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  1. Introduction
  2. Cadres de travail
  3. Sources des données
  4. Le Canada dans un contexte international
  5. Prix relatifs et le dollar
  6. Lien entre le Canada et les États-Unis
  7. Libéralisation du commerce, changements de composition et productivité
  8. Croissance à long terme
  9. Conclusion

1   Introduction

Durant la révolution industrielle de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle, l'expansion de la fabrication s'est produite avec la mécanisation de l'agriculture, l'essor de l'automobile et la construction d'usines sidérurgiques et chimiques. Cela a permis la fabrication de nouvelles matières premières pour de nombreux autres nouveaux produits, incluant les aéronefs et les pétroliers géants et le matériel de guerre essentiel. L'activité manufacturière était tellement importante que l'on mesurait la modernité d'une nation et sa puissance militaire d'après sa puissance industrielle.

Toute une génération d'historiens de l'économie a longtemps défini le Canada par le succès d'une politique nationale dans laquelle, après la confédération, les responsables des politiques s'étaient donné pour objectif de créer un secteur de la fabrication protégé par la mise en place de barrières tarifaires et de construire une infrastructure ferroviaire pour créer un marché national. Plus récemment, le Canada a opté pour des accords commerciaux spéciaux avec les États-Unis, tel que le Pacte de l'automobile ou l'Accord de libre-échange de 1989, mais toujours avec l'intention de favoriser un secteur de la fabrication vigoureux.

Il n'est pas surprenant, alors, que les études récentes qui affirment que le secteur de la fabrication est en déclin aient attiré une attention considérable, tout particulièrement parmi les étudiants de la post-modernité (Agger, 1991), qui s'inquiètent au sujet de la désindustrialisation. La désindustrialisation, dans le langage courant, se réfère à un processus dans lequel l'importance de l'activité industrielle ou de la capacité industrielle sont réduites 1 . L'activité industrielle dans ces études est fréquemment associée à la réussite du secteur de la fabrication (Cohen et Zysman, 1987 et Doyle, 2002). Arneson (2006) attribue l'origine de l'intérêt populaire pour la désindustrialisation à Bluestone et Harrison (1982) qui définissaient le concept comme dénotant la suppression ou la réduction considérable de l'activité manufacturière dans une région ou un pays.

Une des branches des études sur la désindustrialisation a mis l'accent sur les preuves que la désindustrialisation se produit bel et bien. En remarquant que la désindustrialisation est de retour sur la scène des programmes d'élaboration des politiques, une étude de l'OCDE par Pilat et al. (2006) examine la mesure dans laquelle la production manufacturière et l'emploi sont en baisse. Comme preuve, l'étude met de l'avant le fait que la part de la fabrication dans la valeur ajoutée aux prix courants a diminué lentement tout comme la part de l'emploi total représentée par le secteur de la fabrication 2 .

La contraction de la part de la valeur de l'activité économique attribuable à la fabrication, cependant, n'implique pas forcément que la fabrication proprement dite est en régression, ni que l'économie canadienne se désindustrialise. La baisse de la part de l'activité manufacturière peut dépendre du fait que d'autres secteurs de l'économie connaissent une expansion plus rapide ou que la société commence à accorder plus de valeur à des services tels que l'éducation, les soins de santé ou les services financiers qu'aux produits manufacturés. Avant tout, la diminution de la part de la valeur des biens revenant à la fabrication ne signifie pas que le volume absolu ou relatif des biens a aussi diminué, phénomène qui est au coeur du scénario de désindustrialisation. Avant de conclure que l'économie se désindustrialise, nous devons examiner les données qui servent habituellement de fondement aux allégations selon lesquelles le secteur de la fabrication est en régression.

Dans le présent article, nous examinons la performance du Canada à cet égard. Ce faisant, nous plaçons le Canada dans son contexte en examinant ce qui s'est passé dans d'autres pays de l'OCDE, en particulier aux États-Unis, qui est le partenaire commercial le plus important du Canada. Nous nous intéressons premièrement aux tendances de l'importance de la fabrication, mais nous ferons également référence à certains facteurs qui influent sur ces tendances. Krugman (1996), Kucera et Milberg (2003) et Spilembergo (2003) ont mis l'accent sur la mesure dans laquelle les structures des échanges commerciaux ayant connu des changements expliquent la diminution de l'importance des industries manufacturières dans les pays développés. Rowthorn et Ramaswamy (1997) ont concentré leur attention sur les différences sous-jacentes en ce qui a trait à la croissance de la productivité entre le secteur de la fabrication et d'autres secteurs. Kollmeyer (2009) évalue l'importance relative des changements survenus dans le commerce entre le Nord et le Sud, les différences de productivité et les différences d'élasticité du revenu pour les produits manufacturés et les produits des services. Cette étude s'intéresse à certaines de ces questions en se demandant comment le secteur de la fabrication s'est adapté aux tendances de long terme ainsi qu'aux chocs de court terme émanant des cycles économiques, des fluctuations des taux de change et de la libéralisation du commerce.

Nous dégageons peu de preuves que le secteur de la fabrication est en régression et moribond. Nous constatons qu'il a subi d'importants changements en réponse aux nombreux défis auxquels il a fait face.

2   Cadres de travail

La preuve invoquée le plus fréquemment dans le débat sur la désindustrialisation est que la baisse de la part du PIB produite par le secteur de la fabrication diminue. S'il est vrai, comme nous le verrons, que les parts de la valeur ajoutée et de l'emploi du secteur de la fabrication ont diminué au cours des 40 dernières années (voir par exemple OCDE 2006), cela ne signifie pas que ce secteur connaît un déclin inévitable, ni que l'économie se désindustrialise, en dépit du fait que de nombreux commentateurs se sont appuyés sur ces données pour conclure que le secteur de la fabrication doit être réanimé.

Une contraction de la part du PIB de la fabrication pourrait tenir simplement au fait que d'autres secteurs connaissent une croissance plus rapide qu'à l'ordinaire. Un boom des produits de base qui favorisent le secteur des ressources naturelles peut donner lieu à une diminution de la part manufacturière (une mesure relative), bien qu'elle continue à croître en valeur absolue.

Une contraction de la part manufacturière du PIB peut aussi être le fait de problèmes de mesure. Les définitions statistiques des industries créent des limites artificielles entre les activités économiques menées par les entreprises. Si une part croissante de l'activité d'une entreprise provient d'activités où la mécanisation est plus difficile, comme le marketing, la gestion, les services financiers et juridiques, les services à la clientèle, la recherche et le développement, l'ingénierie et la distribution, la définition des entreprises de fabrication peut donner lieu à des problèmes de classification. Même si des corrections sont faites pour tenir compte de la répartition entre les activités de service et les activités de chaîne de production au sein des entreprises, la spécialisation inhérente aux services empêche la mécanisation et fait en sorte que les accroissements des intrants de travail sont plus importants dans les activités de service. D'autres problèmes de mesure se posent quand les entreprises recourent à la sous-traitance. Si les fabricants passent, pour la paye, la comptabilité, les services de nettoyage et d'entretien ou la production, à la sous-traitance auprès d'entreprises extérieures, l'emploi diminue nécessairement dans le secteur de la fabrication et augmente dans celui des services.

Fait plus important, l'hypothèse de la désindustrialisation a trait au volume de biens produits, en valeur absolue ou relativement à la production d'autres biens. Le fait d'utiliser la part du PIB émanant de la fabrication pour soutenir qu'une désindustrialisation a lieu fait oublier que le PIB est égal à la valeur totale des biens et services produits. La valeur possède une composante prix ainsi qu'une composante volume. Le PIB est plus élevé si un plus grand volume de biens est produit et si les prix reçus pour la production sont plus élevés. La part du PIB total imputable au secteur de la fabrication peut par conséquent diminuer si les prix payés pour les biens manufacturés baissent comparativement à ceux pratiqués dans l'ensemble de l'économie. Elle peut aussi diminuer si la composante volume (la quantité de biens manufacturés) se contracte comparativement au volume de la production totale. Et même si cette contraction se produit, le volume absolu de biens pourrait ne pas diminuer; il se pourrait que le volume de la production manufacturière n'augmente pas à la même vitesse que le volume de la production de l'économie dans son ensemble.

