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  1. Introduction
  2. Analyse bibliographique
  3. Données
  4. Différences de gains selon le classement urbain-rural
  5. Analyse multivariée
  6. Conclusion
  7. Bibliographie

1   Introduction

Habituellement, l'analyse des différences régionales de gains au Canada est centrée sur la variabilité interprovinciale des gains des travailleurs occupés. Quoique l'écart entre les gains des provinces puisse être très grand, il est souvent plus petit que l'écart entre les gains des régions urbaines et rurales. Les gains des régions urbaines sont généralement plus élevés que ceux des régions rurales et les gains des grandes régions urbaines sont généralement plus élevés que ceux des petites régions urbaines (Beckstead et Brown, 2005) 1 . En effet, la variation des gains selon les régions urbaines et rurales explique en grande partie les variations provinciales de gains. En général, les gains sont beaucoup plus faibles dans les provinces dont la population est concentrée dans les petites régions urbaines et dans les régions rurales.

Les différences de gains entre régions urbaines et rurales ne sont pas le seul fait du Canada. Des données recueillies aux États-Unis et en France donnent à penser que l'association positive est forte entre la taille d'une unité géographique, mesurée par la population ou l'emploi, et les gains. Glaeser et Maré (2001) constatent que les travailleurs établis dans les grandes régions métropolitaines aux États-Unis gagnent un salaire 33 % plus élevé que leurs homologues des régions non-urbaines. Yankow(2006) relève une prime salariale de 21 % chez les travailleurs des villes dont la population est supérieure à 250 000 habitants comparativement à ceux établis dans les villes plus petites et les régions rurales. Utilisant des données recueillies en France, Combes, Duranton et Gobillon (2008) notent une association positive entre la taille des marchés locaux du travail et les gains. Doubler le niveau de l'emploi dans une région se traduit par une hausse des gains d'environ 5 %.

Étant donné l'importance des différences de gains entre régions urbaines et rurales au Canada, ainsi qu'ailleurs, l'objectif du présent document est de mieux faire comprendre les facteurs qui sous-tendent ces différences. Au sens large, il est probable que les gains augmentent avec la taille de la région métropolitaine, parce que les entreprises établies dans les grandes régions urbaines sont plus productives, ce qui leur permet de payer de plus hauts salaires ou ont une main-d'oeuvre dont le niveau moyen de compétences, c'est-à-dire le capital humain, est plus élevé.

D'aucuns soutiennent depuis longtemps que les grandes villes offrent aux entreprises un avantage productif qui n'est pas à la portée des villes plus petites et des régions rurales dans la même mesure. Ces économies d'agglomération émanent de nombreuses sources, dont le meilleur appariement des compétences des travailleurs à celles dont a besoin l'entreprise, l'accès à une infrastructure commune (p. ex. les aéroports) et la diffusion plus efficace des connaissances entre les entreprises installées à proximité l'une de l'autre.

Contrairement aux économies d'agglomération, assez peu d'attention a été accordée au rôle du capital humain en tant que déterminant des différences de gains entre régions urbaines et rurales (voir Combes, Duranton et Gobillon, 2008 et Yankow, 2006). Pourtant, l'une des caractéristiques distinctives des grandes villes est le niveau d'études assez élevé de leurs populations. Ainsi, dans les régions métropolitaines comptant plus de 500 000 habitants, environ le quart, ou 25 %, des travailleurs occupés possèdent un diplôme universitaire, alors que dans les régions rurales, la proportion n'est que d'un dixième (Recensement de la population de 2001).

Le grand objectif du présent document est de commencer à démêler les effets des économies d'agglomération et de la composition du bassin de compétences sur les différences de gains entre régions urbaines et rurales. Si les économies d'agglomération sont la principale force qui sous-tend ces différences, alors les différences de gains sont associées aux avantages productifs que tirent les entreprises de la concentration géographique de l'activité économique. La nature même des économies urbaines, c'est-à-dire les liens denses entre les entreprises et les travailleurs, est ce qui leur donne leur avantage. Par contre, si la composition du bassin de compétences est l'élément qui importe, l'avantage des villes tient à leur capacité de former, ainsi que d'attirer et de retenir, des travailleurs hautement spécialisés.

La présentation du reste du document est la suivante. À la section 2, nous passons brièvement en revue la littérature courante. À la section 3, nous décrivons les données utilisées et le classement urbain-rural des régions. À la section 4, nous procédons à une analyse descriptive qui anticipe les résultats dégagés de l'analyse multivariée présentée à la section 5. Enfin, à la section 6, nous énonçons nos conclusions.

2   Analyse bibliographique

Comme nous l'avons déjà mentionné, les gains moyens ont tendance à ne pas être les mêmes dans les régions urbaines et rurales, parce que la composition des compétences de la main-d'oeuvre diffère ou que le niveau moyen de productivité des entreprises varie systématiquement avec l'emplacement. Pour mieux comprendre pourquoi la composition du capital humain et la productivité varient avec l'emplacement, nous devons faire appel à deux courants de pensée de la littérature.

Le premier met l'accent sur la raison pour laquelle la productivité de l'entreprise pourrait varier avec l'emplacement en général et la taille de la ville en particulier. Comme le soulignent Combes, Duranton et Gobillon (2008), il existe deux explications types de la variation de la productivité d'une unité géographique à l'autre. La première a pour prémisse que la variation des gains pourrait être reliée aux différences de dotation « non humaine » locale qui donne aux entreprises un avantage productif. Cette dotation peut englober des caractéristiques naturelles, telles qu'un meilleur climat et des ressources naturelles, ou des investissements de longue durée dans l'infrastructure, les institutions publiques et privées et la technologie.

La deuxième explication a pour prémisse que les gains plus élevés résultent peut-être des gains de productivité liés aux interactions localisées entre les travailleurs et les entreprises. Ces économies d'agglomération pourraient être dues à la concentration géographique de l'activité en général (économies d'urbanisation) ou à la concentration à l'échelon de l'industrie (économies de localisation). Les économies d'urbanisation pourraient découler de la facilitation du transfert des connaissances entre industries grâce à la proximité géographique (Jacobs, 1969) ou des gains d'efficacité associés au partage de biens publics (p. ex. infrastructure publique). En ce sens, la taille de la région géographique pourrait aussi refléter les effets de dotation.

Les économies de localisation, telles qu'elles sont définies par Marshall (1890), résultent du meilleur appariement des compétences des travailleurs à celles requises par les entreprises, appariement qui se fait plus efficacement sur les grands marchés du travail (voir Helsley et Strange, 1990, ainsi que Andersson, Burgess et Lane, 2007). La concentration d'une industrie dans une région locale peut aussi stimuler l'implantation de fournisseurs d'entrées, ce qui se traduit par un meilleur accès à des entrées intermédiaires adaptées aux besoins des entreprises locales. Enfin, les interactions non marchandes facilitées par la concentration des travailleurs dans la même industrie, comme les externalités technologiques, peuvent entraîner une amélioration de la productivité et l'offre de gains plus élevés. Des éléments de preuve de plus en plus nombreux, fondés sur des données de microniveau sur les établissements, donnent à penser que ces économies de localisation sont réelles (voir Henderson, 2003; Baldwin et coll. 2007; ainsi que Baldwin, Brown et Rigby, 2008) 2 .

Outre les effets de la dotation et des économies d'agglomération, la composition des entreprises peut aussi avoir une influence sur la rémunération des travailleurs. En particulier, la taille de l'entreprise 3  est associée à une plus forte productivité et à des niveaux de rémunération plus élevés (Idson et Oi, 1999) 4 . Si la taille des entreprises varie systématiquement avec la taille de la ville, alors une partie de la variation des gains observée entre les villes pourrait tenir à la composition des entreprises plutôt qu'aux économies d'agglomération en général et aux économies de localisation en particulier.

Il existe aussi de plus en plus de preuves d'une relation positive entre la taille de l'établissement et la taille de l'industrie dans une ville, ou la taille de la ville elle-même. Holmes et Stevens (2002) et Wheeler (2006) dégagent une association positive entre la concentration ou la taille d'une industrie dans une région géographique (ville, comté ou région) et la taille de ses établissements. Holmes et Stevens (2002) constatent également l'existence d'une association positive entre la taille de l'établissement et la taille de la ville dans une grande gamme d'industries. L'industrie de la fabrication, où la tendance est inverse, est la principale exception.

