, un quart (25 %) des enfants bénéficiaient de l'aide de leurs grands-parents, et un dixième (10 %), de l'aide d'une tante ou d'un oncle, pour comprendre la culture et l'histoire des Premières nations.

Les enfants des Premières nations vivant hors réserve peuvent aussi être exposés à une langue autochtone dans le contexte des services de garde. Environ 8 % des enfants des Premières nations vivant hors réserve bénéficient de l'aide d'un éducateur ou d'un responsable d'un service de garde pour comprendre la culture et l'histoire des Premières nations. Environ 8 % des enfants fréquentent un service de garde14 où l'on parle une langue autochtone.

La communauté où vivent les enfants est un autre milieu qui peut contribuer à la transmission des langues autochtones aux enfants. Selon l'Enquête sur les enfants autochtones, 9 % des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve sont exposés quotidiennement à une langue autochtone chez d'autres personnes (« autres » pourrait inclure des membres de la famille qui ne vivent pas avec l'enfant, des voisins, des amis de la famille, etc.). En outre, 8 % des enfants sont exposés quotidiennement aux langues autochtones dans leur communauté et 5 %, par l'intermédiaire d'un média (comme la télé, les DVD, la radio ou les livres). Environ 43 % des enfants des Premières nations vivant hors réserve ont des parents qui ont évalué leur communauté comme étant un « excellent », « très bon » ou « bon » milieu en ce qui a trait aux activités culturelles des Premières nations.

La participation aux activités traditionnelles peut constituer une occasion unique d'exposition aux langues autochtones. Environ 21 % des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve participent ou assistent à des activités traditionnelles des Premières nations (telles que chants, danses du tambour, violon folklorique, rassemblements et cérémonies) au moins une fois par mois. De plus, environ 12 % d'entre eux prennent part à des activités de chasse, de pêche, de piégeage ou de camping et 9 % participent à une activité saisonnière (comme la cueillette de petits fruits ou de plantes sauvages), au moins une fois par mois.

Collectivement, ces données laissent entendre qu'il y a quelques occasions dans les familles et les communautés des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve pour apprendre une langue autochtone, soit dans des réseaux sociaux divers ou à l'occasion d'activités diverses. Dans la prochaine section, nous examinons le lien entre les caractéristiques des familles et des communautés, et la connaissance des enfants d'une langue autochtone.

Quelles sont les caractéristiques des familles et des communautés qui sont liées à la connaissance d'une langue autochtone?

Un modèle de régression logistique a été élaboré pour explorer l'effet de diverses caractéristiques individuelles, socioéconomiques, familiales et communautaires des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve sur leur connaissance d'une langue autochtone. L'analyse a permis d'estimer les chances qu'un enfant ayant une certaine caractéristique soit capable de comprendre une langue autochtone, tout en isolant l'effet des autres caractéristiques. Il convient d'interpréter les résultats de cette analyse en soulignant les corrélations entre les variables, plutôt que le lien de causalité (voir « Ce qu'il faut savoir au sujet de la présente étude » pour de plus amples renseignements sur le modèle de régression logistique).

L'analyse de l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006 a révélé qu'un certain nombre de caractéristiques du milieu familial, de la famille élargie, des services de garde, et de la communauté sont liées à la capacité des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve de comprendre une langue autochtone (tableau 2).

Tableau 2 Modèle de régression logistique des facteurs associés aux chances de comprendre une langue autochtone pour les enfants des Premières nations de 2 à 5 ans vivant hors réserve, Canada, 2006Tableau 2  Modèle de régression logistique des facteurs associés aux chances de comprendre une langue autochtone pour les enfants des Premières nations de 2 à 5 ans vivant hors réserve, Canada, 2006

Le milieu linguistique à la maison joue un rôle important quant aux chances de comprendre une langue autochtone

Nous avons constaté que toutes les caractéristiques du milieu linguistique à la maison sont associées à la connaissance qu'ont les enfants d'une langue autochtone, en tenant compte de toutes les autres caractéristiques. Plus particulièrement, l'exposition quotidienne à une langue autochtone à la maison est fortement liée à la connaissance d'une langue autochtone. Les chances de comprendre une langue autochtone chez les jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve qui sont exposés quotidiennement à une langue autochtone à la maison sont 6,6 fois supérieures à celles des enfants qui ne le sont pas.