Il est par conséquent impossible d'évaluer la santé du secteur de la fabrication en se fondant uniquement sur le fait que la part de la valeur du PIB qui lui revient a diminué, à moins que les prix relatifs des biens manufacturés demeurent constants. Il est particulièrement important de noter qu'une variation négative de la part en valeur du PIB n'est pas nécessairement un signe de difficulté dans le secteur de la fabrication : elle pourrait simplement résulter des fluctuations des prix relatifs.

De nombreux facteurs ont une incidence sur les variations relatives des prix. L'un des plus importants est la croissance de la productivité. Les industries dont la croissance de la productivité est élevée ont tendance à en répercuter les avantages sous forme d'une moins forte hausse des prix (Baldwin, Durand et Hosein, 2001). Par conséquent, dans ces industries, les prix baissent au fil du temps comparativement à ceux des biens et services produits par les industries dont la croissance de la productivité est plus faible. Conjugués, les processus concurrentiels et la croissance de la productivité freinent la hausse des prix dans le secteur de la fabrication comparativement à d'autres industries ou les font baisser comparativement à ceux d'autres biens et services. Ces fluctuations des prix relatifs sous-entendent que la part de la valeur ajoutée revenant au secteur de la fabrication subira des pressions à la baisse qui peuvent être compensées par des variations des volumes relatifs. Le fait que cela se produise ou non dépend de l'élasticité-prix des biens manufacturés, des prix des autres biens et de l'élasticité-revenu des biens manufacturés, c'est-à-dire la mesure dans laquelle, quand augmente le revenu, les consommateurs, les investisseurs ou les administrations publiques décident d'acheter une quantité relativement plus importante de biens manufacturés au cours du temps ou choisissent d'accorder plus d'importance aux services.

Au Canada, le secteur de la fabrication a vu croître sa productivité à un taux supérieur à la moyenne et sa contribution à la croissance globale de la productivité est plus importante que celle de n'importe quel autre secteur (Baldwin et coll., 2001). Les procédés de fabrication peuvent être banalisés 3 , ce qui permet une plus grande spécialisation de la main-d'oeuvre et un plus haut niveau de mécanisation Les taux de croissance de la productivité deviennent ainsi particulièrement élevés. Les innovations, qu'elles résultent de l'adoption de nouvelles technologies, de nouveaux procédés ou de nouvelles structures organisationnelles, donnent lieu à des économies d'intrants en provenance de toutes les sources, y compris l'emploi.

Il semble donc que la part de la production manufacturière dans le PIB ne reflète pas adéquatement les variations des volumes relatifs, lesquelles sont la mesure à examiner dans un débat sur la désindustrialisation. La plus forte croissance de la productivité dans le secteur de la fabrication signifie en outre qu'une autre mesure de la santé de ce secteur, la part de l'emploi total, devrait aussi être utilisée avec prudence.

La croissance de l'emploi dans un secteur est directement liée à la croissance de la production, mais inversement associée à la croissance de la productivité du travail. Cette dernière est mesurée sous forme de production par heure de travail. Toutes choses étant égales par ailleurs, les industries dont la croissance de la productivité du travail est élevée auront une croissance de leur main-d'oeuvre relativement plus faible, autrement dit leur part de l'emploi global diminuera. Si la croissance de la production du secteur de la fabrication est aussi vigoureuse que celle de l'économie dans son ensemble, la croissance de sa main-d'oeuvre sera inférieure à celle de l'emploi global, en raison de sa plus grande productivité du travail. La part de l'emploi total qui revient au secteur de la fabrication pourrait simplement se contracter à cause d'augmentations d'efficacité fondamentales, désirables, du côté de la productivité. Cela pourrait avoir pour conséquence que les possibilités d'emploi dans le secteur de la fabrication sont moins nombreuses, mais cela ne signifierait pas nécessairement que la production manufacturière diminue, ni qu'une désindustrialisation a lieu.

Il existe une autre raison d'utiliser avec prudence l'argument de la part de l'emploi dans le secteur de la fabrication dans les discussions au sujet de la désindustrialisation. Aux États-Unis, les fabricants ont recouru à l'externalisation pour satisfaire une part importante de leurs besoins de main-d'oeuvre. Dey, Housman et Polivka (2006) indiquent que les estimations de l'emploi en fabrication produites par le US Bureau of Labor statistics ont diminué de 4,1 % entre 1989 et 2000. Toutefois, si des corrections sont faites pour tenir compte du recours des fabricants à la sous-traitance des services de main-d'oeuvre, le nombre d'employés occupés dans les industries manufacturières aux États-Unis a, en fait, augmenté de 1,4 % durant cette période. Estavo (1999) ainsi qu'Estavo et Lach (1999) donnent aussi des preuves d'un accroissement de la sous-traitance des services de main-d'oeuvre chez les fabricants américains.

Nous étudions plusieurs mesures simples qui sont utilisées pour évaluer la santé du secteur de la fabrication. Nous reconnaissons que ces mesures des parts comprennent une composante volume et une composante prix que nous examinons chacune à leur tour et nous cherchons à savoir ce que les tendances révèlent au sujet de l'économie sous-jacente.

Dans une économie fermée, la façon dont la demande intérieure réagit aux variations des prix relatifs dépend de la grandeur de l'élasticité-prix de la demande intérieure de biens manufacturés. Cela, ainsi que d'autres facteurs, détermineront si des prix manufacturiers plus faibles donnent lieu à une demande des volumes de biens suffisamment plus grands pour que la part de la fabrication dans la valeur totale de la production demeure constante ou augmente. Les forces sous-tendues par la productivité qui exercent une pression à la baisse sur la part manufacturière (à cause de la diminution des prix relatifs) pourraient être atténuées par des variations des volumes intérieurs d'achats.

Dans une économie ouverte, des changements chez les partenaires commerciaux importants combinés à un accès plus libre aux marchés étrangers auront aussi une incidence sur le succès du secteur de la fabrication. Sur de longues périodes, la productivité du secteur de la fabrication représente un déterminant important des fluctuations des prix dans ce secteur; par contre, dans le court terme, des chocs importants ont aussi une incidence sur les prix. Les chocs économiques de courte durée causés par les récessions peuvent se transmettre d'un pays à l'autre. Les taux de change peuvent augmenter ou diminuer, modifiant ainsi la pression concurrentielle exercée sur les fabricants canadiens. L'adoption de nouveaux régimes d'échanges peut aussi affecter la demande de produits manufacturés en modifiant la taille des marchés servis par les industries et en faisant baisser les prix des produits là où l'exploitation d'économies d'échelle réduit les coûts unitaires. Ensemble, les cycles économiques, les chocs du taux de change et les réductions tarifaires peuvent entraîner des changements qui modifient la composition et la taille du secteur de la fabrication d'un pays. Selon la grandeur du changement et ses sources, les adaptations qui surviennent ont lieu rapidement ou s'étendent sur de nombreuses années.

Les nombreux facteurs qui ont une incidence sur la fabrication à un point donné dans le temps rendent difficile l'évaluation de la santé du secteur de la fabrication au moyen d'une seule mesure ou d'un jeu de données couvrant une courte période. Par conséquent, dans le présent article, nous utilisons un certain nombre de mesures pour examiner l'évolution des industries du secteur canadien de la fabrication de 1961 à 2005. À la section 3, nous discutons des diverses sources de données utilisées, tandis qu'à la section 4, nous plaçons le Canada dans un contexte international, examinons le lien entre les secteurs canadien et américain de la fabrication et discutons des variations importantes de la part de la valeur du PIB attribuables aux industries manufacturières canadiennes de 1961 à 2005. Nous cherchons à déterminer si les variations de la part de la valeur du PIB revenant à la fabrication sont le résultat des variations des prix relatifs ou des variations des volumes relatifs des biens manufacturés. Nous examinons également la relation entre les variations des prix manufacturiers et la croissance de la productivité. À la section 5, nous étudions l'effet des chocs du taux de change sur les prix manufacturiers au Canada. À la section 6, nous examinons l'effet des cycles économiques des États-Unis sur le secteur canadien de la fabrication. À la section 7, nous analysons brièvement l'incidence de la libéralisation du commerce qui a eu lieu durant les années 1990 et discutons de l'évolution du secteur des biens durables comparativement au secteur des biens non durables. À la section 8, nous résumons les preuves d'une croissance qui s'étend sur une période de 45 ans et parlons brièvement d'événements plus récents. Enfin, à la section 9, nous présentons nos conclusions.

