L'emploi chez les personnes ayant une incapacité

Diane Galarneau et Marian Radulescu

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Lorsqu'il est question des personnes ayant une incapacité, on présume souvent qu'elles en sont touchées tout au long de leur vie. Pourtant, parmi les personnes ayant déclaré une incapacité à un moment donné entre 1999 et 2004, seulement 13 % ont été touchées durant ces six années. Une proportion importante semble donc limitée de façon temporaire. Il est également possible que l'incapacité se vive par phases ou par épisodes, avec un certain nombre d'entrées et sorties d'états d'incapacité plus ou moins sévères au fil du temps. Ces phases ou ces épisodes ont vraisemblablement des effets importants sur la capacité de ces personnes à participer au marché du travail de façon continue de même que sur leur capacité à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

Les personnes handicapées font face à divers obstacles lorsque vient le temps de participer au marché du travail, même si maintenir un lien avec ce dernier est souvent crucial pour elles. Cela leur permet de répondre aux besoins de la vie courante, accroît leur estime d'elles-mêmes et donne un sentiment d'appartenance à la communauté. Dans le contexte actuel d'une population vieillissante et de possibilités de pénurie de main-d'œuvre, la société peut difficilement se passer de tout apport. La Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne protègent et assurent d'ailleurs l'accès au marché du travail des personnes ayant des limitations d'activités en leur garantissant l'égalité et en interdisant la discrimination fondée sur la déficience physique ou mentale (Ressources humaines et Développement social Canada, 2006).

La plupart des enquêtes qui traitent de l'incapacité fournissent peu d'information sur la dynamique de la participation au marché du travail des personnes touchées. L'Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR) permet de combler cette lacune grâce à son volet longitudinal et à la question sur l'incapacité qui comporte, depuis 1999, des éléments de limites fonctionnelles et sociétales, ce qui va de pair avec les enquêtes traitant habituellement de ce phénomène (voir Source des données et définitions).

Dans le présent article, on compare l'activité sur le marché du travail des personnes ayant une incapacité avec celle des personnes sans incapacité à l'aide de l'EDTR. Grâce à sa période d'observation de six ans, l'EDTR permet de savoir comment l'activité sur le marché du travail des personnes limitées évolue à mesure que s'allonge la période d'incapacité. Il est également possible d'examiner l'activité sur le marché du travail pendant les années d'incapacité de même que pendant les années sans incapacité. Puisque les personnes ayant une incapacité sont plus susceptibles d'avoir un faible revenu d'emploi (Chung, 2004), on examine également leurs gains et leurs avantages sociaux.

Moins actives sur le marché du travail à cause de leur incapacité

En 2006, les personnes âgées de 20 à 64 ans qui avaient une incapacité étaient en moyenne plus âgées, moins scolarisées, et plus susceptibles d'avoir une santé passable ou mauvaise et de vivre seules. Les femmes ayant une incapacité étaient également légèrement plus susceptibles que les autres femmes d'être le principal soutien économique du ménage (tableau 2).

Les personnes handicapées se démarquent également par un lien plus faible avec le marché du travail puisqu'elles ne sont évidemment pas toutes aptes à travailler. Selon l'Enquête sur la participation et les limitations d'activités de 2006, 42 % des personnes âgées de 15 à 64 ans et ayant déclaré une incapacité étaient inaptes au travail. Malgré ce lien plus faible, elles ont semblé profiter de la croissance de l'emploi des dernières années (graphique A). De 1999 à 2006, la proportion des hommes ayant une incapacité et occupés toute l'année a plus augmenté (passant de 48 % à 56 %) que celle des hommes sans incapacité (de 73 % à 75 %). Chez les femmes ayant une incapacité, la hausse (de 39 % à 46 %) a été légèrement plus importante que chez leurs homologues n'ayant déclaré aucune incapacité (de 61 % à 65 %)1.

Les hommes ayant une incapacité ont travaillé moins d'heures annuelles en 2006 que ceux n'ayant indiqué aucune incapacité (tableau 3). La différence était équivalente à 15 semaines de travail (en équivalents temps plein, et en incluant ceux n'ayant pas travaillé). Ce plus petit nombre d'heures pourrait être attribuable à des caractéristiques personnelles souvent associées à un lien plus faible avec le marché du travail, comme l'âge plus avancé, le niveau de scolarité moindre et un état de santé souvent passable ou mauvais. Après avoir tenu compte des caractéristiques personnelles (voir Méthodologie), l'écart du nombre d'heures demeurait substantiel, soit l'équivalent de 13 semaines à temps plein. Chez les femmes, la différence était de 12 semaines avant les ajustements, et de 11 semaines après. Cela démontre qu'une bonne partie du lien plus faible de ces personnes avec le marché du travail peut être attribuable à leurs limitations d'activités.