La langue maternelle des parents est aussi associée à la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants. Les chances de comprendre une langue autochtone chez les enfants des Premières nations vivant hors réserve dont un parent a une langue maternelle autochtone sont deux fois supérieures à celles des enfants dont le parent a une langue non autochtone comme langue maternelle (p. ex., l'anglais ou le français).

Les croyances et la participation des parents

Les croyances des parents au sujet de l'importance des langues autochtones semblent aussi être liées à la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants. Quand on tient compte de toutes les autres caractéristiques, les chances de comprendre une langue autochtone chez les enfants des Premières nations vivant hors réserve dont le parent croit qu'il est « très » ou « assez » important que son enfant parle et comprenne une langue autochtone correspondent à environ deux fois celles des enfants dont le parent croit que ce n'est « pas très » ou « pas du tout » important.

Les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui bénéficient de l'aide de leurs parents pour comprendre la culture et l'histoire des Premières nations ont aussi de plus fortes chances de comprendre une langue autochtone que les enfants qui ne bénéficient pas de cette aide de leurs parents (tableau 2).

Le fait d'avoir des membres de la famille élargie qui parlent une langue autochtone et qui aident les enfants à comprendre leur culture est important

La famille élargie peut aussi jouer un rôle dans la transmission d'une langue autochtone aux enfants. Compte tenu de toutes les autres caractéristiques, les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui ont une tante ou un oncle qui les aide à comprendre la culture et l'histoire des Premières nations ont de plus forte chances de comprendre une langue autochtone comparativement aux enfants qui ne reçoivent pas ce genre d'aide (tableau 2).

En outre, les enfants des Premières nations dont les grands-parents participent à leur éducation ont de plus fortes chances de comprendre une langue autochtone que les enfants dont les grands-parents ne participent pas à leur éducation — probablement parce que les grands-parents sont plus susceptibles de parler une langue autochtone. Les données du Recensement de 2006 démontrent que la connaissance d'une langue autochtone est plus fréquente au sein des générations plus âgées des populations des Premières nations.

La fréquentation d'un service de garde où l'on parle une langue autochtone joue un rôle significatif

Les éducateurs et les responsables des services de garde peuvent aussi contribuer à la transmission des langues autochtones aux enfants. Compte tenu de toutes les autres caractéristiques, les chances de comprendre une langue autochtone chez les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui fréquentent un service de garde où l'on parle une langue autochtone sont 3,7 fois supérieures à celles des enfants qui fréquentent un service de garde mais ne sont pas exposés à une langue autochtone dans ce contexte. Les enfants qui ne fréquentent pas régulièrement un service de garde ont de plus fortes chances de comprendre une langue autochtone que les enfants qui fréquentent un service de garde mais qui ne sont pas exposés à une langue autochtone (tableau 2).

En outre, chez les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui bénéficient de l'aide d'un éducateur ou d'un responsable d'un service de garde pour comprendre la culture et l'histoire des Premières nations, les chances de comprendre une langue autochtone sont deux fois plus élevées que celles des enfants qui ne bénéficient pas de ce genre d'aide.

La communauté fait aussi une différence

Les réseaux sociaux dans la communauté semblent être liés à la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants. Compte tenu de toutes les autres caractéristiques, les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui sont exposés à une langue autochtone quotidiennement chez quelqu'un d'autre ont plus de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants qui ne le sont pas (tableau 2).

De plus, les enfants des Premières nations vivant hors réserve dont les parents sont d'avis que leur communauté est un « bon », « très bon » ou « excellent » endroit pour ce qui est des activités culturelles des Premières nations ont aussi plus de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants dont les parents sont moins satisfaits quant à la disponibilité des activités culturelles dans leur communauté (tableau 2).