3   Sources des données

L'étude s'appuie sur des données provenant de diverses sources. Nous utilisons la Base de données pour l'analyse structurelle (STAN) de l'OCDE pour calculer, pour les divers pays de l'OCDE, la part du PIB attribuable au secteur de la fabrication, parce que cette mesure est celle qui fournit le champ d'observation et les fluctuations de prix et de volume les plus généraux. La base de données STAN contient des estimations du PIB nominal, de l'indice en volume du PIB et des indices des prix dont les plus anciennes remontent à 1970 et les plus récentes, à 2006. Nous l'utilisons ici pour les comparaisons avec d'autres pays que les États-Unis. Bien que l'OCDE fournisse des données permettant de faire des comparaisons entre pays, les utilisateurs devraient tenir compte du fait que les mesures de la production qui figurent dans les bases de données de l'OCDE ne sont pas toujours effectuées de manière uniforme d'un pays à l'autre en ce qui concerne les prix du marché, les prix de base ou les coûts des facteurs.

De plus, nous nous servons également de données pour les États-Unis provenant des National Income and Product Accounts produits par le US Bureau of Economic Analysis. L'utilisation de ces données permet de comparer les tendances au Canada et aux États-Unis en remontant jusqu'à 1961. La comparaison des estimations que nous avons calculées pour le Canada et les États-Unis en utilisant des définitions plus concordantes pour une plus courte période de temps a montré que, si les niveaux sont touchés, l'importance des taux de croissance relative présentés ici ne l'est pas.

Les estimations de la part de long terme du PIB manufacturier regroupent les estimations courantes du PIB aux prix de base par industrie aux estimations par industrie du PIB aux coûts des facteurs. Les données historiques pour la période allant de 1926 à 1959 sont tirées de Statistiques historiques du Canada publiées sur le site Web de Statistique Canada. Les données pour la période antérieure à 1926 proviennent de Urquhart (1993).

Les données sur l'utilisation de la capacité aux États-Unis servent de mesures de la demande industrielle mondiale pour les produits canadiens et proviennent de la Réserve fédérale américaine (voir la section 6). Pour obtenir la série chronologique qui s'étend de 1961 à 2007, nous avons utilisé l'indice d'utilisation de la capacité manufacturière des États-Unis fondé sur la Classification type des industries (CTI). Au niveau de l'ensemble du secteur de la fabrication, les systèmes de classification de la CTI et du Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN) sont essentiellement les mêmes, de sorte que les comparaisons avec d'autres sources de données à ce niveau sont acceptables.

Les données sur le volume du PIB, les intrants de main-d'oeuvre et les services du capital pour les industries manufacturières individuelles utilisées aux sections 7 et 8 sont tirées de l'ensemble de données sur le capital, le travail, l'énergie, les matières premières et les services (base de données KLEMS), qui est tenue à jour par le programme des Comptes de productivité de Statistique Canada. L'indice en volume du PIB est mesuré en utilisant un indice-chaîne de Fisher fondé sur un indice en volume de la valeur ajoutée calculée en utilisant des méthodes d'amortissement à taux double. Les intrants de main-d'oeuvre sont calculés en pondérant le nombre d'heures travaillées par les taux de rémunération relatifs des diverses catégories de travailleurs, afin de tenir compte de l'effet de l'expérience et du niveau d'études dans ces diverses catégories (voir Gu et coll., 2001, Baldwin, Gu et Yan, 2007). Les services du capital sont calculés sous forme de moyenne pondérée des stocks de capital par actif en utilisant l'approche du coût d'usage du capital de Jorgenson pour tenir compte de l'effet des différences entre les services produits par les divers actifs (Harchaoui et Tarkhani, 2002; Baldwin, Gu et Yan, 2007). Les changements dans les actifs dont le coût d'usage du capital est élevé (ceux dont les taux de dépréciation sont élevés) contribuent relativement plus que les changements dans les autres actifs à la croissance des services du capital.

Nous employons aussi un fichier de données de recherche longitudinales produit par la Division de l'analyse microéconomique de Statistique Canada d'après les données de l'Enquête annuelle de manufactures (EAM). Il fournit des données longitudinales pour la période allant de 1961 à 2005. Ce fichier contient des renseignements sur un éventail de caractéristiques des entreprises, dont le nombre d'établissements, le nombre d'employés, la valeur des livraisons, la valeur ajoutée, et la diversification des établissements et la concentration des industries.

4   Le Canada dans un contexte international

4.1  Part de la production imputable au secteur de la fabrication

Les examens des variations des parts, même ceux axés sur le long terme, s'appuient rarement sur des données qui s'étendent au delà du début des années 1960. Les études internationales sont souvent réalisées en se servant d'échantillons de plus courte portée afin d'accroître le nombre de pays inclus dans l'analyse. Cependant, les parts du secteur de la fabrication (ou, en fait, de toute industrie) varient lentement au cours du temps. Avant de commencer à examiner les données contemporaines, il est bon que nous observions la part du secteur canadien de la fabrication sur une période beaucoup plus longue et donc de placer la période courante dans son contexte.

La part de la production manufacturière dans le PIB du Canada est à la baisse depuis 1944. Toutefois, il convient de souligner que ce mouvement à la baisse est parti des niveaux inhabituellement élevés qui ont suivi la mobilisation industrielle associée à la Seconde Guerre mondiale (graphique 1). De 1939 à 1943, la part manufacturière a augmenté spectaculairement, à mesure que des ressources étaient transférées à l'effort de guerre. Dans l'après-guerre immédiat, le Canada a utilisé sa capacité de production accrue pour répondre aux besoins de consommation qui avaient été différés durant la guerre et aux nouvelles exigences liées au formidable essor démographique qui a suivi.

Le fait que le recul est parti de niveaux supranormaux donne à penser qu'au moins une partie de la baisse observée après 1961 est simplement un retour à une part plus normale du secteur de la fabrication. Toutefois, la poursuite de ce recul oblige à se demander si le retrait par rapport à des niveaux insoutenables peut vraiment être assimilé à une désindustrialisation.

Le Canada n'est pas le seul pays qui a connu un recul après 1961. La part de la valeur ajoutée manufacturière 4  dans le PIB agrégé a diminué dans un grand nombre de pays industrialisés (graphique 2), indépendamment du fait qu'il s'agissait d'économies relativement ouvertes ou fermées ou qu'ils étaient des importateurs ou des exportateurs nets de ressources. Bien que le phénomène soit irrégulier et présente des périodes de régression lente, de régression rapide et parfois de croissance temporaire, la tendance générale était à la baisse, ce qui donne à penser que les processus d'évolution en jeu étaient remarquablement semblables dans de nombreux pays industrialisés.

Nous relevons toutefois des exceptions à cette tendance continue à la baisse. L'Australie, l'Italie, le Canada et la Norvège ont tous connu des périodes pluriannuelles de croissance de la part imputable au secteur de la fabrication. Dans tous ces pays, sauf au Canada, le répit a été de relativement courte durée. Au Canada, par contre, la part de la fabrication a été stable et a, en fait, augmenté légèrement au cours de la période de 20 ans s'étendant de 1980 à 2000.

