Le marché du travail en 2008

Par Jeannine Usalcas

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Après six années de forte croissance de l'emploi avoisinant 2,2 % par an, le début de l'année 2008 semblait très prometteur au Canada : en janvier, le taux de chômage qui se situait à 5,8 %, était tombé à son niveau le plus bas en 33 ans, et en février le taux d'emploi avait atteint 63,9 %, soit un sommet historique.

Cette croissance de l'emploi s'est maintenue pendant les neuf premiers mois de 2008 (161 000 ou 0,9 %), mais vers la fin de l'année, compte tenu de l'aggravation de la crise économique mondiale, le pays a connu une baisse de l'emploi de 81 000 au cours du dernier trimestre. Ainsi, le taux de croissance de l'emploi sur l'année est ramené à 0,5 %, tandis que le taux de chômage a augmenté de 0,7 point de pourcentage par rapport à son minimum record pour atteindre 6,6 % en décembre.

Le nombre d'heures effectivement travaillées (plus sensible aux fluctuations économiques que l'emploi) a baissé constamment tout au long de 2008, pour atteindre, au dernier trimestre, un niveau inférieur de 1,2 % à celui du dernier trimestre de l'année 2007. Il s'agit de la baisse trimestrielle la plus importante sur une base annuelle depuis 2001, année du dernier ralentissement du marché du travail. Cette baisse d'heures pendant l'année résulte principalement d'une remontée de l'embauche de travailleurs à temps partiel en 2008 et concerne à la fois les salariés et les travailleurs autonomes.

La croissance des gains horaires moyens est demeurée soutenue en 2008 avec un taux de 4,3 %, après une augmentation de 4,9 % en 2007. Bien que l'ensemble des provinces ait connu cette augmentation des gains, un net ralentissement a été observé en Ontario, en Alberta, à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse.

Récession aux États-Unis

Alors que l'emploi a augmenté au Canada en 2007 ainsi qu'en 2008, il a reculé aux États-Unis pendant ces deux années, la plus forte baisse en plus de 50 ans étant survenue en 2008. Près de 3 millions de travailleurs américains ont perdu leur emploi durant l'année, plus de la moitié de ces pertes étant survenues au cours du dernier trimestre.

Cette baisse de l'emploi a touché un grand nombre de secteurs de l'économie américaine en 2008 : les industries manufacturières, les services de soutien aux entreprises, ceux relatifs aux bâtiments et les autres services de soutien, la construction, les services professionnels, scientifiques et techniques sont les plus durement frappés. À l'inverse, le Canada a connu une amélioration considérable de l'emploi dans les secteurs de la construction et des services professionnels, scientifiques et techniques.

Pour la deuxième année consécutive, les États-Unis ont connu une augmentation du taux de chômage, qui a atteint 7,2 % en décembre 2008, comparativement au creux le plus récent de 4,4 % en mars 2007 (graphique A). Alors que le taux de chômage aux Etats-Unis s'est accru, celui du Canada1 n'a pas seulement connu une baisse en 2008, mais l'écart considérable de 1,4 point de pourcentage entre les deux constitue un record. En effet, pour trouver un taux canadien inférieur, il faut remonter aux récessions du milieu des années 70 et du début des années 80.

Outre le recul de l'emploi aux États-Unis et le ralentissement d'activité au Canada, des signes de sous-emploi ont commencé à apparaître dans les deux pays en 2008. Le nombre de travailleurs à temps partiel imposé (personnes souhaitant travailler à plein temps, mais travaillant à temps partiel à cause d'une réduction de leurs heures de travail ou d'une impossibilité à trouver un emploi à plein temps) a augmenté de 73 % (3,4 millions) aux États-Unis au cours des 12 derniers mois et de 19 % (125 000) au Canada, principalement en Ontario2.

Déclin des industries manufacturières au Canada pour la sixième année consécutive

Bien que les industries manufacturières aient perdu 35 000 emplois en 2008 (-1,7 %), ce chiffre représentait moins que la baisse de 129 000 survenue en 2007 (-6,1 %). La baisse continue de l'emploi en Ontario en 2008 a été en partie compensée par une hausse en Alberta et au Québec.

Depuis 2002, le Canada a perdu 371 000 emplois de travailleurs de la fabrication (-16,0 %), dont environ deux tiers en Ontario et un tiers au Québec. L'Ontario a accusé une baisse soutenue de l'emploi et est la seule province à avoir connu six années de baisses consécutives (graphique B). Ainsi, en décembre 2008, la situation de l'emploi dans les industries manufacturières en Ontario (871 000) était juste au-dessus du niveau du milieu des années 1970 (871 000), et approchant son niveau le plus bas (806 000) atteint au cours de la récession du début des années 1990.

