Points forts et inconvénients

Les points forts de la microsimulation se concrétisent en trois dimensions. La microsimulation est séduisante d’un point de vue théorique, car elle appuie la recherche novatrice intégrée dans les paradigmes de recherche contemporains tels que la perspective de la trajectoire de vie. (À cet égard, la microsimulation est l’étape logique qui vient après l’analyse de la trajectoire de vie.) Elle est également séduisante d’un point de vue pratique, car elle fournit des outils pour l’étude et la projection de phénomènes sociodémographiques et socioéconomiques dynamiques d’une grande importance dans le domaine de l’élaboration des politiques. Enfin, la microsimulation est séduisante du point de vue technique, puisqu’elle n’est pas restreinte en ce qui a trait au type de variable et de processus, comme cela est le cas des modèles à cellules.

Points forts de la microsimulation d'un point de vue théorique

Le changement social et démographique massif survenu au cours des dernières décennies est allé de pair avec de gigantesques progrès techniques. La capacité de produire de grandes quantités de données a stimulé la collecte de données et permis l’adoption de nouveaux plans de sondage et de nouvelles méthodes d’analyse des données. En sciences sociales, ces nouveaux développements ont été accompagnés d’un changement général de paradigme, nombre des nouvelles orientations allant dans le sens de la vision d’Orcutt. L’une d’elles est la transition générale du niveau macro au niveau micro, afin d’axer la recherche sur les individus dans leur contexte. Un autre changement a trait à l’importance accrue accordée aux processus plutôt qu’aux structures statiques, faisant ainsi intervenir les concepts de causalité et de temps. Bien que l’approche de la microsimulation soutienne ces deux nouveaux pôles de concentration, elle constitue l’outil principal d’une troisième tendance en recherche, à savoir l’évolution de l’analyse vers la synthèse (Willekens 1999). La microsimulation relie de multiples processus élémentaires afin d’engendrer une dynamique complexe et de quantifier la contribution d’un processus particulier au profil complexe d’évolution.

Ces tendances en sciences sociales se reflètent dans l’émergence du paradigme de la trajectoire de vie qui relie l’évolution sociale, la structure sociale et l’action individuelle (Giele et Elder 1998). Sa perspective pluridimensionnelle et dynamique se traduit dans la recherche longitudinale et dans la collecte de données longitudinales. Les vies individuelles sont décrites comme une multitude de trajectoires parallèles et interdépendantes, telles que poursuivre des études, travailler, former des unions et avoir des enfants. Les états de chaque trajectoire sont modifiés par des événements dont les données sur leur survenue sont recueillies dans des enquêtes et qui sont simulés respectivement dans des modèles de microsimulation. Divers points forts de l’approche de microsimulation correspondent directement aux concepts fondamentaux de la perspective de la trajectoire de vie, ce qui en fait l’approche logique pour l’étude et la projection des phénomènes sociaux.

La microsimulation convient bien pour simuler l’interaction des trajectoires, car elle permet de modéliser à la fois les processus qui ont une mémoire (c.‑à‑d. que les individus se souviennent des événements passés pour divers domaines de trajectoire) et les diverses trajectoires parallèles pour lesquelles les probabilités ou risques de survenue d’un événement d’une trajectoire particulière répondent aux changements d’état dans d’autres trajectoires.

En plus de reconnaître les interactions entre les trajectoires, la perspective de la trajectoire de vie met l’accent sur l’interaction entre les individus, à savoir le concept des vies liées. La microsimulation est un outil puissant pour étudier et projeter ces interactions. Elle peut inclure des changements dans les réseaux de parenté (Wachter 1995), des transferts intergénérationnels et la transmission de caractéristiques comme l’éducation  (Spielauer 2004) et la transmission de maladies comme le sida.

Dans la perspective de la trajectoire de vie, la situation et les décisions courantes d’une personne peuvent être considérées comme la conséquence d’expériences passées ou d’attentes futures, et comme une intégration de motifs individuels et de contraintes externes. De cette façon, l’agent humain et l’orientation des objectifs individuels font partie du cadre explicatif. L’un des principaux mécanismes grâce auxquels les individus relèvent les défis de la vie est la synchronisation des événements de la vie appartenant à des trajectoires parallèles, et souvent difficiles à concilier, comme travailler et élever des enfants. La microsimulation permet la modélisation des agents individuels, car toutes les décisions et tous les événements sont modélisés au niveau où ils ont lieu et les modèles peuvent tenir compte du contexte individuel. Outre ces avantages intrinsèques, la microsimulation n’impose aucune contrainte quant à la façon de modéliser les décisions; autrement dit, elle permet d’utiliser n’importe quel type de modèle de comportement qui peut être exprimé en code informatique.