Malgré ce comportement singulier durant les années 1980 et 1990, la part de la valeur ajoutée manufacturière au Canada a eu tendance à se contracter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De 1961 à 2005, c'est-à-dire la période couverte par les comptes nationaux contemporains, la part de la valeur ajoutée du secteur canadien de la fabrication a diminué de 8,7 points, pour passer de 24,3 % à 15,6 %. En revanche, aux États-Unis, la part du PIB attribuable à la fabrication a baissé de 12,6 points durant la même période, pour passer de 24,6 % à 12,0 %. En points de pourcentage, le recul a été environ 50 % plus important aux États-Unis qu'au Canada. La différence s'explique par la longue interruption des années 1980 et 1990 durant lesquelles la part de la valeur ajoutée du secteur canadien de la fabrication a cessé temporairement de décroître.

De 1961 à 1980, soit la première partie de la période de 45 ans, le recul a été le même au Canada et aux États-Unis (tableau 1). Cependant, durant les années 1980 et 1990, les deux économies ont divergé. Durant la période de 20 ans s'étendant de 1980 à 2000, la part du PIB du secteur de la fabrication a augmenté légèrement au Canada. En revanche, aux États-Unis, sa décroissance s'est accélérée. Après 2000, quand le Canada a connu un boom des ressources naturelles en raison des prix élevés des produits de base (Macdonald, 2008a,b), la part du secteur de la fabrication a diminué plus rapidement au Canada que dans d'autres pays.

4.2  Prix relatifs et volumes relatifs

Les variations de la part du PIB de la fabrication ont pour origine des variations des prix relatifs ou des variations des volumes relatifs :  Image

Si les variations des prix relatifs et celles des volumes relatifs s'annulent exactement de sorte que Image, la part de la valeur ajoutée manufacturière ne variera pas au cours du temps. Cette situation s'observe quand la croissance des prix relatifs est positive (ou négative) et que celle des volumes relatifs est négative (ou positive), mais que toutes deux sont de la même grandeur. La part du secteur de la fabrication augmentera (ou diminuera), si une hausse (ou une baisse) des prix ou des volumes relatifs n'est pas compensée par une variation parallèle de l'autre mesure relative.

Savoir si la contraction de la part du PIB nominal revenant au secteur de la fabrication est dictée par une baisse des prix ou des volumes est un élément essentiel au débat sur la désindustrialisation. Pour étudier cette question, nous calculons les variations des prix relatifs et des volumes relatifs dans les divers pays (tableau 2).

Si nous comparons les variations annuelles moyennes des prix et des volumes relatifs, nous constatons que les variations des prix relatifs sont la source principale de la diminution des parts des secteurs de la fabrication dans le PIB au Canada et aux États-Unis (tableau 2). La part du PIB manufacturier dans le PIB total a diminué avant tout parce que les prix manufacturiers relatifs ont baissé et non parce que des volumes relativement moindres de biens manufacturiers ont été produits.

Au Canada, le volume de la production manufacturière par rapport à l'économie globale a été essentiellement inchangé de 1962 à 2005. Par ailleurs, les prix relatifs ont baissé en moyenne de 0,9 % par année, ce qui en fait la principale force qui sous-tend la diminution de la part manufacturière du PIB au Canada. Une courbe comparable se dégage pour les États-Unis, où les volumes relatifs ont augmenté au taux annuel moyen de 0,2 %, tandis que les prix relatifs ont baissé au taux moyen de 1,7 %.

Nous observons certes des périodes plus courtes durant lesquelles les volumes relatifs du secteur de la fabrication se sont contractés, mais la baisse des prix relatifs durant ces périodes a habituellement été beaucoup plus importante que les variations de volume. Si nous examinons les volumes relatifs, nous ne trouvons que peu de preuves convaincantes que la production manufacturière a subi une décroissance de longue durée.

Il n'en est par contre pas ainsi pour les pays autres que le Canada et les États-Unis (voir l'appendice I). La France, la Norvège et le Japon ont connu une décroissance de longue durée de leur volume de fabrication comparativement au produit économique total. Néanmoins, sauf en Norvège, la chute des prix est un déterminant plus important de la diminution de la part du secteur de la fabrication.

4.3  Élasticités relatives

Pour ce groupe de pays, les variations des prix relatifs sont négativement associées aux fluctuations des volumes relatifs (graphique 3). À mesure que les prix manufacturiers diminuent relativement au niveau global des prix, la demande relative de produits manufacturés augmente. Dans les pays où les prix relatifs des biens manufacturés ont tendance à croître, le volume relatif de biens manufacturés a tendance à baisser.

Fait important, la même courbe de base entre les variations de prix et de volume se dégage, quel que soit le degré d'ouverture du commerce. À l'exception de la Norvège, les variations de long terme de la part relative du secteur de la fabrication sont le résultat de variations des prix relatifs qui ne sont pas compensées par des variations de volume relatif.

Bien que la demande relative de biens manufacturés augmente en réponse aux baisses des prix, l'accroissement n'est pas suffisant pour annuler la diminution relative des prix et donc la valeur relative de la production manufacturière a diminué régulièrement au cours de la période étudiée. La tendance des variations des prix relatifs et des variations des volumes relatifs donne à penser que l'élasticité-prix croisée entre les biens est faible ou que l'effet du revenu favorise la consommation de services plutôt que celle de biens. Dans les deux situations, la demande de produits manufacturés ne s'ajuste pas de manière égale aux variations des prix relatifs, ce qui donne lieu dans les divers pays industrialisés à une contraction de la part de la valeur ajoutée manufacturière.

4.4  Baisse des prix relatifs et productivité

La baisse des prix relatifs des biens manufacturés est un phénomène de longue durée qui a été déclenché par des différences technologiques qui ont elles-mêmes donné lieu à une croissance plus importante de la productivité dans les industries productrices de biens en général et les industries manufacturières en particulier. De 1961 à 2005, au Canada, la croissance de la productivité du travail a été, en moyenne, de 2,3 % par année dans les industries productrices de biens, mais de 1,4 % par année seulement dans les industries de services.

Dans les marchés concurrentiels, les améliorations de la productivité ont tendance à être répercutées sur les consommateurs sous forme de prix plus faibles. Dans des conditions d'inflation générale, les prix ont tendance à augmenter moins dans les industries où la croissance de la productivité est plus forte 5  . La différence entre le secteur de la fabrication et le reste de l'économie en ce qui concerne les taux de croissance de la productivité est le facteur qui dicte l'écart de long terme entre les fluctuations des prix relatifs des biens produits par le secteur de la fabrication et le reste de l'économie.

Afin de confirmer que ce phénomène se manifeste aussi en général dans les pays pour lesquels nous possédons des données sur les parts du secteur de la fabrication, nous avons exécuté une régression de la variation des prix relatifs vis-à-vis de la productivité relative pour un ensemble de pays et de périodes de référence pour lesquels nous disposions de données concordantes. Nous avons utilisé la productivité du travail, quoique la productivité totale des facteurs ou productivité multifactorielle aurait été une mesure préférable pour cet exercice; cependant, elle n'est pas disponible 6  .

La relation estimée est la suivante :  Image

Les prix manufacturiers ont affiché les plus fortes baisses dans les industries du secteur de la fabrication où la productivité relative croît le plus rapidement. L'estimation de l'élasticité pour les variations des prix relatifs par rapport aux variations de la productivité du travail est de -0,48. L'accroissement de chaque point de la croissance de la productivité du travail relative entraîne approximativement une baisse d'un demi-point de la croissance des prix relatifs.

5   Prix relatifs et le dollar

Si les prix manufacturiers sont influencés par le déroulement des progrès technologiques, d'autres événements influent également sur la tendance des prix. L'un de ces événements au Canada a été déclenché par un choc du taux de change qui a amoindri la pression à la baisse exercée sur les prix manufacturiers tout au long des années 1980 et 1990, réduisant ainsi le mouvement à la baisse de la part du PIB de la fabrication.

L'économie canadienne repose fortement sur les ressources naturelles, comme les métaux, le pétrole et le gaz et la foresterie, qui sont sujets aux cycles des prix des produits de base. Ces cycles sont associés aux fluctuations du dollar, comme le démontre le graphique 5.