La prolongation de la période d'incapacité accentue les différences liées au profil

Parmi les personnes âgées de 20 à 59 ans en 1999, 41 % ont déclaré avoir eu une incapacité à un moment donné entre 1999 et 2004. En fait, 15 % de l'ensemble des personnes ont indiqué avoir été limitées pendant une seule année, alors que seulement 5 % ont déclaré avoir été limitées pendant ces six années. Les 21 % restants ont indiqué de deux à cinq années d'incapacité. Bien que l'EDTR fournisse peu d'information sur la nature permanente ou temporaire de l'incapacité ou encore sur le degré de sévérité du handicap, l'examen des caractéristiques des personnes touchées permet d'établir des différences claires entre les personnes touchées pendant de courtes périodes et celles qui le sont plus longtemps (voir Source des données et définitions).

Les personnes touchées pendant une seule année présentaient de légères différences par rapport aux personnes n'ayant déclaré aucune limitation : elles étaient un peu plus âgées, un peu moins scolarisées, et leur état de santé variait plus souvent entre passable et mauvais (15 % contre 2 % des personnes sans incapacité) [tableau 4].

L'augmentation du nombre d'années d'incapacité tendait à accentuer ces différences. Ainsi, comparativement aux personnes sans incapacité, celles qui en avaient déclaré pendant les six années étaient plus susceptibles d'être des femmes, d'être âgées de 55 à 64 ans (40 % contre seulement 15 % des personnes sans incapacité), de ne pas détenir un diplôme d'études secondaires (31 % contre 11 %), de ne pas être mariées ni en union libre (46 % contre 22 %), de ne pas avoir d'enfants (65 % contre 41 %) et d'avoir un état de santé passable ou mauvais (63 % contre 2 %). Par ailleurs, les membres des minorités visibles étaient légèrement moins susceptibles d'indiquer une incapacité. Il existe certaines différences selon la région de résidence; par exemple, les personnes ayant une incapacité habitaient plus souvent les provinces de l'Atlantique2.

Effets se faisant sentir au-delà de la période d'incapacité

Le taux d'activité est utile lorsqu'il est question d'incapacité en raison de certains obstacles auxquels font face les personnes ayant des limitations. Il porte non seulement sur les personnes occupées, mais également sur celles qui sont disposées à travailler (Statistique Canada, 2007). Les personnes touchées par une ou plusieurs incapacités ont habituellement un lien plus faible avec le marché du travail. Cela est encore plus vrai lorsque s'allonge la période d'incapacité. Pendant les années d'incapacité, le taux d'activité annuel moyen (voir Méthodologie) des hommes touchés et âgés de 20 à 59 ans en 1999 variait entre 88 % et 44 %, selon qu'ils avaient déclaré une ou six années d'incapacité. Ce taux s'établissait à 90 % pour leurs homologues sans incapacité pendant les six années. Chez les femmes, le taux variait entre 73 % et 35 % selon le nombre d'années d'incapacité, comparativement à 76 % chez celles n'ayant indiqué aucune incapacité (graphique B).

Le taux d'activité des personnes ayant déclaré une incapacité peut également être plus faible durant les années où aucune incapacité n'a été indiquée. Par exemple, lorsque les hommes avaient quatre années d'incapacité, leur taux d'activité moyen pendant les deux autres années était de 75 %, ce qui est moins élevé de manière significative que dans le cas des hommes sans incapacité (90 %). Un écart comparable était observé pour les hommes ayant déclaré cinq années d'incapacité; leur taux d'activité pendant leur seule année sans incapacité s'établissait à 73 %. Des écarts également prononcés étaient observés pour les femmes, et ce, à partir de trois années d'incapacité. Chez ces dernières, le taux d'activité pendant les années d'incapacité différait cependant très peu de celui observé pendant les années sans incapacité — 66 % et 68 % lorsqu'elles déclaraient trois années d'incapacité, 54 % et 55 % lorsqu'elles en déclaraient cinq. Ces taux étaient donc différents de façon significative de celui des femmes sans limitations d'activités (76 %).