L'implication évidente de ces travaux empiriques est que les gains plus élevés associés à la concentration de l'activité économique dans les villes pourraient tenir, en partie, à l'organisation industrielle de la production. Wheeler (2006) décompose les effets des économies de localisation et de l'organisation industrielle. Il constate que la prime de gains associée au niveau d'emploi dans les industries locales est plus fortement reliée à la taille de l'établissement (organisation industrielle) qu'au nombre total d'établissements (économies de localisation). Par conséquent, il soutient que les économies de localisation pourraient être plus fortement reliées à l'organisation industrielle qu'aux économies externes qui accroissent la productivité par la voie des mécanismes marshalliens habituels.

Le deuxième courant de pensée de la littérature met l'accent sur le capital humain en tant que déterminant clé des différences de gains. Combes, Duranton et Gobillon (2008), ainsi que Yankow (2006) montrent que les compétences observées et inobservées des travailleurs sous-tendent les variations de gains selon les unités géographiques. Dans le cas de la France, selon Combes, Duranton et Gobillon (2008), entre 40 % et 50 % des différences salariales entre les unités géographiques sont expliquées par des différences de composition des compétences de la population active occupée. Yankow trouve que plus des deux tiers de la prime salariale dont bénéficient les travailleurs des grands centres urbains (régions métropolitaines de plus d'un million d'habitants) sont dus à la composition des compétences (et des aptitudes).

La raison pour laquelle les travailleurs ayant des caractéristiques favorables se concentrent dans les plus grands centres urbains est une question qui reste posée. Du côté de l'offre de main-d'oeuvre, l'explication la plus plausible part du principe que l'appariement des compétences des travailleurs avec celles requises par les entreprises se fait mieux sur les grands marchés du travail, ce qui se traduit par un rendement plus élevé des investissements en capital humain. Ce rendement plus élevé incite à la fois les travailleurs hautement spécialisés à migrer vers les plus grands centres urbains (un effet de tri) et les travailleurs qui passent leurs années de formation dans les grandes villes à investir dans le capital humain (un effet in situ). Le nombre croissant de couples dont les deux conjoints exercent une profession ne fait qu'exacerber davantage le problème de l'appariement, renforçant la motivation à s'établir dans les grandes villes (Costa et Khan, 2000). Du côté de la demande, Combes, Duranton et Gobillon (2008) soutiennent que les travailleurs hautement spécialisés pourraient être attirés par des emplacements particuliers à cause de différences de structure industrielle, parce que certains emplacements ont la faveur des industries qui demandent un haut niveau de compétence.

Il existe encore d'autres explications. Les travailleurs les plus spécialisés pourraient aussi être attirés par des emplacements offrant de meilleurs agréments, ce qui de nouveau entraînerait la concentration des travailleurs hautement spécialisés dans des emplacements particuliers (voir Florida, 2003, 2002; Adamson, Clark et Partridge, 2004; Beckstead, Brown et Gellatly, 2008).

En résumé, il existe des raisons de penser que les différences de gains sont dues à la fois à la répartition spatiale non uniforme des compétences et des aptitudes des travailleurs et à une variation systématique de la productivité des entreprises qui pourrait être reliée à la dotation, à des économies d'agglomération ou à l'organisation industrielle.

3   Données

Les données analysées ici proviennent principalement du Recensement de la population de 2001, qui fournit des renseignements étendus sur les niveaux et les sources de gains des Canadiens. Du point de vue de la présente étude, l'utilisation des données du recensement présente à la fois des avantages et des inconvénients. Les avantages tiennent au fait que le recensement offre des renseignements détaillés sur les caractéristiques des particuliers qui sont des déterminants du niveau de gains, comme les études, l'expérience professionnelle et la situation d'immigration. Ces données nous permettent de relier les caractéristiques géographiques et personnelles aux gains. En revanche, le fait que le recensement ne soit pas un panel longitudinal est un inconvénient, car il nous est impossible de tenir compte de l'effet des caractéristiques inobservées des individus qui ont une incidence sur les niveaux de gains.

Le fichier de données détaillées (2B) du Recensement de 2001 est basé sur un échantillon de 1/5 de la population canadienne et contient environ 6,08 millions d'observations. Pour les besoins de l'étude, nous avons sélectionné uniquement les personnes qui avaient un emploi durant la semaine de référence du Recensement en 2001 et qui avaient également un emploi en 2000. Nous avons restreint l'échantillon de cette façon pour pouvoir déterminer le nombre annuel de semaines travaillées, lequel est nécessaire pour calculer les gains hebdomadaires, ainsi que l'industrie et la profession de chaque personne. Le nombre de semaines travaillées est fondé sur l'année civile 2000, tandis que l'industrie et la profession des personnes sélectionnées dans l'échantillon sont fondées sur la semaine de référence du recensement de mai 2001.

Tout au long de l'analyse, les gains sont définis comme étant les gains annuels provenant d'un emploi divisés par le nombre de semaines de travail rémunérées durant l'année de référence 5 . Les gains provenant d'un emploi incluent le revenu d'un travail autonome, le revenu agricole et les salaires et traitements (revenu du travail). L'échantillon a en outre été limité aux personnes dont les gains n'étaient pas nuls.

Afin de mesurer avec précision les gains en 2000, il a fallu limiter encore davantage l'échantillon aux personnes qui vivaient au Canada en 2000 et qui étaient demeurées dans la même ville ou région rurale ou classe rurale dans la même province. Sinon, les gains en 2000 pourraient être attribués au mauvais emplacement géographique.

Le sous-ensemble de la population satisfaisant aux conditions susmentionnées comprend 2 549 700 observations (non pondérées), soit environ 42 % du fichier de données détaillées du recensement. La plupart de l'analyse descriptive présentée dans le document est fondée sur ce sous-ensemble.

Dans la plupart de l'analyse, nous faisons une distinction générale entre les parties urbaine et rurale du Canada. À leur tour, celles-ci sont divisées en sous-classes qui nous permettent de définir un classement urbain-rural. Les régions urbaines sont définies au sens large comme étant les régions métropolitaines de recensement (RMR) et les agglomérations de recensement (AR) et, en tant que telles, englobent les régions métropolitaines dont le chiffre de population varie de 10 000 à plus de 4 000 000. Compte tenu de cette grande tranche de population, les régions urbaines sont subdivisées en trois classes de taille (voir le classement des régions urbaines et rurales ci-dessous). Les grandes régions urbaines sont les RMR dont le chiffre de population est égal ou supérieur à 500 000. Font partie de cette catégorie les régions métropolitaines les plus grandes du Canada, Toronto, Montréal et Vancouver, mais aussi des centres urbains un peu plus petits, tels que Ottawa, Winnipeg et Québec. La classe des régions urbaines moyennes comprend les régions métropolitaines dont le chiffre de population est compris entre 100 000 et 499 999 (p. ex., Sherbrooke ou Halifax). Enfin, les petites régions urbaines sont celles dont le chiffre de population est compris entre 10 000 et 99 999 (p. ex., Moose Jaw ou Stratford).

Classement des régions urbaines et rurales

Régions urbaines

Grande région urbaine : Régions métropolitaines de recensement (RMR) dont la population est supérieure à 500 000.

Région urbaine moyenne : RMR et agglomérations de recensement (AR) dont la population est comprise entre 100 000 et 499 999.

Petite région urbaine : AR dont la population est comprise entre 10 000 et 99 999.

Régions rurales associées à des zones d'influence métropolitaines (ZIM)

ZIM forte : 30 % ou plus de la population active de la subdivision de recensement (SDR) font la navette vers une RMR/AR.

ZIM modérée : De 5 % à 29 % de la population active font la navette vers une RMR/AR.

ZIM faible : Moins de 5 % de la population active de la SDR font la navette vers une RMR/AR.

Aucune ZIM : Pas de navettage vers une RMR ou une AR.

Régions rurales associées avec des régions urbaines : classe de taille urbaine

Grande région urbaine : La majorité du navettage se fait vers une grande région urbaine.

Région urbaine moyenne : La majorité du navettage se fait vers une région urbaine moyenne.