En décembre 2008, 13,1 % des employés ontariens travaillaient dans le secteur manufacturier, contre 18,2 % en novembre 2002. Les pertes d'emploi survenues en 2008 ont touché l'industrie du matériel de transport, mais également le secteur chimique, celui des matières plastiques et du caoutchouc, celui des machines ainsi que l'agroalimentaire.

Les forces des uns compensent les faiblesses des autres dans quelques secteurs

À l'instar des industries manufacturières, la baisse de l'emploi a également touché d'autres secteurs en 2008 : les services de soutien aux entreprises, ceux relatifs aux bâtiments et aux autres services de soutien (-5,8 %); l'agriculture (-3,7 %); l'information, la culture et les services de loisirs (-3,4 %); l'industrie forestière, la pêche, l'exploitation minière, l'industrie pétrolière et gazière (-2,6 %); et le commerce (-1,8 %).

En revanche, dans le secteur de la construction, l'emploi a augmenté de 3,9 %, malgré des faiblesses importantes au cours du dernier trimestre de l'année. Une hausse de l'emploi a également été constatée dans les secteurs des services professionnels, scientifiques et techniques (3,8 %), des soins de santé et d'assistance sociale (3,8 %) et de l'administration publique (3,2 %).

En 2008, l'emploi dans le secteur public a connu une maigre croissance de 1,4 %, comparée à celle plus robuste, de 6,7 %, observée en 2007. L'augmentation du nombre de travailleurs autonomes a ralenti en 2008 (0,8 %) par rapport à 2007 (4,3 %), tandis que celle du nombre de salariés du secteur privé est restée presque nulle (0,1 % en 2008 contre 0,4 % en 2007).

Chute de l'activité dans la construction et le logement au dernier trimestre de 2008

Entre 2002 et 2007, l'emploi dans la construction a augmenté en moyenne de 6,1 % par an (graphique C). Malgré une hausse de 3,9 % en 2008, l'emploi dans la construction s'est replié au cours du dernier trimestre. En effet, l'augmentation du nombre d'emplois (88 000) constatée pendant les neuf premiers mois a été contrebalancée par le nombre de pertes d'emploi au dernier trimestre (42 000).

En 2008, le nombre de mises en chantier ainsi que le nombre de permis de bâtir ont diminué. Selon la Société canadienne d'hypothèques et de logement, en décembre, le nombre de mises en chantier est tombé à son niveau le plus bas en sept ans. D'après l'Enquête sur les permis de bâtir, qui donne un indicateur avancé de l'activité dans le secteur du bâtiment, la valeur des projets de constructions prévus en décembre était inférieure de 20 % à celle du début de l'année. La construction non résidentielle était plus durement touchée (avec une baisse de 22 %), que la construction résidentielle, qui a reculé de 19 %.

Le nombre d'heures travaillées diminue au cours du dernier trimestre de 2008

Le nombre d'heures travaillées en 2008 était inférieur à celui de 2007 (graphique D). Au cours du dernier trimestre de 2008, le nombre moyen d'heures effectivement travaillées par semaine est tombé à 32,73, bien en deçà de la moyenne trimestrielle de 33,4 de 2007. Cette baisse est due à tout un ensemble de facteurs. En 2008, la croissance de l'emploi s'expliquait exclusivement par la progression de l'emploi à temps partiel, tandis qu'en 2007, il s'agissait surtout d'emplois à plein temps. En outre, en 2008, le nombre d'heures travaillées a baissé pour un plus grand nombre de travailleurs (moins de 35 heures par semaine).

On a constaté, pour cette période, une diminution des heures effectivement travaillées chez les salariés et chez les travailleurs autonomes, alors que le nombre d'heures supplémentaires est resté constant. La diminution du nombre total d'heures travaillées était générale et touchait la plupart des secteurs et des provinces.

La Saskatchewan, chef de file pour la croissance de l'emploi en 2008

En 2008, la Saskatchewan a enregistré la croissance de l'emploi la plus importante du pays, à savoir 3,2 %. Avec le Manitoba (1,7 %) et l'Alberta (1,4 %), il s'agit des seules provinces dont la croissance de l'emploi était supérieure à la moyenne nationale (0,5 %) (graphique E).