Le secteur de la fabrication, établi principalement dans le centre du Canada, dessert à la fois un marché intérieur et le marché des exportations principalement faites vers les États-Unis. Le secteur de la fabrication est en concurrence sur un marché nord-américain et ses prix sont déterminés par les coûts intérieurs canadiens ainsi que par les prix américains (Kardaz et Stollery, 1988; Baldwin et Yan, 2008). L'influence des marchés américains augmente durant les périodes d'appréciation du dollar canadien et diminue quand le dollar se déprécie (Baldwin et Yan, 2007).

La dépréciation à long terme du dollar canadien qui a débuté à la fin des années 1970 (graphique 6) s'est concrétisée par une période de réduction de la concurrence avec les États-Unis qui a été accompagnée d'un ralentissement de la baisse des prix relatifs des produits manufacturés par rapport à d'autres biens.

Baldwin et Yan (2007) ont étudié la réponse des prix manufacturiers canadiens à l'inflation intérieure et aux prix américains durant cette période et ont constaté que l'importance des prix américains a diminué durant les périodes de diminution du taux de change (de 1974 à 1986, de 1991 à 1996). Un dollar canadien déprécié donne aux industries canadiennes un avantage relatif en matière de coût (ou réduit leur désavantage), ce qui permet aux producteurs canadiens d'ajuster leurs prix davantage en fonction des coûts intérieurs et en tenant moins compte des fluctuations des prix américains. L'appréciation du dollar canadien de 1986 à 1991 a rendu les produits américains relativement moins chers que les produits intérieurs et les prix manufacturiers canadiens sont devenus nettement plus sensibles aux variations des prix aux États-Unis à ce moment.

La mesure dans laquelle la dépréciation à long terme du dollar canadien a donné un répit au secteur de la fabrication dépend de la façon dont les prix canadiens et les prix américains ont fluctué les uns par rapport aux autres. Cela peut être évalué par les fluctuations du taux de change réel, le ratio du prix des biens manufacturés au Canada par rapport aux prix des biens manufacturés aux États-Unis, divisés par le taux de change (graphique 7).

Quand le taux de change réel demeure constant, les prix relatifs et le taux de change s'ajustent mutuellement, de sorte que les fluctuations des prix relatifs des biens dans les deux pays sont compensées par les variations du taux de change. Aucune variation de la pression concurrentielle exercée par le commerce international n'est causée sur l'un ou l'autre marché par les variations du taux de change réel — c'est-à-dire que les prix des importations ou des exportations par rapport aux prix des biens de fabrication intérieure sont inchangés. Si le taux de change variait, des pressions seraient intensifiées ou dissipées. Par exemple, une dépréciation du dollar canadien rend, en soi, les importations en provenance des États-Unis plus dispendieuses au Canada et, toutes choses étant égales par ailleurs, fait se relâcher les pressions concurrentielles incitant à répercuter les gains de productivité sur les consommateurs canadiens. Une appréciation du dollar canadien a l'effet inverse. L'utilisation du taux de change réel au lieu du taux de change nominal tient compte du fait que l'inflation et d'autres facteurs interviennent également chaque année dans les variations des prix relatifs entre les deux pays.

Les taux de change nominal et réel applicables aux biens manufacturés ont suivi tous deux des cycles similaires (graphique 7). Après que le Canada est sorti du système de Bretton-Woods, le dollar canadien s'est apprécié, puis a connu une longue période de dépréciation qui a duré jusqu'aux années 1990. Cependant, au cours de cette période, le taux de change réel des biens manufacturés, qui avait augmenté et exerçait une pression sur le secteur canadien de la fabrication, a diminué à mesure que le dollar s'est déprécié et n'a pas augmenté jusqu'à l'appréciation du dollar qui a eu lieu à la fin des années 1980. Le cycle suivant de dépréciation, au cours des années 1990, a ramené le taux de change réel au niveau qu'il avait durant le années 1970 et 1980.

C'est pendant cette période que les prix relatifs des produits manufacturiers se sont stabilisés ou ont augmenté modestement, et que le Canada a connu une interruption de la tendance à la contraction de la part du PIB revenant au secteur de la fabrication.

Un autre moyen de visualiser l'effet qu'a eu la longue période de dépréciation du dollar sur le secteur canadien de la fabrication consiste à comparer l'évolution des prix manufacturiers aux États-Unis et au Canada avec celle des prix canadiens rajustés pour tenir compte du taux de change (graphique 87  .

Du début des années 1960 au milieu des années 1970, les prix canadiens corrigés pour tenir compte des fluctuations du taux de change ont augmenté comparativement aux prix américains. Puis la dépréciation du dollar canadien survenue après 1976 a rétabli la relation observée entre les deux pays au début des années 1960. Cela s'est poursuivi jusqu'à ce que le dollar canadien se mette à s'apprécier à la fin des années 1980, lorsque la compétitivité relative du secteur canadien de la fabrication a fléchi considérablement pour ne se rétablir que partiellement quand le dollar canadien s'est déprécié au cours des années 1990. Après 2000, l'appréciation du dollar canadien a entraîné un écart sans précédent des prix manufacturiers canadiens (exprimés en dollars américains) par rapport à ceux observés aux États-Unis.

Toutes ces constatations mettent en relief, premièrement le problème général que pose l'interprétation des variations de la part manufacturière de la valeur ajoutée pour déterminer que l'industrie maintient avec succès les niveaux de production et, deuxièmement, la nécessité d'étudier les causes sous-jacentes des variations des volumes ainsi que des prix. Les prix sont un déterminant important de cette part de la valeur ajoutée. Comme nous l'avons vu, ils peuvent s'écarter de leur trajectoire à long terme dans une petite économie ouverte telle que celle du Canada, à cause des cycles de variation du taux de change. Durant les années 1980, les prix manufacturiers canadiens ont dévié de cette tendance, parce que la baisse du taux de change a réduit l'intensité de la concurrence internationale 8  . L'écart à la hausse en ayant résulté a contribué à interrompre à court terme la longue tendance à la baisse de la part du PIB du Canada revenant au secteur de la fabrication.

6   Lien entre le Canada et les États-Unis

Le secteur canadien de la fabrication a été touché par les chocs économiques émanant des États-Unis. Ces chocs entraînent des changements de la demande de produits manufacturés canadiens et ont une incidence sur la performance du secteur de la fabrication comparativement à l'ensemble de l'économie. En règle générale, quand le secteur de la fabrication se porte relativement bien aux États-Unis, il se porte bien au Canada également et vice versa.

Nous pouvons illustrer le lien étroit entre les résultats au Canada et le cycle économique du secteur de la fabrication aux États-Unis en observant les variations annuelles du volume relatif de production du secteur canadien de la fabrication comparativement à l'indice d'utilisation de la capacité de production manufacturière (CAPU) de la Réserve fédérale américaine (graphique 9). Cet indice donne une mesure de la capacité de production des entreprises et ne comporte pas de tendance, ce qui en fait un instrument idéal pour une comparaison avec les estimations de la croissance relative. Pendant les périodes d'expansion économique, quand la demande de produits manufacturés est robuste, l'indice grimpe à une valeur supérieure à sa moyenne de long terme. En revanche, lorsque la demande de produits manufacturés est plus faible, durant les récessions ou les booms des ressources naturelles, l'indice tombe sous sa valeur moyenne de long terme.

Tant au Canada qu'aux États-Unis, l'activité manufacturière est plus cyclique que l'ensemble de l'économie. Durant les périodes d'expansion, la production manufacturière croît plus rapidement que la valeur ajoutée totale, alors qu'au cours des périodes de ralentissement, sa croissance est moins rapide que celle de l'ensemble de l'économie ou a tendance à se contracter davantage. Il s'agit donc de déterminer si le secteur canadien de la fabrication réagit aux mêmes forces que son homologue américain. Dans l'affirmative, il devrait exister une relation positive entre les variations de la croissance relative du secteur de la fabrication au Canada et celle de l'utilisation de la capacité de production aux États-Unis.