Petite région urbaine : La majorité du navettage se fait vers une petite région urbaine.

Régions rurales sans association avec les régions urbaines

Région rurale éloignée : Aucun navettage vers une RMR ou une AR, ou la RMR/AR est éloignée de plus de 200 kilomètres.

Afin de créer un classement urbain-rural simplifié, les auteurs de la plupart des études traitent les régions rurales comme un groupe homogène. Cependant, dans le contexte canadien, cette façon de faire pourrait poser un problème; par exemple, les parties rurales de Terre-Neuve-et-Labrador sont ainsi regroupées avec les régions rurales qui comblent les écarts entre les villes du Sud de l'Ontario. Dans la partie rurale de Terre-Neuve-et-Labrador, les travailleurs ont peu de possibilités de faire la navette entre leur lieu de résidence et les marchés du travail urbains, alors que ceux des régions rurales du Sud de l'Ontario le peuvent. La proximité de marché du travail urbain donne aux travailleurs des régions rurales la possibilité de décrocher un emploi mieux rémunéré en région urbaine, ce qui aura tendance à faire grimper les gains moyens, parce que ces travailleurs prennent des emplois en région urbaine ou que la concurrence entre les employeurs ruraux de ces régions pour l'offre de main-d'oeuvre locale est plus forte. Afin de présenter une analyse plus nuancée, nous classons les régions rurales en fonction de deux dimensions : le degré d'intégration avec le marché du travail par la voie du navettage vers les régions métropolitaines; et la taille de la région métropolitaine vers laquelle sont dirigés les déplacements quotidiens (voir le tableau 1).

Étant donné ce classement supplémentaire, nous nous attendons à ce que les gains soient plus élevés dans les régions rurales où le navettage vers les marchés du travail urbains est plus important. Puisque les niveaux de gains ont tendance à augmenter (de manière monotone) avec la taille de la ville (Beckstead et Brown, 2005), il est raisonnable de s'attendre à ce que les gains soient plus élevés dans les régions rurales ayant des liens plus prononcés avec les marchés du travail urbains plus grands.

En ce qui concerne la première dimension, chaque région rurale (subdivision de recensement [SDR]) est affectée à une zone d'influence métropolitaine (ZIM) d'après la force de sa relation de navettage avec les marchés du travail métropolitains. On distingue trois catégories de ZIM : les ZIM fortes englobent les régions rurales dont plus de 30 % de la population occupée se déplacent pour aller travailler dans une RMR/AR. Les ZIM modérées comprennent les SDR dans lesquelles entre 5 % et 30 % de la population occupée font la navette. Les ZIM faibles comprennent les SDR dont moins de 5 %, mais plus de 0 %, de la population occupée font la navette vers les marchés du travail urbains. Les SDR rurales n'ayant aucun lien de navettage avec les régions métropolitaines sont classées dans la catégorie des zones sans influence métropolitaine ou « aucune ZIM ».

La deuxième dimension du classement comporte l'affectation de chaque SDR rurale à une région métropolitaine vers laquelle sont dirigés la majorité des déplacements à partir de la SDR. Cela nous permet de classer chaque SDR rurale en fonction de la classe de taille de la région métropolitaine qui lui est affectée (grande, moyenne ou petite). Les SDR rentrant dans la catégorie « aucune ZIM » ne sont pas affectées à une région métropolitaine; ne le sont pas non plus les SDR rurales pour lesquelles le navettage se fait vers des régions métropolitaines distantes de plus de 200 kilomètres de la région métropolitaine la plus proche 6 . Nous combinons ces SDR avec celles classées dans la catégorie « aucune ZIM » pour créer une catégorie de SDR nommée « régions rurales éloignées ».

Comme nous classons les régions rurales en fonction de deux dimensions, à savoir la taille du centre urbain avec lequel elles sont associées et la force des liens avec les marchés du travail urbain, nous pouvons créer 10 classes de régions rurales (voir le tableau 1). Ce nombre de classes pourrait être lourd, à cette différence que nous pouvons considérer ces classes comme un gradient, où les régions rurales ayant des liens forts avec de grandes régions urbaines (classe grande-forte) devraient être les plus avantagées et les régions rurales n'ayant que des liens de navettage faibles avec de petites régions urbaines (petite-faible), les moins avantagées, à l'exception des régions rurales éloignées.

En plus des caractéristiques des individus appartenant aux diverses unités géographiques que nous pouvons tirer du Recensement de 2001, nous nous intéressons aux caractéristiques des entreprises établies dans les unités géographiques. Bien qu'il ne soit pas possible de relier directement les travailleurs et les entreprises en utilisant les données du recensement, nous pouvons caractériser les industries dans lesquelles les travailleurs sont occupés. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la productivité et les gains devraient, en principe, être plus élevés dans les catégories industrie-région géographique contenant de grands établissements. Nous utilisons le Registre des entreprises de Statistique Canada pour calculer la part de l'emploi dans les grands établissements, c'est-à-dire les établissements dont l'effectif est supérieur à 200, pour chaque catégorie industrie-région géographique, où les unités géographiques sont les RMR et les AR pour les régions urbaines et les divisions de recensement pour les régions rurales 7 . Nous utilisons aussi le Registre des entreprises pour déterminer, pour chaque catégorie industrie-région géographique, la part de l'emploi imputable aux entreprises sous contrôle étranger, ce qui nous permet de tenir compte de l'effet de ces dernières sur les gains.

4   Différences de gains selon le classement urbain-rural

En guise de prélude à l'exposé de l'analyse statistique multivariée, nous élaborons une analyse descriptive simple de l'association entre les niveaux de gains et un ensemble de variables explicatives éventuelles. La discussion procède en deux volets. Dans le premier, nous établissons le degré et la nature de la variation des niveaux de gains selon le classement urbain-rural tel que nous l'avons défini plus haut. Dans le deuxième, nous essayons d'identifier un ensemble de variables qui pourraient expliquer les différences de gains entre régions urbaines et rurales. Il s'agit de variables qui ont une forte influence sur les gains et qui pourraient varier systématiquement d'après le classement urbain-rural.

4.1  Niveaux de gains selon le classement urbain-rural

Comme nous l'avons mentionné plus haut, nous nous attendons à ce que les gains soient les plus élevés dans les grandes régions métropolitaines et les plus faibles, dans les régions rurales. Cependant, parmi les régions rurales, celles qui ont établi des liens forts avec les marchés du travail des régions urbaines, et tout spécialement les grandes régions urbaines, devraient être caractérisées par des niveaux plus élevés de gains que celles dont les liens avec les marchés du travail urbains sont faibles.

Ces attentes concernant les régions urbaines et rurales sont généralement vérifiées. Le travailleur moyen au Canada a des gains hebdomadaires moyens de 836 $ (tableau 2). Les travailleurs des grands centres urbains gagnent plus de 900 $ par semaine. Ceux des régions urbaines de taille moyenne et de petite taille gagnent 805 $ et 766 $, respectivement. Cette différence entre les gains est encore plus prononcée si nous passons aux régions rurales. Pour l'ensemble des régions rurales, les gains moyens allaient de 680 $ à 760 $, et étaient généralement inférieurs au niveau de gains dans les petites régions urbaines.

Parmi les régions rurales, les profils des gains sont nettement plus compliqués. Le graphique 1 donne l'écart en pourcentage des gains hebdomadaires moyens pour chacune des classes urbaines et rurales par rapport au niveau pour le Canada. Les régions rurales pour lesquelles la relation de navettage avec les régions urbaines est forte (zone d'influence métropolitaine [ZIM] forte) ont tendance à être les moins défavorisées, l'écart négatif étant le plus faible pour celles reliées à des régions urbaines de grande taille et de taille moyenne. Curieusement, les régions rurales qui se classent dans la catégorie des ZIM modérées sont les plus désavantagées, quelle que soit la classe de taille urbaine à laquelle elles sont associées. Dans les cas extrêmes, les gains moyens dans les régions rurales de la classe moyenne-modérée sont inférieurs de 19 % à la moyenne nationale et inférieurs de 27 % à la rémunération dans les grandes régions urbaines. Par ailleurs, les régions rurales faiblement associées à des régions urbaines par la voie du navettage, ou celles qui rentrent dans la classe des régions rurales éloignées, se défendent relativement bien comparativement à d'autres régions rurales. Cette situation tient peut-être à des différences de structure industrielle, puisque ces régions pourraient accueillir des industries du secteur des ressources naturelles (p. ex., pâte et papier, pétrole et gaz) qui offrent des salaires particulièrement élevés (Baldwin, Brown et Vinodrai, 2001). Il s'agit également d'endroits où les employeurs pourraient être obligés d'offrir une prime salariale afin de retenir les travailleurs, en raison de leur éloignement relatif (prime d'isolement). Enfin, un grand nombre d'emplois disponibles dans ces régions comportent des risques considérables de blessure, si bien que les employeurs pourraient être obligés d'offrir une plus forte rémunération (prime de danger) en compensation.