La progression de l'emploi en Saskatchewan est attribuable au travail à plein temps dans la production de biens, notamment la construction, les mines, l'extraction de pétrole et de gaz, ainsi que les services publics. En décembre 2008, 67,2 % de la population provinciale en âge de travailler occupait un emploi, la province se classant ainsi en deuxième place après l'Alberta (71,6 %).

La croissance de l'emploi en Alberta a considérablement ralenti en 2008, après des augmentations de 4 % en 2006 et 2007. En 2008, l'augmentation de l'emploi dans le secteur de la production de biens a en partie compensé les pertes d'emploi survenues dans les services. L'emploi dans l'exploitation minière et dans l'extraction de pétrole et de gaz était resté au même niveau en décembre 2008 qu'en décembre 2007, mais des gains ont été enregistrés dans les industries manufacturières et l'agriculture. En décembre 2008, l'Alberta a affiché un des taux de chômage les plus bas du pays (4,2 %), ainsi que les gains horaires les plus élevés (24,50 $).

Au Manitoba, l'emploi a augmenté d'un peu moins de 2 % en 2008, pour la deuxième année consécutive, et a atteint un taux d'emploi de 66,6 % en décembre 2008, soit le troisième le plus élevé du Canada. Le taux de chômage de 4,3 % relevé en fin d'année se situait parmi les plus bas du pays, avec une augmentation de seulement 0,1 point de pourcentage au cours de l'année.

Ralentissement de la croissance de l'emploi au Canada central et en Colombie-Britannique

En 2008, la croissance de l'emploi en Ontario était proche de la moyenne nationale (0,4 %) et représentait la croissance la plus lente de la province depuis 2001. La croissance de l'emploi dans le transport et l'entreposage, la construction, la finance, les assurances, l'immobilier et la location, ainsi que dans les services professionnels, scientifiques et techniques, a tout juste suffi à compenser les pertes d'emploi survenues dans les industries manufacturières, les services d'enseignement, les services de soutien aux entreprises, ceux relatifs aux bâtiments et les autres services de soutien. La totalité des 24 000 emplois créés en Ontario correspondait à des emplois à temps partiel. L'augmentation du nombre d'employés à temps partiel imposé représente une autre indication du ralentissement du marché du travail en Ontario et de la pénurie d'emplois à temps plein. La proportion d'employés à temps partiel imposé ayant préféré obtenir un emploi à temps plein et qui ont échoué dans leur tentative, est passée de 23 % en décembre 2007 à 30 % un an plus tard. Au cours de la même période, le taux de chômage en Ontario a augmenté de 0,8 point de pourcentage pour atteindre 7,2 % en décembre 2008.

Au Québec, l'emploi était inchangé en 2008, après une croissance de 2,4 % en 2007. Les gains enregistrés dans les secteurs des soins de santé et de l'assistance sociale, de l'administration publique et du secteur manufacturier compensent en partie les pertes d'emploi survenues dans le commerce, l'éducation et l'agriculture sur l'ensemble des mois de l'année 2008, d'où une croissance nette nulle. Après avoir atteint un niveau record de 6,8 %, soit le plus bas, en janvier 2008, le taux de chômage a augmenté de 0,5 point de pourcentage pour pour atteindre 7,3 % en décembre 2008.

Après les gains importants enregistrés durant les six années précédentes la croissance de l'emploi en Colombie-Britannique n'a été que de 0,2 % en 2008, car les hausses de l'emploi pendant les huit premiers mois ont été en partie contrebalancées par des baisses durant les quatre derniers mois. La croissance de l'emploi a été particulièrement faible dans le secteur de la production de biens au cours du dernier trimestre de 2008 à cause des pertes d'emplois survenues dans la construction. Le taux de chômage de la province a atteint 5,3 % en décembre 2008, soit une augmentation de 1,2 point de pourcentage comparativement à 12 mois plus tôt.

Dans les provinces de l'Atlantique, en 2008, l'emploi avait diminué à Terre-Neuve-et-Labrador (-1,0 %) et à l'Île-du-Prince-Édouard (-0,9 %), tandis qu'en Nouvelle-Écosse, il avait augmenté (0,2 %) alors qu'aucune évolution significative n'était constatée au Nouveau-Brunswick. À la fin de l'année, le taux d'emploi avait diminué dans chacune de ces provinces et le taux de chômage avait augmenté.

Augmentation de l'emploi chez les travailleurs âgés

La croissance de l'emploi en 2008 est due à l'augmentation de l'emploi des travailleurs âgés, qui ne cesse de suivre une courbe de croissance ayant débuté en 2001 lorsque les premiers membres de la génération du baby-boom ont atteint 55 ans (graphique F). Les femmes âgées de 25 à 54 ans en ont également profité, alors qu'on observe un déclin de l'emploi chez les jeunes et les hommes du principal groupe d'âge actif.