Points forts de la microsimulation d'un point de vue pratique

La capacité de créer des modèles permettant de projeter les effets des politiques est l’élément central de la vision d’Orcutt. L’attrait de la microsimulation dynamique dans le domaine de l’élaboration des politiques est étroitement associé aux forces intrinsèques de cette approche. Elle permet de modéliser des politiques à n’importe quel niveau de détail, ainsi que d’aborder les questions distributionnelles et les problèmes de viabilité de long terme. Une partie de cette puissance est déjà exploitée dans les modèles de microsimulation statiques des avantages fiscaux, qui sont devenus un outil standard d’analyse des politiques dans la plupart des pays développés. Issus de l’intérêt croissant des décideurs pour l’étude des phénomènes distributionnels, ces modèles sont toutefois limités par nature aux études transversales. Bien que des projections limitées des avantages fiscaux dans l’avenir soient possibles au moyen de modèles de microsimulation statistiques par repondération des individus d’une population initiale en vue de représenter la population dans l’avenir (et en remettant à niveau le revenu et d’autres variables), cette approche est dépourvue de la dimension longitudinale, c’est‑à‑dire les trajectoires de vie individuelles (et les antécédents de cotisation), qui est simulée dans les modèles dynamiques. Le rôle important de la dynamique dans les applications des politiques a été principalement reconnu dans la conception et la modélisation des régimes de pension, qui sont fortement touchés par le vieillissement démographique. Les modèles de pensions sont aussi de bons exemples d’applications dans lesquelles les biographies individuelles (cotisations) et le concept des vies liées (pension de survivant) ont de l’importance. Un autre exemple est la planification des établissements de soins dont la demande est dictée par le vieillissement démographique ainsi que par l’évolution des réseaux de parenté et la participation au marché du travail (c.‑à‑d. les principaux facteurs affectant la disponibilité de soins non officiels).

Compte tenu du rythme rapide d’évolution sociale et démographique, la nécessité d’adopter une perspective longitudinale a été admise rapidement dans la plupart des autres domaines stratégiques qui bénéficient des projections détaillées et du « monde virtuel », ou environnement d’essai, fourni par les modèles de microsimulation dynamique. Non seulement l’aspect longitudinal de la microsimulation dynamique est important en ce qui concerne les questions de viabilité, mais il étend aussi la portée de l’analyse des effets distributionnels des politiques. La microsimulation peut être utilisée pour analyser les distributions sur la base de la trajectoire de vie et pour résoudre les questions d’équité intergénérationnelle. La possibilité d’étudier et de comparer la distribution des taux de rendement des séries de contributions et d’avantages individuels au cours de la vie complète des individus en est un exemple.

Points forts de la microsimulation d'un point de vue technique

D’un point de vue technique, la principale force de la microsimulation tient au fait qu’elle n’est pas soumise aux contraintes typiques d’autres approches de modélisation. Contrairement aux modèles à cellules, la microsimulation permet de traiter n’importe quel nombre de variables de n’importe quel type. Comparativement aux modèles de niveau macro, il n’est pas nécessaire d’agréger les relations comportementales, ce qui, dans les macromodèles, n’est possible que sous des hypothèses contraignantes. Dans la microsimulation, la modélisation des comportements individuels n’est soumise à aucune contrainte et ce sont les résultats des comportements qui sont agrégés. Autrement dit, aucune restriction n’est appliquée au type de processus. Mais, par‑dessus tout, la microsimulation permet de prendre en considération des processus non markoviens, c’est‑à‑dire des processus qui possèdent une mémoire. Fondée sur des microdonnées, la microsimulation permet une agrégation flexible, car l’information peut être croisée de n’importe quelle façon, tandis que dans les approches agrégées, le schéma d’agrégation est déterminé a priori. Les résultats des simulations peuvent être présentés et expliqués simultanément de diverses façons — par des séries chronologiques agrégées, des distributions conjointes transversales, ainsi que des trajectoires de vie individuelles et familiales.

Quel est le prix ? Inconvénients et limites

La microsimulation présente trois types d’inconvénients (et de préconceptions) de nature très différente, à savoir l’esthétique, les limites fondamentales inhérentes à toutes les prévisions et les coûts.