Durant les périodes d'incapacité, les personnes occupées (autrement dit, les personnes ayant un nombre d'heures positif, voir Méthodologie) travaillent souvent un nombre d'heures annuelles plus faible. À mesure que le nombre d'années d'incapacité augmente, les écarts se creusent par rapport à la population sans incapacité. Environ 55 % des hommes et 39 % des femmes sans incapacité travaillaient annuellement l'équivalent d'un horaire à temps plein toute l'année, comparativement à 21 % et 14 % de leurs homologues ayant déclaré six années d'incapacité (graphique C). En général, cette propension plus faible des personnes handicapées à adopter un horaire à temps plein toute l'année était également observée durant les années où aucune incapacité n'était déclarée.

Écart des heures inexistant pour les périodes plus courtes d'incapacité

Grâce aux données longitudinales, on peut examiner si l'écart du nombre d'heures de travail persiste, quelles que soient les années d'incapacité. Les heures travaillées pendant les six années d'observation chez les personnes ayant une incapacité et celles sans incapacité (ce qui inclut les heures nulles) ont été cumulées puis ajustées pour tenir compte des caractéristiques différentes des personnes ayant déclaré de zéro à six années d'incapacité (voir Méthodologie). Même avant les ajustements, la différence entre les personnes ayant déclaré une incapacité pendant seulement un an et celles n'ayant indiqué aucune incapacité n'était pas significative. Cependant, après ajustements, l'écart demeurait significatif à partir de deux ou trois années d'incapacité (tableau 5). Pour les personnes touchées pendant les six années, l'écart ajusté des heures était appréciable, représentant 1,6 année. La distinction entre les courtes périodes d'incapacité et les plus longues révèle des écarts d'heures travaillées qui étaient masqués dans les données transversales.

Ces écarts ajustés ne prennent pas en considération les différences liées aux caractéristiques du marché du travail, puisque les personnes ayant des heures nulles ne possèdent pas de caractéristiques d'emploi. Si on limite l'analyse aux personnes ayant des heures positives entre 1999 et 2004, on obtient des résultats très semblables. La prise en compte des caractéristiques d'emploi fait passer l'écart à 0,9 année, et la différence demeure significative.

Taux de cessation d'emploi comparables

Parmi les personnes faisant partie de la population active, les hommes et les femmes touchés par une incapacité n'étaient pas plus susceptibles que leurs homologues sans incapacité de connaître des cessations d'emploi entre 1999 et 2004 (tableau 6)3. Toutefois, les personnes ayant une incapacité étaient plus susceptibles d'opter pour des heures réduites ou pour l'inactivité.

En général, les raisons invoquées pour les cessations d'emploi étaient comparables, peu importe s'il y avait incapacité ou non. Les cessations pour raisons de santé étaient cependant légèrement plus fréquentes chez les personnes ayant des limitations d'activités. C'était le cas pour respectivement 6 % et 8 % de ces hommes et de ces femmes (sans distinction du nombre d'années d'incapacité), comparativement à 0 % et 1 % de leurs homologues sans incapacité. Une étude récente (Marshall, 2006) a d'ailleurs montré que les personnes ayant une incapacité étaient jusqu'à 2,4 fois plus susceptibles de prendre un congé de maladie prolongé et, par conséquent, de subir une diminution salariale. D'autres recherches ont également démontré qu'en plus d'entraîner une baisse du rendement, l'absentéisme peut se traduire par une réduction du salaire et des possibilités de promotion (Harrison et Martocchio, 1998; Yelin et Trupin, 2003).

Tant pour les personnes limitées que pour celles qui ne l'étaient pas, les raisons les plus souvent mentionnées étaient liées à l'emploi, c'est-à-dire à cause d'un licenciement, de la fin d'un contrat ou d'un emploi saisonnier, d'un congédiement, d'une grève ou du déménagement de la compagnie. Ces raisons liées à l'emploi représentaient de 43 % à 53 % des raisons expliquant les cessations d'emploi chez les hommes et de 35 % à 40 % des raisons données par les femmes.

Écart des gains significatif pour les longues périodes d'incapacité

Les personnes touchées par une incapacité affichent en général des gains horaires moyens inférieurs à ceux de leurs homologues sans incapacité, et l'écart augmente avec le nombre d'années d'incapacité4. En 2004, cet écart allait d'une valeur à peu près nulle pour les personnes qui avaient indiqué une année d'incapacité à 20 % et 23 % respectivement pour les hommes et les femmes qui en avaient déclaré six (tableau 7).

