La spécialisation et la polyvalence dans la délinquance

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Toutes les recherches en criminologie fondées sur des échantillons représentatifs d'auteurs plutôt que sur les antécédents judiciaires de criminels « professionnels » ont fait ressortir très peu d'indications, sinon aucune, d'une spécialisation dans des types particuliers de crimes, mais beaucoup d'indications d'une spécialisation dans les grandes catégories de crimes (Piquero, Farrington et Blumstein, 2007, p. 75). Toutefois, la spécialisation est plus courante chez les adultes que chez les enfants ou les adolescents (Piquero, Farrington et Blumstein, 2007). Dans la présente section, on examine la spécialisation et son inverse, la polyvalence, dans les carrières délinquantes des récidivistes des deux cohortes de naissance. Les infractions sont classées en trois grandes catégories : infractions contre la personne, infractions contre les biens et autres infractions. Les carrières délinquantes comprenant des infractions d'une seule de ces trois catégories sont considérées comme spécialisées, et celles qui comprennent des infractions de deux ou trois catégories, comme polyvalentes. Par conséquent, le critère de spécialisation est très général1.

Contrairement aux analyses figurant dans les autres sections du présent rapport, les analyses de la spécialisation et de la polyvalence sont fondées sur un maximum de quatre différentes infractions dans chaque affaire2. Par conséquent, il se peut qu'une carrière comportant une seule affaire soit considérée comme polyvalente, si les infractions présumées dans l'affaire tombent dans au moins deux des trois grandes catégories d'infractions. En réalité, cela se produit rarement. En effet, seulement 4,3 % des carrières comptant une seule affaire ont été classées dans les polyvalentes. Ce résultat tient probablement au fait que la majorité des affaires consignées dans le Programme DUC 2 ne comportent qu'une seule infraction. En effet, parmi les quelque 123 000 affaires faisant l'objet de la présente étude, seulement 22 000, ou 18 %, comptaient une deuxième infraction codée, seulement 6 000, ou 5 %, comptaient une troisième infraction et seulement 1 800, ou 1,5 %, avaient une valeur indiquée dans les quatre champs relatifs aux infractions. Étant donné que les carrières comptant une seule affaire caractérisent la majorité de la population étudiée (voir la section précédente), et que 96 % d'entre elles sont spécialisées — presque par définition — leur inclusion dans les analyses fausserait énormément les résultats. Les analyses portent donc uniquement sur les carrières des récidivistes, c'est-à-dire ceux qui ont été impliqués dans au moins deux affaires. Les 18 753 récidivistes représentent le tiers (33,4 %) des auteurs présumés inclus dans l'étude.

Les deux premières colonnes du tableau 7 montrent la répartition des carrières des récidivistes dans chaque cohorte selon la spécialisation ou la polyvalence et selon le sous-type de chaque catégorie. Les quatre dernières colonnes subdivisent encore davantage les carrières, selon la présence ou l'absence d'infractions contre l'administration de la justice. On a constaté que 35 % des récidivistes nés en 1987 et 43 % des récidivistes nés en 1990 avaient des carrières délinquantes spécialisées. Le pourcentage de spécialistes chez les récidivistes nés en 1987 (35 %) était le même que celui qui a été déclaré pour les carrières devant les tribunaux des 12 à 21 ans nés en 1979-1980 (Carrington, Matarazzo et deSouza, 2005). Parmi les auteurs présumés spécialisés, 28 % des membres de la cohorte de 1987 et 15 % des membres de la cohorte de 1990 comptaient également dans leur carrière des infractions contre l'administration de la justice. Les proportions comptant des infractions contre l'administration de la justice étaient beaucoup plus faibles que celles indiquées par Carrington, Matarazzo et deSouza dans leur étude sur les carrières devant les tribunaux (57 %), la différence étant attribuable au très petit nombre d'infractions contre l'administration de la justice commises par des enfants de moins de 12 ans, ainsi qu'au processus de sélection des causes avant comparution, qui influe sur la composition de la population étudiée dans les recherches fondées sur des données judiciaires.