Il y a un lien entre la participation aux activités traditionnelles et la connaissance d'une langue autochtone

Nous avons constaté qu'il y a un lien entre la connaissance d'une langue autochtone et la participation aux activités traditionnelles. Compte tenu de toutes les autres caractéristiques, les jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve qui participent aux activités de chasse, de pêche, de piégeage ou de camping au moins une fois par mois ont plus de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants qui participent à ces activités moins fréquemment (tableau 2). La langue et la culture sont étroitement reliées et il est difficile de déterminer le sens du lien entre les deux. La connaissance d'une langue autochtone et la participation aux activités traditionnelles pourraient être liées parce que les langues autochtones sont plus susceptibles d'être parlées dans le contexte des activités autochtones traditionnelles comme la chasse, la pêche, le piégeage ou le camping. En revanche, il est possible que les personnes qui parlent une langue autochtone soient plus susceptibles de pratiquer fréquemment ces activités. Peu importe ce qui vient en premier, ces constatations laissent entendre que les activités comme la chasse, la pêche, le piégeage ou le camping peuvent constituer des occasions uniques pour les jeunes enfants des Premières nations d'entendre, d'apprendre et de parler leur langue ancestrale.

Les enfants ayant le statut d'Indien inscrit sont plus susceptibles de connaître une langue autochtone

Certaines caractéristiques sociodémographiques ont été associées à la connaissance d'une langue autochtone. Compte tenu de toutes les autres caractéristiques, les jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve qui ont le statut d'Indien inscrit ont deux fois plus de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants qui n'ont pas le statut d'Indien inscrit.

Nous avons aussi constaté que les parents plus jeunes étaient plus susceptibles de déclarer que leur enfant pouvait comprendre une langue autochtone. Les enfants des Premières nations vivant hors réserve dont les parents avaient 24 ans ou moins, ou entre 25 et 34 ans, avaient plus de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants dont les parents étaient relativement plus âgés (c.-à-d. 45 ans et plus) (tableau 2). Une analyse plus poussée s'imposerait pour mieux comprendre ce lien.

Les caractéristiques sociodémographiques suivantes ont été incluses dans le modèle mais n'ont pas d'effet significatif sur la connaissance d'une langue autochtone chez les enfants : la structure de la famille (c.-à-d. vivre avec l'un des deux parents ou les deux); le niveau de scolarité des parents; le revenu du ménage et la taille du ménage. La région de résidence a aussi été incluse dans le modèle : les enfants vivant au Manitoba et en Colombie-Britannique avaient moins de chances de comprendre une langue autochtone que les enfants vivant dans les territoires.

Résumé

Le présent article puise dans les données de l'Enquête sur les enfants autochtones de 2006. Il cherche à déterminer quelles caractéristiques de la vie des jeunes enfants des Premières nations âgés de 2 à 5 ans et vivant hors réserve sont liées à la connaissance d'une langue autochtone. Mieux connaître ces caractéristiques est important pour la survie de ces langues.

Les données de l'Enquête sur les enfants autochtones montrent qu'il peut y avoir des occasions d'acquisition d'une langue autochtone dans divers milieux sociaux et dans diverses activités de la vie des jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve. Toutefois, le milieu familial semble jouer un rôle particulièrement important : l'exposition quotidienne à une langue autochtone à la maison est le facteur prédicteur le plus important de la capacité des enfants des Premières nations vivant hors réserve de comprendre une langue autochtone, lorsque toutes les autres caractéristiques sont maintenues constantes. Le fait de fréquenter un service de garde où l'on parle une langue autochtone, le fait d'avoir des parents qui croient en l'importance de parler et de comprendre une langue autochtone, et le fait d'avoir au moins un parent de langue maternelle autochtone, sont aussi des prédicteurs vigoureux de la connaissance d'une langue autochtone chez les jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve.

Étant donné que ce ne sont pas tous les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui ont l'occasion d'être exposés à une langue autochtone à la maison, le fait que la famille élargie (c.-à-d. les grands-parents, les tantes et les oncles) joue aussi un rôle dans la transmission d'une langue autochtone aux jeunes enfants est une constatation importante. En outre, à l'échelle de la communauté, les réseaux sociaux et les responsables de services de garde semblent contribuer à la transmission des langues autochtones aux jeunes enfants des Premières nations vivant hors réserve, même après avoir tenu compte des caractéristiques familiales et sociodémographiques. Enfin, le fait de vivre au sein d'une communauté perçue par les parents comme un bon endroit où pratiquer des activités culturelles des Premières nations et participer fréquemment à des activités de chasse, de pêche, de piégeage ou de camping, est aussi lié à la capacité des enfants des Premières nations vivant hors réserve de comprendre une langue autochtone.