En 2008, l'emploi a diminué de 2,1 % (-55 000) pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Le taux de chômage des jeunes a augmenté de près de 2 points de pourcentage depuis le début de l'année, passant de 11,0 % à 12,9 % en décembre.

En revanche, les travailleurs âgés ont bénéficié d'une hausse de l'emploi de 4,1 % (105 000) sur toute l'année et leur taux d'emploi a augmenté de 0,2 point de pourcentage. En dépit de cette hausse, le taux de chômage des travailleurs âgés a augmenté en 2008, passant de 4,6 % à 5,6 %, étant donné l'augmentation du nombre de chercheurs d'emploi de plus de 55 ans.

Alors que l'emploi des hommes du principal groupe d'âge actif est resté stable en 2008, celui des femmes âgées de 25 à 54 ans a augmenté de 46 000 (0,8%). Toutefois, le taux de chômage de ces deux catégories de population a légèrement augmenté depuis décembre 2007 (passant à 5,8 % et 4,9 % respectivement).

Sources des données et définitions

L'Enquête sur la population active (EPA) recueille chaque mois des données sur l'activité du marché du travail de la population civile hors établissement de 15 ans et plus. L'enquête porte sur un échantillon renouvelable d'environ 54 000 ménages, chaque ménage demeurant dans dans l'échantillon pendant six mois consécutifs.

L'EPA divise la population en âge de travailler en trois catégories qui s'excluent mutuellement, à savoir les personnes occupées, les chômeurs et les inactifs. Pour obtenir la liste complète et la description des variables utilisées dans l'EPA, consultez le Guide de l'Enquête sur la population active (no 71-543-G au catalogue de Statistique Canada).

Le taux d'emploi est constitué de personnes occupées par rapport au nombre de personnes âgées de 15 ans et plus. Le taux d'emploi d'un groupe en particulier (par exemple, les jeunes âgés de 15 à 24 ans), correspond au pourcentage de personnes occupées de ce groupe par rapport au nombre total de personnes en faisant partie.

Le taux de chômage correspond au pourcentage de chômeurs dans la population active. Le taux de chômage d'un groupe particulier correspond au pourcentage de chômeurs de la population active de ce groupe.

Changement de décembre à décembre

Dans la présente analyse, le changement de l'emploi et d'autres indicateurs du marché du travail en l'année 2008 a été déterminé par une comparaison des valeurs désaisonnalisées des mois de décembre 2008 et décembre 2007, afin de déceler les changements de moyennes annuelles le plus tôt possible. Par exemple, l'emploi était en moyenne de 17,1 millions en 2008, soit une hausse de 1,5 % par rapport à 2007. Ces valeurs semblent indiquer une modeste croissance de l'emploi en 2008, alors qu'en réalité la tendance a été neutre (graphique G). Grâce à la méthode de comparaison du changement de l'emploi de décembre à décembre, on arrive à mieux mettre en évidence cette stabilité de la croissance qui peut également être perçue comme la somme des variations mensuelles de l'emploi pour l'ensemble de l'année, et qui s'élève à seulement 80 000, ou 0,5 %.

La croissance annuelle de l'emploi basée sur les moyennes annuelles est supérieure à ce qui a été démontré dans la comparaison des mois de décembre à cause d'une forte croissance de l'emploi au cours des neuf premiers mois de 2008 et des pertes à la fin de l'année.

À l'évidence, aucune de ces deux méthodes n'est parfaite. La méthode de comparaison entre les deux mois de décembre peut induire en erreur si l'un des deux mois a connu un taux anormalement bas ou élevé. Dans ce cas, l'instabilité plus grande des données mensuelles peut mener à une interprétation différente de la tendance qui aurait pu être mieux évaluée à l'aide d'estimations moyennes trimestrielles ou annuelles plus stables.


Notes

  1. Adapté à la définition américaine du chômage.
  2. Les employés à temps partiel aux États-Unis représentent ceux qui travaillent moins de 35 heures par semaine habituellement alors qu'au Canada, le point de démarcation est de 30 heures.
  3. Pour réduire l'incidence des fluctuations mensuelles, l'analyse des heures travaillées a été effectuée à partir des moyennes trimestrielles.

Auteur

Jeannine Usalcas est au service de la Division de la statistique du travail. On peut la joindre au 613-951-4720 ou à perspective@statcan.gc.ca.

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