Tableau 7 Spécialisation et polyvalence des carrières délinquantes des récidivistes. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira

Tableau 7
Spécialisation et polyvalence des carrières délinquantes des récidivistes

Seulement 7 % des récidivistes de la cohorte de naissance de 1987 et 10 % de ceux de la cohorte de 1990 étaient spécialisés dans les infractions contre la personne, et encore moins (4 % et 2 %, respectivement), dans d'autres infractions. La majorité des carrières spécialisées se composaient de crimes contre les biens (24 % et 31 % des récidivistes, respectivement). Les carrières spécialisées dans les crimes contre les biens — avec ou sans infractions contre l'administration de la justice — étaient les plus courantes parmi les huit types de carrières. Dans la cohorte de 1987, les carrières polyvalentes se répartissaient assez également entre trois groupes, soit les infractions contre les biens et contre la personne, les infractions contre les biens et les autres infractions, et les trois types d'infractions. Un nombre beaucoup plus faible de carrières comportaient seulement des infractions contre la personne et d'autres infractions. En d'autres mots, les carrières polyvalentes avaient grandement tendance à inclure des infractions contre les biens. Les proportions étaient semblables pour les récidivistes nés en 1990, sauf que les carrières consistant en des crimes contre les biens et contre la personne étaient beaucoup plus courantes que les autres types.

La figure 36 montre le lien entre la spécialisation et le nombre d'affaires dans la carrière pour les récidivistes de chaque cohorte de naissance3. Le pourcentage d'auteurs présumés spécialisés est en rapport inverse avec le nombre d'affaires dans la carrière. Pour la cohorte de naissance de 1987, la courbe est beaucoup plus lisse, la probabilité de spécialisation chutant considérablement entre deux et cinq affaires dans la carrière, soit de 50 % à 20 %. Par ailleurs, plus de 90 % des carrières qui comptaient au moins 12 affaires étaient polyvalentes. La conclusion qui se dégage du figure 36 est la même que celle à laquelle sont arrivés la plupart des chercheurs sur le sujet : la spécialisation et la polyvalence dans la délinquance s'expliquent en grande partie par le nombre d'infractions plutôt que par une tendance vers la spécialisation ou la polyvalence de la part de l'auteur (Carrington, Matarazzo et deSouza, 2005, p. 35; Piquero, Farrington et Blumstein, 2007, p. 79).

Figure 36 Proportion de carrières spécialisées, selon le nombre d'affaires durant la carrière et la cohorte. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira.

Figure 36
Proportion de carrières spécialisées, selon le nombre d'affaires durant la carrière et la cohorte

Comme on a constaté que l'âge de début de la délinquance est lié à de nombreuses autres caractéristiques de la carrière criminelle, il importe de savoir si les auteurs présumés précoces sont plus susceptibles ou moins susceptibles d'être spécialisés ou polyvalents durnat leur carrière délinquante. Des recherches antérieures sur les jeunes auteurs et les auteurs adultes indiquent un rapport positif entre l'âge de début et la probabilité de spécialisation, c'est-à-dire au fur et à mesure qu'augmente l'âge de début, le nombre d'affaires dans la carrière diminue et la probabilité de spécialisation s'accroît (Carrington, Matarazzo et deSouza, 2005, p. 36; Piquero, Farrington et Blumstein, 2007, p. 71 et 72). En d'autres mots, les auteurs précoces sont plus susceptibles d'être polyvalents.

La figure 37 montre le lien entre l'âge de début et la spécialisation pour les récidivistes de chaque cohorte de naissance4. Le résultat prévu est confirmé seulement pour les auteurs présumés de la cohorte de 1990 qui avaient entamé leur carrière à l'âge de 11 ans ou plus et ceux de la cohorte de 1987 dont l'âge de début était de 13 ans ou plus. En ce qui concerne les auteurs présumés dont la première infraction consignée était survenue pendant l'enfance, le taux de spécialisation diminuait au fur et à mesure qu'augmentait l'âge de début, les auteurs précoces étant donc plus susceptibles d'être spécialisés. Dans le cas des auteurs présumés nés en 1990, ce résultat pourrait être attribuable à la hausse anormale du nombre total d'infractions au fur et à mesure qu'augmentait l'âge de début (figure 32), mais cette explication ne s'applique pas aux auteurs présumés nés en 1987, dont le nombre moyen d'affaires durant la carrière (figure 32) et l'étendue de la spécialisation (figure 37) reculaient avec l'âge de début entre 10 et 13 ans. En raison du faible nombre d'auteurs présumés qui sont âgés de 5 à 9 ans, il y aurait lieu d'interpréter la tendance apparente avec prudence.