Le tableau qui se dégage est celui d'un écart entre les gains urbains et ruraux assez important, les gains augmentant avec la taille de la région urbaine, ainsi que lorsqu'on passe des régions urbaines aux régions rurales. L'écart est qualitativement comparable à celui observé aux États-Unis (voir Glaeser et Maré, 2001, ainsi que Yankow, 2006). La force des liens avec les marchés du travail urbains a une incidence sur les niveaux ruraux de gains, mais l'influence de ces liens est circonscrite spatialement. Seules les régions rurales étroitement liées aux marchés du travail des régions urbaines grandes et moyennes semblent bénéficier de ces liens. Dans les autres régions rurales, la force des liens de navettage vers les régions urbaines, ou la taille de la région urbaine, semble avoir peu d'effets positifs sur les niveaux de gains. Nous allons donc maintenant chercher à savoir quels facteurs pourraient être à l'origine de ces différences de gains.

4.2  Corrélats des différences de gains

La détermination des corrélats des différences de gains repose sur la mesure des caractéristiques des individus qui ont une influence sur leur capacité à obtenir des gains plus élevés. Dans la formule standard de Mincer (1974), la rémunération dépend de l'accumulation de capital humain, qui est positivement corrélée au nombre d'années d'études et au nombre d'années d'expérience professionnelle. Nous commençons par donner un bref aperçu de la relation entre le nombre d'années d'études et d'expérience et le niveau de gains. Ensuite, nous examinons plusieurs autres variables dont l'influence sur les gains pourrait varier d'un endroit à l'autre (p. ex., le statut d'immigrant).

Comme il faut s'y attendre, les gains augmentent généralement avec le nombre d'années d'études (voir le graphique 2). La courbe présente toutefois deux points particuliers où la pente augmente : à 12 années d'études et, dans une moindre mesure, à 15 années d'études. Les gains hebdomadaires moyens des travailleurs comptant de 1 à 12 années d'études sont relativement constants. Dans cette tranche d'années, les gains hebdomadaires augmentent de 5 $ par année supplémentaire d'études. Entre 12 et 15 années d'études, les gains hebdomadaires augmentent, en moyenne, de 43 $ par année, tandis qu'entre 16 et 19 années d'études, ils augmentent de 73 $ par année. Les travailleurs comptant plus de 19 années d'études jouissent de gains hebdomadaires moyens deux fois plus élevés que ceux ayant moins de 12 années d'études. Nous reviendrons plus tard sur la signification de ce gradient variable en ce qui concerne l'estimation économétrique des différences de gains entre les régions urbaines et rurales.

Comme pour les années d'études, un plus grand nombre d'années d'expérience est généralement associé à un accroissement des gains hebdomadaires (voir le graphique 38 . Pour l'ensemble des cohortes d'âge, les gains augmentent rapidement avec le nombre d'années d'expérience jusqu'à environ 10 années. Après cela, le nombre d'années d'expérience a une influence décroissante sur le niveau de gains. Au-delà de 34 années d'expérience, il semble exister une relation négative entre les gains hebdomadaires et l'expérience. Toutefois, cette courbe n'est pas nécessairement une indication de la relation réelle. Il importe de ne pas perdre de vue qu'il s'agit simplement d'un échantillon représentatif d'individus. Les diverses cohortes pourraient se distinguer d'autres façons que par leur nombre d'années d'expérience (voir Luong et Hébert, 2009). Ainsi, le nombre d'années d'études pourrait être plus faible pour les travailleurs comptant plus de 34 années d'expérience.

Étant donné l'abondance de preuves empiriques de l'association positive entre le niveau de gains et le nombre d'années d'études ainsi que d'années d'expérience, le fait que nous dégagions la même relation des données du recensement n'est pas particulièrement étonnant. Comme l'objectif de la présente étude est de comprendre ce qui détermine le gradient de gains entre les régions urbaines et rurales, la variation des niveaux moyens d'études et d'expérience selon le classement urbain-rural nous intéresse plus directement.

Le graphique 4 donne les nombres moyens d'années d'études et d'expérience pour les travailleurs appartenant à chaque classe du classement urbain-rural. Les deux courbes révèlent des effets compensatoires, le nombre moyen d'années d'études augmentant avec la position dans le classement urbain-rural, tandis que le nombre moyen d'années d'expérience diminue. Du moins en partie, ce profil est mécanique. Les travailleurs des régions urbaines passent dans les salles de classe un plus grand nombre d'années qui pourraient être rémunérées et entrent sur le marché du travail à un âge plus avancé que les travailleurs des régions rurales. Par exemple, les travailleurs des grandes régions urbaines comptent, en moyenne, 14 années d'études et 20 années d'expérience professionnelle, tandis que, pour ceux des régions rurales éloignées, les chiffres sont de 12 années et 23 années, respectivement. Le résultat de ces tendances compensatoires est, au moins, d'atténuer l'effet du nombre d'années d'études sur les gains dans les régions urbaines comparativement aux gains dans les régions rurales.

Une caractéristique supplémentaire du graphique 4 est la variation relativement faible du nombre d'années d'études d'après le classement urbain-rural. La différence entre la classe urbaine-rurale ayant le nombre moyen le plus élevé d'années d'études (grande région urbaine) et celle ayant le nombre le plus faible (région rurale éloignée) n'est que de 1,85 année. Ce résultat pourrait vouloir dire que la variation du nombre d'années d'études ne contribue pas de manière significative aux différences de gains entre régions urbaines et rurales. Toutefois, il importe de souligner que la relation entre le nombre d'années d'études et les gains n'est pas linéaire, la croissance du second s'accélérant à 12 années d'études ou plus (voir le graphique 2).

L'effet d'années d'études supplémentaires s'observe le mieux si nous représentons graphiquement la prévalence des diplômés selon le classement urbain-rural (voir le graphique 5). Contrairement à ce que nous avons constaté pour le nombre moyen d'années d'études, la prévalence des diplômés varie fortement, sa valeur dans la classe des grandes régions urbaines étant environ deux fois plus élevée que dans les classes rurales. Les deux années d'études supplémentaires dans les grandes régions urbaines se traduisent par un écart significatif entre les proportions de diplômés. Comme les diplômés gagnent, en moyenne, 40 % de plus que les non-diplômés (Recensement de la population de 2001), leur présence peut avoir un effet significatif sur les niveaux moyens de gains. La leçon à tirer ici est que des différences assez faibles de nombre moyen d'années d'études entre les classes du classement urbain-rural peuvent se traduire par des écarts significatifs de gains. Tout modèle économétrique visant à tenir compte de la variation des gains dans les régions urbaines et rurales devra être sensible à la relation non linéaire entre les gains et le nombre d'années d'études; sinon, l'effet estimé des études sur le niveau des gains pourrait être sous-estimé.

De nombreuses autres caractéristiques individuelles pourraient influer sur le niveau de gains. Le tableau 3 présente les moyennes (et les écarts-types) pour ces variables. Il débute avec le sexe et la situation d'emploi à temps plein ou à temps partiel. Les femmes ont tendance à gagner moins que les hommes et les travailleurs à temps partiel, moins que ceux à temps plein. Dans ce dernier cas, la différence pourrait être due au nombre plus faible d'heures travaillées par semaine ou à des gains horaires plus faibles. L'effet du sexe et de la modalité de travail à temps plein ou à temps partiel sur les différences entre régions urbaines et rurales est vraisemblablement faible, parce que la composition de ces catégories devrait varier assez peu entre les régions urbaines et rurales.