Comme les personnes ayant une incapacité peuvent avoir des caractéristiques expliquant leurs gains plus faibles, on a ajusté les gains de façon à neutraliser l'effet de ces caractéristiques. Lorsque les différences liées aux caractéristiques démographiques étaient prises en compte (modèle 1), l'écart des gains diminuait mais demeurait significatif, variant entre 1 % et 19 % selon le nombre d'années d'incapacité. L'ajout des caractéristiques du marché du travail (modèle 2) rétrécissait l'écart, mais celui-ci demeurait significatif à partir de deux ou trois années d'incapacité chez les hommes et à partir de quatre ou cinq années chez les femmes.

L'EDTR ne fournit pas d'indication sur le type d'incapacité, mais il est possible de distinguer les handicaps qui limitent les personnes au travail ou à l'école de ceux qui les limitent dans d'autres activités. Les hommes limités au travail enregistraient un écart défavorable de leurs gains de 16 %. Après ajustements en fonction des caractéristiques démographiques, l'écart demeurait significatif à 12 %. Chez les femmes, l'écart avant les ajustements était de 12 %, et de 10 % après. L'ajout des caractéristiques du marché du travail réduisait l'écart à 7 % et 6 % respectivement. Les personnes ayant une incapacité les limitant ailleurs qu'au travail n'affichaient pas d'écart par rapport aux personnes non limitées, même avant les ajustements. Être limité au travail constituait donc un désavantage plus prononcé.

En général, on notait peu d'écarts entre les personnes touchées par une incapacité et celles sans incapacité au chapitre de l'affiliation syndicale et de la protection offerte par des régimes de retraite ou d'assurance-maladie. Toutefois, chez les femmes ayant une incapacité pendant les six années, des différences étaient observées quant à la protection par un régime d'assurance-invalidité ou de soins dentaires (tableau 8)5.

Les personnes ayant une incapacité plus à risque de faible revenu

Une personne peut avoir de faibles gains mais vivre dans un ménage qui n'est pas à faible revenu en raison des gains et des revenus des autres membres du ménage. Les taux de faible revenu ont été examinés pour l'ensemble des personnes, quelle que soit la situation vis-à-vis de l'activité. L'activité sur le marché du travail a un effet important sur la probabilité de faible revenu (Kapsalis et Tourigny, 2007). Les personnes ayant une incapacité ont donc un facteur de risque additionnel, puisque leur incapacité réduit leur propension à être actives sur le marché du travail.

Même après la prise en compte des différences relatives aux caractéristiques démographiques, les personnes ayant une incapacité étaient dans l'ensemble plus à risque d'être à faible revenu, et cette probabilité augmentait généralement avec le nombre d'années d'incapacité. Les hommes touchés pendant une période de deux à cinq ans étaient deux fois plus à risque que les hommes sans incapacité, alors que ceux touchés pendant six ans étaient huit fois plus à risque (graphique D). Les femmes qui étaient touchées pendant six ans étaient quatre fois plus à risque que leurs homologues sans incapacité. Les femmes handicapées pendant moins de six ans affichaient de légères différences par rapport à celles sans incapacité. Parmi les personnes limitées au travail ou à l'école, les hommes étaient presque quatre fois plus à risque d'avoir un faible revenu alors que les femmes l'étaient deux fois plus. Les personnes limitées ailleurs qu'au travail n'affichaient pas d'écart significatif par rapport à celles non limitées. Selon une étude récente, les personnes limitées au travail étaient non seulement plus à risque d'avoir un faible revenu, mais également d'avoir un faible revenu persistant; leur lien plus faible avec le marché du travail avait l'effet le plus important sur cette persistance (Kapsalis et Tourigny, 2007).

Conclusion

L'utilisation des données longitudinales sur l'incapacité apporte un éclairage nouveau sur toute la question des limitations d'activités. On constate d'abord que l'incapacité peut être temporaire ou épisodique, de sorte que les personnes ne sont pas nécessairement touchées de façon continue. De 1999 à 2004, seulement 13 % des personnes ayant indiqué une incapacité ont déclaré en être touchées durant ces six années.

