Les capacités cognitives et les gains des immigrants

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par Aneta Bonikowska, David A. Green et W. Craig Riddell

Introduction

On mène d'importants travaux de recherche pour comprendre les écarts salariaux entre les travailleurs immigrants et les travailleurs nés au pays (en l'occurrence, au Canada) (voir, par exemple, Chiswick (1978) et Borjas (1985, 1995) en ce qui concerne les États-Unis, et Baker et Benjamin (1994), Bloom, Grenier et Gunderson (1995), Grant (1999) et Aydemir et Skuterud (2005) en ce qui concerne le Canada). Ces études démontrent que les immigrants gagnent habituellement moins que les travailleurs nés au pays qui possèdent le même niveau de scolarité et la même expérience de travail. Les faibles gains des immigrants sont souvent attribués à la spécificité du capital humain acquis dans le pays d'origine. Les compétences acquises grâce à l'éducation ou à l'expérience de travail dans le pays d'origine ne sont pas directement transférables au pays d'accueil; aussi des immigrants apparemment qualifiés occupent-ils des emplois faiblement rémunérés. Naturellement, il ne s'agit pas de la seule explication possible aux faibles gains des immigrants. Il se peut aussi que les employeurs du pays d'accueil exercent une discrimination envers les travailleurs immigrants en les rémunérant moins, à productivité égale, que les travailleurs nés au Canada. Il serait très aisé d'étudier ces questions si nous disposions de mesures directes des compétences. Dans ce cas, nous pourrions comparer les travailleurs nés au Canada aux travailleurs immigrants possédant les mêmes niveaux mesurés de scolarité et d'expérience pour établir si les immigrants ont effectivement de faibles niveaux de compétences, ce qui confirmerait la première hypothèse. Ou alors, nous pourrions déterminer si les immigrants obtiennent un faible rendement de leurs compétences observées, ce qui confirmerait la deuxième hypothèse. Dans la présente étude, nous tirons parti d'un riche ensemble de données provenant du volet canadien de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA)1, qui comprend des données courantes sur la démographie et sur le marché du travail en ce qui concerne les personnes nées au Canada et les immigrants ainsi que les résultats de tests de compétences en littératie, en numératie (capacités de calcul) et en résolution de problèmes. En interprétant les notes obtenues à ces tests comme des mesures directes des capacités cognitives, nous pouvons désormais examiner de plus près les explications des faibles gains des immigrants. En outre, les données comprennent des renseignements plus précis que ceux de la plupart des études antérieures sur l'endroit où les immigrants ont étudié et sur leur âge au moment de l'immigration, ce qui nous permet d'examiner d'encore plus près les écarts salariaux entre les immigrants et les personnes nées au Canada.

L'objectif premier du présent document consiste à répondre à quatre questions concernant les compétences des immigrants. Premièrement, les capacités cognitives des immigrants sont-elles différentes de celles des personnes nées au Canada et, dans l'affirmative, en quoi diffèrent-elles? Deuxièmement, les écarts entre les compétences des immigrants et celles des personnes nées au Canada dépendent-ils de l'endroit où les immigrants ont acquis leur capital humain? Troisièmement, les immigrants obtiennent-ils un rendement différent de ces compétences par rapport aux travailleurs nés au Canada qui possèdent, d'après les observations, des compétences semblables? Quatrièmement, les différences de niveau et de rendement de ces compétences expliquent-elles les écarts salariaux entre les travailleurs immigrants et les travailleurs nés au Canada?

Des études récentes font ressortir la nécessité de bien prendre en compte l'endroit où les travailleurs ont acquis leur éducation et leur expérience lorsqu'on examine les gains des immigrants. À partir des données du recensement d'Israël, Friedberg (2000) constate que les faibles gains des immigrants par rapport à ceux de travailleurs nés au Israel qui possèdent les mêmes niveaux de scolarité et d'expérience sont presque entièrement attribuables au faible rendement de l'expérience acquise ailleurs qu'en Israël. C'est le cas, notamment, des immigrants non européens. De même, Green et Worswick (2002) constatent un rendement nul de l'expérience acquise à l'étranger par les cohortes récentes d'immigrants, mais montrent que dans le cas du Canada, il s'agit d'un changement par rapport au début des années 80, lorsque le rendement de l'expérience acquise à l'étranger par les immigrants était semblable à celui de l'expérience acquise au Canada par les personnes nées au Canada. Cette variation dans le temps est due pour une bonne part à la modification de la provenance des immigrants par pays. À partir de données sur les immigrants de l'Ontario, Ferrer, Green et Riddell (2006) constatent aussi que le faible rendement de l'expérience acquise à l'étranger joue un rôle important dans l'écart salarial entre les immigrants et les personnes nées au Canada, surtout chez les diplômés universitaires. Schaafsma et Sweetman (2001) et Ferrer et Riddell (à paraître) examinent la question du faible rendement de l'éducation acquise à l'étranger de manière quelque peu indirecte, en se fondant sur l'âge au moment de l'immigration2. Les auteurs des deux études constatent que le rendement de l'éducation acquise à l'étranger, s'il est inférieur à celui de l'éducation acquise au Canada, reste substantiel. Dans la présente étude, nous donnons des preuves supplémentaires de l'importance de l'endroit où les travailleurs ont acquis leur éducation et leur expérience. Ces preuves sont d'autant plus précieuses que les données que nous avons utilisées offrent un net avantage sur les données utilisées dans les études antérieures. L'apport de la présente étude consiste en partie à réexaminer, à l'aide de données plus précises, les questions du rendement de l'éducation et de l'expérience acquises à l'étranger abordées dans les études antérieures.