Par contre, le statut d'Autochtone/membre d'une minorité visible et le statut d'immigrant peuvent varier significativement entre les régions urbaines et rurales. Nous nous attendons à ce que les Autochtones représentent une part assez importante de la population des régions rurales éloignées, et à ce que les membres des minorités visibles non autochtones et les immigrants soient proportionnellement beaucoup plus nombreux dans les grands centres urbains. Les membres des minorités visibles ainsi que les Autochtones gagnent moins que la partie non-autochtone et n'appartenant pas aux minorités visibles de la population canadienne. Contrairement à l'idée très répandue, les immigrants gagnent à peu près les mêmes gains que les travailleurs nés au Canada (voir le tableau 3). Cependant, si nous classons les immigrants en fonction du nombre d'années écoulées depuis leur immigration, un tableau différent se dégage. Les gains hebdomadaires moyens des nouveaux immigrants sont significativement plus faibles que ceux des personnes nées au Canada.

Cette situation évolue, comme en témoigne le fait que la cohorte d'immigrants qui vivent au Canada depuis plus de 15 ans gagnent autant, voire plus, que les travailleurs nés au Canada 9 . Dans la mesure où les minorités visibles et les immigrants récents sont concentrés dans les plus grandes villes du Canada, ils pourraient faire baisser les gains moyens dans ces dernières, tandis que les Autochtones pourraient en faire de même dans les régions rurales éloignées.

Enfin, la source des gains personnels pourrait également influer sur le niveau de gains. Trois sources de gains sont définies dans le Recensement de 2001, à savoir les salaires et traitements, le revenu d'un travail autonome (non agricole) et le revenu d'un travail autonome agricole. Comme le montre le tableau 3, les agriculteurs travaillant à leur propre compte gagnent nettement moins que les salariés et d'autres travailleurs autonomes. Les gains de ces deux dernières catégories sont à peu près égaux. Puisque les travailleurs qui tirent leur gains d'une exploitation agricole sont naturellement plus nombreux dans les régions rurales, ils pourraient faire baisser le niveau moyen de gains dans ces régions.

5   Analyse multivariée

En partant de la théorie et des données empiriques, nous avons postulé que la composition du capital humain et les économies d'agglomération sous-tendent les écarts entre les gains des régions urbaines et ceux des régions rurales. L'objectif de la présente section est de déterminer la contribution relative de ces effets.

Deux approches permettent d'établir l'effet des économies d'agglomération sur les niveaux de gains. La première consiste à utiliser la position d'une ville ou d'une région rurale dans le classement urbain-rural comme une mesure indirecte des économies d'agglomération. En combinant un ensemble de variables binaires reflétant le classement urbain-rural et des mesures du capital humain, il est possible d'évaluer l'impact de ce dernier sur les différences de gains entre régions urbaines et rurales. Cette approche a l'avantage de nous permettre d'aborder directement la question de l'influence de la composition du capital humain sur les différences de gains entre régions urbaines et rurales si évidentes dans le graphique 1. Cependant, l'ensemble peu maniable de variables binaires requis pour tenir pleinement compte du classement urbain-rural entrave son application.

La deuxième approche consiste à mesurer directement les économies d'agglomération. Cette mesure peut se faire en associant à chaque travailleur le niveau d'emploi dans son industrie et l'emploi total dans son unité géographique. Le premier facteur est une approximation des économies de localisation, tandis que le second est une approximation des économies d'urbanisation. Cette approche a l'avantage de permettre l'évaluation de l'effet des économies d'agglomération dans un cadre assez simple et, par conséquent, plus facile à interpréter. Puisque les deux approches ont du mérite, nous les appliquons l'une et l'autre à l'analyse multivariée, en commençant par la seconde.

5.1  Modèle de gains

Nous estimons un modèle économétrique simple qui, dans sa forme la plus généralisée, est spécifié comme suit :  Image

où l'indice i désigne les personnes occupées, l'indice j les emplacements (régions métropolitaines de recensement, agglomérations de recensement, ou divisions de recensement rurales) et l'indice k les industries. Les gains hebdomadaires sont représentés par wi. Les vecteurs A et H sont des mesures des économies d'agglomération et du capital humain, respectivement. Le vecteur I englobe un grand ensemble de caractéristiques personnelles décrites au tableau 3 qui sont susceptibles d'influer sur le niveau de gains (p. ex. le statut d'immigrant). Est également inclus dans le modèle entièrement spécifié un ensemble d'effets fixes provinciaux (pi) et de catégorie industrie-profession (ioi). Nous incluons les effets fixes provinciaux pour tenir compte de l'incidence des politiques provinciales sur les niveaux de gains et des variations de dotation en capital non humain qui pourraient être reflétées par les limites provinciales (p. ex., réserves de pétrole de l'Alberta). Les effets fixes de catégorie industrie-profession sont inclus pour tenir compte des effets de l'industrie et de la profession sur les gains qui ne seraient pas nécessairement reflétés par les mesures des niveaux d'études et d'expérience. Les personnes sont classées par industrie et par profession afin de refléter cet effet commun : par exemple, un avocat qui travaille dans le secteur financier gagne vraisemblablement un salaire plus élevé qu'un avocat qui travaille dans le secteur public. Enfin, le modèle comprend un ensemble de variables de contrôle pour tenir compte de l'organisation industrielle, c'est-à-dire la part de l'emploi dans l'industrie j à l'emplacement k attribuable aux grands établissements 10  (sijk) et aux établissements sous contrôle étranger (fijk). Image est un terme d'erreur stochastique standard.

Pour estimer les effets du capital humain sur le niveau de gains, nous intégrons dans le modèle, du moins au départ, l'équation standard de Mincer, représentée ici par le vecteur H :  Image
où les variables expérience et études sont définies de la même façon que plus haut.

5.2  Questions économétriques

La principale question économétrique que pose l'équation d'estimation (1) est la corrélation du terme d'erreur avec les niveaux d'emploi. Cette corrélation pourrait découler des aptitudes et des compétences inobservées ou de l'endogénéité des niveaux de gains et d'emploi. Nous adoptons plusieurs stratégies pour aborder ces problèmes.

Le biais dû aux variables omises pourrait découler du classement (tri) dans les grandes villes de personnes dont les compétences et les aptitudes ne sont pas observées, biaisant ainsi par excès l'effet estimé de la taille de la ville sur le niveau de gains. Cette source éventuelle de biais est prise en compte de deux façons. La première consiste à ajouter un grand nombre de variables de contrôle (p. ex., pour l'industrie et la profession) au modèle, ce qui est la solution habituelle lorsque l'on travaille avec des données transversales. Bien qu'elle ne soit pas mauvaise, en dernière analyse, cette solution est insatisfaisante, parce que des compétences et des aptitudes non mesurées peuvent persister même après l'ajout d'un grand nombre de contrôles 11 .

La deuxième approche consiste à utiliser un estimateur moins sensible à cette forme particulière de biais dû aux variables omises. Ici, nous partons de la nature du problème pour élaborer une solution éventuelle. Le problème est que les travailleurs possédant de meilleures compétences et aptitudes pourraient se concentrer dans les plus grandes régions urbaines, parce que le rendement de ces attributs, observés ou inobservés, peut augmenter avec la taille de la ville. Cependant, les travailleurs sont susceptibles de migrer lorsque la valeur actualisée nette du flux d'accroissements escomptés de gains grâce à la migration est supérieure au coût monétaire et social de cette dernière. Étant donné que les coûts de la migration sont en grande partie invariants en fonction du niveau de gains 12 , les incitations à migrer (tri) seront plus fortes chez les personnes qui s'attendent à avoir des gains relativement élevés, particulièrement les travailleurs dont les aptitudes inobservées pourraient se traduire par des augmentations de gains importantes (les « étoiles »).