Figure 37 Proportion de carrières spécialisées, selon la cohorte et l'âge de début de la carrière. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira.

Figure 37
Proportion de carrières spécialisées, selon la cohorte et l'âge de début de la carrière

La figure 38 montre l'incidence sur la spécialisation du nombre d'affaires durant la carrière et de l'âge de début. Dans ce figure, la proportion de carrières spécialisées5 est représentée selon l'âge de début des auteurs présumés nés en 1987, séparément pour les personnes comptant 2, 3, 4 et 5 affaires ou plus au cours de leur carrière. Tout comme la figure 36 l'a montré, le taux de spécialisation reculait parallèlement à la progression du nombre d'affaires. Pour presque tous les âges de début, les carrières comptant seulement deux affaires affichaient les taux de spécialisation les plus élevés, suivies des carrières comportant trois affaires, et ainsi de suite. Même si les quatre courbes à la figure 38 présentent des fluctuations attribuables aux cellules comportant de petits nombres, elles illustrent généralement une diminution du taux de spécialisation entre les âges de début de 8 ou 9 ans à 13 ans, puis une hausse6. Étant donné que la relation curviligne observée à la figure 37 entre l'âge de début et le taux de spécialisation persiste même après la prise en compte du nombre d'affaires (figure 38), elle ne découle pas tout simplement du lien entre l'âge de début et le nombre d'affaires dans la carrière; elle semble plutôt être un véritable phénomène lié à l'âge. La tendance accrue à la spécialisation avec l'accroissement de l'âge de début pour les âges de début de 11 ans ou plus concorde avec les résultats d'autres recherches, mais le recul de la spécialisation avec l'augmentation de l'âge de début pour les âges de début de 7 à 11 ans (dans la cohorte de 1990) et de 9 à 13 ans (dans la cohorte de 1987) était inattendu.

Figure 38 Proportion de carrières spécialisées, selon l'âge de début et le nombre d'affaires durant la carrière, cohorte de 1987. Une nouvelle fenêtre s'ouvrira.

Figure 38
Proportion de carrières spécialisées, selon l'âge de début et le nombre d'affaires durant la carrière, cohorte de 1987


Notes

  1. Pour que les analyses soient plus compatibles avec d'autres recherches, on n'a pas tenu compte des infractions contre l'administration de la justice dans le classement des carrières délinquantes selon qu'elles sont spécialisées ou polyvalentes. À titre d'exemple, une personne dont la carrière comprend seulement des infractions contre la personne et des infractions contre l'administration de la justice est considérée comme spécialisée dans les crimes contre la personne. Toutefois, la présence ou l'absence d'infractions contre l'administration de la justice est notée dans les analyses comme une dimension distincte de la spécialisation ou la polyvalence. C'est l'approche qui a été adoptée dans le document de recherche sur les carrières devant les tribunaux publié par le Centre canadien de la statistique juridique (Carrington, Matarazzo et deSouza, 2005).
  2. Selon le système de codage du Programme DUC 2, si une affaire comporte de multiples infractions criminelles, les quatre plus graves doivent être retenues et consignées par ordre décroissant de gravité. Par exemple, si une affaire comporte des voies de fait graves, une introduction par effraction et un manquement aux conditions d'une ordonnance de probation, ces trois infractions sont consignées dans l'ordre indiqué.
  3. À la figure 36, les carrières des auteurs présumés nés en 1987 qui comportent 13 affaires ou plus sont regroupées dans une seule catégorie, tout comme les carrières de la cohorte de naissance de 1990 qui comptent 9 affaires ou plus, car le nombre d'auteurs présumés spécialisés est très faible (moins de 10) dans ces carrières très chargées.
  4. La répartition des récidivistes selon la cohorte et l'âge de début est présentée au tableau A.3 de l'annexe.
  5. Les résultats sont semblables à ceux obtenus pour les auteurs présumés nés en 1990, mais ils sont masqués par les cellules qui comprennent de petits nombres.
  6. Dans la courbe des carrières comportant quatre affaires, la proportion de carrières spécialisées ne fléchit pas entre les âges de début de 9 et 13 ans, mais elle diminue entre les âges de début de 8 et 13 ans. Dans cette courbe et dans la courbe des carrières comportant trois affaires, les tendances pour les âges de début de 8 à 12 ans doivent être interprétées avec prudence en raison de fluctuations importantes attribuables aux cellules comportant de petits nombres.