3. La décision de retourner à l'école

Avertissement Consulter la version la plus récente.

Information archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

3.1 Cadre de base

Les écrits économiques caractérisent le décrochage surtout comme le résultat d'une décision rationnelle10. Les gens pèsent le pour et le contre de rester à l'école (c.-à-dire continuer et obtenir leur diplôme d'études secondaires ou quitter l'école). Cette décision rationnelle est motivée par de faibles aptitudes aux études (avantages moindres), de faibles attentes quant aux retombées salariales de faire d'autres études (avantages moindres) et l'attrait des perspectives d'emploi locales (coûts de renonciation plus élevés). Eckstein et Wolpin (1999) distinguent deux types of décrocheurs : les peu doués pour les études qui décrochent rapidement et ceux qui s'attendent à peu d'un diplôme et sont donc susceptibles de décrocher tardivement, même durant leur dernière année d'études secondaires11. Ils soutiennent que les décrocheurs ont un avantage comparatif – le type de capacités et d'intérêts, par exemple les aptitudes manuelles ou l'intérêt pour le travail physique – face aux emplois qu'ils obtiennent avec la scolarité qu'ils possèdent. Cela suppose que les jeunes adultes décident de décrocher de l'école pour prendre un emploi qui requiert le type de compétences qu'ils ont (sans devoir faire d'autres études). Ces décisions sont fondées sur les conditions du marché local de l'emploi, dont le salaire minimum et les possibilités d'emploi s'offrant alors aux jeunes décideurs (Eckstein et Wolpin, 1999; Chaplin et coll., 2003; au Canada, Parent, 2006). Il semblerait toutefois selon de récentes données que les décisions des écoliers du secondaire soient devenues de moins en moins tributaires des possibilités d'emploi et de plus en plus des avantages salariaux au cours des années 1990 (Ferrer et Lauzon, 2005).

Les études susmentionnées concluent toutes également que les antécédents personnels et familiaux jouent un rôle dans la décision de décrocher. Les décrocheurs sont plus susceptibles d'être issus d'un ménage monoparental, d'une famille à faible revenu ou d'une famille dont les parents n'ont pas de diplôme ou de certificat d'études postsecondaires. Oreopoulos et coll. (2003) montrent que la scolarité des parents témoigne davantage que des seules habiletés parentales, dont les enfants pourraient hériter, en utilisant comme instrument les lois sur la scolarité obligatoire. Il faut en conclure à la lumière de leurs résultats qu'indépendamment des capacités, les parents instruits insistent sur l'importance de l'éducation pour leurs enfants. Les études les intéressant moins, les décrocheurs ont des aspirations moindres et sont plus susceptibles de s'adonner à des comportements délinquants tels que la consommation d'alcool (travaux descriptifs au Canada : Bowlby et McMullen, 2002; Chatterji et DeSimone, 2005). Il vaut également la peine de noter que les décrocheurs en devenir exhibent ces caractéristiques parfois dès l'âge de 15 ans, soit plusieurs mois avant de quitter l'école (Bushnik et coll., 2004).

Le cadre de prise de décisions rationnelles ci-dessus présume implicitement que les décisions se prennent sur la base d'information parfaite et de marchés du crédit parfaits. Le manque d'information peut fausser l'évaluation des avantages nets d'obtenir un diplôme d'études secondaires, tandis que les contraintes d'emprunt peuvent forcer à décrocher pour aller travailler. L'acquisition d'information nouvelle sur les avantages et les coûts des études peut inciter les décrocheurs à se raviser et à retourner à l'école. Dans le même ordre d'idées, les individus peuvent accumuler du crédit ou accroître leurs épargnes afin d'alléger leurs contraintes d'emprunt. Le modèle d'investissement dans le capital humain de Becker peut être modifié pour inclure de tels cheminements scolaires en y incorporant de l'information imparfaite et les contraintes d'emprunt (Becker, 1962)12. L'acquisition d'information nouvelle ou le relâchement des contraintes d'emprunt permet aux individus de réexaminer leur décision et de se raviser. Altonji (1993) utilise ce modèle élargi pour expliquer la décision de changer de domaine d'études ou le choix d'une profession, ainsi que Light (1995) pour expliquer l'interruption des études entre l'obtention du diplôme d'études secondaires et l'entrée au postsecondaire. Diverses études se sont intéressées à l'effet des contraintes d'emprunt – en l'occurrence le cas d'un individu n'ayant pas les moyens financiers d'étudier ni accès à suffisamment de crédit pour le faire, qu'il s'agisse d'un prêt gouvernemental ou de crédit privé d'une banque – sur la scolarité postsecondaire (voir, par exemple, Keane et Wolpin, 2001).

Dans un modèle incorporant de l'information incomplète et les contraintes d'emprunt, les individus peuvent quitter l'école sans obtenir de diplôme et y revenir ultérieurement à la lumière d'information nouvelle ou grâce à de nouvelles ressources financières. La présente analyse ne traite que du processus de réévaluation des avantages nets des études et du retour à l'école, pas de la décision antérieure de décrocher.