À mesure que s'allonge la période d'incapacité, les personnes touchées sont plus susceptibles d'avoir une scolarité moindre, d'être des femmes, d'être plus âgées et de vivre seules. Ces caractéristiques sont souvent associées à une participation moindre au marché du travail. Les personnes ayant une incapacité travaillent en effet un nombre inférieur d'heures par année. Cet écart persiste même après la prise en compte de leurs caractéristiques démographiques. Au cours d'une période de six ans, la différence du nombre d'heures de travail entre les personnes touchées et celles sans incapacité peut s'élever à 1,6 année de temps de travail « perdu ». Après ajustements en fonction des caractéristiques du marché du travail, l'écart demeure significatif et atteint près d'une année.

Pour nombre de personnes touchées, les effets de l'incapacité se font sentir au-delà de la période d'incapacité. En effet, le taux d'activité et les heures de travail par année des personnes touchées sont plus faibles non seulement durant les années d'incapacité, mais aussi pendant les autres années.

Chez les hommes et les femmes, les taux de cessation d'emploi sont semblables à ceux de leurs homologues sans incapacité. Cependant, les personnes ayant une incapacité sont plus susceptibles de cesser de travailler en raison de problèmes de santé. Les raisons liées à l'emploi (licenciement, fin d'un emploi temporaire ou d'un contrat, etc.) expliquent la plus grande part des cessations d'emploi, tant pour les personnes limitées que pour celles qui ne l'étaient pas.

L'examen des conditions d'emploi montre des différences importantes entre les personnes ayant une incapacité et celles sans incapacité. Ces différences sont très sensibles au nombre d'années d'incapacité et persistent même après la prise en compte des différences relatives aux caractéristiques démographiques Ainsi, comparativement aux personnes non touchées, les hommes et les femmes ayant une incapacité pendant six ans enregistrent des écarts de gains pouvant atteindre près de 20 %. En général, on note peu d'écarts quant à la protection en matière d'avantages sociaux.

L'activité sur le marché du travail a un effet considérable sur la probabilité de faible revenu. Puisque les personnes ayant une incapacité affichent une plus faible propension à être actives sur le marché du travail, leur risque de faible revenu est plus élevé. Ce risque est relativement plus important chez les hommes : ceux ayant une incapacité pendant quatre ou cinq ans sont deux fois plus à risque, et ceux touchés pendant six ans sont huit fois plus à risque que leurs homologues sans incapacité. Chez les femmes, le risque est quatre fois plus grand lorsqu'elles sont touchées pendant six ans, mais on observe peu de différences quant au risque de faible revenu entre les femmes ayant une incapacité et celles sans incapacité pour les périodes de moins de six ans.

L'utilisation des données longitudinales révèle des écarts au chapitre des heures travaillées, des gains et du faible revenu entre les personnes limitées et celles non limitées qui sont masqués lorsqu'on utilise les données transversales. Elle souligne également l'importance de mieux mesurer le degré de sévérité afin de cerner davantage l'effet de la durée de l'incapacité.

Source des données et définitions

La présente étude est fondée sur les données longitudinales et transversales de l'Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR). Dans le volet longitudinal, on a utilisé le panel couvrant les années 1999 à 2004 parce qu'il était le premier à inclure la nouvelle question sur l'incapacité, et on s'est attardé sur les personnes d'âge actif, soit celles âgées de 20 à 59 ans en 1999 ou de 25 à 64 ans en 2004. Dans le volet transversal, on s'est penché sur les personnes âgées de 20 à 64 ans en 2006.

Dans l'Enquête sur la participation et les limitations d'activités — comme dans la plupart des enquêtes de Statistique Canada sur le sujet, y compris le recensement, l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes et l'EDTR depuis 1999 —, la définition de l'incapacité fait appel au cadre biopsychosocial de l'Organisation mondiale de la Santé où l'incapacité est définie dans son sens large et comprend toute limitation d'activités. L'incapacité « … n'est pas le simple résultat direct d'un problème de santé ou d'une limite physique ou mentale. On considère plutôt qu'il s'agit du résultat d'interactions complexes entre un problème de santé ou une limitation fonctionnelle et l'environnement social, politique, culturel, économique et physique. Ces limites, combinées à des facteurs personnels liés par exemple à l'âge, au sexe et au niveau de scolarité peuvent entraîner un désavantage — c'est-à-dire un handicap » (Ressources humaines et Développement social Canada, 2006).