Si l'incitation à migrer vers de plus grands centres est plus prononcée pour les travailleurs ayant des gains potentiels élevés, il devient important de minimiser l'effet de ces migrants à gains élevés sur nos estimations. Pour cela, nous estimons de nouveau nos modèles en utilisant un estimateur de quantile qui permet que la réponse conditionnelle des gains au niveau d'emploi varie en divers points de la distribution des gains 13 . Nous nous attendons à ce que l'effet de la taille de la ville en réponse aux caractéristiques non observées des travailleurs soit plus important dans les quantiles supérieurs de la distribution des gains. Cette approche permet de réduire l'effet des compétences et aptitudes inobservées sur nos estimations, mais une partie de cet effet pourrait persister si de meilleures compétences et aptitudes sont généralement associées à la décision de migrer.

La deuxième question économétrique est celle de l'endogénéité des gains et de la taille de la ville. Comme l'ont fait remarquer Combes et coll. (2007), un choc local ou les caractéristiques d'un emplacement non prises en compte pourraient déterminer à la fois la taille de population et les niveaux de gains. La réponse générale à ce problème est de trouver un instrument qui est corrélé à la taille de la ville, mais non aux gains. Celui qui est utilisé le plus couramment est la taille de la ville décalée de plusieurs décennies dans le passé. Ce décalage « profond » a pour but de briser la corrélation contemporaine du terme d'erreur avec la taille de la ville qui pourrait résulter des chocs locaux. Toutefois, le décalage de la taille de la ville pourrait être invalide si certaines caractéristiques passées déterminent à la fois les niveaux antérieurs de population et les niveaux courants de gains. Le cas échéant, la taille décalée de la ville resterait corrélée au terme d'erreur. Par exemple, décaler la population de Calgary de 30 ans dans le passé ne suffirait pas, parce que l'industrie pétrolière qui était un déterminant important de la population de Calgary à cette époque-là est un déterminant important du niveau de gains aujourd'hui. Donc, l'utilisation des niveaux décalés de population s'appuie aussi sur l'argument selon lequel les sources de productivité ont changé suffisamment au cours de la période de décalage pour que les sources antérieures d'avantages comparatifs ne soient plus pertinentes. Cet argument étaye aussi l'utilisation moins fréquente des caractéristiques géologiques comme variable instrumentale; des caractéristiques telles que la qualité du sol pourraient avoir été un déterminant important de la population dans le passé, mais jouer aujourd'hui un rôle nettement moins important dans la production moderne (Combes et coll., 2007).

Combes et coll. (2007) utilisent les deux types de variables instrumentales et obtiennent des résultats qualitativement semblables. En outre, ils constatent qu'après l'introduction des variables instrumentales, les effets estimés des économies d'agglomération sur les niveaux de gains varient peu, quel que soit le type de variable instrumentale utilisé, c.-à-d. la densité de population décalée ou les caractéristiques géologiques. Bien que l'endogénéité ne semble induire qu'un biais assez faible, nous élaborons une variable instrumentale pour le niveau d'emploi dans chaque unité géographique.

Idéalement, il serait préférable d'utiliser comme instrument le long décalage de la population des villes. Cependant, il est difficile d'établir des estimations cohérentes des populations des villes et des régions rurales contemporaines du Canada à l'aide de données historiques. À titre de solution de rechange, nous tirons parti du fait que le classement des villes varie rarement de manière significative au fil du temps. Donc, nous pouvons utiliser le classement grossier de l'emploi dans les villes et les régions rurales comme variable instrumentale. Pour établir ce classement, nous avons classé les populations actives occupées des 399 unités géographiques, puis nous les avons réparties en 10 groupes d'environ 40 unités chacun, que nous avons classés à leur tour de 1 à 10. Il est peu probable que ce genre de classement soit sensible à des chocs contemporains. De surcroît, le classement « grossier » de chaque ville est vraisemblablement fortement corrélé à sa position plusieurs décennies dans le passé. Par exemple, en 1941, Calgary avait une population de 87 267 habitants (Dominion Census, 1941). Ce chiffre est supérieur à la population de Kamloops, qui est la plus petite région urbaine dans le groupe classée en tête en 2001 14 . Donc, Calgary serait restée dans le groupe de tête, même si sa population ne s'était pas accrue au cours de la période. Nos attentes sont moins optimistes en ce qui concerne les villes plus petites et les régions rurales, parce que, pour chaque groupe, les fourchettes d'emploi sont plus petites et, par conséquent, il est plus probable que des villes se trouvant dans le haut du classement aujourd'hui ne l'étaient pas au cours des décennies antérieures.

À titre de dernière remarque économétrique, il convient de mentionner que nous procédons à la régression de variables agrégées sur des microvariables, ce qui, comme l'a illustré Moulton (1990), peut entraîner une sous-estimation importante des erreurs-types des coefficients de régression. Nous corrigeons toutes les erreurs-types de cet effet, ainsi que de l'hétéroscédasticité.

Avant d'exposer les résultats de régression, soulignons que, pour les modèles de régression présentés, nous utilisons un échantillon de 1/5 de l'ensemble de données principal, sauf indication contraire. Nous avons adopté cette approche afin de réduire le fardeau de calcul. Des tests effectués sur les modèles les plus simples (requérant moins de calculs) à l'aide de l'ensemble de données complet ont montré que le passage à un échantillon de plus petite taille n'avait pas d'effet qualitatif sur les estimations.

5.3  Résultats économétriques

Nous commençons l'analyse en estimant un ensemble de modèles ne contenant que les variables conçues pour tenir compte des économies d'agglomération (voir le tableau 4). Le premier modèle contient uniquement la variable d'emploi dans l'emplacement j. Comme prévu, il existe une association positive et significative entre les niveaux d'emploi et de gains, l'élasticité étant de 0,05, ce qui signifie qu'un doublement de l'emploi entraîne un accroissement d'environ 5 % des gains. Par régression des gains moyens sur les niveaux d'emploi dans les diverses unités géographiques en France, Combes, Duranton et Gobillon (2008) obtiennent une élasticité comparable d'environ 0,05. Le deuxième modèle comprend en outre le niveau de l'emploi dans l'industrie dans laquelle la personne i travaille. Le coefficient de cette variable n'est que faiblement significatif, tandis que le coefficient du niveau d'emploi est réduit, mais demeure significatif. Dans les troisième et quatrième modèles, les niveaux d'emploi sont remplacés par la densité de l'emploi. Ils fournissent des résultats qualitativement semblables à ceux des modèles correspondants utilisant les niveaux d'emploi. Tout au long de l'analyse, nous nous servirons des niveaux d'emploi à l'échelon de la région et de l'industrie comme moyen d'estimer l'effet des économies d'agglomération, puisque ce sont eux qui concordent le plus étroitement avec notre caractérisation du classement urbain-rural fondé sur la taille.

Le tableau 5 donne les estimations des paramètres de l'équation de modélisation (1), en commençant par ajouter uniquement les vecteurs d'agglomérations et de capital humain, puis en ajoutant des ensembles de variables de contrôle jusqu'à ce que soit estimé le modèle complètement spécifié. Le modèle 1 ne contient que les variables d'agglomérations et de capital humain. Confirmant d'autres estimations de l'équation de Mincer, les années d'expérience et d'études ont un effet positif sur le niveau de gains, quoique l'effet de chaque année supplémentaire d'expérience diminue à mesure qu'augmente le niveau d'expérience. Bien que l'effet de l'expérience sur les gains diminue lorsque augmente le niveau d'expérience, les coefficients estimés impliquent que le point où cet effet devient négatif n'est jamais atteint au cours d'une vie de travail. La prise en compte du capital humain a pour effet de réduire le coefficient de la variable d'emploi qui passe de 0,035 (modèle 2, tableau 4) à 0,023, soit une réduction d'environ un cinquième. Le coefficient de l'emploi dans l'industrie est qualitativement le même.

Dans l'analyse descriptive, nous avons constaté qu'il existe une relation non linéaire entre le nombre d'années d'études et les gains moyens. Lorsqu'il n'est pas tenu compte convenablement de cette propriété dans la spécification économétrique, l'effet des économies d'agglomération risque d'être surestimé si les personnes dont le nombre d'années d'études est supérieur à la moyenne sont concentrées dans les grandes régions urbaines. Pour tenir compte de cette éventualité, nous estimons de nouveau le modèle 1 en utilisant une spline comportant des noeuds à 12 et à 16 années d'études, ce qui correspond aux points où change la pente de la courbe années d'études-gains présentée au graphique 3. Cela nous permet d'obtenir des coefficients distincts pour moins de 12 années, de 12 à 16 années et plus de 16 années d'études. Le modèle 2 a reproduit le modèle 1, tout en permettant d'obtenir des coefficients différents de la variable d'années d'études pour les trois fourchettes de nombre d'années d'études.