Nous nous inspirons également des études de Green et Riddell (2003) et de Ferrer, Green et Riddell (2006) qui utilisent, respectivement, l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes (EIAA) et l'Enquête sur l'alphabétisme de la population immigrante de l'Ontario (EAPIO) pour examiner le rôle des capacités cognitives dans les tendances des gains des travailleurs nés au Canada et des travailleurs immigrants. À l'instar de l'EIACA, les données de l'EIAA et de l'EAPIO comprennent à la fois des questions d'enquête standard et des tests de littératie et de numératie. Selon Green et Riddell (2003), le type des questions posées dans le cadre de l'EIAA se prête très bien à l'utilisation des notes obtenues aux tests de littératie comme mesures des capacités cognitives que possédait le répondant au moment de l'enquête. En se fondant sur cette hypothèse, les auteurs soutiennent qu'on peut arriver à comprendre l'influence de ces compétences de base sur les gains en analysant les interactions des mesures de la littératie et d'autres variables courantes liées au capital humain. Dans leur analyse, ils utilisent un modèle hédoniste selon lequel les gains observés dépendent directement des compétences de base que possède une personne et du prix implicite de ces compétences. Dans la présente étude, nous adoptons un cadre d'interprétation semblable.

Les résultats supposent qu'on peut répondre par l'affirmative à notre première grande question : les compétences des immigrants en littératie diffèrent-elles de celles des personnes nées au Canada? Les distributions des notes obtenues aux tests par les natifs du Canada dominent celles des immigrants, et les immigrants obtiennent des notes moyennes inférieures à celles des travailleurs nés au Canada qui possèdent, d'après les observations, des compétences semblables. L'écart est lié pour une bonne part à un ensemble d'immigrants incapables de répondre aux tests et qui ont donc obtenu de faibles notes. Nous trouvons également des indices probants selon lesquels les écarts dans les compétences dépendent de l'endroit où les immigrants ont acquis leur capital humain. Les immigrants ayant terminé leurs études avant d'arriver au Canada possèdent des compétences nettement inférieures à celles d'immigrants comparables ayant fait une partie ou la totalité de leurs études au Canada. Sans égard à ces différences dans les niveaux et l'acquisition des compétences, toutefois, nous n'hésitons pas à rejeter l'hypothèse selon laquelle les immigrants obtiennent un rendement inférieur de ces capacités cognitives par rapport aux personnes nées au Canada. En effet, un important groupe d'immigrants tire davantage parti de niveaux de compétence élevés que ne le font les personnes nées au Canada. Selon nous, cela exclut qu'on puisse attribuer à la discrimination les écarts salariaux entre les travailleurs immigrants et leurs homologues nés au Canada.

Les résultats de notre régression des gains confirment les constatations d'études antérieures selon lesquelles le rendement de l'éducation et de l'expérience acquises à l'étranger par les immigrants est inférieur à celui de l'éducation et de l'expérience acquises au Canada par les immigrants ou par les travailleurs nés au Canada. Cette tendance du rendement de l'expérience ne varie pas lorsqu'on neutralise les capacités cognitives, ce qui indique que la racine du problème ne tient pas au fait que l'expérience acquise à l'étranger produit des capacités cognitives inférieures. Les capacités cognitives exercent une influence significative sur les gains : une augmentation de 100 points de la note moyenne obtenue aux tests se traduit par une hausse des gains de près de 30 %3. Ensemble, ce rendement des compétences et les faibles niveaux de compétence des immigrants expliquent en partie le désavantage salarial des immigrants. Nous estimons qu'en haussant le niveau de compétence moyen des immigrants pour le rendre égal à celui des personnes nées au Canada, on éliminerait presque entièrement le désavantage salarial des immigrants de sexe masculin ayant fait des études secondaires par rapport aux travailleurs nés au Canada ayant fait les mêmes études et l'on produirait un avantage salarial substantiel chez les immigrantes ayant fait des études secondaires. Dans le cas des diplômés universitaires, pour qui l'écart salarial est plus élevé, le fait de hausser le niveau de compétence moyen des immigrants pour le rendre égal à celui des personnes nées au Canada réduirait de plus de moitié l'écart salarial des hommes et éliminerait largement l'écart salarial des femmes, ce qui remplacerait le désavantage des immigrants par un avantage.

Le présent document est structuré comme suit : dans la prochaine section, nous présentons un cadre de travail pour envisager ce que nous pourrions apprendre en introduisant des mesures des capacités cognitives dans une équation courante des gains. Dans la troisième section, nous présentons nos données et leurs schémas de base. Dans la quatrième section, nous nous demandons si les niveaux de compétence des immigrants diffèrent de ceux des personnes nées au Canada. La cinquième section présente l'analyse des gains des immigrants. La dernière section constitue la conclusion.


Notes

  1. À l'échelle internationale, l'EIACA est connue sous le nom d'Enquête sur la littératie et les compétences des adultes (ELCA).
  2. Le Recensement de la population canadienne, source des données utilisées dans la plupart des études antérieures sur l'immigration, ne contient pas de renseignements sur l'origine du capital humain. De plus, la variable liée à l'âge au moment de l'arrivée au Canada est codée sous forme d'intervalles entre crochets, ce qui complique énormément l'imputation des mesures de l'expérience antérieure et postérieure à l'immigration.
  3. À titre de comparaison, la note moyenne des diplômés du secondaire est d'environ 280, alors que celle des diplômés universitaires est d'environ 320, soit un écart de 40 points.