De 1961 à 2007, le volume de la production manufacturière au Canada a suivi de près les variations de l'utilisation de la capacité de production aux États-Unis (graphique 9). Pendant les périodes où l'indice américain CAPU a été supérieur à sa moyenne de long terme de 81 %, la croissance des volumes canadiens de production manufacturière a été plus rapide que celle du PIB global. Quand l'indice américain CAPU est tombé sous sa valeur moyenne de long terme, les volumes canadiens de production manufacturière ont diminué comparativement au PIB global. Pendant les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et les récessions de 1975-1976, de 1980, de 1981-1982, de 1991 et de 2001, les volumes de production manufacturière ont diminué relativement au PIB total en volume. Bien qu'une baisse relative soit souvent assortie d'une baisse absolue du PIB en volume du secteur de la fabrication, les volumes de production manufacturière ne doivent pas nécessairement se contracter pour donner lieu à une baisse relative. Un ralentissement de la croissance de la production manufacturière suffit à provoquer une diminution relative. Durant la période postérieure à 2001, quand l'indice américain CAPU était inférieur à la valeur moyenne et que le secteur canadien de la fabrication subissait une restructuration (Macdonald 2008a, b), les volumes ont augmenté modérément, bien que l'importance du secteur ait diminué en termes relatifs.

Dans le graphique 10, nous comparons la volatilité relative des secteurs de la fabrication dans les deux pays. Durant les récessions de 1975-1976, 1981 et 1991, le ralentissement relatif du secteur de la fabrication a été plus important au Canada qu'aux États-Unis. Après la récession de 1981, la reprise au Canada a été caractérisée par un accroissement relatif de la croissance du volume de production manufacturière (soit environ deux fois plus important que les progrès relatifs enregistrés aux États-Unis).

Au cours de l'ensemble de la période allant de 1961 à 2007, l'écart-type du taux de croissance relatif était environ 10 % plus élevé au Canada qu'aux États-Unis. La performance relative du Canada, toutefois, était fort différente durant la première et la seconde moitiés de la période. Durant la première moitié de la période, la situation était plus stable au Canada qu'aux États-Unis (erreurs-types de 3,2 % et 3,6 %, respectivement). Dans la seconde moitié, la performance du Canada est devenue plus volatile que celle des États-Unis (3,5 % et 2,7 %, respectivement).

7   Libéralisation du commerce, changements de composition et productivité

Les cycles des taux de change et les cycles économiques ne sont pas les seuls facteurs ayant une incidence sur la santé de long terme du secteur de la fabrication. Les stratégies industrielles visant à faire croître la compétitivité des usines de fabrication canadiennes grâce à la libéralisation du commerce ont été mises en oeuvre tout au long de la période allant de 1961 à 2005.

Les réductions tarifaires ont également été accompagnées de diminutions spectaculaires des coûts de transport dues aux progrès techniques en matière de matériel et aux améliorations des systèmes de commande et de contrôle des transports. Ces progrès se sont traduits par une plus grande intégration du Canada et des États-Unis et ont ouvert de plus grands marchés aux producteurs canadiens.

On s'attendait à ce que le libre-échange ait des effets favorables pour les industries où l'accès à de plus grands marchés réduisait les coûts, grâce à l'exploitation d'économies d'échelle ou d'économies de gamme. L'accroissement des marchés a en fait entraîné une rationalisation au sein des industries caractérisée par la fermeture des usines les moins productives et l'ouverture d'usines plus productives (Treffler, 2004, Baldwin et Gu, 2006; Lileeva, 2008). Les usines ont également rationalisé leurs gammes de produits en réduisant le nombre de produits fabriqués et en accroissant la durée des cycles de production (Baldwin, Beckstead et Caves, 2002; Baldwin, Caves et Gu, 2005).

Les échanges plus libres ont eu une incidence considérable sur la composition de l'industrie manufacturière, la part des industries productrices de biens durables s'étant accrue tandis que celle des industries produisant de biens non durables s'étant contractée. En 2005, la composition du secteur de la fabrication était fort différente de celle observée en 1961, la plupart des changements étant survenus après l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain.

Les industries productrices de biens durables comprennent celles du matériel de transport, de la première transformation des métaux, des minerais non métalliques, des produits métalliques, des machines, des produits du bois, des produits informatiques et électroniques et du matériel électrique. Les biens non durables comprennent les aliments, les boissons, le tabac, l'habillement, les textiles, le cuir, le papier, le pétrole, les produits chimiques et les produits en plastique.

Les industries productrices de biens durables diffèrent des industries productrices de biens non-durables à plusieurs égards (tableau 3). Pour commencer, avant l'entrée en vigueur de l'ALENA, les industries productrices de biens durables étaient celles dont les exportations étaient les plus importantes. L'intensité des exportations de l'usine moyenne était au moins 50 % plus élevée dans les industries productrices de biens durables que dans celles produisant des biens non durables. Les industries productrices de biens durables étaient donc déjà présentes sur les marchés de l'exportation et ont par conséquent bénéficié d'un accès supplémentaire aux marchés nord-américains. Le secteur des biens durables était aussi celui où les économies d'échelle étaient les plus importantes — il s'agissait d'industries où le ratio de la taille efficace minimale de l'usine à la taille de l'industrie était grand 9  . Les industries fabriquant des biens durables offraient aussi une rémunération plus élevée aux travailleurs affectés à la production ainsi qu'à ceux affectés à d'autres activités. Les industries dans lesquelles les salaires sont plus élevés ont tendance à être dotées d'une main-d'oeuvre plus spécialisée et à investir davantage dans les travailleurs. Cet investissement est un coût fixe qui doit être réparti sur de plus grands volumes de produits. Les industries de biens durables affichaient aussi une plus grande valeur ajoutée par travailleur — une mesure de l'intensité du capital ainsi que des taux de rémunération. Enfin, la longueur moyenne de leur cycle de production était plus grande — une mesure de l'importance des économies d'échelle. Ces caractéristiques étaient considérées par les économistes (Harris, 1985; Antweiler et Trefler, 2002) comme étant des prédicteurs permettant de déterminer quelles industries bénéficieraient vraisemblablement le plus de la libéralisation du commerce. Il est intéressant de noter que les différences de taille moyenne des usines ainsi que les différences de valeur ajoutée entre le secteur des biens durables et celui des biens non durables sont devenues plus importantes après l'entrée en vigueur de l'ALENA, ce qui donne à penser que l'accord a favorisé le développement d'usines de plus grande taille et des améliorations de la productivité dans le secteur des biens durables.

De 1961 au début des années 1990, les parts de la fabrication de biens durables et de biens non durables au Canada et aux États-Unis suivaient la même trajectoire (graphique 11). Au cours des années 1960, la part de la fabrication de biens durables a grandi aux États-Unis ainsi qu'au Canada. Durant les années 1970 et 1980, les deux pays l'ont vue décroître progressivement.

Jusqu'à la signature de l'ALENA, la part de la fabrication de biens durables était plus faible au Canada qu'aux États-Unis et l'écart entre les deux pays est demeuré constant pendant 30 ans. En 1991, les parts relatives de biens durables et non durables étaient au même niveau qu'elles l'avaient été en 1962-1963.

Après l'entrée en vigueur de l'ALENA, le secteur canadien de la fabrication a commencé à subir une transformation qui a culminé en 2001, au moment de l'effondrement du secteur des technologies. Dans l'intervalle de sept ans entre 1994 et 2001, la structure de ce secteur a évolué jusqu'à ce que les parts des biens durables et des biens non durables concordent avec celles observées aux États-Unis 10  . Les changements de parts étaient répandus, celles-ci augmentant dans de nombreuses industries productrices de biens durables et diminuant dans presque chaque industrie productrice de biens non durables (tableau 4).

Dans certains cas, particulièrement parmi les industries de biens durables, cette croissance était nouvelle. Ainsi, après 1994, les industries des minéraux non métalliques, des produits métalliques, des ordinateurs, du mobilier et des activités diverses de fabrication ont toutes enregistré un accroissement de leur part qu'elles n'avaient pas connu durant les années 1980. Les industries des produits du bois et du matériel de transport, quant à elles, ont vu se poursuivre durant les années 1990 la tendance à la hausse de leur part dont l'origine remontait à la fin des années 1970 et, dans le cas du matériel de transport, à l'entrée en vigueur du Pacte de l'automobile (voir l'appendice II pour les comparaisons entre le Canada et les États-Unis).