À partir de l'année de référence 1999, l'EDTR se sert des questions filtres des recensements de 2001 et de 2006 pour déterminer les personnes ayant une incapacité. Ces questions portent sur toute difficulté à entendre, voir, communiquer, marcher, monter les escaliers, se pencher, apprendre ou accomplir des activités similaires, ou tout problème de santé ou condition physique ou mentale réduisant le nombre ou le genre d'activités qu'une personne peut faire à la maison, dans ses loisirs, au travail ou à l'école. Dans cet article, le taux d'incapacité englobe toutes ces raisons. Bien que les termes « personnes ayant une incapacité », « personnes ayant des limitations d'activités » et « personnes handicapées » puissent traduire des réalités différentes, ils sont utilisés de façon interchangeable dans le texte.

Une limite importante de l'EDTR tient au peu d'information quant au type, à la durée et au degré de sévérité de l'incapacité. On note des différences importantes dans le taux d'activité des personnes ayant une ou plusieurs incapacités, selon le type d'incapacité et son degré de sévérité (Williams, 2006; Statistique Canada, 2007) [tableau 1].

Ainsi, parmi les 1,5 million de personnes ayant indiqué une seule année d'incapacité entre 1999 et 2004, il se pourrait que cela soit le résultat d'un accident sans grande conséquence les ayant limitées pendant quelques semaines, avec pour unique séquelle le mauvais souvenir qu'elles en garderont. En revanche, cela pourrait être un épisode qui se répètera plusieurs fois et qui aura des effets plus ou moins importants selon les années.

Le degré de sévérité du handicap influe davantage sur l'activité sur le marché du travail que le type d'incapacité (Hum et Simpson, 1996). Malgré l'absence d'information sur le degré de sévérité, le nombre d'années d'incapacité observé fournit certaines indications. En effet, à mesure que s'allonge la période d'incapacité, le profil des personnes touchées s'éloigne de celles sans incapacité et leur activité sur le marché du travail tend à être plus faible. La durée semble donc traduire en partie le degré de sévérité. Cela représente une mesure partielle du degré de sévérité puisqu'il est possible qu'une personne ait une incapacité permanente mais que celle-ci n'ait qu'une légère incidence sur son activité sur le marché du travail. La durée de la condition depuis le début du handicap a aussi été explorée afin de cerner le degré de sévérité. Toutefois, cette variable comprend un nombre relativement élevé de valeurs manquantes — près du cinquième — sur un échantillon déjà relativement petit, et elle se comporte de façon semblable à la durée observée. L'avantage de se servir de la durée observée est qu'elle permet l'inclusion de l'ensemble de l'échantillon. L'état de santé peut également permettre de déterminer le degré de sévérité. Cependant, lorsqu'il est ajouté dans les régressions, il enlève le pouvoir explicatif des variables relatives à l'incapacité parce que l'état de santé tend à se détériorer avec le nombre d'années d'incapacité. Par conséquent, on a utilisé le nombre d'années d'incapacité observé.

La nature épisodique de l'incapacité capte de plus en plus l'attention en raison de ses nombreux effets possibles sur l'activité sur le marché du travail et sur les gains (Cranswick, 1999; Holland, Whitehead, Clayton et Drever, 2008). On a donc aussi tenté de cerner cet aspect en différenciant les périodes continues d'incapacité de celles non continues au cours de l'intervalle de six ans. Cette distinction est cependant possible uniquement pour les périodes d'incapacité de deux à cinq ans puisque les périodes de six ans sont, par définition, continues, et les périodes d'un an, non continues. Or, cette distinction était incomplète puisque l'EDTR ne permet pas de saisir les entrées et sorties à l'intérieur d'une même année. Par ailleurs, on notait très peu de différences concernant les taux d'activité, les heures travaillées, les taux de faible revenu ou l'état de santé selon que les périodes étaient continues ou non. La nature continue ou non des périodes d'incapacité n'a donc pas été retenue.