Bien que l'étude ait examiné l'effet unique de diverses caractéristiques sur la connaissance de la langue, il est important de souligner que la connaissance d'une langue subit l'effet des expériences des enfants durant de nombreuses années — particulièrement si les enfants apprennent une langue comme langue seconde. Toutefois, l'Enquête sur les enfants autochtones saisit seulement les expériences déclarées à un moment précis. En outre, il a été établi que les enfants des Premières nations vivant hors réserve qui sont exposés à une langue autochtone, à la fois à la maison et à l'extérieur de la maison, sont beaucoup plus susceptibles de comprendre une langue autochtone que les enfants qui sont exposés exclusivement à la maison ou exclusivement à l'extérieur de la maison15.

Evelyne Bougie est chercheure à la Division de la statistique sociale et autochtone.


Notes

  1. PATRIMOINE CANADIEN. 2005. Le début d'un temps nouveau : premier rapport en vue d'une stratégie de revitalisation des langues et des cultures des Premières nations, des Inuits et des Métis. Rapport présenté à la ministre du Patrimoine canadien par le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones. Ottawa, no CH4-96/2005 au catalogue.
  2. NORRIS, Mary Jane. 2004. « From generation to generation: Survival and maintenance of Canada's Aboriginal languages within families, communities and cities. » TESL Canada Journal, vol. 21, no 2, p. 1 à 16.
    NORRIS, Mary Jane. 2007. « Langues autochtones au Canada : nouvelles tendances et perspectives sur l'acquisition d'une langue seconde ». Tendances sociales canadiennes, no 83, produit no 11-008 au catalogue de Statistique Canada.
  3. COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES. 1996. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones : Vers un ressourcement, vol. 3, Ottawa, Gouvernement du Canada.
  4. NORRIS. 2004 et 2007.
  5. Dans le présent article, la connaissance d'une langue autochtone fait référence à la capacité des enfants de comprendre une langue autochtone, tel que déclaré par les parents lors de l'Enquête sur les enfants autochtones en réponse à la question : « Quelle(s) langue(s) ___ peut-il/elle comprendre lorsque quelqu'un lui parle dans cette langue ou dans ces langues? »  
  6. Partout dans le présent article, le terme « enfants » fait référence aux enfants de 2 à 5 ans.
  7. Les données relatives à la langue maternelle des enfants ne font pas partie de l'Enquête sur les enfants autochtones.
  8. PATRIMOINE CANADIEN. 2005.
  9. HOFF, Erika. 2006. « How social contexts support and shape language development ». Developmental Review, vol. 26, no 1, p. 55 à 88.
  10. NORRIS. 2004.
  11. HOFF. 2006.
  12. WEIGEL, Daniel J., Jennifer L. LOWMAN et Sally S. MARTIN. 2007. « Language development in the years before school: A comparison of developmental assets in home and child care settings ». Early Child Development and Care, vol. 177, nos 6 et 7, p. 719 à 734.  
  13. NORRIS. 2007.
  14. Par l'expression « services de garde », on entend les soins prodigués aux enfants par quelqu'un d'autre que leurs parents. Cela comprend les soins offerts dans les garderies, les centres d'éducation préscolaire et dans le cadre du Programme d'aide préscolaire ainsi que ceux dispensés par les personnes apparentées et les autres personnes. L'expression « services de garde » fait référence au mode de garde principal de l'enfant, le gardiennage occasionnel en est donc exclu.
  15. BOUGIE, Evelyne, Heather TAIT et Élisabeth CLOUTIER. 2010. Indicateurs des langues autochtones des enfants des Premières Nations âgés de moins de six ans et vivant hors réserve au Canada, produit no 89-643-X au catalogue de Statistique Canada.