En ce qui concerne les biens non durables, les industries telles que celles des textiles, des vêtements et des produits en cuir, ont vu se poursuivre de façon continue la contraction de leur part de la production manufacturière, de la même façon qu'aux États-Unis. Au Canada, l'industrie de la fabrication de produits chimiques a connu une décroissance plus rapide qu'antérieurement de sa part de la fabrication, contrairement à ce qui a été observé aux États-Unis.

Après l'effondrement du secteur des technologies en 2001, les parts des biens durables et des biens non durables relevées au Canada ont continué de concorder avec celles observées aux États-Unis. L'entrée en vigueur de l'ALENA a déclenché une transition dans le secteur canadien de la fabrication qui ne s'est pas dissipée durant la récession de 2001, ni pendant le boom des ressources naturelles qui a suivi.

La productivité est une mesure de l'efficacité avec laquelle les industries transforment les facteurs de production en produits. Les industries dont la productivité est élevée peuvent se permettre de mieux rémunérer leur main-d'oeuvre sans devenir non rentable et peuvent résister à une plus forte concurrence des prix en provenance de l'étranger. Les industries qui sont à la traîne en matière de productivité éprouvent de plus en plus de difficultés sur les marchés du travail et face à la concurrence étrangère, même en l'absence de grands chocs du taux de change ou de modifications importantes des régimes commerciaux.

À la lumière de la réussite du secteur des biens durables, il n'est pas étonnant de constater que la productivité de ce dernier était supérieure à celle du secteur des biens non durables pendant la plupart de la période (tableau 5). Il en était ainsi des mesures partielles de productivité, c'est-à-dire la productivité du travail et la productivité du capital, ainsi que de la mesure plus complète que donne la productivité multifactorielle, laquelle fournit une moyenne pondérée des deux mesures de productivité partielle.

8   Croissance à long terme

Les sections qui précèdent ont mis l'accent sur la variation de la part relative de la valeur de la production totale imputable au secteur de la fabrication. Cette part relative a diminué, mais principalement en raison de la baisse des prix relatifs. Le changement de trajectoire des prix relatifs qui s'est produit à la fin des années 1970 et au début des années 1980 a été la cause principale de la réduction à la baisse de la pression exercée sur la part manufacturière du PIB nominal.

Au cours des 50 dernières années, le secteur canadien de la fabrication s'est adapté à des cycles économiques, des fluctuations du taux de change et à une libéralisation croissante du commerce qui ont eu une incidence tant sur sa structure que sur sa compétitivité relative.

Comme nous l'avons souligné dans les sections précédentes, une décroissance de la part de la production ne signifie pas nécessairement que le volume de production diminue. De 1961 à 2005, le volume relatif de production du secteur de la fabrication est demeuré à peu près constant tandis que le prix relatif des usines a diminué (tableau 6). Cela peut être représenté graphiquement lorsque la part de la fabrication de la valeur totale du PIB est comparée avec les indices de volume relatif et de prix relatif (graphique 12). La comparaison illustre clairement le rôle dominant que jouent les prix relatifs et les répercussions des cycles d'affaires sur la part de la fabrication dans le PIB.

Fait plus important, le volume actuel de biens produits (l'indice en volume du PIB dans le secteur de la fabrication) a augmenté pendant toute la période. Le taux de croissance a également été positif au cours des années 1990, à la suite de l'entrée en vigueur de l'ALENA. Durant cette période, la croissance a été positive dans le secteur des biens non durables (celui dont la part a diminué), ainsi que dans le secteur des biens durables dont la part s'est accrue. Durant les années qui ont suivi l'éclatement de la bulle des technologies en 2001, la croissance annuelle du secteur de la fabrication a été, en moyenne, de 0,4 % de 2002 à 2007.

Au Canada, la transition qui a eu lieu après l'entrée en vigueur de l'ALENA a donné lieu à une croissance supérieure à la moyenne de la part en volume du PIB produite par presque toutes les industries manufacturières entre 1994 et 2000 (tableau 6). Ont fait exception les industries des boissons, des produits du tabac, des produits du pétrole et du charbon, et des produits chimiques. Le changement de composition du secteur de la fabrication en faveur des biens durables a été le résultat d'un essor plus important de ces derniers que des biens non durables.

Après 2000, l'évolution vers la production de biens durables s'est poursuivie tout au long de l'effondrement du secteur des technologies en 2001 et du boom des ressources naturelles subséquent. Le profil d'expansion, toutefois, a changé. Les volumes de biens durables fabriqués ont eu tendance à augmenter tandis que la production de biens non durables fléchissait. De 2001 à 2007, l'indice en volume du PIB a grimpé dans la plupart des industries produisant des biens durables, sauf celles des produits informatiques et électroniques, du matériel de transport et des meubles. Dans la plupart des industries fabriquant des biens non durables, l'indice en volume a baissé.

L'émergence de la Chine en tant que centre manufacturier combinée au boom des ressources naturelles ont provoqué le choc de prix relatifs le plus important subi par le Canada depuis les chocs pétroliers des années 1970 (Macdonald 2008a, b, Francis 2007, 2008). Au Canada, le prix des biens durables de consommation (c'est-à-dire, les appareils électroménagers et les meubles) et des biens semi-durables de consommation (c'est-à-dire, les vêtements et les chaussures) ont commencé, pour la première fois en un demi-siècle, à suivre une tendance à la baisse (graphique 13) — comme l'ont fait les prix dans le secteur américain de la fabrication — pour la première fois depuis un demi-siècle. La vigoureuse concurrence internationale de la Chine combinée à la hausse du coût des intrants associée au boom des produits de base ont exercé de nouvelles pressions sur les industries manufacturières. En général, les industries productrices de biens de consommation ont eu tendance à réduire leur production tandis que celles fabricant des biens d'équipement, particulièrement ceux utilisés comme intrants dans l'extraction, la transformation ou le transport des ressources naturelles, ont eu tendance à l'accroître.

Les évaluations de la santé du secteur de la fabrication sont souvent axées sur la situation en ce qui concerne les facteurs de production, surtout la demande de main-d'oeuvre. Le taux de croissance des facteurs de production dépend à la fois de la croissance de la production et de la croissance de la productivité. Plus la croissance de la production est faible et plus celle de la productivité du travail est élevée, moins l'accroissement de la demande de main-d'oeuvre sera élevé. Puisque, par nature, la productivité du travail est liée à la production et à la croissance de l'emploi, comme le révèle le graphique 14, la baisse de la part de l'emploi s'expliquait par le fait que la part de la production était plus ou moins constante et par une croissance plus élevée dans la productivité relative.

Malgré la baisse de la part relative de l'emploi total du secteur de la fabrication, la demande de facteurs de production a augmenté en valeurs absolues. Au cours des 50 années examinées, les facteurs travail ainsi que capital ont augmenté dans presque toutes les industries (tableau 611  . Faisait exception l'emploi dans les industries des boissons, du cuir et des vêtements (toutes produisant des biens non durables). Au cours de la période, les intrants de capital ont augmenté dans toutes les industries, même ces trois industries productrices de biens de consommation non durables qui ont vu diminuer leurs intrants de main-d'oeuvre. Mais avant tout et par dessus tout, la croissance des intrants de capital a été plus importante que celle des intrants de main-d'oeuvre. Le ratio capital-main-d'oeuvre a augmenté universellement dans toutes les industries manufacturières. Au cours de la période allant de 1961 à 2005, le taux de croissance des services du capital a été 2,5 fois plus élevé que celui des services de la main-d'oeuvre.