Méthodologie

Dans le cas des personnes sans limitations d'activités, la situation vis-à-vis de l'activité correspond à une moyenne pondérée au cours des six années. Pour les personnes limitées, les taux d'activité moyens sont calculés pour les années avec et sans incapacité. Être actif signifie qu'une personne était occupée ou en chômage durant toute l'année; être inactif désigne une personne qui, durant toute l'année, n'occupait pas un emploi et n'était pas à la recherche d'un emploi; une situation autre renvoie à des périodes d'activité et d'inactivité pendant l'année. Les différences étaient significatives au seuil de 5 % ou mieux, ce dernier ayant été établi à partir des poids bootstrap. Une méthode semblable a été utilisée pour les estimations sur la proportion travaillant à temps plein toute l'année. Une personne occupée à temps plein toute l'année doit avoir travaillé l'équivalent de 1 750 à 2 199 heures en moyenne par année.

Les estimations du nombre d'heures de travail ajustées proviennent d'un modèle de régression tobit, qui convient bien aux ensembles de données comportant un certain nombre de non-participants à une activité, comme c'est le cas ici en raison des personnes n'ayant travaillé aucune heure durant la période d'observation. La technique prend simultanément en considération la probabilité de travailler et la durée du temps de travail. Le modèle commence par évaluer la probabilité de travailler à l'aide d'une variable binaire, prenant la valeur 1 si les heures sont positives et 0 autrement, puis évalue l'effet des différentes variables indépendantes sur les heures travaillées de façon linéaire. Des modèles séparés ont été estimés pour les hommes et les femmes. Les variables indépendantes étaient les suivantes : le fait d'être limité ou non, l'âge, la scolarité, le type de famille, la province, la région (urbaine ou rurale), le fait d'être le principal soutien économique du ménage, l'appartenance à une minorité visible, l'appartenance à un groupe autochtone et le statut d'immigrant récent. Dans la partie longitudinale, on prenait aussi en considération les années d'incapacité observées, qui permettent de tenir compte en partie du degré de sévérité du handicap. Chaque modèle comprenait quatre variables binaires indiquant la durée observée de l'incapacité (un an, deux ou trois ans, quatre ou cinq ans, et finalement six ans), en plus des caractéristiques démographiques.

Les régressions portant sur l'écart des gains ont été estimées à l'aide d'un modèle des moindres carrés ordinaires. Des modèles séparés pour les hommes et les femmes ont été estimés. La variable dépendante correspondait au logarithme des gains horaires de 2004, et les variables démographiques étaient les mêmes que dans le modèle sur les heures. Un deuxième modèle incluait, en plus des variables démographiques, certaines caractéristiques du marché du travail comme la taille du lieu de travail, l'industrie, le niveau de compétence de la profession, l'ancienneté et l'affiliation syndicale. On a également estimé des modèles permettant de distinguer les handicaps limitant les personnes au travail ou à l'école des autres handicaps. Cependant, les années d'incapacité et le type d'incapacité n'ont pu être utilisés simultanément en raison de leur corrélation élevée. Seules les personnes ayant des gains positifs ont été retenues pour ces estimations.

Les régressions estimant la probabilité de faible revenu portaient sur l'ensemble des personnes avec et sans heures de travail et ne tenaient compte que des variables démographiques. La variable dépendante était une variable binaire prenant la valeur 1 si le revenu après impôt du ménage était sous le seuil de faible revenu tel que défini dans l'EDTR, et 0 autrement.

L'analyse a été réalisée à l'aide de STATA 10, qui permet l'utilisation de poids bootstrap.


Notes

  1. Des résultats semblables ont été obtenus dans Uriarte-Landa et Spector (2008).
  2. Ces différences sont significatives au seuil de 5 % ou mieux. Des taux d'incapacité plus élevés ont également été observés dans l'EPLA pour certaines provinces de l'Atlantique (Statistique Canada, 2008).
  3. Il s'agit de tous les emplois occupés par année. Le taux est calculé en fonction du nombre total d'emplois exercés chaque année de 1999 à 2004.
  4. L'écart des gains horaires moyens est calculé pour les personnes qui ont gagné un salaire durant l'année de référence 2004.
  5. Un certain nombre d'études ont essayé de déterminer dans quelle mesure l'existence de pensions d'invalidité peut inciter les personnes à se déclarer handicapées. Les résultats étaient en général peu concluants (Harkness, 1993; Hum et Simpson, 1996).

Documents consultés

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Auteurs

Diane Galarneau est au service de la Division de l'analyse des enquêtes auprès des ménages et sur le travail. On peut la joindre au 613-951-4626 ou à perspective@statcan.gc.ca. Marian Radulescu est au service de la Division de la statistique du revenu. On peut communiquer avec lui au 613-951-0038 ou à perspective@statcan.gc.ca.

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