Si la beauté réside dans la simplicité et l’élégance mathématique (point de vue qui n’est pas rare chez les économistes faisant partie du courant dominant), les modèles de la microsimulation violent toutes les règles de l’esthétique. Les modèles de microsimulation à grande échelle requièrent un nombre incalculable de paramètres estimés au moyen de données provenant de diverses sources qu’il est souvent difficile de rapprocher. La simulation des politiques requiert une comptabilité fastidieuse et, étant donné leur complexité, les modèles de microsimulation posent toujours le risque de devenir des boîtes noires difficiles à utiliser et à comprendre. Même s’il est possible d’améliorer la documentation et l’interface utilisateur des modèles de microsimulation, le sacrifice de l’élégance à l’utilité sera toujours un trait de cette approche de modélisation.

Le deuxième inconvénient est plus fondamental. La limite essentielle de la microsimulation tient au fait que le niveau de détail du modèle ne va pas de pair avec la puissance globale de prédiction. Cet état de chose tient à ce que l’on appelle le caractère aléatoire de la microsimulation, causé en partie par la nature stochastique des modèles et en partie par les erreurs et biais cumulés dans les valeurs des variables. Le compromis entre le détail et le biais éventuel existe déjà à l’étape du choix des sources de données, puisque la taille de l’échantillon des enquêtes ne va pas de pair avec le niveau de détail des modèles. Il existe un compromis entre la stochasticité additionnelle introduite par les variables supplémentaires et les erreurs dues à la spécification incorrecte causées par des modèles qui sont trop simplifiés. Autrement dit, la caractéristique qui rend la microsimulation particulièrement séduisante, à avoir le grand nombre de variables que les modèles peuvent contenir, a pour prix le caractère aléatoire des modèles et l’affaiblissement résultant de la puissance prédictive à mesure que le nombre de variables augmente. Cette situation crée un compromis entre de bonnes prédictions au niveau agrégé et une bonne prédiction concernant les aspects distributionnels dans le long terme, un fait dont les modélisateurs doivent tenir compte. Ce problème de compromis n’est pas particulier à la microsimulation, mais puisque celle‑ci est habituellement employée pour produire des projections détaillées, l’importance de l’effet de la stochasticité s’accroît conséquemment. Il n’est donc pas étonnant que, dans nombre de modèles à grande échelle, certains processus sont harmonisés ou calés sur des projections agrégées obtenues par des moyens externes.

Outre sa nature fondamentale, la portée de ce caractère aléatoire dépend de la fiabilité ou de la qualité des données. À cet égard, nous pouvons observer et attendre diverses améliorations à mesure que des données de plus en plus détaillées deviennent disponibles pour la recherche, non seulement sous forme de données d’enquête, mais aussi de données administratives. Ces dernières ont propulsé la microsimulation, particulièrement en Europe, dans les pays nordiques.

Puisque la microsimulation produit non pas des valeurs prévues, mais plutôt des variable aléatoires distribuées autour des valeurs prévues, elle présente une autre forme de caractère aléatoire : la variabilité Monte Carlo, due au fait que chaque expérience de simulation produit des résultats agrégés différents. Bien que cela était fastidieux à l’époque où la puissance informatique était limitée, l’exécution d’un grand nombre d’expériences répétées et (ou) la simulation d’une grande population peut éliminer ce genre de caractère aléatoire et produire des renseignements précieux sur la distribution des résultats, en plus des estimations ponctuelles.

Le troisième type d’inconvénient est celui des coûts de développement. Les modèles de microsimulation requièrent des données de grande qualité, longitudinales et parfois d’un type très particulier, dont l’acquisition et la compilation est coûteuse. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas de coûts explicites associés à la microsimulation proprement dite, mais du prix à payer pour la recherche longitudinale en général et l’élaboration de politiques fondées sur des faits en particulier.

Habituellement, les modèles de microsimulation demandent aussi de gros investissements en ressources humaines et en matériel. Cependant, il faut s’attendre à ce que ces coûts continuent à diminuer, à mesure que le prix du matériel baisse et que des langages informatiques plus puissants et plus efficaces deviennent disponibles. Malgré tout, aux yeux de nombreux chercheurs, les obstacles à l’entrée sont élevés. Si nombre d’entre eux reconnaissent le potentiel de la microsimulation, ils restent sceptiques quant à la possibilité d’appliquer ses techniques dans le cadre de petits projets de recherche. Nous espérons que l’accès au langage Modgen réduit cet obstacle perçu et rend la microsimulation plus accessible au monde de la recherche. Au cours des deux dernières années, divers modèles de microsimulation à une plus petite échelle ont été développés dans le cadre de projets de doctorat ou d’études particulières. Modgen peut à la fois accélérer la programmation de petites applications et offrir une plateforme de modélisation éprouvée et à jour pour les modèles à grande échelle, tels que les modèles LifePaths et Pohem de Statistique Canada.