Les facteurs travail des secteurs des biens durables et non durables ont tous deux augmenté au cours de la période débutant en 1961 (tableau 7). De 1961 à 2007, dans le secteur des biens non durables, la croissance du facteur travail a été de 0,8 % par année, alors que dans le secteur des biens durables, elle a été plus forte, soit de 1,6 % par année. La main-d'oeuvre occupée s'est accrue dans le secteur des biens durables relativement à celui des biens non durables.

La variation du facteur travail peut être décomposée en deux éléments, à savoir, premièrement, la variation du nombre d'heures travaillées et, deuxièmement, le changement de composition de la main-d'oeuvre en raison de l'accroissement du niveau de compétences d'une main-d'oeuvre possédant de plus hauts niveaux d'expérience et d'études. De 1961 à 2007, dans le cas des industries produisant des biens durables, 34 % de la croissance du facteur travail sont attribuables à des changements de composition et 66 %, à des variations du nombre d'heures travaillées. Dans les industries produisant des biens non durables, la croissance du facteur travail est presque entièrement le résultat de changements de composition — autrement dit, le nombre d'heures travaillées est demeuré constant au cours de toute la période, mais la composition s'est transformée, le nombre de travailleurs qui avaient un faible niveau d'études ayant diminué tandis que celui des travailleurs qui avaient un niveau d'études plus élevé a augmenté.

En ce qui concerne la croissance du facteur travail, les années 1990 et la période postérieure à 2000 diffèrent considérablement. Au cours de la première période, la croissance de la main-d'oeuvre est positive dans le secteur des biens durables ainsi que dans celui des biens non durables. Au cours de la période postérieure à 2000, la croissance du facteur travail est négative dans les deux secteurs. La plupart de ce changement est attribuable au nombre d'heures travaillées. La variation attribuable à des changements de composition continue d'être positive au cours des deux périodes.

Le facteur travail peut également être ventilé selon le niveau d'études pour déterminer la source des changements de composition. En général, la croissance a été la plus forte au cours de toute la période chez le groupe de travailleurs ayant fait certaines études postsecondaires. À l'exception des années 1990, durant lesquelles la croissance du facteur travail a été forte, la croissance de la demande de main-d'oeuvre n'ayant fait que des études primaires ou secondaires a été négative. Dans le secteur des biens durables, la croissance de la demande de travailleurs titulaires d'un diplôme universitaire a été positive au cours de la période et son taux était plus élevé que pour les travailleurs ayant fait des études postsecondaires au cours des années 1990 ainsi que durant la période postérieure à 2000. Dans le secteur des biens non durables, la croissance de la demande de main-d'oeuvre titulaire d'un diplôme universitaire a été moins importante, relativement parlant, au cours des années 1990. Durant la période postérieure à 2000, toutefois, la demande visant ce groupe de travailleurs a surpassé celle visant le groupe de travailleurs ayant fait des études postsecondaires. Néanmoins, la croissance est demeurée positive chez ce dernier groupe. Les reculs importants après 2000 sont observés chez le groupe de travailleurs n'ayant fait que des études primaires ou secondaires.

9   Conclusion

Le débat sur la désindustrialisation au Canada tourne autour de la régression du secteur de la fabrication. Parfois, ce dialogue est axé sur les statistiques montrant que le secteur de la fabrication représente une part de plus en plus petite de la production globale de l'économie, autrement dit que la part de la valeur du PIB attribuable à la fabrication est en baisse.

Cependant, cette tendance que connaissait le Canada pouvait aussi être observée dans de nombreux autres pays dans lesquels le recul a été plus important. La contraction de la part de la valeur du PIB imputable au secteur de la fabrication, toutefois, n'a pas nécessairement été causée par une diminution des biens produits par ce secteur, puisque la valeur du PIB comporte une composante prix relatifs ainsi qu'une composante volumes relatifs. La plupart de la diminution de la valeur globale relative dérivée du secteur de la fabrication est due non pas à la baisse des volumes relatifs mais à celle des prix relatifs qui, en grande partie, a été entraînée par des résultats supérieurs en matière de productivité observés dans le secteur de la fabrication.

Les résultats relativement meilleurs au Canada que dans d'autres pays de l'OCDE en ce qui concerne la part du PIB produite par le secteur de la fabrication tiennent principalement à une tendance différente des prix manufacturiers relatifs. La tendance à la baisse de ces prix au Canada a suivi celle observée aux États-Unis durant les années 1960 et au début des années 1970, mais a ensuite subi une interruption durant les années 1980 et 1990. Cette période correspond étroitement avec les événements à l'origine de la dépréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain qui a atténué les pressions concurrentielles exercées sur les fabricants canadiens. Les résultats « supérieurs » du Canada (en utilisant comme mesure la part du PIB) résultent principalement de ces fluctuations uniques des prix manufacturiers relatifs (comparativement à d'autres pays).

Néanmoins, la baisse de la valeur de la production manufacturière relativement à d'autres secteurs n'a pas été aussi importante au Canada. En volumes relatifs, elle s'est maintenue au cours des 50 dernières années, tandis qu'en valeurs absolues, le volume de la production manufacturière a augmenté au cours de la période.

Ce progrès a subi l'influence d'effets cycliques importants causés par divers événements au cours du temps. Les cycles économiques observés aux États-Unis ont une incidence directe sur le secteur canadien de la fabrication. Les cycles des taux de change et des coûts des produits de base sont associés indirectement à des variations de la concurrence auxquels font face les fabricants canadiens quand leurs prix intérieurs et à l'exportation sont soumis à des pressions plus ou moins fortes selon que le dollar canadien s'apprécie (ou se déprécie) par rapport au dollar américain.

Le secteur de la fabrication s'est adapté à l'évolution de la conjoncture économique et a fait preuve d'un ressort considérable face aux défis, que ceux-ci aient été posés par des changements de la demande, des variations des prix relatifs ou la modification des régimes tarifaires. Au cours des 45 dernières années, les fabricants ont fait face à des récessions au Canada et aux États-Unis, à la libéralisation du commerce, y compris l'entrée en vigueur de l'ALENA, et au boom des ressources naturelles le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lequel a été associé à une variation spectaculaire des prix relatifs des produits et des intrants. Pendant tous ces événements, les fabricants ont fait croître leur production au même rythme essentiellement que le reste de l'économie, ont accru leur productivité au taux annuel moyen de 1,1 %, ont modifié les parts des diverses industries manufacturières de manière à les harmoniser avec celles observées aux États-Unis et ont accru la production de biens durables et réduit celle de biens non durables face à la concurrence internationale très vive et à la hausse des prix des ressources naturelles.

La stratégie industrielle orientée vers la libéralisation du commerce et l'intensité de la concurrence exercée par les producteurs étrangers ont remodelé spectaculairement les possibilités d'expansion sur les marchés américains des exportations. À cet égard, le changement le plus important a été attribuable à l'entrée en vigueur des accords de libre-échange en 1989 et 1993. Cette période est celle durant laquelle les accroissements relatif et absolu de la production manufacturière ont été les plus importants.

De 1961 à 2000, le secteur de la fabrication s'est adapté à de nombreux défis. Certaines industries se sont contractées en taille absolue, mais leur nombre était faible. On a assisté à une transition des industries fabriquant des biens de consommation non durables vers les industries fabriquant des biens durables plus lourds qui a rapproché la structure industrielle du Canada de celle des États-Unis.

Plus récemment, de nouveaux défis ont surgi. Au lieu d'augmenter comme ils l'ont fait pendant 40 ans, les prix à la consommation des biens manufacturés ont baissé après 2000. L'appréciation récente du dollar canadien associée au boom des ressources naturelles a entraîné les prix canadiens sur les marchés américains bien au-delà des tendances historiques, ce qui a exercé de nouvelles pressions sur la production intérieure. Dans de nombreuses industries, les volumes de production manufacturière intérieure se sont maintenus à cause du boom des ressources naturelles qui leur a offert des marchés compensatoires.

Certains faits récents posent de nouveaux défis, mais il est trop tôt pour discerner s'ils signalent un changement de tendance ou s'ils reflètent simplement une dynamique de court terme attribuable aux cycles des taux de change et aux cycles économiques.