L'effet du nombre d'années d'études varie considérablement selon la tranche d'années considérée. Pour la tranche de moins de 12 années, chaque année supplémentaire fait croître les gains d'environ 3 %. Comparativement, pour la tranche de 12 à 16 années et celle de plus de 16 années, les chiffres sont de 11 % et 7 %, respectivement. L'effet le plus prononcé est attribuable aux années d'études accumulées à partir de la douzième.

L'utilisation de la spline affecte aussi le coefficient de la variable d'emploi. Le coefficient de l'emploi passe de 0,023 à 0,020. Donc, si nous tenons compte des mesures classiques du capital humain dans une spécification qui est sensible aux effets variables du nombre d'années d'études sur le niveau de gains, l'effet de la taille de l'emploi sur le niveau de gains est substantiellement réduit : de 0,035 à 0,020.

D'autres caractéristiques des travailleurs qui ne sont pas nécessairement distribuées aléatoirement entre les régions urbaines et rurales influent évidemment sur le niveau de gains. Les immigrants et les membres des minorités visibles ont tendance à être concentrés dans les grandes villes. Dans la mesure où les membres de ces groupes ont des gains inférieurs à la moyenne, ne pas les prendre en compte pourrait causer une sous-estimation de l'effet de la taille de l'emploi sur les niveaux de gains. De même, la concentration des populations autochtones et des personnes qui tirent leurs gains de l'agriculture dans les régions rurales pourrait donner lieu à une surestimation de l'effet de la taille de l'emploi sur les gains. Le modèle 3 tient compte de ces facteurs, et comprend aussi des variables de contrôle pour les effets du sexe, de l'emploi à temps plein ou à temps partiel, de la catégorie industrie-profession et de la province de résidence.

L'effet de l'ajout de ces variables de contrôle sur les variables d'agglomération est modeste. Le coefficient de l'emploi diminue, de même que celui de l'emploi selon l'industrie. Le changement le plus remarquable est que le coefficient de l'emploi selon l'industrie devient statistiquement significatif, ce qui donne à penser que les économies de localisation pourraient influer positivement sur le niveau de gains.

Si les coefficients des variables d'agglomération sont à peine modifiés par l'inclusion de ces variables de contrôle, il n'en est pas de même des variables de capital humain. Les coefficients des variables d'expérience et d'années d'études sont réduits considérablement. La réduction découle en grande partie de l'inclusion des effets fixes d'industrie-profession. Les travailleurs plus âgés, qui par définition ont plus d'expérience, pourraient être plus concentrés dans les industries où la rémunération est plus élevée ou avoir été promus à des emplois mieux payés (p. ex., gestionnaires). De même, les travailleurs comptant un plus grand nombre d'années d'études travaillent vraisemblablement dans des professions (p. ex. médecins) et des industries (p. ex. finances) où la rémunération est plus élevée.

Si nous examinons brièvement les variables de contrôle ajoutées, le sexe et l'emploi à temps plein ont un effet positif sur les gains. Toutes choses étant égales par ailleurs, les hommes gagnent environ 18 % de plus que les femmes et les travailleurs à temps plein, environ 54 % de plus que les travailleurs à temps partiel. L'écart entre la rémunération des travailleurs à temps plein et à temps partiel est vraisemblablement dû au moins grand nombre d'heures travaillées par semaine par les travailleurs à temps partiel. Le fait que le plus petit nombre d'heures travaillées par semaine par les travailleurs à temps partiel puisse affaiblir le lien entre les gains et le niveau réel de productivité est une question qui nous préoccupe. Pour l'aborder, nous avons réestimé les modèles en excluant les travailleurs à temps partiel et avons obtenu des résultats qualitativement semblables (voir le tableau 1 en annexe).

Les personnes qui déclarent être des Autochtones ou des membres d'une minorité visible gagnent, en moyenne, 10 % de moins que celles ne faisant pas partie de ces groupes. Les immigrants ont tendance à gagner moins que les Canadiens de naissance, en définitive, mais la différence de gains entre ces deux groupes diminue à mesure qu'augmente le nombre d'années écoulées depuis l'immigration au Canada. Les personnes salariées gagnent environ 23 % de plus par semaine que celles qui tirent leur revenu d'une exploitation agricole et environ 30 % de plus que celles qui le tirent d'un travail autonome.

Le dernier modèle tient compte de l'effet de l'organisation industrielle sur les différences de gains en ajoutant des mesures de la taille des établissements et du contrôle étranger. Comme il fallait s'y attendre, les deux variables ont un effet positif et significatif sur les niveaux de gains. Doubler la part de l'emploi dans les grands établissements ou dans les établissements sous contrôle étranger accroît les gains d'environ 5 %. Lorsque nous incluons ces variables de contrôle, le coefficient de la variable de taille de l'emploi n'augmente que marginalement. Cependant, celui de l'emploi selon l'industrie est réduit d'environ 40 %, mais demeure néanmoins significatif. Wheeler (2006) obtient des résultats comparables. Donc, il semble exister un effet de composition industrielle, mais son interprétation demeure une question ouverte. Alors que ce résultat évoque un rôle moindre des économies de localisation, il se pourrait aussi que ces économies sous-tendent la taille plus grande des établissements que l'on trouve dans les grappes d'emploi.

Si les modèles présentés au tableau 5 fournissent un ensemble étendu de variables de contrôle, ils ne sont aucunement exhaustifs. Ainsi, nos mesures des économies d'agglomération sont limitées, car nous n'incluons pas le potentiel de marché, qui est une mesure plus générale de la taille du marché. Les modèles ne contiennent pas non plus de contrôle pour les agréments locaux. Or, cette variable pourrait être importante, car les travailleurs pourraient accepter des gains plus faibles pour vivre dans un endroit offrant de meilleurs agréments. Enfin, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, la rémunération et l'emploi pourraient être endogènes, ce qui signifie que nous devons instrumentaliser les variables d'emploi.

Le tableau 6 présente les modèles spécifiés pour tester la robustesse de nos résultats avec l'introduction de contrôles pour ces divers effets. Pour faciliter les comparaisons, le modèle 1 est le même que le modèle 2 présenté au tableau 5, avec omission des estimations des coefficients pour les variables de capital humain. Nous accordons la préférence à ce modèle, parce qu'il s'agit du plus parcimonieux. Les modèles 2 et 3 correspondent simplement à ce modèle auquel ont été ajoutées des variables supplémentaires, tandis que le modèle 4 présente les estimations des variables instrumentales.

Le modèle 2 comprend une variable de contrôle pour le potentiel de marché, tel qu'il a été spécifié originellement par Harris (1954). Le potentiel de marché est mesuré en divisant la somme des populations des régions métropolitaines de recensement et des divisions de recensement rurales au Canada et des comtés aux États-Unis, pondérée (négativement) par la distance. Plus formellement, le potentiel de marché (PM) est donné par Image, où j et l sont les indices dénotant les unités géographiques (régions métropolitaines de recensement, agglomérations de recensement, divisions de recensement et, aux États-Unis, comtés), P est la population de chaque unité et D est la distance orthodromique (plus courte distance) entre j et l 15 . Les comtés américains sont inclus à cause de l'effet particulièrement prononcé des marchés américains sur certaines régions du Canada, particulièrement le Sud de l'Ontario et le Québec 16 . Comme il fallait s'y attendre, il existe une association positive entre le potentiel de marché et les gains, mais le coefficient n'est pas significatif 17 . L'accès au marché au-delà de la région urbaine ou rurale locale n'a aucun effet significatif sur les gains.