Les individus acquièrent de l'information nouvelle et s'en servent pour réévaluer les avantages nets d'étudier. Ces renseignements peuvent comprendre les gains auxquels renonce un décrocheur du secondaire pour retourner à l'école (coût de renonciation), l'avantage de rémunération dont jouit un diplômé du secondaire (avantages), l'instabilité relative d'emploi du décrocheur par rapport au diplômé (avantages prévus) ou les préférences en matière de travail et d'école (avantages). Outre ces éléments, l'individu décidera aussi en fonction de coûts de fréquentation tels que le matériel scolaire et les frais de scolarité. Il calcule ce qu'il lui en coûtera d'achever ses études selon qu'il ne lui reste qu'une ou plusieurs années à compléter13. Il doit évaluer ces coûts, en plus les coûts liés aux besoins de base de logement et nourriture, en fonction de ses ressources.

D'autres types de contraintes peuvent motiver l'individu à décrocher. Problèmes de santé, problèmes familiaux et problèmes personnels, tout cela peut lui enlever à peu près toute possibilité de fréquenter l'école. Qu'il se bute à des contraintes d'emprunt ou à des problèmes personnels, il se peut tout de même que l'individu soit convaincu de la valeur d'étudier et qu'il aspire même à faire des études postsecondaires. Cette personne choisit peut-être de quitter temporairement l'école, prévoyant y retourner plus tard lorsque les contraintes ou les obstacles qui lui mettent des bâtons dans les roues se seront aplanis. De tels sortants temporaires seraient plus susceptibles de retourner aux études que ceux qui doivent en réévaluer les avantages nets. Les études économiques ont fait peu de cas de ces décrocheurs intentionnellement temporaires (ou sortants temporaires).

Seuls quelques économistes ont étudié les retours ou les réinscriptions. Aux États-Unis, Light (1995) s'intéresse aux diplômés du secondaire qui interrompent leurs études avant de les poursuivre au postsecondaire. Quelques études ont analysé les interruptions des études postsecondaires, appelées sorties temporaires, surtout au niveau universitaire (voir, par exemple, Singwell, 2001, et Stratton et coll., 2005). Très peu d'attention a été consacrée aux retours de décrocheurs du secondaire. Au Canada, Bushnik et coll. (2004) disent des retournants qu'ils sont tout aussi susceptibles d'être des hommes que des femmes, plus susceptibles d'être du Québec et moins susceptibles d'être de l'Alberta, moins susceptibles de travailler à temps plein et plus susceptibles d'avoir des parents sans diplôme d'études postsecondaires. Fait intéressant, l'étude signale également que les décrocheurs qui aspirent à étudier au postsecondaire, ce que l'on détermine en demandant directement aux décrocheurs quel serait le plus haut diplôme ou grade qu'ils aimeraient obtenir, étaient plus susceptibles de retourner aux études. Enfin, seul Chuang a fait une étude empirique de la réinscription des décrocheurs aux États-Unis (1994, 1997). Il constate que l'aptitude, mesurée au moyen d'un test normalisé, l'âge, la durée de la période d'absence des études et les conditions locales du marché du travail influent sur la décision de retourner aux études. Ni les antécédents familiaux, ni les activités des décrocheurs durant leur période de non-fréquentation scolaire n'ont grand pouvoir explicatif pour prévoir qui retournera aux études. Aucune étude n'a tenté d'explorer le phénomène des décrocheurs intentionnellement temporaires et de savoir si le retour aux études est plus répandu parmi eux.

3.2 Deux groupes distincts de décideurs?

Comme nous le soulignions ci-dessus, les jeunes hommes décrochent davantage et sont moins susceptibles que les jeunes femmes de retourner à l'école. Beaucoup d'études ne tiennent pas compte de ces tendances selon le sexe, et les rares à les souligner n'essaient pas d'en expliquer les causes. Par exemple, Eckstein et Wolpin (1999), Chuang (1994) et Light (1997) mettent l'accent sur les hommes. Ferrer et Lauzon (2005) incluent une variable nominale pour le sexe et notent que l'écart de genre semble se rétrécir avec le temps. Parent (2006) fait une analyse distincte selon le sexe, mais ne tente nullement d'expliquer les différences observées.

Pourtant, la littérature fait état de quelques faits stylisés. L'étude de Parent (2001) révèle que les femmes semblent être moins influencées par les conditions du marché du travail ou le fait d'avoir travaillé durant le secondaire que ne le sont les hommes dans leur décision de décrocher. Avoir un enfant influe davantage sur la décision des femmes que sur celles des hommes. Bowlby et de McMullen (2002) font écho à ces résultats. Les jeunes hommes disaient plus souvent que les femmes quitter l'école par désir de travailler. De plus, les décrocheurs de sexe masculin semblent avoir un moins bon dossier scolaire, y compris des notes plus basses et de plus nombreux redoublements d'années (Bushnik et coll., 2004). Les études américaines ont observé des tendances semblables (voir Chuang, 1997).

Au vu de ce qui précède, il semble que les décrocheurs et les décrocheuses forment deux groupes distincts et, fort probablement, deux catégories différentes de retournants potentiels. Les hommes et les femmes ne décrochent pas dans les mêmes circonstances et semblent avoir des préférences différentes en matière d'études et de travail. On peut supposer que la proportion de sortants intentionnellement temporaires varie selon le sexe et que la différence pourrait découler en partie des différences de retour à l'école entre les hommes et les femmes. Le restant de l'écart tiendrait à des préférences différenciées d'études et de travail.