Le modèle suivant (modèle 3) a pour but de tenir compte de l'effet des agréments qu'offre un endroit. Nous utilisons la part de l'emploi dans les professions de l'industrie culturelle 18  dans chaque unité géographique comme mesure indirecte des agréments. Comme le souligne Glaeser et Gottlieb (2006, p. 1276 et 1277), « … la migration entre villes fait en sorte que celles qui exercent le plus d'attrait en ce qui concerne une dimension (comme des salaires plus élevés) sont moins attirantes en ce qui concerne une autre dimension (comme le fait d'avoir un climat moins agréable) » [TRADUCTION] 19 . Donc, en principe, les gains devraient être associés négativement à l'emploi dans l'industrie culturelle (un agrément positif). Puisque ces derniers augmentent généralement avec la taille de la ville au Canada (Schimpf et Sereda, 2007), le coefficient de la variable de taille de la ville devrait augmenter quand on inclut dans le modèle la part de l'emploi dans l'industrie culturelle. Les deux attentes sont confirmées par les estimations. Le coefficient de la part de l'emploi dans l'industrie culturelle est négatif et significatif au seuil de signification de 10 %, tandis que l'élasticité de la taille de la ville augmente légèrement, pour passer de 0,018 (modèle 1) à 0,026.

Le dernier modèle du tableau 6 a pour but de tenir compte de l'endogénéité éventuelle des gains et de la taille de l'emploi par instrumentalisation de l'emploi à l'aide du rang de la taille de l'emploi. Comme cette variable instrumentale est assez puissante, avec un R-carré partiel égal à 0,35, nous avons utilisé la méthode des doubles moindres carrés (DMC) pour estimer le modèle. L'estimation par les DMC du coefficient de l'emploi est semblable à celle obtenue à l'aide du modèle de base et demeure significative. Ce résultat n'est pas tout à fait inattendu, car Combes et coll. (2007) constatent que l'effet de l'endogénéité de la densité de l'emploi (qui est étroitement associée à notre mesure des économies d'agglomération) et des gains est faible.

Enfin, nous examinons la question du biais dû aux variables omises. Comme nous l'avons mentionné plus haut, notre estimation de l'effet des économies d'agglomération sur les gains qui dérive du niveau de l'emploi dans la région j pourrait comporter un biais par excès dû aux variables omises. Autrement dit, nous sommes préoccupés par le fait que des personnes dont certaines caractéristiques inobservées sont associées positivement aux gains pourraient être concentrées dans les grandes régions urbaines. Pour résoudre ce problème, nous estimons un ensemble de régressions quantiles en utilisant la spécification qui concorde avec celle du modèle 2 dans le tableau 5. Au graphique 6, nous présentons les estimations ponctuelles des quantiles et les intervalles de confiance à 95 % pour l'emploi dans j. À titre de référence, nous présentons également l'estimation ponctuelle des moindres carrés ordinaires (MCO).

Le long de la plupart de la distribution des gains, l'estimation ponctuelle du quantile pour l'emploi dans j est inférieure à l'estimation des MCO, l'estimation moyenne entre les 10e et 90e centiles étant de 0,016. Ce n'est qu'au 95e centile que l'estimation du quantile est supérieure à l'estimation des MCO (coefficient = 0,024). Il semble donc que la queue droite de la distribution des gains entraîne vers le haut l'estimation ponctuelle des MCO pour l'emploi dans j. Il est également probable que la queue droite de la distribution des gains contienne les individus dont les caractéristiques inobservées se traduisent par des gains plus élevés. Donc, nous accordons plus d'importance à l'estimation ponctuelle égale à 0,016; nous notons toutefois que cette estimation ponctuelle ne diffère pas tellement de l'estimation par les MCO de 0,020.

Enfin, l'estimation ponctuelle du 5e centile est environ égale à la moitié de celle des autres quantiles, ce qui pourrait être un signe que les économies d'agglomération sont moins importantes pour les travailleurs dont les gains sont très faibles. Il importe toutefois de se souvenir que la précision de l'estimation est assez faible. La borne supérieure de son intervalle de confiance à 95 % coïncide approximativement avec celle des autres quantiles, à l'exception du 95e centile.

Pour conclure l'analyse, nous revenons au problème initial de l'explication de l'écart des gains entre les régions urbaines et rurales. L'analyse multivariée donne à penser que les différences de gains selon le classement urbain-rural sont associées à des économies d'agglomération liées à la taille de la ville ainsi qu'à des différences de composition du capital humain des unités géographiques. La question qui se pose est celle de savoir quelle part de la variation des gains d'après le classement urbain-rural est expliquée par les différences de composition des compétences de la population active. Pour y répondre, nous estimons deux modèles. Le premier ne comprend que des variables binaires pour chacune des classes du classement urbain-rural, à l'exclusion de celle des grandes régions urbaines. Le deuxième modèle correspond au modèle 2 du tableau 4 dont sont exclues les variables d'agglomération. Nous nous intéressons à la réduction des valeurs des coefficients de la variable binaire urbaine-rurale lorsque l'on inclut les mesures du capital humain. Il est évident, si l'on examine le graphique 7, que pour les régions urbaines de taille moyenne et petite, environ 40 % de l'écart entre leurs gains et celui des grandes régions urbaines est dû à des différences de composition du capital humain de la population active occupée. Dans les régions rurales, une part de l'écart allant du tiers à la moitié est expliquée par le niveau de capital humain atteint par les travailleurs. Ces estimations sont remarquablement proches de celles de Combes, Duranton et Gobillon (2008), qui constatent qu'en France, de 40 % à 50 % de la variation des gains selon la zone de marché du travail sont attribuables à des différences observées et inobservées de compétences et d'aptitudes. Le fait que leur estimation soit fondée sur une méthodologie qui tient compte explicitement des caractéristiques inobservées est particulièrement instructif. Nous obtenons un résultat semblable en utilisant une spécification spécialement sensible aux effets d'un niveau de scolarité élevé sur le niveau de rémunération. Il s'avère que le niveau de scolarité est l'un des déterminants essentiels de la variation des gains des régions urbaines et rurales au Canada. La part non expliquée par l'éducation est vraisemblablement due aux économies d'agglomération qui sont mesurées indirectement par notre définition des régions urbaines et rurales. Cependant, étant donné la sensibilité de l'estimateur par les MCO aux caractéristiques non observées des individus, nous sommes obligés de reconnaître que ces dernières pourraient aussi être à l'origine d'une partie des différences, en plus d'autres facteurs distinctifs.

6   Conclusion

Le revenu tiré d'un emploi varie considérablement entre les villes et les régions rurales au Canada. Les habitants des grandes régions métropolitaines ont des gains supérieurs de 25 % environ à ceux de leurs homologues des régions rurales. Une question qui se pose naturellement est celle de savoir quels sont les facteurs qui sous-tendent cet écart. Dans le présent document, nous avons cherché à déterminer si les différences sont dues à des économies d'agglomération, qui sont sans doute plus importantes dans les grandes régions urbaines, ou au fait que les travailleurs dont le niveau de capital humain est plus élevé ont tendance à se concentrer dans les villes.

L'analyse démontre que les économies d'agglomération déterminées par la taille de la ville et la composition des compétences sont toutes deux associées aux différences de gains entre les villes et les régions rurales. Les différences de compétence sont clairement associées au niveau de gains : le nombre d'années d'études semblant expliquer une part importante de l'écart entre les gains des régions urbaines et ceux des rurales. L'avantage des villes semble tenir autant à leur capacité de former, d'attirer et de retenir des travailleurs hautement qualifiés qu'à leur capacité inhérente de faciliter les interactions entre les travailleurs et les entreprises.

Deux questions découlent de cette analyse : Qu'est-ce qui sous-tend les économies d'agglomération? (Voir Beckstead et coll., 2007 et Baldwin, Brown et Rigby, 2008.) Et pourquoi les travailleurs les plus qualifiés se concentrent dans les grandes villes? Plus précisément, l'offre de compétences sur le marché du travail et la demande de ces mêmes compétences représentent-elles une caractéristique endogène des villes? Les industries et les entreprises qui requièrent des travailleurs possédant des compétences spécialisées sont-elles plus susceptibles de se développer dans des régions où il existe un grand réservoir de main-d'oeuvre spécialisée (Kim, 1989), créant une demande de compétence spécialisée? De même, les travailleurs investissent-ils dans un plus grand nombre d'années d'études dans les endroits où le rendement de cet investissement est le plus élevé et le plus évident; ou bien, les travailleurs qualifiés sont-ils formés partout au même taux pour ensuite migrer vers les endroits où le rendement de leurs études est le plus élevé?

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